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Biologie spatiale Ă  Hammaguir

Des recherches en biologie spatiale ont été effectuées par des scientifiques français au Centre interarmées d'essais d'engins spéciaux à Hammaguir en Algérie de 1961 à 1967.

Le Centre interarmĂ©es d'essais d'engins spĂ©ciaux utilisĂ© comme base de lancement des fusĂ©es-sondes Ă©difiĂ©e Ă  Hammaguir Ă  partir de 1949 avait pour objet principal de dĂ©velopper l’exploitation scientifique, commerciale et militaire de l’espace.

Ces fusĂ©es furent Ă©galement utilisĂ©es avec pour objectif l’étude des effets de l’absence de pesanteur sur les fonctions neurologiques rĂ©gissant l’orientation spatiale et l’équilibration. À cet effet, entre 1961 et 1967, sept tirs furent rĂ©servĂ©s Ă  ces expĂ©riences par le Centre d’enseignement et de recherche de mĂ©decine aĂ©ronautique (CERMA), sous l’égide du Centre national d'Ă©tudes spatiales (CNES). Elles constituĂšrent Ă  l’époque un vĂ©ritable exploit technique saluĂ© par la presse.

Le contexte décisionnel

Avant le dĂ©but de l’ùre spatiale, on ne s’était guĂšre intĂ©ressĂ© aux effets biologiques de l’absence de pesanteur, ce phĂ©nomĂšne Ă©tant impossible Ă  rĂ©aliser durablement sur Terre. Avec les fusĂ©es-sondes, on disposait de quelques minutes d’apesanteur pendant la phase balistique de leur trajectoire. Le mĂ©decin gĂ©nĂ©ral Grandpierre, directeur du Centre d’enseignement et de recherche de mĂ©decine aĂ©ronautique (CERMA), suggĂ©ra de profiter de cette opportunitĂ© pour procĂ©der Ă  l’étude des mĂ©canismes de l’équilibration et de l’orientation dans l’espace dont on pouvait craindre qu’ils ne soient perturbĂ©s dans cette situation. À cette fin, il proposa d’explorer sur des animaux le fonctionnement des structures cĂ©rĂ©brales impliquĂ©es dans ces fonctions, Ă  l’aide des techniques Ă©lectro physiologiques du moment.

AprĂšs l’avis d’un groupe de travail, le sous-comitĂ© Programme scientifique de recherches spatiales, du ComitĂ© d’action scientifique de la dĂ©fense nationale (CASDN) donna son accord au projet du CERMA en 1959. Le CNES crĂ©Ă© deux ans plus tard confirma et soutint cette dĂ©cision[1] - [2] - [3].

ProblÚmes à résoudre

Le projet était particuliÚrement ambitieux car il fallait non seulement assurer le maintien en vie des animaux, mais aussi réaliser de délicates expériences de neurophysiologie dans un environnement particuliÚrement perturbant. Trois espÚces animales (rat, chat, singe) ayant été utilisées successivement, il fallut chaque fois trouver de nouvelles solutions.

Pour la sĂ©curitĂ© et le confort des animaux, des moyens de contention, non traumatisant physiquement et Ă©motionnellement qui leur permettent de subir sans dommage les accĂ©lĂ©rations lors du lancement et du freinage, durent ĂȘtre mis au point.

L’aĂ©ration et l’épuration du gaz carbonique devaient ĂȘtre assurĂ©es pendant l’attente et la vingtaine de minutes du confinement que durait la pĂ©riode critique de l’expĂ©rience. Les tirs ayant lieu trĂšs tĂŽt le matin, aux heures les plus fraiches de la journĂ©e, aucun systĂšme de climatisation ne fut mis en place. Mais il Ă©tait prĂ©vu de rĂ©cupĂ©rer les animaux trĂšs rapidement par hĂ©licoptĂšre afin d’éviter toute attente prolongĂ©e en plein soleil.

L’implantation d’électrodes intracrĂąniennes posait des problĂšmes spĂ©cifiques Ă  chaque espĂšce animale. De plus, contrairement aux expĂ©riences de laboratoire oĂč l’on expĂ©rimentait en aigu sur des animaux endormis et ne servant qu’une seule fois, il fallait dans le cas prĂ©sent travailler sur des animaux Ă©veillĂ©s, implantĂ©s plusieurs semaines Ă  l’avance et ayant parfaitement rĂ©cupĂ©rĂ©. Une fois prĂ©parĂ©s, ces animaux devaient subir un long entraĂźnement avec des sĂ©ances de simulation du vol, afin d’éviter que le jour du tir rĂ©el des manifestations Ă©motionnelles ne masquent les effets de l'absence de pesanteur.

