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Campagne des Cent Fleurs

La campagne des Cent Fleurs (chinois simplifiĂ© : ç™ŸèŠ±èżćŠš ; chinois traditionnel : ç™ŸèŠ±é‹ć‹• ; pinyin : bǎihuā yĂčndĂČng) est une politique menĂ©e en Chine de Ă  . Mao Zedong, pour rĂ©tablir son autoritĂ© sur le Parti communiste chinois, affaibli depuis son VIIIe congrĂšs, et pour amĂ©liorer les relations entre la formation communiste et la population dans un contexte international pĂ©rilleux, appelle Ă  une « campagne de rectification ». Le principe est de redonner une certaine libertĂ© d'expression Ă  la population, tout particuliĂšrement aux intellectuels, pour critiquer le Parti. Si l'objectif officiel est que celui-ci s'amĂ©liore, Mao compte bien en profiter pour affaiblir ses adversaires et retrouver un certain ascendant sur ses camarades.

La campagne des Cent Fleurs est l'histoire d'« une comédie qui va se muer en tragédie » (Jean-Luc Domenach). En effet, peu de temps aprÚs le lancement de la campagne, la contestation explose. Le Parti réagit rapidement et lance une répression féroce qui fera plusieurs centaines de milliers de victimes, emprisonnées, déportées et parfois exécutées.

Le contexte Ă©conomique et politique

La Chine a opĂ©rĂ© l'institutionnalisation du gouvernement rĂ©volutionnaire Ă  l'issue de sa victoire sur les nationalistes en 1949. En 1954, l’adoption de la constitution permet la mise en place d’institutions permanentes. En 1956, la rĂ©publique populaire de Chine n’a que sept ans d'Ăąge et prĂ©sente un bilan mitigĂ©.

Le systĂšme politique chinois est caractĂ©risĂ© par la coexistence de deux entitĂ©s antagonistes : le Parti et l’État. Mao cumule les fonctions de prĂ©sident du Parti et prĂ©sident de la RĂ©publique.

Dans ce schĂ©ma simplifiĂ© du gouvernement chinois, le Parti dĂ©finit la ligne gĂ©nĂ©rale, que les diffĂ©rents organes de l’État traduisent en dĂ©cisions politiques. La politique du rĂ©gime est donc le fruit d’un difficile Ă©quilibre entre une direction idĂ©ologique, ultra-gauchiste, radicale, qui souhaiterait que le Parti se substitue Ă  l’État et aux diverses administrations dans l’application de ses directives, et une direction bureaucratique, qui souhaiterait que l'État en tant qu’appareil administratif technique domine le Parti. Une tension permanente travaille le sommet de l'appareil. Cette tension est prĂ©pondĂ©rante pour comprendre la vie politique chinoise jusqu'Ă  la mort de Mao au moins, et elle se manifestera par un mouvement de balancier (en gĂ©nĂ©ral Ă©conomiquement et humainement trĂšs coĂ»teux) entre Ă©lans radicaux et utopistes soutenus par les partisans de la prĂ©pondĂ©rance de l'idĂ©ologie sur toute autre considĂ©ration, et retours Ă  la normale portĂ©s par les plus pragmatiques. C'est ce mouvement d'aller-retour qui explique la dĂ©faite de Mao au VIIIe congrĂšs du Parti communiste chinois (PCC), entraĂźnant indirectement le lancement de la campagne des Cent Fleurs.

L'échec du « premier bond en avant »

En 1955, Mao décide de lancer un vaste mouvement de collectivisation, qui sera désigné comme le « premier bond en avant » (Roderick Mac Farquhar). Il présente toutes les caractéristiques d'une répétition générale à petite échelle du « Grand Bond en avant » qui se déroulera de 1958 à 1960. En s'appuyant sur les cadres supérieurs provinciaux du Parti contre le Comité central qui n'y est guÚre favorable, Mao appuie une accélération considérable du mouvement des coopératives à partir de l'été 1955. Selon lui, cette accélération serait réclamée par les masses et permettrait à l'agriculture de contribuer efficacement à l'industrialisation du pays par la hausse trÚs importante des rendements. DÚs la fin de l'année 1955, quasiment tous les foyers paysans ont été intégrés à des coopératives. La méthode choisie pour inciter les paysans à s'intégrer à ces coopératives est un mélange de mobilisation (propagande, slogans, réunions) et de coercition.

