Accueil🇫🇷Chercher

Artillerie lourde Ă  grande puissance

L'artillerie lourde à grande puissance (ALGP) était une subdivision de l'artillerie de l'Armée française, créée pendant la Première Guerre mondiale. Elle comprenait les canons et mortiers de très gros calibre, capables de tirer à plus longue distance et avec plus de puissance de destruction que l'artillerie de campagne.

PrĂ©sentation d'un canon de 320 mm modèle 1870/84 sur voie ferrĂ©e Ă  une mission militaire chinoise, en Ă  Thierville-sur-Meuse, pendant la seconde bataille de Verdun. Les servants actionnent les vĂ©rins abaissant les six traverses d'appui.

Ces énormes pièces d'artillerie furent utilisées pour toutes les offensives alliées sur le front occidental, leurs batteries organisées pour former administrativement des régiments d'artillerie à grande puissance (RALGP). Progressivement dissous après l'armistice de 1918, ces unités sont remises sur pied lors de la mobilisation de 1939 pour disparaître définitivement pendant l'été 1940.

Une course aux armements

Au début de la Première Guerre mondiale, la stabilisation du front occidental de septembre (commençant sur le flanc droit français en Alsace-Lorraine) durant le mois de (se terminant sur le flanc gauche en Flandre) transforme le conflit en une guerre de tranchées, comparée à l'époque à un gigantesque siège. Les belligérants se retrouvant dans une double impasse tactique et stratégique, ils cherchent une solution en développant notamment l'artillerie : cette dernière adapte donc progressivement son matériel, son organisation et sa doctrine d'emploi.

L'artillerie de campagne française complète les milliers de canons de 75 mm par de l'artillerie lourde, composĂ©e essentiellement par quelques centaines de canons aux calibres 105, 120 et 155 mm (les vieux 120 modèle 1878 et 155 modèle 1877, mais aussi les plus modernes 105 modèle 1913 et 155 modèle 1917). Pour dĂ©foncer les retranchements allemands (villages fortifiĂ©s, abris-cavernes ou redoutes bĂ©tonnĂ©es) et frapper Ă  longue portĂ©e (gares, carrefours routiers ou batteries lourdes), le GQG demande le 14 octobre 1914 au ministère de la Guerre des pièces encore plus puissantes, en rĂ©cupĂ©rant celles de l'artillerie navale et de l'artillerie de cĂ´te. Étant donnĂ© la masse de ces canons, ils doivent ĂŞtre placĂ©s sur des plateformes bĂ©tonnĂ©es ou sur des châssis ferroviaires[1]. Un premier groupe de canons de 19 cm de cĂ´te est formĂ©, il est enrichi par l'arrivĂ©e de pièces de 240 mm ou de 270 mm[2] de cĂ´te, dont les batteries sont progressivement envoyĂ©es au front. En , un gros (sa masse est de 53 tonnes) canon G de 240 mm modèle 1884 sur son affĂ»t circulaire est transfĂ©rĂ© de Calais Ă  PĂ©rouse (au bois des Fourches, Ă  l'est du fort de la Justice) pour dĂ©fendre le camp retranchĂ© de Belfort en cas de siège ; puis en , quatre canons de 24 cm modèle 1870-1887 de la batterie des Couplets près de Cherbourg sont envoyĂ©s au front, malgrĂ© la colère de l'amiral prĂ©fet maritime[3].

Le , le GQG Ă©tabli une liste des canons Ă  grande puissance qu'il souhaite ; ce programme est approuvĂ© par le ministre de la Guerre le , qui passe commande auprès des arsenaux et des industriels : un canon de 305 mm de marine, deux 274 mm de marine, huit 240 mm de cĂ´te et douze 19 cm de cĂ´te[4]. Si les canons de marine doivent ĂŞtre d'abord tourillonnĂ©s, tous doivent ĂŞtre montĂ©s sur un affĂ»t, qu'il soit ferroviaire (sur affĂ»t-truck) ou Ă  Ă©chantignolles (une structure fixe en bois). Ces canons n'arrivent sur le front qu'au dĂ©but de l'annĂ©e 1915, constituant des batteries au sein des rĂ©giments d'artillerie Ă  pied ou de groupes autonomes, affectĂ©s temporairement par le GQG aux diffĂ©rentes armĂ©es, complĂ©tĂ©s par quatre pĂ©niches-canonnières dès et seize autres canons de 240 mm en fĂ©vrier 1915. Un nouveau programme de construction est lancĂ© le 9 mars 1915 pour atteindre un total de 201 pièces (dont huit de 400 mm), augmentĂ© les 22 juin 1915, 30 mai 1916, 22 juin 1916 et 24 fĂ©vrier 1917 (ce dernier pour 318 nouvelles pièces) : les industriels ont du mal Ă  satisfaire ces commandes, Ă©talant les livraisons sur un voire deux ans.

