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BĂȘte de l'Apocalypse

La BĂȘte de l'Apocalypse, (τ᜞ Î˜Î·ÏÎŻÎżÎœ (tĂČ thērĂ­on) en grec ancien) est une figure de l'eschatologie chrĂ©tienne qui apparait dans le chapitre 13 de l'Apocalypse de Jean, en Ă©cho Ă  la Vision des quatre bĂȘtes du Livre de Daniel.

Illustration des BĂȘtes de la mer et de la terre, tirĂ©e de l’ouvrage Augsburger Wunderzeichenbuch (de) (XVIe siĂšcle).

L'auteur de l'Apocalypse, qui Ă©crit sous le rĂšgne de l'empereur Domitien, dĂ©crit successivement deux bĂȘtes affidĂ©es Ă  Satan — l'une issue de la mer, l'autre issue de la terre pour seconder la premiĂšre — qui symbolisent l'oppression du pouvoir romain idolĂątre et les moyens qu'il dĂ©ploie Ă  cette fin.

Cette figure a fait l'objet de multiples interprétations au cours de l'histoire.

Dans le christianisme

Apocalypse de Jean : 12. Le monstre marin et la bĂȘte avec la corne d'agneau. Gravure sur bois d'Albrecht DĂŒrer, en 1497 ou 1498.

L'auteur de l'Apocalypse de Jean dĂ©crit, au chapitre 13, successivement deux bĂȘtes : l'une est issue de la mer, Ă  laquelle Satan, partiellement vaincu par l'archange Michel, a dĂ©lĂ©guĂ© son pouvoir ; l'autre est issue de la terre afin de seconder la premiĂšre[1] Ă  laquelle elle est asservie et dont elle est une pĂąle rĂ©plique[2]. Ce couple de bĂȘtes fait Ă©cho au tandem marin-terrestre Leviathan-BĂ©hĂ©mot[1] prĂ©sent dans la littĂ©rature judaĂŻque plus ancienne[3].

La bĂȘte Ă©mergĂ©e des eaux reprend de maniĂšre synthĂ©tique les quatre bĂȘtes de la vision de Daniel[4] qui reprĂ©sentent dans ce livre composĂ© vers le milieu du IIe siĂšcle av. J.-C. les quatre empires babylonien, perse, mĂšde et grec[5]. PossĂ©dant sept tĂȘtes et — tout comme la quatriĂšme bĂȘte de Daniel[5] — dix cornes, elle reprĂ©sente un systĂšme politique dont le pouvoir, confĂ©rĂ© par Satan, s'Ă©tend sur tous les hommes qui y adhĂšrent en recevant la « marque de la bĂȘte ». Cette marque, le « Nombre de la BĂȘte » gĂ©nĂ©ralement associĂ© au nombre 666 ou 616 suivant les textes[6], s'impose Ă  ses sujets dans sa dimension idĂ©ologique mais aussi Ă©conomique puisque « personne ne [peut] acheter ni vendre s'il n'a pas la marque », attestant de l'ancrage du propos dans le cadre de la domination de la Rome impĂ©riale du Ier siĂšcle[5]. L'auteur de l'Apocalypse conteste radicalement Ă  cette bĂȘte assoiffĂ©e de pouvoir et de sang sa prĂ©tention blasphĂ©matoire au statut divin[5].

Cette premiĂšre bĂȘte dont le trait essentiel est la violence et qui symbolise donc l'Empire romain idolĂątre[7], est secondĂ©e par une bĂȘte venue de la terre, qualifiĂ©e de pseudo-prophĂšte[2] et chargĂ©e d'entretenir le culte de la premiĂšre, symbolisant peut-ĂȘtre les clergĂ©s chargĂ© des cultes impĂ©riaux[1].

Apocalypse de Jean : chapitre 13

Les deux bĂȘtes dĂ©crites dans l'Apocalypse — un texte que l'exĂ©gĂšse contemporaine date des derniĂšres annĂ©es du rĂšgne de Domitien qui meurt en 96[8] — font partie d'un ensemble de visions attribuĂ©es par la tradition chrĂ©tienne Ă  un certain Jean — souvent assimilĂ© Ă  la fois Ă  l'apĂŽtre et au rĂ©dacteur de l'Ă©vangile — reclus sur l'Ăźle de Patmos[9], et figurent dans le chapitre 13 du texte :

La bĂȘte de la mer

La bĂȘte de la mer se voit confier le sceptre par le Dragon.
Tenture de l'Apocalypse, XIVe, chĂąteau d'Angers.