ParallĂšlement, le rĂ©gime rĂ©alise l'achĂšvement de la socialisation de l'Ă©conomie urbaine. Les artisans sont regroupĂ©s en coopĂ©ratives et l'État place sous sa tutelle les entreprises industrielles qu'il ne contrĂŽlait pas encore, signant la disparition dĂ©finitive de la bourgeoisie industrielle des villes.

Cependant, loin des hausses de production extraordinaires prévues par le projet de plan agricole de douze ans adopté en 1956 et malgré la mobilisation menée par le Parti auprÚs des cadres et des paysans, les ambitions irréalistes et les méthodes incohérentes du mouvement entraßnent une récolte trÚs médiocre. Les calamités naturelles qui s'abattent durant l'été 1956 sur certaines régions (inondations, sécheresses
) ne font qu'aggraver la situation, qui ne tarde pas à aboutir à une disette dans une grande partie du pays (et beaucoup plus rarement à des famines dans certaines zones périphériques).

La crédibilité du régime est durement atteinte et va justifier un renversement politique.

Le mécontentement de la population et les débuts timides du mouvement de libéralisation

Les consĂ©quences politiques du « premier bond en avant » vont ĂȘtre trĂšs importantes. Le pouvoir des cadres du Parti sur la sociĂ©tĂ©, notamment sur la sociĂ©tĂ© rurale, va se trouver considĂ©rablement Ă©tendu et renforcĂ© par le mouvement de « coopĂ©rativisation ». Ils exercent dorĂ©navant un contrĂŽle direct sur la vie quotidienne des paysans. AjoutĂ© au contrĂŽle Ă©troit qu'il exerce depuis 1949 sur les villes et qui a Ă©tĂ© renforcĂ© lors de l'achĂšvement de la socialisation Ă©conomique des villes en 1955, le Parti dispose dorĂ©navant d'un formidable pouvoir sur l'ensemble de la sociĂ©tĂ© chinoise.

Surtout, probablement sous l'impulsion de Zhou Enlai et avec l'accord de Mao, une nouvelle orientation « droitiĂšre » est prise dĂšs le mois d' au vu des consĂ©quences de la politique lancĂ©e par Mao. On dĂ©nonce l'« aventurisme » de certains qui veulent « tout rĂ©aliser [
] en un jour » et on corrige les excĂšs du collectivisme. Il est dĂ©cidĂ© par le Parti de libĂ©raliser la politique agricole en urgence (agrandissement des lopins de terre privĂ©s, division des coopĂ©ratives les plus grosses, etc.). La politique d'ouverture se dĂ©veloppe aussi en direction des paysans riches et des propriĂ©taires fonciers (qui sont autorisĂ©s Ă  rejoindre les coopĂ©ratives dont ils Ă©taient jusqu'ici exclus), ainsi que les capitalistes expropriĂ©s (qui se voient offrir de gĂ©nĂ©reuses compensations financiĂšres).

Pour rallier une population qui a perdu confiance, et plus particuliÚrement les intellectuels, le Parti décide de lever un peu le poids du contrÎle politique (adoucissement des conditions d'emprisonnement, libérations au compte-goutte, timide dégel dans les milieux artistiques tenus jusqu'alors d'une main de fer par le Parti, etc.). Davantage de liberté est accordée aux écrivains, artistes et chercheurs. La pression idéologique s'atténue et les rapports du Parti avec les intellectuels se décrispent un peu. C'est dans le cadre de cette campagne de restauration de la confiance qu'est prononcée par Mao au cours d'un discours le la phrase célÚbre venue de la période des Royaumes combattants : « Que cent fleurs s'épanouissent, que cent écoles rivalisent ! » qui symbolise la timide libéralisation politique de cette période.

Cette action n'empĂȘche pas de se dĂ©velopper le premier vĂ©ritable malaise social que la rĂ©publique populaire de Chine ait connu depuis sa fondation en 1949. Si la contestation en ville et Ă  la campagne ne se manifeste pas Ă  proprement parler, il est Ă©vident que le prestige du Parti et la confiance dans son action sont durement touchĂ©s : les liens entre le Parti et la population, mis Ă  mal depuis l'Ă©chec du « premier Grand Bond », ne sont pas renouĂ©s.

