AccueilđŸ‡«đŸ‡·Chercher

Calcul fonctionnel holomorphe

En mathĂ©matiques, et plus prĂ©cisĂ©ment en analyse, le calcul fonctionnel holomorphe dĂ©signe l'application du calcul fonctionnel aux fonctions holomorphes, c'est-Ă -dire qu'Ă©tant donnĂ©s une fonction holomorphe ƒ de la variable complexe z et un opĂ©rateur linĂ©aire T, l'objectif est de construire un opĂ©rateur f (T) Ă©tendant ƒ de maniĂšre « naturelle ».

Le cas le plus frĂ©quent est celui oĂč T est un opĂ©rateur bornĂ© sur un espace de Banach. En particulier, en dimension finie, T peut ĂȘtre identifiĂ© Ă  une matrice carrĂ©e Ă  coefficients complexes ; ce cas permet d'illustrer les idĂ©es du calcul fonctionnel, et sert souvent de motivation heuristique aux techniques d'analyse d'opĂ©rateurs plus gĂ©nĂ©raux

Motivations

Nécessité d'un calcul fonctionnel général

On suppose dans cette section que T est une matrice carrĂ©e n × n Ă  coefficients complexes.

Pour certaines fonctions simples f, il y a des façons naturelles de dĂ©finir f (T). Par exemple, si est un polynĂŽme Ă  coefficients complexes, il suffit de remplacer z par T pour dĂ©finir , oĂč T0 = I, la matrice identitĂ© (d'ordre n). C'est le calcul fonctionnel polynomial, dĂ©finissant un homomorphisme de l'algĂšbre des polynĂŽmes vers l'algĂšbre des matrices n × n.

Ce cas se généralise sans difficulté à celui d'une fonction partout holomorphe, c'est-à-dire à une fonction entiÚre, pour laquelle la série de Taylor a un rayon de convergence infini. Dans ce cas, en effet, définissant , cette série convergera (plus généralement, elle convergera normalement si T est un opérateur borné pour la norme utilisée).

Un exemple important est le cas de l'application exponentielle, et en particulier de l'exponentielle de matrice. On obtient (prenant pour f la fonction exponentielle usuelle)

Il n'est pas vraiment nĂ©cessaire que la sĂ©rie de Taylor de f converge partout ; il est clair qu'il suffit que son rayon de convergence soit supĂ©rieur Ă  , la norme d'opĂ©rateur de T. Bien que cela permet d'Ă©tendre la classe des fonctions f pour lesquelles on peut dĂ©finir f (T), cela est loin d'ĂȘtre suffisant dans tous les cas. Ainsi, on sait (voir logarithme d'une matrice) que toute matrice T non singuliĂšre possĂšde un logarithme, c'est-Ă -dire une matrice S telle que eS = T. Ce logarithme ne peut pas ĂȘtre construit en gĂ©nĂ©ral Ă  l'aide d'une sĂ©rie entiĂšre, car la sĂ©rie est de rayon de convergence 1, et donc la sĂ©rie correspondante ne donnera pas ln(T + I), mĂȘme si T + I est inversible, dĂšs que C'est ce qui explique la nĂ©cessitĂ© d'un calcul fonctionnel plus gĂ©nĂ©ral.

Le calcul fonctionnel et le spectre

On s'attend Ă  ce qu'une condition nĂ©cessaire pour que f (T) ait un sens est que f soit dĂ©finie sur le spectre de T. Ainsi, pour toute matrice diagonalisable T (c'est-Ă -dire telle que T = PDP−1, oĂč D est une matrice diagonale), on a une dĂ©finition naturelle de f (T) donnĂ©e par f (T) = P f (D) P−1, oĂč f (D) est la matrice diagonale dont les Ă©lĂ©ments sont les images par f de ceux de D. Cette construction Ă©choue si f n'est pas dĂ©finie sur certains de ces Ă©lĂ©ments diagonaux, lesquels sont les valeurs propres de T.

