CRS = SS
CRS = SS, Ă©galement orthographiĂ© CRS SS, CRS-SS, CRS,SS, est un slogan employĂ© en France lors de manifestations depuis la 2Ăšme moitiĂ© du 20Ăšme siĂšcle. Il compare les mĂ©thodes rĂ©pressives des CRS avec celles employĂ©es par les SS nazis. Le slogan nait pendant la grĂšve des mineurs de 1948, mais a Ă©tĂ© essentiellement popularisĂ© pendant les Ă©vĂšnements de mai 1968, jusqu'Ă lui ĂȘtre trĂšs fortement associĂ©.
Historique
1944 : Création des CRS
Les Compagnies républicaines de sécurité ont été créées par un décret du 8 décembre 1944 à la suite de la dissolution des Groupes mobiles de réserve (GMR) qui furent créés en avril 1941 par le gouvernement de Vichy. Ce décret est confirmé par une ordonnance du 7 mars 1945 signée par le Général de Gaulle.
1947 : une image encore positive des CRS
En 1947, les CRS deviennent des forces de réserve nationales pour contrer les manifestations, grÚves et émeutes. L'assimilation des CRS aux SS, si elle devient « constante en 1948 »[1], surtout en novembre, tranche avec la position des cadres communistes ou cégétistes beaucoup plus modérée en 1947, selon la synthÚse détaillée de l'historien Philippe Roger[1].
En 1947, la polémique publique est inverse. Le PCF défend les CRS, en partie issus des milices patriotiques de la Résistance, tandis que le gouvernement voit dans les fraternisation entre grévistes et policiers, plus idéalisées que réelles selon les historiens, la preuve des visées insurrectionnelles du PCF.
Le slogan ne nait pas en 1947, comme parfois avancĂ©[2]. Le slogan nait en novembre 1948, selon une enquĂȘte de France-Culture[3].
Durcissement des méthodes répressives
Dans un contexte de guerre froide naissante, le ministre socialiste Jules Moch purge en 1948 les Ă©lĂ©ments communistes des rangs des CRS[4] - [3].Il faudra attendre les grĂšves de 1948 pour la « consĂ©cration pratique des CRS dans la gestion du maintien de l'ordre », confirmant leur« installation dans cette nouvelle spĂ©cialisation »[5]. Leur tĂ©nacitĂ© leur a permis de « garantir le rĂ©tablissement de lâordre » mais un « ensemble de reprĂ©sentations des CRS sâest alors rapidement dissĂ©minĂ© en 1948 », annĂ©e qui marquĂ© « trĂšs fortement tant la hiĂ©rarchie CRS que lâensemble de la population », notamment le fameux slogan "CRS = SS"[5].
Les grĂšves des mineurs (septembre Ă novembre) et le souvenir de 1941
C'est pendant cette grÚve, qui s'est étalé de septembre à novembre 1948 dans plusieurs régions de France, dont beaucoup de mineurs sont proches du parti communiste et de la CGT, que le slogan CRS = SS est né, pour dénoncer la dureté de la répression que les mineurs comparaient à celle qu'ils avaient subie lors de la grÚve de mai-juin 1941[6] - [7] - [8] - [9].
Roger Pannequin, arrĂȘtĂ© et torturĂ© par la police française pendant la guerre, assimile totalement la police de Vichy et la police nationale d'aprĂšs-guerre[10].
Le 21 octobre 1948, lors de la grande grÚve des mineurs, réprimée sur ordre du ministre socialiste Jules Moch qui envoie des blindés en Lorraine, deux mineurs de Firminy sont abattus par l'armée. C'est à ce moment que le slogan CRS-SS nait[11]. Le maire est suspendu en raison de ces évÚnements, révoqué puis réélu[12].
Octobre - novembre 1948 : la presse communiste popularise le slogan
Le 1er novembre, des blindés CRS ouvrent le feu à Liévin, blessant plusieurs grévistes[13] - [1]La journaliste Simone Téry titre un billet "CRSS" dans l'édition du 5 novembre 1948 de Humanité[14] - [3] - [15]. Elle y oppose le courage des mineurs et de leurs familles, à ceux que « dÚs le premier jour, la population a appelés les C.R.S.S. et, le second jour tout simplement les S.S. »
Jusque-là l'insulte visait seulement le ministre de l'intérieur Jules Moch[16], en réaction aux 5 mineurs morts de la seconde quinzaine d'octobre 1948, dont 2 à Firminy, un à AlÚs et 2 dans le Nord. DÚs le 30 octobre 1948, l'hebdomadaire communiste France nouvelle avait écrit que « Comme au temps des pelotons d'exécution commandés par les Waffen SS [.] le massacreur J. Moch fait tirer ses CRS sur des poitrines françaises »[16], puis le 4 novembre 1948, dans un article en premiÚre page de L'Humanité intitulé « Jules Moch joue au nazi ! », le secrétaire de la Fédération du Sous-Sol CGT Henri Martel le qualifiait de « social-massacreur [.] aux mains tachées de sang des ouvriers »[16].