Les origines immédiates de la campagne des Cent Fleurs

La défaite de Mao au VIIIe CongrÚs du PCC

Le VIIIe CongrĂšs du PCC, grand-messe du rĂ©gime, se rĂ©unit du au . Il marque un revers pour Mao et ses idĂ©es politiques. Les principaux membres du rĂ©gime, comme Deng Xiaoping, Zhou Enlai et Liu Shaoqi, sont favorables Ă  une prudente orthodoxie. Bien qu'il lui ait donnĂ© son aval, la mise en Ɠuvre d'un socialisme plus graduel, « pas Ă  pas », est un vĂ©ritable dĂ©saveu de Mao et de ses mĂ©thodes. Le CongrĂšs insiste aussi sur le rĂŽle dirigeant du Parti, dont les statuts omettent dĂ©sormais toute rĂ©fĂ©rence Ă  la pensĂ©e de Mao. Les nominations effectuĂ©es confirment le dĂ©clin de son influence, Ă  l'exception de Lin Biao, un de ses fervents partisans, qui accĂšde Ă  la sixiĂšme place dans la hiĂ©rarchie.

L'urgence de renouer le lien entre le Parti et la population

L’évĂ©nement international marquant de cette annĂ©e 1956 est le dĂ©but de la dĂ©stalinisation en URSS et les troubles qui s'ensuivent en Pologne et en Hongrie. En , au cours du XXe congrĂšs du Parti communiste d’URSS, Nikita Khrouchtchev dĂ©voile son fameux rapport « secret ». Il y fait une sĂ©vĂšre critique de Staline et condamne en particulier les crimes commis au nom du communisme. Cette dĂ©claration qui sera publiĂ©e par la presse amĂ©ricaine, aprĂšs que la CIA s’en sera procurĂ© une retranscription, provoque la stupeur du monde communiste, y compris naturellement des communistes chinois.

Selon Roderick Mac Farquhar, les reprĂ©sentants du PCC Ă  Moscou auraient Ă©tĂ© informĂ©s que le discours de Nikita Khrouchtchev comporterait une allusion Ă  Staline. Mais l’ampleur de cette attaque resta secrĂšte jusqu’au dernier moment.

DĂšs lors, la principale crainte des communistes chinois est de voir les secousses qui agitent la sphĂšre soviĂ©tique se rĂ©percuter sur le rĂ©gime de PĂ©kin, et plus particuliĂšrement qu’un parallĂšle soit fait entre Staline et Mao. Le Parti opte donc pour une ligne intermĂ©diaire. Le Quotidien du Peuple publie plusieurs articles oĂč Staline est prĂ©sentĂ© comme un grand combattant du marxisme-lĂ©ninisme mais Ă©galement comme un homme qui a commis des erreurs dans ses politiques.

L'insurrection de Budapest et le soulĂšvement de PoznaƄ la mĂȘme annĂ©e, Ă  la suite du dĂ©but de la dĂ©stalinisation, ne tardent pas Ă  les convaincre de l'urgence de renouer avec la population alors que le malaise social persiste. Seuls les moyens pour y parvenir les divisent, et beaucoup seront opposĂ©s Ă  l'idĂ©e de « rectification », forme de libĂ©ralisation plus extrĂȘme prĂŽnĂ©e par Mao comme le seul moyen de renouer avec le peuple. Ce sont trĂšs vraisemblablement les violentes secousses de Pologne et de Hongrie qui en ont incitĂ© certains Ă  se ranger Ă  ses cĂŽtĂ©s[1].

Le lancement de la campagne

L'objectif de Mao

Mao reprend rapidement l'initiative et va de nouveau forcer la main des dirigeants du PCC. Son attitude pose des problĂšmes d'interprĂ©tation, qu'on rencontrera aussi dans le lancement de la rĂ©volution culturelle. On hĂ©site en effet sur la nature de ses objectifs. Le premier de ceux-ci est sans aucun doute le pouvoir. Mao passe Ă  l'offensive sur un terrain qui lui est favorable (alors que son Ă©chec dans le domaine Ă©conomique est patent) : les relations du Parti avec la population. Mao va s'efforcer de rallier habilement les mĂ©contents pour affaiblir les dirigeants de l'appareil central qui l'ont dĂ©savouĂ© au VIIIe CongrĂšs du Parti. Mais ce n'est pas seulement une manƓuvre. Mao est sans doute aussi inquiet du malaise social qui sĂ©vit dont les troubles en Pologne et en Hongrie l'ont informĂ© du caractĂšre trĂšs dangereux, consĂ©quences catastrophiques de la dĂ©stalinisation amorcĂ©e par Nikita Khrouchtchev.