D'autres indications tendent Ă  confirmer cette idĂ©e. Ainsi, si , une dĂ©finition raisonnable de f (T) serait f (T) = (T – 2I)−1(T – 5I)−1. Cependant, cette expression n'a pas de sens si les inverses du membre de droite n'existent pas, et donc si 2 ou 5 sont des valeurs propres de T.

Plus gĂ©nĂ©ralement, pour un opĂ©rateur bornĂ© T, f devra ĂȘtre dĂ©finie sur les valeurs spectrales de T, c'est-Ă -dire sur les nombres complexes λ pour lesquels l'opĂ©rateur T – λI n'a pas un inverse qui soit un opĂ©rateur continu ; toute valeur propre est une valeur spectrale, mais la rĂ©ciproque n'est pas vraie en gĂ©nĂ©ral.

Le calcul fonctionnel holomorphe pour un opérateur borné

Le spectre σ(T) est reprĂ©sentĂ© en bleu clair, et le chemin d'intĂ©gration Γ en rouge.
Le cas d'un spectre ayant plusieurs composantes connexes, et le chemin Γ correspondant.
Le cas d'un spectre non simplement connexe.

Soit X un espace de Banach complexe, et L(X) la famille des opĂ©rateurs bornĂ©s sur X ; si est holomorphe sur un ouvert simplement connexe D du plan complexe, et si Γ est une courbe de Jordan rectifiable dans D (c'est-Ă -dire une courbe fermĂ©e ne se recoupant pas), la formule intĂ©grale de Cauchy dit que

pour tout z Ă  l’intĂ©rieur de Γ (c'est-Ă -dire tel que l'indice de z par rapport Ă  Γ soit Ă©gal Ă  1).

L'idée du calcul fonctionnel holomorphe est d'étendre cette formule à des fonctions prenant leurs valeurs dans l'espace L(X). On aurait donc la définition (purement formelle à ce stade) :

oĂč (ζ – T)-1 est la rĂ©solvante de T en ζ.

Admettant que cette intégrale ait été définie, ce calcul fonctionnel implique les conditions nécessaires suivantes :

  1. La formule de Cauchy s'appliquant Ă  des fonctions holomorphes f, une notion convenable d'holomorphie doit ĂȘtre dĂ©finie pour des fonctions prenant leurs valeurs dans l'espace de Banach L(X).
  2. L'application rĂ©solvante ζ ↩ (ζ - T)-1 n'Ă©tant pas dĂ©finie sur le spectre de T, σ(T), la courbe de Jordan Γ ne doit pas rencontrer σ(T). L'application rĂ©solvante Ă©tant holomorphe sur le complĂ©mentaire de σ(T), Γ doit encercler au moins une partie de σ(T), pour obtenir un calcul fonctionnel non trivial
  3. Il devrait y avoir unicitĂ© du calcul fonctionnel, et donc f(T) doit ĂȘtre indĂ©pendant de Γ.

Une dĂ©finition prĂ©cise du calcul fonctionnel holomorphe satisfaisant ces exigences, pour T ∈ L(X), est, comme prĂ©cĂ©demment, oĂč f est une fonction holomorphe sur un ouvert D contenant σ(T), et est une collection de courbes de Jordan dans D telle que σ(T) soit Ă  l'intĂ©rieur de Γ, et que chaque Îłi soit orientĂ© dans le sens positif. L'ensemble D dĂ©pend de f, et n'est pas nĂ©cessairement simplement connexe, ni mĂȘme connexe, comme illustrĂ© ci-contre.

Les sous-sections suivantes précisent le sens de cette définition, en particulier celui de l'intégrale, et démontrent l'unicité de f(T).