« 1. Et il se tint sur le sable de la mer. Puis je vis monter de la mer une bĂȘte qui avait dix cornes et sept tĂȘtes, et sur ses cornes dix diadĂšmes, et sur ses tĂȘtes des noms de blasphĂšme.
2. La bĂȘte que je vis Ă©tait semblable Ă  un lĂ©opard; ses pieds Ă©taient comme ceux d'un ours, et sa gueule comme une gueule de lion. Le dragon lui donna sa puissance, et son trĂŽne, et une grande autoritĂ©.
3. Et je vis l'une de ses tĂȘtes comme blessĂ©e Ă  mort; mais sa blessure mortelle fut guĂ©rie. Et toute la terre Ă©tait dans l'admiration derriĂšre la bĂȘte.
4. Et ils adorĂšrent le dragon, parce qu'il avait donnĂ© l'autoritĂ© Ă  la bĂȘte; ils adorĂšrent la bĂȘte, en disant: Qui est semblable Ă  la bĂȘte, et qui peut combattre contre elle ?
5. Et il lui fut donné une bouche qui proférait des paroles arrogantes et des blasphÚmes; et il lui fut donné le pouvoir d'agir pendant quarante-deux mois.
6. Et elle ouvrit sa bouche pour proférer des blasphÚmes contre Dieu, pour blasphémer son nom, et son tabernacle, et ceux qui habitent dans le ciel.
7. Et il lui fut donné de faire la guerre aux saints, et de les vaincre. Et il lui fut donné autorité sur toute tribu, tout peuple, toute langue, et toute nation.
8. Et tous les habitants de la terre l'adoreront, ceux dont le nom n'a pas été écrit dÚs la fondation du monde dans le livre de vie de l'agneau qui a été immolé.
9. Si quelqu'un a des oreilles, qu'il entende ! »

— Apocalypse 13,1–9

La bĂȘte de la terre

La bĂȘte de la terre appose la « marque de la bĂȘte ».
Tenture de l'Apocalypse, XIVe, chĂąteau d'Angers.

« 11.Puis je vis monter de la terre une autre bĂȘte, qui avait deux cornes semblables Ă  celles d’un agneau, et qui parlait comme un dragon.
12. Elle exerçait toute l’autoritĂ© de la premiĂšre bĂȘte en sa prĂ©sence, et elle faisait que la terre et ses habitants adoraient la premiĂšre bĂȘte, dont la blessure mortelle avait Ă©tĂ© guĂ©rie.
13. Elle opĂ©rait de grands prodiges, mĂȘme jusqu’à faire descendre du feu du ciel sur la terre, Ă  la vue des hommes.
14. Et elle sĂ©duisait les habitants de la terre par les prodiges qu’il lui Ă©tait donnĂ© d’opĂ©rer en prĂ©sence de la bĂȘte, disant aux habitants de la terre de faire une image Ă  la bĂȘte qui avait la blessure de l’épĂ©e et qui vivait.
15. Et il lui fut donnĂ© d’animer l’image de la bĂȘte, afin que l’image de la bĂȘte parlĂąt, et qu’elle fĂźt que tous ceux qui n’adoreraient pas l’image de la bĂȘte fussent tuĂ©s.
16. Et elle fit que tous, petits et grands, riches et pauvres, libres et esclaves, reçussent une marque sur leur main droite ou sur leur front,
17. et que personne ne pĂ»t acheter ni vendre, sans avoir la marque, le nom de la bĂȘte ou le nombre de son nom. »

— Apocalypse 13,11–17

Interprétations exégétiques et eschatologiques

BĂȘte portant une tiare papale provenant de la traduction de Luther du Nouveau Testament en 1522.

Des exĂ©gĂštes voient gĂ©nĂ©ralement dans cette BĂȘte le symbole de tout pouvoir qui s'oppose Ă  Dieu et Ă  ses commandements Ă  travers le monde, Ă  travers les siĂšcles.

Par exemple, les premiĂšres communautĂ©s chrĂ©tiennes connaissent des Ă©pisodes sporadiques de persĂ©cutions plus ou moins sĂ©vĂšres par les autoritĂ©s de l’Empire romain, qui tendent Ă  s'intensifier au tournant du IVe siĂšcle, et la tradition chrĂ©tienne identifie rĂ©guliĂšrement la premiĂšre BĂȘte Ă  l'un ou l'autre empereur romain, voire - Ă  l'instar de l'Oecumenius - ses sept tĂȘtes Ă  sept d'entre eux : NĂ©ron, Domitien, Trajan, SĂ©vĂšre, DĂšce, ValĂ©rien et DioclĂ©tien[10].