Une caricature de Jules Moch en premiĂšre page de ClartĂ©, le 14 novembre 1948 le prĂ©sente comme « le chef des assassins S.S. ». Les 28 et 14 novembre 1948 dans ce journal, des textes anonymes comparent la grĂšve Ă la situation sous l'occupation: « dans Bruay occupĂ© ce nâest plus quâarrestations et interdictions [et] aujourdâhui comme pendant les annĂ©es terribles dâoccupation les mĂȘmes mĂ©thodes de brutalitĂ© sont employĂ©es contre nos camarades ».
Années 50 : le slogan délaissé
En 1955, François Mitterrand juge ainsi le slogan : « Une rime riche, mais un contenu faible. »[3]
Début des années 1960 et contexte de la guerre d'Algérie : le slogan revient
Le slogan se diffuse lors des manifestations et dans les milieux de contestation sociale, notamment dans le contexte de la guerre d'AlgĂ©rie[17]. Il est notamment entendu en octobre 1961, lorsque des AlgĂ©riens sont jetĂ©s Ă la Seine par des membres des forces de lâordre et aprĂšs le massacre de Charonne, en 1962[3]. Les repressions sanglantes opĂ©rĂ©es choquent une partie de la population et remettent au goĂ»t du jour le slogan[3].
DeuxiÚme moitié des années 1960 et tensions sociales
Le slogan est scandé dans de nombreuses manifestations, à Paris et en province, dans un contexte de tensions sociales annonçant mai 1968 [18].
Mai 1968 : consécration du slogan
Le slogan est scandé dÚs le 3 mai pendant les évÚnements de mai-juin 1968. Il se répand ensuite massivement, au fur et à mesure des affrontements avec les forces de l'ordre, et devient une référence du mouvement. Il est également affiché dans Paris à partir du 19 mai[19], notamment par le biais de "l'Atelier populaire" de l'atelier des Beaux Arts de Paris[17] et devient un des slogans les plus marquants[20].
Jacques Carelman Ă©tait un militant de l'atelier de lâEcole des beaux-arts de Paris. AprĂšs avoir vu des CRS rĂ©primer une manifestation[21], il y conçoit l'affiche "CRS SS"[21], dont le tirage initial remonte au 19 mai 1968[21]et dont la version originale ne mentionnait pas «SS» sur le bouclier[21].
Beaucoup ont cru à tort que le slogan était né pendant ces évÚnements[3].
Analyses
Le slogan, associé aux évÚnement de mai 1968, a souvent paru excessif à de nombreux observateurs. Ainsi, Pierre Goldman déclare en 1975 : « Ils se croyaient dans la violence, dans l'insurrection, mais c'était des pavés qu'ils lançaient, non des grenades. CRS SS, disaient-ils. Ce cri névrotique, je le trouvais ridicule. Les CRS n'étaient pas des SS, eux n'étaient pas des partisans. »
En 1986, Daniel Cohn-Bendit, un des principaux protagoniste de mai 68, déclare que le slogan s'est imposé dans « un besoin de simplifier la situation à un moment de crise »[3].
En 2020, Michel Onfray dĂ©clare « si la police dâaujourdâhui est assimilable aux SS, donc Ă la Shoah, câest quâil y a incontestablement sinon nĂ©gation, du moins minoration considĂ©rable du gĂ©nocide! »[22]
En 2017, Claude Askolovitch synthĂ©tise : « Et Ă lâĂ©poque, cela provoque la colĂšre dâun professeur de Caen, le grand historien Pierre Chaunu, qui se souvenait, des annĂ©es aprĂšs, de son mai 68. La rĂ©action de Chaunu est typique, elle sâest imposĂ©e : on a pris le "CRS SS" comme la divagation de petits bourgeois rĂ©voltĂ© et irrĂ©els. La police, en mai 68 avait Ă©tĂ© extrĂȘmement mesurĂ©e, justement. Et elle lâest encore trĂšs largement. Mais en fait non, câest un slogan trĂšs sĂ©rieux, parce que ça venait de plus loin, des affrontements sociaux les plus durs quâon ait connu. La dĂ©testation de ce corps de police sâest installĂ©e, dans des milieux ouvriers, syndicaux, militants. »
Condamnations pour utilisation du slogan
Le slogan continue d'ĂȘtre scandĂ©, et donne parfois lieu Ă des condamnations.