Intégration à valeurs dans un espace de Banach

Pour une fonction continue g dĂ©finie sur un voisinage ouvert de Γ et prenant ses valeurs dans L(X), l'intĂ©grale de contour ∫Γg est dĂ©finie de façon analogue au cas scalaire : on paramĂštre chaque Îłi ∈ Γ par un intervalle rĂ©el [a, b], et l'intĂ©grale est la limite des sommes de Riemann obtenues pour des partitions de plus en plus fines de [a, b], ces sommes convergeant au sens de la norme des opĂ©rateurs (g Ă©tant continue, il n'est pas nĂ©cessaire d'utiliser une intĂ©grale plus gĂ©nĂ©rale, telle que l'intĂ©grale de Bochner). On dĂ©finit alors

ƒ est supposĂ©e ĂȘtre holomorphe (donc continue) sur un voisinage ouvert de Γ ; il en est de mĂȘme de l'application rĂ©solvante, comme ce sera dĂ©montrĂ© plus bas ; ainsi, l'intĂ©grale est bien dĂ©finie.

L'application résolvante

L'application s'appelle l’application rĂ©solvante de T. Elle est dĂ©finie sur le complĂ©mentaire du spectre σ(T), appelĂ© l’ensemble rĂ©solvant de T, et que l'on notera dĂ©sormais ρ(T). La thĂ©orie classique des fonctions holomorphes complexes repose sur les propriĂ©tĂ©s de l'intĂ©grale ; le calcul fonctionnel holomorphe fait jouer un rĂŽle analogue aux propriĂ©tĂ©s de l'intĂ©grale de la rĂ©solvante ; celles-ci sont dĂ©taillĂ©es ci-dessous.

Une formule pour la résolvante

Un calcul direct montre que, pour z1, z2 ∈ ρ(T), On en dĂ©duit que

Cette Ă©quation est appelĂ©e la premiĂšre formule de la rĂ©solvante. Elle montre que (z1 − T)−1 et (z2 − T)−1 commutent ; on s'attend donc Ă  ce que les opĂ©rateurs construits par le calcul fonctionnel holomorphe commutent Ă©galement. Faisant tendre z2 vers z1, on voit que l'application rĂ©solvante est diffĂ©rentiable dans les complexes en tout z1 ∈ ρ(T) ; l'intĂ©grale donnĂ©e prĂ©cĂ©demment est donc dĂ©finie pour tous les opĂ©rateurs de L(X).

Holomorphie

En fait, l'ensemble rĂ©solvant ρ(T) est un ouvert, et l'application rĂ©solvante y est non seulement diffĂ©rentiable, mais holomorphe, ou plus exactement analytique, c'est-Ă -dire dĂ©veloppable en sĂ©rie entiĂšre ; cette propriĂ©tĂ© sera frĂ©quemment utilisĂ©e par la suite. Pour la dĂ©montrer, on prend z1 ∈ ρ(T) et on remarque que, formellement, , ce qui amĂšne Ă  considĂ©rer la sĂ©rie

qui doit valoir (z2 − T)−1 si elle converge. Comme cette sĂ©rie converge dans L(X) si , on en dĂ©duit le rĂ©sultat annoncĂ© : l'application rĂ©solvante est dĂ©veloppable en sĂ©rie entiĂšre dans un disque ouvert centrĂ© en z1.

SĂ©rie de Neumann

Une autre expression de (z − T)−1 est Ă©galement utile. On obtient comme dans la section prĂ©cĂ©dente la sĂ©rie appelĂ©e sĂ©rie de Neumann, qui converge vers (z − T)−1 si

Compacité du spectre

Les deux rĂ©sultats prĂ©cĂ©dents montrent que, pour un opĂ©rateur bornĂ© T, le spectre σ(T) est un fermĂ© (puisque complĂ©mentaire d'un ouvert) bornĂ© (par la norme de T) du plan complexe, et donc un compact du plan. Ainsi, pour tout ouvert D tel que σ(T) ⊂ D, il existe un ensemble de courbes de Jordan lisses orientĂ©es positivement tel que σ(T) est Ă  l'intĂ©rieur de Γ et que le complĂ©mentaire de D est contenu dans l'extĂ©rieur de Γ, ce qui justifie l'existence de l'intĂ©grale dĂ©finissant f(T).

Unicité de la définition

On va Ă  prĂ©sent montrer qu'avec les notations prĂ©cĂ©dentes, f (T) ne dĂ©pend pas du choix de l'ensemble de courbes de Jordan Γ.