Une campagne de rectification

Mao va alors proposer une médication qui était jusqu'alors réservée aux problÚmes internes du Parti : une campagne de rectification (zhengfeng). Il veut inciter la population à critiquer le Parti afin que celui-ci corrige ses défauts. Outre l'occasion de rétablir son autorité sur le Parti, Mao croit sans doute sincÚrement aux vertus pédagogiques de cet exercice.

Mao parvient à imposer cette idée au sein du Parti à la fin de l'année 1956, bien que les résistances demeurent nombreuses. Son discours sur les Cent Fleurs date du , mais c'est seulement le qu'il décide de forcer le cours des choses en prononçant son célÚbre discours sur « la juste solution des contradictions au sein du peuple ». Le mot d'ordre des Cent Fleurs, qui jusque-là n'avait constitué qu'une campagne classique de libéralisation, devient un appel à critiquer le Parti. On devine la stupeur de la plupart des membres de celui-ci qui aperçoivent immédiatement le danger de cet appel, instruits qu'ils sont de l'ampleur du mécontentement dans le pays[2].

L'explosion de la contestation

Des débuts prudents

D'abord trÚs prudente, la campagne de rectification déclenche une explosion de critiques, que le Parti va réprimer vigoureusement. L'événement des Cent Fleurs proprement dit est donc trÚs bref, quelques semaines, parfois quelques jours dans certaines provinces, mais explosif.

Le mouvement commence de façon trĂšs timide, car beaucoup d'intellectuels sont Ă©chaudĂ©s par la rĂ©pression qu'ils ont pu subir dans le passĂ©. L'appareil lui-mĂȘme oppose une certaine rĂ©sistance. Cependant, dans la deuxiĂšme moitiĂ© du mois de mai et au dĂ©but du mois de , la parole se libĂšre. Jamais plus avant le Printemps de PĂ©kin en 1977 une telle libertĂ© d'expression ne sera possible en Chine.

Dans une satire intitulĂ©e Le rĂȘve du jardinier, Ai Qing dĂ©nonce l’attitude des reprĂ©sentants du Parti, et plus particuliĂšrement les membres de l’Union des Ă©crivains, semblable au jardinier qui plante des centaines de fleurs dans son jardin mais n’en garde qu’une seule variĂ©tĂ©, si bien que mĂȘme fleuri ce jardin est dĂ©pourvu d’éclat.

Des personnalitĂ©s dĂ©mocratiques prennent la tĂȘte du mouvement de contestation. Parmi elles, Chu Anping, rĂ©dacteur en chef du journal ClartĂ© qui s’était dĂ©jĂ  Ă©levĂ© contre le principe du parti unique en 1946, Zhang Bojun, ministre des Communications, et Luo Longyi, ministre de l’Industrie et du Bois.

Les Ă©crivains, en majoritĂ© les plus jeunes, s’insurgent ouvertement contre le contrĂŽle bureaucratique qu’exerce le Parti sur l’activitĂ© crĂ©atrice, et surtout contre la personne de Zhou Yang. Le cas Hu Feng est Ă©galement comparĂ© Ă  l’affaire Dreyfus, et des Ă©crits dĂ©clarent que s’il n’est pas question de s’inspirer du capitalisme français, la recherche de la vĂ©ritĂ© Ă  tout prix est une bonne chose.

La généralisation de la critique

Si les contestataires s’en prennent d'abord au travail du Parti, trĂšs vite les critiques s’orientent Ă  l’encontre de sa nature mĂȘme et de son rĂŽle au sein de la sociĂ©tĂ© chinoise. Elles dĂ©noncent en particulier sa structure jugĂ©e monolithique, le monopole de l’information dĂ©tenu par ses membres et demandent une rĂ©forme des institutions pour qu’une plus grande place soit faite aux partis dĂ©mocratiques.