En 2011, deux personnes sont condamnées pour avoir manifesté avec une banderole "CRS SS" lors d'une manifestation contre la réforme des retraites[23]
En 2016, un délégué CGT est condamné pour avoir insulté le premier ministre Manuel Valls et scandé "CRS SS"[24]
En 2019, une personne est condamnĂ© pour les mĂȘmes raisons lors de la crise des Gilets Jaunes[25].
Références
- "Les grÚves de 1947 et 1948 dans le Pas-de-Calais, déroulement, violence et maintien de l'ordre" par Philippe Roger, dans la Revue du Nord en 2011 .
- Jean-Marie Bretagne, « De quand date le slogan "CRS=SS" ? », sur Ăa m'intĂ©resse, (consultĂ© le )
- Chloé Leprince, « "CRS SS", l'histoire d'un slogan qui ne date pas de 1968 », sur France Culture, (consulté le )
- « En 1948, la naissance du slogan "CRS SS" », sur France Inter, (consulté le )
- MOREAU de BELLAING, CĂ©dric, « Une matraque rĂ©publicaine ? GenĂšse et pĂ©rennisation des compagnies rĂ©publicaines de sĂ©curitĂ© 1944-1955 », MOREAU de BELLAING, CĂ©dric,â (lire en ligne)
- Par Le 1 novembre 2014 à 07h00, « La révolte du Pays noir », sur leparisien.fr, (consulté le )
- Fontaine et Vigna 2014, p. 29.
- Danielle Tartakowsky, Les manifestations de rue en France, 1918-1968, Publications de la Sorbonne, (ISBN 9782859443078, OCLC 651677252, lire en ligne)
- Vivens 2015, p. 40.
- Philippe Roger, « Les grÚves de 1947 et 1948 dans le Pas-de-Calais, déroulement, violence et maintien de l'ordre », Revue du Nord, 2011/1 (no 389), p. 133-180.
- « La révolte du Pays noir », sur Le Parisien, (consulté le ).
- Jean-Louis Vivens, Conflit social ou affrontement politique ? La grĂšve des mineurs en France en 1948 sous les angles de la solidaritĂ© Ìet de la rĂ©pression, mĂ©moire de Master 2, 2015, p. 133-134.
- quotidien régional communiste Liberté le 3 novembre 1948.
- Humanité du 5 novembre 1948 de
- chosesasavoir, « Podcast Choses Ă Savoir Comment le slogan âCRS SSâ est-il nĂ© ? », sur Choses Ă Savoir, (consultĂ© le )
- C.B., « "Jules Moch, couvert d'insultes", Passerelles productions", Université de Bourgogne ».
- Jean-Pierre Hubert, « L'origine du slogan "CRS - SS !". ⹠J'aime les mots », sur jaimelesmots.com, (consulté le )
- Le Maine Libre, « Sarthe. Le slogan de Mai-68 "CRS SS" sorti au Mans dÚs 67 », sur Le Maine Libre, (consulté le )
- « Les affiches », sur Mai 68, (consulté le )
- Chloé Leprince, « "Interdit d'interdire", "CRS SS"... l'histoire de l'Atelier populaire derriÚre les affiches de Mai 68 », sur France Culture, (consulté le )
- "Un pavĂ© dans les droits", entretien accordĂ© Ă lâhebdomadaire Marianne par Jacques Carelman le 2 juillet 2008 sur Iconovox
- Michel Onfray, « LA JURISPRUDENCE CRS-SS », sur MichelOnfray.com (consulté le )
- « Banderole « CRS SS » : les auteurs condamnés⊠pour rébellion », sur www.leprogres.fr (consulté le )
- « 250 euros d'amende pour un militant CGT pour «outrages» à Manuel Valls », sur www.20minutes.fr, (consulté le )
- Par Le Parisien fr Le 3 mai 2019 à 12h51, « Gilets jaunes : un manifestant condamné aprÚs avoir crié «CRS SS» », sur leparisien.fr, (consulté le )
Voir aussi
Liens externes
- Daniel Dzierzgowski, « Slogans et graffiti - Mai 68 », .
- Lukas Stella, « Graffiti, slogans, détournements de pub pendant les événements de mai 1968 », sur Inventin, .
- Bureau of public secrets, « Graffiti de Mai 1968 », sur bopsecrets.org, .