Un résultat préliminaire

Pour une collection de courbes de Jordan Γ = {Îł1... Îłm} et un point a du plan complexe, l'indice de a par rapport Ă  Γ est la somme des indices de a par rapport Ă  chaque Îłi, ce que nous noterons n(a,Γ) = ∑i n(a,Îłi). Le thĂ©orĂšme suivant est dĂ» Ă  Cauchy :

ThĂ©orĂšme — Soit G ⊂ C un ouvert et Γ ⊂ G. Si g : C → C est holomorphe sur G, et si pour tout a du complĂ©mentaire deG, n(a, Γ) = 0, alors l'intĂ©grale de contour ∫Γ g = 0.

L'analogue vectoriel de ce rĂ©sultat, lorsque g prend ses valeurs dans L(X) et est holomorphe, se dĂ©montre en utilisant l'espace dual L(X)* de L(X), et en se ramenant au cas scalaire. En effet, considĂ©rons l'intĂ©grale J=∫Γ g ∈ L(X). Si on peut montrer que, pour tout φ ∈ L(X)*, φ (∫Γ g) = 0, il en rĂ©sultera que ∫Γ g = 0. φ Ă©tant bornĂ©, et l'intĂ©grale Ă©tant normalement convergente, on a

Par composition, g Ă©tant supposĂ©e holomorphe, il en est de mĂȘme de φ(g) : G ⊂ C → C. On peut donc lui appliquer le thĂ©orĂšme de Cauchy (scalaire), obtenant

Démonstration de l'unicité

L'unicitĂ© de l'intĂ©grale est une consĂ©quence facile de ce qui prĂ©cĂšde. Soit D un ouvert contenant σ(T), Γ = {Îłi} et Ω = {ωj} deux ensembles finis de courbes de Jordan satisfaisant les hypothĂšses prĂ©cĂ©dentes ; nous voulons montrer que

Notant Ω', l'ensemble obtenu à partir des courbes de Ω en renversant leur orientation ; on a

Les deux ensembles Γ âˆȘ Ω' et σ(T) sont compacts ; il existe donc un ouvert U contenant Γ âˆȘ Ω' tel que σ(T) soit contenu dans le complĂ©mentaire de U. Les points a du complĂ©mentaire de U ont pour indice n(a,Γ âˆȘ Ω') = 0 et la fonction est holomorphe sur U. La forme vectorielle du thĂ©orĂšme de Cauchy donne donc

,

c'est-Ă -dire

ce qui montre l'unicité.

Il en rĂ©sulte que si f1 et f2 sont deux fonctions holomorphes dĂ©finies sur des voisinages D1 et D2 de σ(T), Ă©gales sur un ouvert contenant σ(T), alors f1(T) = f2(T). De plus, mĂȘme si D1 est diffĂ©rent de D2, les opĂ©rateurs (f1 + f2) (T) et (f1·f2)(T) sont bien dĂ©finis.

L'hypothĂšse d'holomorphie

Les rĂ©sultats prĂ©cĂ©dents n'ont pas encore utilisĂ© pleinement l'hypothĂšse d'holomorphie de f sur un voisinage ouvert de σ(T). La convergence de l'intĂ©grale demande seulement la continuitĂ© de f ; l'unicitĂ© est obtenue en supposant f holomorphe sur un voisinage de Γ âˆȘ Ω' ne contenant pas σ(T). La condition complĂšte ne sera utilisĂ©e que pour dĂ©montrer que le calcul fonctionnel est un homomorphisme.

Propriétés

Le cas polynomial

La linéarité de l'application provient de la convergence de l'intégrale, et de ce que les opérations linéaires (somme et produit par un scalaire) d'un espace de Banach sont continues.