Les signaux Ă©lectriques recueillis par les Ă©lectrodes intracrĂąniennes Ă©taient transmis au sol par tĂ©lĂ©mesure. Comme ces courants Ă©taient trĂšs faibles, il fut nĂ©cessaire de fabriquer de toutes piĂšces un amplificateur Ă  transistor rĂ©sistant aux accĂ©lĂ©rations et suffisamment miniaturisĂ© pour ĂȘtre placĂ© dans la pointe de la fusĂ©e[4] - [5].

Les données du vol (accélérations sur les trois axes, pression, température, bruit) étaient recueillies sur un enregistreur de bord récupéré aprÚs le retour au sol.

Campagne de tir de 1961

Pour cette premiĂšre expĂ©rience, l’animal choisi Ă©tait un rat de type Wistar. À l’intĂ©rieur du container, il Ă©tait maintenu dans la position ventrale qui lui Ă©tait familiĂšre Ă  l’aide d’un gilet.

Les enregistrements neurophysiologiques concernaient l'activité électrique du cortex cérébral et de la réticulée mésencéphalique, ainsi que le myogramme des muscles de la nuque.

La fusée utilisée était une Véronique AGI V24.

Le tir eut lieu le . Des irrĂ©gularitĂ©s de propulsion limitĂšrent la culmination Ă  110 km et perturbĂšrent quelque peu par des accĂ©lĂ©rations complexes la pĂ©riode qui aurait dĂ» ĂȘtre en absence de pesanteur.

Les enregistrements biologiques fonctionnĂšrent correctement pendant toute la durĂ©e du vol. L’atterrissage eut lieu 8 min 10 s aprĂšs la mise Ă  feu. L’animal fut rĂ©cupĂ©rĂ© en bonne santĂ©, ramenĂ© Ă  Paris le lendemain, et prĂ©sentĂ© Ă  la presse. Il fut baptisĂ© Hector[6] - [7].

Campagne de tir de 1962

Deux tirs furent réalisés, les 15 et , tous deux retardés par un vent violent et quelques problÚmes techniques.

Deux rats du mĂȘme type que prĂ©cĂ©demment et prĂ©parĂ©s de la mĂȘme façon furent utilisĂ©s.

Au cours du premier tir avec la fusĂ©e VĂ©ronique AGI V37, la phase balistique avec absence de pesanteur dura 6 minutes. Les enregistrements furent de bonne qualitĂ© jusqu'Ă  la perte du champ de la tĂ©lĂ©mesure Ă  la 175e s. Cependant, la pointe de la fusĂ©e retomba trop loin pour ĂȘtre rĂ©cupĂ©rĂ©e dans des dĂ©lais compatibles avec la survie de l’animal.

Le tir suivant, trois jours plus tard, avec la fusĂ©e VĂ©ronique AGI V36 fut un Ă©chec. L’engin partit sur une trajectoire oblique et se perdit dans le dĂ©sert. NĂ©anmoins, la tĂ©lĂ©mesure fonctionna correctement jusqu'Ă  la perte du champ Ă  la 135e s. La perte de la pointe de la fusĂ©e ne permit pas de connaĂźtre les accĂ©lĂ©rations subies[8].

Campagne de tir de 1963

Cette campagne fut réalisée avec des chats dont la taille permettait une exploration électro physiologique plus complÚte.

À l’intĂ©rieur de la fusĂ©e, ils Ă©taient maintenus dans la position accroupie qui Ă©tait leur attitude habituelle de repos. Deux chattes, plus dociles que les mĂąles, furent sĂ©lectionnĂ©es.

Les enregistrements électro physiologiques concernaient le cortex somesthésique gauche, le cortex associatif gauche, l'Hippocampe droit et la réticulée mésencéphalique. En outre, le potentiel évoqué par la stimulation de la patte antérieure droite, était enregistré dans les aires somesthésique et associative gauche correspondantes.

Deux fusées de type Véronique furent tirées, les 18 et .

Le , l’expĂ©rience avec la fusĂ©e VĂ©ronique AGI V47 rĂ©ussit parfaitement. L'absence de pesanteur sur les trois axes fut bien observĂ©e depuis la fin de la propulsion jusqu'au dĂ©but du freinage, soit pendant 302 s. Les enregistrements biologiques Ă©taient d’excellente qualitĂ©. La rĂ©cupĂ©ration eut lieu 13 min 13 s aprĂšs le dĂ©part. La chatte dĂ©nommĂ©e FĂ©licette, Ă©tait en parfaite santĂ©.

Le , les choses se passÚrent moins bien. La fusée Véronique AGI V50 dévia de sa trajectoire et alla percuter le Djebel Béchar, à 120 km du point de lancement. L'absence de pesanteur sur les trois axes fut bien observée de la 120e à la 210e s, mais les enregistrements des paramÚtres physiologiques disparurent à la 140e s par perte de champ de la télémesure[9] - [10].

Campagne de tir de 1967

Il Ă©tait prĂ©vu d’utiliser des singes, mais vu le peu d’espace disponible dans la pointe des fusĂ©es on ne pouvait utiliser que des espĂšces de petite taille. Le choix se porta sur le macaque nĂ©mestrina. La prĂ©paration de cet animal nĂ©cessita de longues Ă©tudes prĂ©alables car contrairement au chat, il n’existait aucun atlas stĂ©rĂ©otaxique du cerveau de cet animal, ni de localisation prĂ©cise de l'activitĂ© Ă©lectrique corticale. Ce repĂ©rage indispensable pour la mise en place des Ă©lectrodes profondes prit plusieurs mois.

Un autre problĂšme vint de l’emploi de fusĂ©es Vesta plus puissantes que les VĂ©ronique. L’accĂ©lĂ©ration de l’ordre de 20 G au moment de la rentrĂ©e dans les basses couches de l’atmosphĂšre n’était pas acceptable pour les animaux ce qui nĂ©cessita des adaptations du systĂšme de freinage pour ne pas dĂ©passer 12 G.

L’animal Ă©tait maintenu sur son siĂšge dans la position assise qui lui Ă©tait familiĂšre.

En plus des enregistrements habituels des fonctions végétatives (température, fréquence cardiaque et fréquence respiratoire), six voies corticales (bifrontales, pré et post rolandique, bioccipitale), une voie pour l'activité de l'hippocampe et trois voies d'électromyographie (biceps, triceps, muscles de la nuque) étaient prévues. Le comportement de l'animal, conditionné à répondre à un signal lumineux par une action sur un levier, était surveillé par une caméra.

Les deux tirs eurent lieu les 7 et .

Le tir du avec la fusĂ©e Vesta 04 (Exp. FU 147) avait Ă  son bord la petite guenon Martine. Les sĂ©quences se dĂ©roulĂšrent selon la chronologie prĂ©vue mais le heurt du propulseur avec la pointe entraina des accĂ©lĂ©rations lĂ©gĂšrement positives en Z pendant la pĂ©riode de plus de six minutes oĂč elles auraient dĂ» ĂȘtre nulles. La pointe de la fusĂ©e toucha le sol 930 secondes aprĂšs le lancement sans autre incident. La tĂ©lĂ©mesure fonctionna jusqu'Ă  la 760e seconde. Les enregistrements magnĂ©tiques et photographiques furent excellents. L’animal en bonne forme fut rapidement rĂ©cupĂ©rĂ©.

Le dernier tir, le , avec la guenon Pierrette à bord de la fusée Vesta 05 (Exp. FU 147), sera un succÚs total. Toutes les séquences se déroulÚrent sans incident et l'accélération fut bien nulle sur les trois axes pendant les 6 min 31 s de la phase balistique. Les enregistrements, par télémesure et à bord de l'engin, étaient de trÚs bonne qualité. L'animal en excellent état physique, fut rapidement récupéré et ramené pour enregistrements de contrÎle[11] - [12].

Le bilan

Sur les sept tirs, deux seulement furent exempts d’incident, le et le . Deux furent polluĂ©s par des accĂ©lĂ©rations parasites pendant la phase balistique et trois engins se perdirent dans le dĂ©sert. Les fusĂ©es n’avaient pas encore atteint la fiabilitĂ© que l’on espĂ©rait.

Par contre, la prĂ©paration des animaux fut un plein succĂšs. Les systĂšmes mis en place pour assurer le conditionnement du container remplirent parfaitement leur office. Les enregistrements Ă©lectro physiologiques transmis par tĂ©lĂ©mesure fonctionnĂšrent correctement, ce qui constituait une vĂ©ritable prouesse technologique, jamais rĂ©alisĂ©e auparavant, vu les conditions environnementales et les moyens de l’époque.

Concernant les rĂ©sultats proprement dit, le plus important fut de constater que l’absence de pesanteur, pendant les brĂšves pĂ©riodes oĂč elle fut observĂ©e avec certitude ainsi que les pĂ©riodes d’hypopesanteur, n’entrainaient pas de dysfonctionnement des structures cĂ©rĂ©brales Ă©tudiĂ©es. L’apparence d’hypovigilance chez la chatte FĂ©licette et la guenon Martine, difficile Ă  apprĂ©cier, n’était pas interprĂ©table sur ces deux seules expĂ©riences.

Nouveaux projets

Ces expĂ©riences furent parmi les derniĂšres rĂ©alisĂ©es sur le site d’Hammaguir qui ferma ses portes en conformĂ©ment aux accords d'Évian.

Sur le plan biologique, pendant la quinzaine d’annĂ©es qui suivit, seules quelques expĂ©riences furent rĂ©alisĂ©es Ă  l’aide de ballon-sondes pour Ă©tudier les effets biologiques des rayons cosmiques de la haute altitude.

Les projets biologiques furent ensuite repris sous l’égide du CNES. Aux termes d’accords avec les SoviĂ©tiques et les AmĂ©ricains permettant Ă  la France d’ĂȘtre la troisiĂšme nation Ă  avoir des hommes dans l'espace, des spationautes furent sĂ©lectionnĂ©s pour participer Ă  des missions spatiales et des programmes de recherche furent lancĂ©s dans le domaine des sciences de la vie.

Notes et références

  1. Chatelier G., Cailler B., Mourareau C. Les premiÚres expériences animales françaises en fusée. Médecine Aéronautique et Spatiale, 1993, XXXII, 128, 274-287).
  2. Timbal J. Histoire de la médecine aéronautique et spatiale Française. Ed Glyphe, Paris 2009, (ISBN 978-2-35815-006-4), 249-265.
  3. Timbal J., Gicquel J-P., Moulin H. L’animal dans l’espace in Les dĂ©buts de la recherche spatiale française. Au temps des fusĂ©es sondes. Paris 2007 Éditions Edite. Institut français d’histoire de l’espace, (ISBN 978-2-846-08215-0), 359-367.
  4. Cailler B., Ginet J., Chatelier G. Les bases techniques et physiologiques de la télémétrie et son emploi lors des expérimentations biologiques en fusée. Revue des corps de santé, 1964, 5, 557-577.
  5. Ginet J. Chatelier G. La chronologie de la préparation du tir dans une expérience animale en fusée. Revue des corps de santé, 1965, 3, 409-418.
  6. Grandpierre R. et coll. Rapport n°648/CERMA, 23/03/1962. PremiĂšre expĂ©rimentation biologique en fusĂ©e. Étude des rĂ©actions vĂ©gĂ©tatives, rĂ©ticulĂ©es et corticales d’un animal placĂ© en fusĂ©e VĂ©ronique, pp 61, 55 photos et figures.
  7. J. Timbal : Biologie Spatiale à Hammaguir. Une premiÚre mondiale pour le rat "Hector". Médecine aéronautique et spatiale, 2002, 41, 158, 32-38.
  8. Grandpierre R. et coll. Rapport n°779/CERMA, 21/05/1963. RĂ©sultats physiologiques de la campagne VĂ©ronique CERMA d’octobre 1962, pp15, 21 figures des paramĂštres de vol et des enregistrements.
  9. Chatelier G. et coll. Rapport n°910/CERMA, 10/06/1964. RĂ©actions de l’activitĂ© cĂ©rĂ©brale et des fonctions vĂ©gĂ©tatives chez des animaux placĂ©s dans un champ de gravitation nulle – RĂ©sultats des expĂ©riences biologiques en fusĂ©es portant sur deux chats (Hammaguir, octobre 1963), pp 29, 19 figures.
  10. Timbal J: Biologie Spatiale à Hammaguir. La chance de la chatte "Félicette". Médecine aéronautique et spatiale, 2002, 42, 159, 29-35.
  11. Chatelier G. Rapport n°1977/CERMA, 18/12/1967. Étude des rĂ©actions vĂ©gĂ©tatives, Ă©lectroencĂ©phalographiques et psychomotrices de primates pendant l’état de non-pesanteur. RĂ©sultats des expĂ©riences biologiques en fusĂ©e portant sur deux singes, Hammaguir, mars 1967, pp 64, photos et tracĂ©s expĂ©rimentaux.
  12. Timbal J. Biologie Spatiale à Hammaguir. Des "Vesta" pour les guenons "Martine et Pierrette". Médecine aéronautique et spatiale, 2002 ,41, 160, 40-46.

Annexes

Articles connexes

Bibliographie

  • Les dĂ©buts de la recherche spatiale française. Au temps des fusĂ©es sondes, prĂ©face de J. Blamont, Paris, 2007, Éditions Edite. Institut français d’histoire de l’espace, pp 398, (ISBN 978-2-846-08215-0).
  • Histoire de la mĂ©decine aĂ©ronautique et spatiale Française, Jean Timbal, Paris, 2009, Éditions Glyphe, pp 410, (ISBN 978-2-35815-006-4).

Lien externe

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