À plusieurs reprises, Luther assimile la papautĂ© Ă  diffĂ©rentes figures de l'apocalypse johanique, considĂ©rant notamment le pape comme la « BĂȘte de l'abĂźme »[11]. Dans les illustrations que Lucas Chranach fait de la version Nouveau Testament donnĂ©e par le rĂ©formateur, il reprĂ©sente la BĂȘte de l'Apocalypse couronnĂ©e d'une triple tiare qui Ă©voque sans hĂ©sitation possible le pape[12].

Au XXe siĂšcle, dĂšs la fin des annĂ©es trente, des thĂ©ologiens et philosophes chrĂ©tiens identifient la croissance du mal Ă  la BĂȘte de l'Apocalypse ; l'Allemagne nazie et son FĂŒhrer y sont rĂ©guliĂšrement identifiĂ©s[13] et, par exemple, aprĂšs le pacte germano soviĂ©tique d'aoĂ»t 1939, Jacques Maritain identifie tant le nazisme et que le stalinisme comme la rĂ©vĂ©lation du « vrai visage » de la BĂȘte[14]. On trouve de telles analyses Ă  partir des annĂ©es 1954-55 dans diffĂ©rentes revues catholiques anti-modernistes, telle La PensĂ©e Catholique, qui — se cristallisant autour de la question des idĂ©ologies athĂ©es — revisitent l'histoire temporelle Ă  l'aune d'un combat eschatologique entre Dieu et Satan, dont la dĂ©mocratie rĂ©volutionnaire est une marque qui prend la figure de la BĂȘte[15].

Notes et références

  1. Cristian Badilita, MĂ©tamorphoses de l'antichrist chez les PĂšres de l'Église, Beauchesne, , 557 p. (ISBN 978-2-7010-1454-8, prĂ©sentation en ligne), p. 84-85
  2. Jean-Pierre Prévost, Les symboles de l'Apocalypse, Bayard, (ISBN 978-2-227-48329-3), p. 48
  3. Dans la littérature vétérotestamentaire et intertestamentaire ; cf. par exemple Jb 40-41, Esd 6. 49-52
  4. Cristian Badilita, MĂ©tamorphoses de l'antichrist chez les PĂšres de l'Église, Beauchesne, , 557 p. (ISBN 978-2-7010-1454-8, prĂ©sentation en ligne), p. 79
  5. Jean-Pierre Prévost, Les symboles de l'Apocalypse, Bayard, (ISBN 978-2-227-48329-3), p. 49
  6. Jean-Pierre Prévost, Les symboles de l'Apocalypse, Bayard, (ISBN 978-2-227-48329-3), p. 16-17
  7. Daniel Marguerat, Introduction au Nouveau Testament : son histoire, son écriture, sa théologie, GenÚve/Paris, Labor et Fides, , 547 p. (ISBN 978-2-8309-1289-0, lire en ligne), p. 415
  8. Raymond E. Brown (trad. de l'anglais), Que sait-on du Nouveau Testament ?, Montrouge, Bayard, , 921 p. (ISBN 978-2-227-48252-4), p. 831
  9. (en) Ian Boxall, Patmos in the Reception History of the Apocalypse, Oxford University Press, (ISBN 978-0-19-165584-5, lire en ligne), p. 118
  10. (en) William C. Weinrich et Thomas C. Oden, Revelation, InterVarsity Press, (ISBN 978-0-8308-1497-8, lire en ligne), p. 277
  11. Jean-Paul Cahn, François Knopper et Anne-Marie Saint-Gille, De la guerre juste à la paix juste : Aspects confessionnels de la construction de la paix dans l’espace franco-allemand (XVIe-XXe siùcle), Presses Universitaires du Septentrion, (ISBN 978-2-7574-2119-2), p. 47
  12. (en) Natasha O'Hear et Anthony O'Hear, Picturing the Apocalypse: The Book of Revelation in the Arts Over Two Millennia, Oxford University Press, (ISBN 978-0-19-968901-9), p. 148
  13. (en) Catherine Wessinger, The Oxford Handbook of Millennialism, Oxford University Press, (ISBN 978-0-19-061194-1), p. 264
  14. Jean-François Muracciole et Guillaume Piketti, Encyclopédie de la Seconde Guerre mondiale, Robert Laffont, (ISBN 978-2-221-19175-0, lire en ligne), « Eschatologie et seconde guerre mondiale », Pt471
  15. Andre Vauchez, Jean-Robert Armogathe, Sylvie Barnay et al., ProphÚtes et prophétisme, Paris, Seuil, (ISBN 978-2-02-107560-1, lire en ligne), Pt182

Voir aussi

Bibliographie

Articles connexes

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