Pour montrer qu'on retrouve le calcul fonctionnel polynomial lorsque f(z) = ∑0 ≀ i ≀ m ai zi est un polynĂŽme, il suffit de le montrer pour f(z) =zk (avec k ≄ 0), c'est-Ă -dire de montrer que pour un contour convenable Γ entourant σ(T). Prenant pour Γ un cercle de rayon plus grand que la norme de T, et reprĂ©sentant l'application rĂ©solvante par la sĂ©rie on obtient

;

échangeant série et intégrale (la convergence étant uniforme), on trouve effectivement

(oĂč ÎŽ est le symbole de Kronecker).

Homomorphisme

Pour des fonctions f1 et f2 satisfaisant l'hypothÚse d'holomorphie, on a la propriété d'homomorphisme suivante :

La démonstration utilise la premiÚre formule de la résolvante. On commence par calculer directement

en choisissant Γ1 situĂ© Ă  l’intĂ©rieur de Γ2. Cette expression est Ă©gale Ă 

Appliquant la formule de la résolvante, on obtient

Le second terme s'annule parce que ω ∈ Γ2 est Ă  l'extĂ©rieur de Γ1 et que f1 est holomorphe sur un voisinage ouvert de σ(T). Ainsi,

Comme, d'aprĂšs la formule de Cauchy (scalaire), , on a

Continuité pour la convergence sur les compacts

Soit G ⊂ C un ouvert tel que σ(T) ⊂ G, et {fk} une suite de fonctions holomorphes sur G convergeant uniformĂ©ment sur tout compact inclus dans G. Alors {fk(T)} est une suite convergente de L(X). En effet (supposant pour simplifier que Γ ne contient qu'une courbe de Jordan), on a

Utilisant les hypothÚses de convergence et de continuité, on voit que cette expression tend vers 0 lorsque k et l tendent vers l'infini. {fk(T)} est donc une suite de Cauchy, convergente puisque l'espace L(X) est complet.

Unicité du calcul fonctionnel holomorphe

En résumé, le calcul fonctionnel holomorphe, considéré comme une fonction (ou plutÎt comme un opérateur) allant des fonctions holomorphes vers les opérateurs bornés : , possÚde les propriétés suivantes :

  1. Il Ă©tend le calcul fonctionnel polynomial.
  2. C'est un homomorphisme d'algĂšbres entre l'algĂšbre des fonctions holomorphes dĂ©finies sur un voisinage de σ(T) et L(X).
  3. Il respecte la convergence uniforme sur les compacts.

On démontre qu'il n'existe qu'un seul calcul fonctionnel (un seul homomorphisme) ayant ces propriétés.

Dans tout ce qui prĂ©cĂšde, on peut remplacer l'algĂšbre des opĂ©rateurs bornĂ©s L(X) par une algĂšbre de Banach A quelconque ; on peut de mĂȘme dĂ©finir f (a) pour un Ă©lĂ©ment a arbitraire de A (avec une dĂ©finition convenable du spectre de a).

Considérations spectrales

On vient de voir que, dans le cas gĂ©nĂ©ral, la dĂ©finition d'un calcul fonctionnel holomorphe sur un opĂ©rateur T ∈ L(X) nĂ©cessite la connaissance de σ(T). Sous des hypothĂšses plus restrictives, il est rĂ©ciproquement possible d'Ă©noncer le thĂ©orĂšme spectral (pour des opĂ©rateurs bornĂ©s) Ă  l'aide d'un calcul fonctionnel. Cette section esquisse certains rĂ©sultats allant dans cette direction.

Le théorÚme de l'application spectrale

On sait que le thĂ©orĂšme de l'application spectrale (en) s'applique au calcul fonctionnel polynomial : pour tout polynĂŽme p, on a σ(p(T)) = p(σ(T)). Ce rĂ©sultat s'Ă©tend au calcul fonctionnel holomorphe, c'est-Ă -dire que pour toute fonction f holomorphe, on a σ(f(T)) = f(σ(T)). Pour montrer que f(σ(T)) ⊂ σ(f(T)), on remarque que si ÎŒ est un nombre complexe quelconque, il existe une fonction g holomorphe sur un voisinage de σ(T) telle que (c'est un rĂ©sultat Ă©lĂ©mentaire d'analyse complexe). On en dĂ©duit (par homomorphisme) que f(T) - f(ÎŒ) = (T - ÎŒ)g(T) ; par consĂ©quent, ÎŒ ∈ σ(T) implique f(ÎŒ) ∈ σ(f(T)).