Le mouvement Ă©tudiant part lui de la prestigieuse universitĂ© Beida Ă  PĂ©kin, centre traditionnel des mouvements Ă©tudiants. Les jeunes collent des dazibao sur les murs des dortoirs, du rĂ©fectoire, des classes. InspirĂ©s par les Ă©vĂ©nements de Pologne et de Hongrie, les manifestants rĂ©clament la libertĂ© de presse, et dĂ©noncent le sectarisme du Parti Ă  l’encontre des professeurs non communistes, l’adoption du modĂšle Ă©ducatif soviĂ©tique, et l’attitude du rĂ©gime vis-Ă -vis des Ă©crivains. Sur une place du campus rebaptisĂ©e Place de la dĂ©mocratie, une Ă©tudiante de Renda (UniversitĂ© du peuple), Lin Xiling, Ă©voque dans un de ses discours la disparition de Hu Feng et exige que son cas soit rĂ©examinĂ©. Elle met aussi en avant le dogmatisme du Parti et le fait que « le vrai socialisme doit ĂȘtre dĂ©mocratique, alors que le nĂŽtre ne l'est pas ». TrĂšs vite ces critiques en viennent Ă  remettre en question le systĂšme mĂȘme de l’État, et la domination du Parti. Le mouvement s'Ă©tend rapidement aux autres provinces. C'est Ă  Wuhan (Hubei) qu'il donnera lieu aux troubles les plus graves : des Ă©tudiants manifestent devant le comitĂ© provincial et dressent quelques barricades.

Si la critique est d'une extrĂȘme diversitĂ©, elle est orientĂ©e dans la mĂȘme direction, dans ce dĂ©sir encore vague de libertĂ©, de dĂ©mocratie et de progrĂšs.

Mais la grande peur des dirigeants communistes est de voir cette agitation s’étendre aux usines. Dans les milieux professionnels, on dĂ©nonce l'autoritarisme et l'incompĂ©tence du Parti. On critique aussi les privilĂšges exorbitants dont bĂ©nĂ©ficient ses membres. DĂ©jĂ  sur certains sites, le relĂąchement du contrĂŽle des cadres permet l’organisation de pĂ©titions, de manifestations et mĂȘme de grĂšves. Les Cent Fleurs permettent l’émergence d’un courant syndicaliste de classe menĂ© par Gao-Yuan. Celui-ci refuse de cantonner le rĂŽle des syndicats Ă  celui d’une courroie de transmission du Parti, et envisage explicitement que le syndicat, organe de la classe ouvriĂšre, puisse entrer en conflit avec le Parti et l’État pour la dĂ©fense des travailleurs.

La répression

La réaction du Parti

L'étudiante Lin Zhao condamnée pour avoir critiqué le Parti et exécutée en 1968[3].

Les faits ont donc donnĂ© raison aux rĂ©alistes. MenacĂ© dans son existence mĂȘme, par un mouvement qui risque d’échapper Ă  tout contrĂŽle, le Parti se doit de rĂ©agir. Les dirigeants du Parti qui assistent Ă  la montĂ©e de plus en plus incontrĂŽlĂ©e de la contestation, ne manquent pas de faire le parallĂšle avec les Ă©vĂ©nements de Pologne et de Hongrie, mais aussi avec le mouvement du 4-Mai.

Mao lui-mĂȘme avertit les manifestants lorsqu’il dĂ©clare le devant le IIIe CongrĂšs de la Ligue des jeunes communistes que ceux-ci doivent ĂȘtre conscients que « tous les mots ou actions qui s’écartent du socialisme sont malvenus ». Le lieu oĂč cette phrase est prononcĂ©e n’est pas anodin : c’est principalement la jeunesse qui inquiĂšte les dirigeants.

Le Quotidien du Peuple va annoncer la volte-face du Parti. Dans son Ă©ditorial du , il dĂ©nonce en effet « ceux qui veulent se servir de la campagne de rectification pour mener la lutte des classes ». Pour Ă©tayer ses dires, le journal publie le texte du discours de Mao De la juste solution des contradictions au sein du peuple, qui jusqu’alors n’était connu que des gens prĂ©sents au rassemblement du . Dans la version publiĂ©e, le texte a Ă©tĂ© profondĂ©ment remaniĂ©. Si les critiques sont autorisĂ©es, seules peuvent ĂȘtre acceptĂ©es celles qui s’avĂšrent bĂ©nĂ©fiques en permettant au Parti de progresser. Cet article marque le dĂ©but d’une violente campagne de rĂ©pression contre les opposants au rĂ©gime, qui touche toutes les couches de la sociĂ©tĂ©.

Les personnalitĂ©s dĂ©mocratiques sont contraintes de se soumettre Ă  d’humiliantes sĂ©ances d’autocritique. Les deux ministres Zhan Bojun et Luo Longyi sont rĂ©voquĂ©s. Chu Anping doit dĂ©missionner de son poste de rĂ©dacteur en chef.

Certaines professions qui s'étaient le plus agitées subissent une répression trÚs lourde, comme les professions juridiques (juges, avocats, notaires).

Les Ă©tudiants sont particuliĂšrement visĂ©s et les diplĂŽmĂ©s feront l’objet d’enquĂȘtes politiques, devront dĂ©sormais obĂ©ir au plan de rĂ©partition fixĂ© par le Parti et accepter sans rechigner leur affectation. Mais c’est surtout Ă  Wuhan que la rĂ©pression est la plus dure. Les reprĂ©sentants de l’universitĂ© sont fusillĂ©s et cinquante hauts responsables expulsĂ©s pour « droitisme ». De façon gĂ©nĂ©rale, le milieu universitaire est dĂ©cimĂ©. À l'universitĂ© de PĂ©kin, 10 % des Ă©tudiants sont classĂ©s comme « droitiers » et expulsĂ©s ou incarcĂ©rĂ©s, cela sera le cas de Lin Zhao qui sera exĂ©cutĂ©e pendant la rĂ©volution culturelle[4]. Gao Yuan et ses amis sont dĂ©noncĂ©s comme « droitiers » et Ă©cartĂ©s du syndicat et du Parti.

À la campagne, les cadres locaux critiquĂ©s pendant le mouvement de rectification pour leur duretĂ© Ă  l’égard de la petite bourgeoisie, leur bureaucratisme et leur sectarisme, sont accusĂ©s pendant la campagne de rĂ©pression de faire preuve d’une trop grande indulgence Ă  l’égard de la paysannerie locale. Des quotas d’expulsions pour dĂ©viationnisme sont fixĂ©s Ă  leur encontre : 3 % pour les membres du PCC et 8 % pour ceux de la Ligue des jeunes communistes.

Le bilan de la répression

Au total ce sont plusieurs centaines de milliers de personnes qui seront victimes de la campagne antidroitiĂšre, et en particulier les enseignants. Chaque unitĂ© doit sĂ©lectionner un quota de « droitiers ». On exige d'eux de sĂ©vĂšres autocritiques. Puis ils sont suivant les cas dĂ©gradĂ©s, exilĂ©s ou incarcĂ©rĂ©s. Le sinologue Jean-Luc Domenach indique l'envoi dans des camps de travail de 550 000 intellectuels[5].

Zhou Yang (1907-1989), vice-ministre de la Culture et directeur adjoint du dĂ©partement de la Propagande, profite de l’occasion qui lui est offerte pour s’attaquer aux Ă©crivains de l’ancienne gĂ©nĂ©ration, notamment Feng Xuefeng et Ding Ling, mĂȘme si ceux-ci n’ont participĂ© que de loin au mouvement. Ding Ling est envoyĂ©e dans un camp de travail au Heilongjiang. Comme elle, nombre d’intellectuels seront dĂ©portĂ©s et leur peine pour certains ne se sera levĂ©e qu’à la mort de Mao en 1976. Le Parti rĂ©affirme ainsi sa domination sur le monde des Lettres. Ceux qui ne sont pas emprisonnĂ©s verront leurs traitements divisĂ©s de moitiĂ© afin de leur permettre de se transformer d’« intellectuels bourgeois » en « intellectuels prolĂ©taires ».

La version officielle prĂ©senta plus tard la campagne des Cent Fleurs comme un piĂšge tendu par Mao afin d’amener tous les ennemis du Parti Ă  se dĂ©voiler. Mais il semble dans les faits qu’en lançant son mouvement de rectification, Mao ait sous-estimĂ© l’ampleur du ressentiment de la sociĂ©tĂ© Ă  l’encontre du Parti.

Cette rĂ©pression devient rapidement une rĂ©pression gĂ©nĂ©rale durant la pĂ©riode -, qui ne vise plus seulement Ă  pourchasser les « droitiers » mais tous ceux que leur situation ou leur passĂ© rend suspect au pouvoir. Ainsi, c'est Ă  la fin de 1957 qu'est arrĂȘtĂ© Jean Pasqualini, un mĂ©tis franco-chinois qui avait travaillĂ© pour l'ambassade amĂ©ricaine (il sera l'auteur de Prisonnier de Mao. Sept ans dans un camp de travail en Chine). On opĂšre des rafles de vagabonds et de dĂ©linquants. Trois cent mille cadres de l'administration sont renvoyĂ©s. Les jeunes diplĂŽmĂ©s qui n'ont pas reçu d'affectation sont fermement poussĂ©s Ă  s'installer Ă  la campagne, ce qui lance la politique d'envoi Ă  la base (xiaxiang) qui prendra une extraordinaire ampleur Ă  l'issue de la rĂ©volution culturelle avec la dĂ©portation de ceux qui deviendront les cĂ©lĂšbres zhiqing.

Bilan de la campagne des Cent Fleurs

On ne note aucune véritable émeute et les troubles n'ont été finalement que limités. Mais le régime ne s'y est pas trompé. Il s'est senti gravement menacé par une protestation intellectuelle qui n'avait rien de commun pourtant avec l'insurrection de Budapest. Les critiques rencontraient un écho croissant dans les milieux urbain et rural, rendant inévitables à terme une radicalisation du mouvement. Surtout, la protestation n'était pas sans déplaire à certains cadres du Parti, suscitant des tensions importantes au sein de l'appareil. Il s'agissait donc d'écraser au plus vite la contestation, réaffirmer la nature dictatoriale du régime, avant de devoir choisir entre répression sanglante et libéralisation, alternative dont celui-ci ne voulait pas.

La campagne antidroitiĂšre amorcĂ©e le fut donc pour Mao un constat d’erreur. N’ayant pas tenu compte des remarques incitant Ă  la prudence dans la campagne de rectification, il voit sa position au sein du Parti s’affaiblir. Ses rivaux ne manquent pas l’occasion de lui rappeler l’égalitĂ© qui doit rĂ©gner entre tous les cadres du Parti. Au cours de la rĂ©union qui prĂ©cĂšde la volte-face, Peng Zhen dĂ©clare que « les cadres de notre Parti en sont tous les outils. Le problĂšme est de savoir de quelle maniĂšre un outil tel que Mao sera le mieux utilisĂ© » — une façon de ramener Mao au niveau des autres dirigeants.

La campagne des Cent fleurs marque le divorce entre le pouvoir et la nouvelle sociĂ©tĂ©, la fin du consensus social qui avait rĂ©gnĂ© jusqu’alors. Pour la premiĂšre fois, la confrontation entre gouvernants et gouvernĂ©s, entre le Parti et le peuple, est envisageable.

Articles connexes

Bibliographie

  • Marie-Claire BergĂšre, La Chine de 1949 Ă  nos jours, Ă©d. Armand Colin, Paris, 2000.
  • Jean-Luc Domenach et Philippe Richer, La Chine 1949-1985, Paris, Ă©d. du Seuil, 1995
  • (en) Roderick Mac Farquhar, The origins of the Cultural Revolution, Oxford University Press, 1974.
  • (en) Roderick Mac Farquhar, Great Leap Forward, 1958-1960, Oxford University Press, 1983.
  • (en) Merle Goldman, Literary dissent in communist China, Harvard University Press, 1967.
  • (en) Merle Goldman, « The rectification campaign at Peking university : May-June 1957 », 12, China Quaterly, octobre-dĂ©cembre 1962.
  • François Gipouloux, Les Cent Fleurs Ă  l’usine : l’agitation ouvriĂšre et crise du modĂšle soviĂ©tique en Chine, 1956-1957, Paris, Ă©d. de l'EHESS, 1986.
  • (en) Lawrence R. Sullivan, « Leadership and authority in the Chinese Communist Party: perspectives from the 1950s », Pacific Affairs, vol. 59, Winter 1986-1987.

Romans

  • Feng Jicai, Que cent fleurs s'Ă©panouissent, Gallimard Jeunesse, 2003
  • Yan Lianke, Les Quatre Livres, Ă©ditions Philippe Picquier, 2012, traduit du chinois par Sylvie Gentil.

Films

  • Wang Bing, Fengming, Chronique d'une femme chinoise, 2012 ; Le FossĂ©, 2012 ; Les Ăąmes mortes, (8h 26), 2018

Notes et références

  1. Encyclopédie Universalis, Les Cent Fleurs
  2. Encyclopédie Larousse, Campagne des Cent Fleurs
  3. Pierre Haski, Chine:La vidéo et internet contre l'histoire officielle Rue89,
  4. Philip P. Pan, A past writtien in blood Thé Washington Post, 2008
  5. Jean-Luc Domenach, « Les années Mao : révolution et tragédies », magazine L'Histoire.
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