Organisation de l'ALGP

Le 28 juin 1915 est créé un commandement de l'artillerie lourde à grande puissance (ALGP), regroupant l'artillerie lourde sur voie ferrée (ALVF), les péniches et plusieurs autres gros tubes, le tout confié au général Vincent-Duportal, avec mission d'assurer la formation et de fixer les conditions d'emploi. L'ensemble est affecté à la réserve générale d'artillerie lourde lors de la création de cette dernière le 14 février 1917.

Les différentes batteries sont regroupées pour former six puis huit régiments d'artillerie lourde à grande puissance (RALGP, prenant les nos 70 à 78)[5] gardés en réserve, en complément d'une partie de l'artillerie lourde de campagne organisée en régiments d'artillerie lourde hippomobile (RALH) ou tractée (RALT), l'autre partie étant dispersée dans les divisions, corps d'armée et armées. Le 70e RALGP a la particularité d'être spécialisé uniquement dans la construction des voies ferroviaires à écartement normal, dont dépend le transport et le ravitaillement en munitions de toute l'ALGP.

Armement

Les trois calibres les plus utilisĂ©s pour l'ALGP furent les 190, 240 et 320 mm, essentiellement des canons de cĂ´te modifiĂ©s (les dĂ©nominations 19, 24 et 32 cm indiquent que les frettes sont en fonte, enserrant le tube en acier). S'y rajoutent huit obusiers de 370 mm modèle 1915 et douze de 400 mm modèles 1915 et 1916, qui sont des canons de marine (de 305 mm et de 340 mm) rĂ©alĂ©sĂ©s : ils dĂ©foncèrent le fort de Douaumont en , les tunnels du mont Cornillet en et du Mort-Homme en .

Au moment de l'armistice, un obusier de 520 mm modèle 1916 est disponible (son jumeau a explosĂ© le 27 juillet 1918 lors d'un tir d'essai Ă  Saint-Pierre-Quiberon), le dĂ©veloppement d'une pièce très longue portĂ©e (TLP) est en cours (chemisage d'un 340 mm avec un tube plus Ă©troit et très long), tandis que le nouveau 220 mm long modèle 1917 Schneider commence Ă  ĂŞtre livrĂ©.

Pour les matĂ©riels d'artillerie lourde sur voie ferrĂ©e (ALVF), le type d'affĂ»t-truck (souvent Ă©crit « truc » Ă  l'Ă©poque) dĂ©pend de leur masse. Les pièces jusqu'au 240 mm sont montĂ©es sur des affĂ»ts tous azimuts (TAZ) pivotants, ancrĂ©s au sol par des vĂ©rins. Les pièces les plus lourdes sont fixĂ©es sur des affĂ»t-poutres qui ne peuvent tirer que dans l'axe de la voie : un tronçon courbe, appelĂ©e Ă©pis, sert de circulaire de pointage en direction. Pour les modèles Ă  glissement, le recul est freinĂ© par des traverses en chĂŞne frottant sur des poutrelles parallèles aux rails[6]. Pour les modèles Ă  berceau, le tube glisse dans celui-ci, pour revenir ensuite en position[7].

ALGP sur le front[8] - [9]
Calibres30/11/19141/05/19151/10/19151/02/19161/08/19161/12/19161/07/19171/01/191811/11/1918
14 cm modèles 1887, 1891, 1893 et 1910 022182416281234
16 cm modèles 1887, 1891, 1893 et 1893/96 0517222028303037
19 cm modèles 1870/93 (en), 1916 (en) et 1917 (en) 00162423244678100
200 mm PĂ©rou (en) 020022222
240 mm modèles 1870/87, 1884, 1893/96, 1903 (en), 1916 et 1917 028233340112148213
270 mm modèle 1889 0012242448688084
274 mm modèles 1887, 1893 et 1893/96 00249610107
293 mm danois 000646666
305 mm modèles 1893/96 et 1917 (en) 00261013111110
320 mm modèles 1870/81 (en), 1870/84 (en) et 1870/93 (en) 00002440444444
340 mm modèles 1893 (en) et 1912 000024446
370 mm modèle 1915 (en) 004101010684
400 mm modèle 1915 et 1916 0000888812
520 mm modèle 1916 (en) 000000001

Fin de l'ALGP

Quelques pièces terminèrent le conflit aux mains des troupes allemandes, notamment celles capturĂ©es le car trop lentes Ă  Ă©vacuer : deux canons de 16 cm, six de 19 cm, 14 de 240 mm, trois de 274 mm, un de 305 mm et quatre de 340 mm[9].