Pour dĂ©montrer l'inclusion rĂ©ciproque, supposons que ÎŒ ne soit pas dans f(σ(T)). On peut appliquer le calcul fonctionnel Ă  , et donc g(T)(f(T) -ÎŒ) = I. Il en rĂ©sulte que ÎŒ n'appartient pas Ă  σ(f(T)).

Projections spectrales

Soit K un sous-ensemble de σ(T) et U etV des voisinages ouverts disjoints de K et de σ(T)\K respectivement. On pose e(z) = 1 si z ∈ U et e(z) = 0 si z ∈ V. La fonction e est holomorphe (sur U âˆȘ V) et vĂ©rifie [e(z)]2 = e(z) ; pour un contour Γ contenu dans U âˆȘ V et entourant σ(T), l'opĂ©rateur est donc un projecteur bornĂ© commutant avec T.

Les voisinages U et V existent si et seulement si K est Ă  la fois ouvert et fermĂ© pour la topologie induite sur σ(T) (autrement dit, si K est une rĂ©union de composantes connexes de σ(T)). e Ă©tant nul sur V, sa contribution Ă  l'intĂ©grale l'est aussi. En rĂ©sumĂ©, pour tout ensemble K ouvert et fermĂ© de σ(T), on dĂ©finit un projecteur e(T), appelĂ© la projection spectrale de T en K et notĂ© P(K;T), par , oĂč Γ est un contour entourant K mais aucun autre point de σ(T).

P = P(K;T) Ă©tant bornĂ© et commutant avec T, on peut exprimer T sous la forme A ⊕ B, avec A restriction de T Ă  PX et B restriction de T Ă  (1-P)X ; PX et (1-P)X sont des sous-espaces invariants par T, de plus, σ(A) = K et σ(B) = σ(T)\K. Une propriĂ©tĂ© importante de ces projecteurs est leur orthogonalitĂ© mutuelle : si L est un autre sous-ensemble ouvert et fermĂ© de σ(T), P(K;T)P(L;T) = P(L;T)P(K;T) = P(K ∩ L;T), nul si K et L sont disjoints.

Les projections spectrales ont de nombreuses applications. Tout point isolĂ© de σ(T) a une projection spectrale associĂ©e. En dimension finie, c'est le cas de tous les points de σ(T), et la dĂ©composition correspondante de T est une variante de la forme normale de Jordan (les blocs de Jordan associĂ©s Ă  une mĂȘme valeur propre Ă©tant regroupĂ©s). Cette dĂ©composition sera Ă©tudiĂ©e plus prĂ©cisĂ©ment dans la section suivante.

Les propriĂ©tĂ©s des projections spectrales dĂ©coulent souvent de celles de l'opĂ©rateur projetĂ©. Ainsi, si T est une matrice Ă  coefficients positifs de rayon spectral r, le thĂ©orĂšme de Perron-Frobenius affirme que r ∈ σ(T). La projection spectrale associĂ©e P = P(r;T) est Ă©galement positive, et la propriĂ©tĂ© d'orthogonalitĂ© mutuelle montre qu'aucune autre projection spectrale ne peut avoir de ligne ou de colonne positive. En fait, TP = rP et (T/r)n tend vers P lorsque n tend vers l'infini, aussi P (appelĂ© la projection de Perron) est une approximation de (T/r)n d'autant meilleure que n est grand, et chacune de ses colonnes est un vecteur propre de T.

Plus gĂ©nĂ©ralement, si T est un opĂ©rateur compact, les points non nuls de σ(T) sont isolĂ©s, et tout sous-ensemble fini de ces points peut ĂȘtre utilisĂ© pour dĂ©composer T ; les projections spectrales associĂ©es sont toutes de rang fini. Les opĂ©rateurs de L(X) dont le spectre a cette propriĂ©tĂ© sont appelĂ©s des opĂ©rateurs de Riesz. De nombreuses classes d'opĂ©rateurs de Riesz (y compris la classe des opĂ©rateurs compacts) sont des idĂ©aux de L(X), et constituent un domaine de recherche actif. Cependant, si X est un espace de Hilbert, il n'existe qu'un seul idĂ©al fermĂ© entre les opĂ©rateurs de Riesz et les opĂ©rateurs de rang fini.

La discussion précédente peut en grande partie se généraliser au cas des algÚbres de Banach. Les projections spectrales sont alors appelées des idempotents spectraux, car on ne peut plus en général définir un espace sur lesquelles elles se « projetteraient ».

DĂ©composition en sous-espaces invariants

Si le spectre σ(T) n'est pas connexe, X peut se dĂ©composer en sous-espaces invariants par T en utilisant le calcul fonctionnel. Écrivant σ(T) comme union disjointe , dĂ©finissons ei comme valant 1 sur un voisinage de la composante Fi et 0 sur des voisinages des autres composantes. ei(T) est donc la projection spectrale P(Fi;T) dĂ©crite dans la section prĂ©cĂ©dente. La relation ei(T) T = T ei(T) montre que l'image de chaque ei(T), notĂ©e Xi, est un sous-espace invariant par T. Comme , X peut s'exprimer comme somme de ces sous-espaces : . De mĂȘme, notant Ti la restriction de T Ă  Xi, on a

Munissant la somme directe de la norme X' est un espace de Banach, et l'application R: X' → X dĂ©finie par est un isomorphisme d'espaces de Banach ; on a . Cette Ă©criture peut ĂȘtre vue comme une diagonalisation par blocs de T.

Si X est de dimension finie, σ(T) = {λi} est un ensemble fini de points du plan. Choisissant ei = 1 sur un disque ouvert ne contenant que λi, la matrice de blocs qui correspond Ă  ce choix est alors la forme canonique de Jordan de la matrice T.

Généralisations

Avec des hypothĂšses plus fortes sur T, par exemple si T est un opĂ©rateur normal agissant sur un espace de Hilbert, on peut Ă©largir le domaine du calcul fonctionnel au cas oĂč f est seulement supposĂ©e continue sur σ(T) (obtenant le calcul fonctionnel continu (en)), ou mĂȘme, utilisant la thĂ©orie de la mesure, au cas oĂč f est seulement mesurable (obtenant le calcul fonctionnel borĂ©lien (en)). Dans ce dernier contexte, si E ⊂ σ(T) est un ensemble borĂ©lien et si E(x) est la fonction caractĂ©ristique de E, l'opĂ©rateur de projection E(T) a des propriĂ©tĂ©s analogues Ă  celles des ei(T) discutĂ©s prĂ©cĂ©demment.

Le calcul fonctionnel borĂ©lien peut ĂȘtre Ă©tendu aux opĂ©rateurs auto-adjoints non bornĂ©s d'un espace de Hilbert.

De mĂȘme que le calcul fonctionnel holomorphe peut ĂȘtre Ă©tendu Ă  des Ă©lĂ©ments quelconques d'une algĂšbre de Banach, le calcul fonctionnel continu s'Ă©tend Ă  tous les Ă©lĂ©ments normaux d'une C*-algĂšbre, et le calcul fonctionnel borĂ©lien Ă  tous les Ă©lĂ©ments normaux d'une algĂšbre de von Neumann.

Opérateurs non bornés

Un calcul fonctionnel holomorphe analogue peut ĂȘtre dĂ©fini pour tous les opĂ©rateurs fermĂ©s non bornĂ©s dont l'ensemble rĂ©solvant est non-vide.

Voir aussi

Références


  • (en) Nelson Dunford et Jacob T. Schwartz, Linear Operators, Part I: General Theory, Interscience, 1958.
  • (en) Steven G Krantz, Dictionary of Algebra, Arithmetic, and Trigonometry. CRC Press, 2000. (ISBN 1-58488-052-X).
Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplĂ©mentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimĂ©dias.