L'armistice du rendit subitement l'ALGP inutile ; toute l'ALVF fut donc rapidement regroupée dans un seul régiment[10]. Le matériel surnuméraire est stocké en entrepôts, voire temporairement à l'air libre. La période de l'entre-deux-guerres fut consacrée à un peu d'entretien et d'exercice.

Les RALGP furent remis en activité lors de la mobilisation d'août à , plusieurs batteries prenant position en arrière de la ligne Maginot. Après quelques rares tirs, faute d'objectifs à leur mesure, l'évacuation des canons fut ordonnée en , avant dissolution des unités. Plusieurs tubes capturés par l'Armée allemande ou remis après l'armistice furent réemployés sur le front de l'Est ainsi que sur le mur de l'Atlantique.

Notes et références

  1. Demande de Joffre au ministre du et réponse du 24, AFGG 1931, tome 2, annexe no 66 et 68, p. 46-48 et 49-51.
  2. Leroy 1922, p. 15.
  3. François 2010, p. 8, 19 et 22.
  4. François 2010, p. 16.
  5. François 2010, p. 18.
  6. ministère de la Guerre, Règlement de manœuvre de l'artillerie : titre V7, description et entretien des matériels sur affût-truc à glissement à deux bogies et de leurs munitions, Paris, Imprimerie nationale, , 112 p., p. 2 et 50, lire en ligne sur Gallica.
  7. « Le matériel de l’ALVF », sur basart.artillerie.asso.fr.
  8. AFGG 1937, tome 11, p. 1008-1009 et 1078.
  9. François 2008, p. 20.
  10. Leroy 1922, p. 33-36.

Voir aussi

Bibliographie

  • Capitaine Leroy, Historique et organisation de l'artillerie : l'artillerie française depuis le 2 aoĂ»t 1914, École militaire de l'Artillerie, , 199 p., lire en ligne sur Gallica.
  • Colonel Louis Maurin, Artillerie lourde sur voie ferrĂ©e, Centre d'Ă©tudes tactique d'artillerie, .
  • Service historique de l'Ă©tat-major des armĂ©es, Les ArmĂ©es françaises dans la Grande Guerre, Paris, Imprimerie nationale, 1922-1939, onze tomes subdivisĂ©s en 30 volumes, plus des volumes d'annexes (BNF 41052951).
  • Pierre Touzin, François Vauvillier et gĂ©nĂ©ral Guy François, Les Canons de la Victoire 1914-1918, Paris, Histoire et Collections, coll. « Les matĂ©riels de l'armĂ©e française » (no 3, 4 et 5), 2008-2010, trois tomes :
    • op. cit., t. 1 : L'Artillerie de campagne : pièces lĂ©gères et pièces lourdes, Paris, Histoire et collections, (rĂ©impr. 2008), 65 p. (ISBN 978-2-35250-106-0, BNF 42072416) ;
    • op. cit., t. 2 : L'Artillerie lourde Ă  grande puissance, Paris, Histoire & collections, (rĂ©impr. 2015), 66 p. (ISBN 978-2-35250-085-8 et 978-2-35250-408-5, BNF 41399953) ;
    • op. cit., t. 3 : L'Artillerie de cĂ´te et l'artillerie de tranchĂ©e, , 67 p. (ISBN 978-2-35250-161-9).
  • Règlement provisoire de manĹ“uvre de l'obusier de 370, , 65 p., in-16, lire en ligne sur Gallica.
  • Inspection GĂ©nĂ©rale de l'Artillerie, Bulletin de renseignement de l'artillerie : mars 1918, vol. 6, Paris, Imprimerie nationale, , 123 p. Grand Quartier GĂ©nĂ©ral, lire en ligne sur Gallica.
  • Ministère de la guerre, Règlement de manĹ“uvre de l'artillerie. Première partie. Titre V10. Description et entretien des matĂ©riels et des munitions de 340 Mle 12 et de 370 Mle 75-79 sur affĂ»t-truc Ă  glissement Ă  4 bogies. ApprouvĂ© par le Ministre de la guerre le 6 janvier 1927, Paris, Imprimerie nationale, , 140 p. lire en ligne sur Gallica.

Lien externe

Articles connexes

Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplémentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimédias.