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ArrĂȘt Blanco

L'arrĂȘt Blanco est un arrĂȘt rendu en France le par le Tribunal des conflits.

ArrĂȘt Blanco
Titre Tribunal des conflits - 8 février 1873 - M. Blanco contre Manufacture des tabacs de Bordeaux
Pays Drapeau de la France France
Tribunal Tribunal des conflits
Date
DĂ©tails juridiques
Branche Droit administratif, Droit de la responsabilité
Importance Un des grands arrĂȘts du droit administratif
Chronologie : AgnÚs Blanco, fille de Jean Blanco, subit un accident causé par des employés de la manufacture des tabacs de Bordeaux.
: Jean Blanco dépose une demande d'indemnisation devant le tribunal civil de Bordeaux.
ProblÚme de droit Compétence du juge administratif pour connaßtre de la responsabilité à raison des dommages causés par des services publics
Solution L'autorité administrative est seule compétente pour connaßtre des dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu'elle emploie dans le service public
Voir aussi
Mot clef et texte Histoire du droit administratif, dualité des ordres de juridiction, Service public
Actualité Décision totalement obsolÚte, largement remise en cause par la jurisprudence et la législation actuelle
Lire en ligne Texte de l'arrĂȘt Blanco, sur LĂ©gifrance (anonymisĂ© : on n'y retrouve pas le nom de Blanco)

Conclusion du commissaire du gouvernement David, sur Lexinter
Analyse de l'arrĂȘt sur le site du Conseil d'État

Souvent prĂ©sentĂ© comme le fondement du droit administratif français, il dĂ©finit Ă  la fois la compĂ©tence de la juridiction administrative et le contenu du droit administratif. L'arrĂȘt reconnaĂźt le service public comme le critĂšre de la compĂ©tence de la juridiction administrative, affirme la spĂ©cificitĂ© des rĂšgles applicables aux services publics et Ă©tablit un lien entre le fond du droit applicable et la compĂ©tence de la juridiction administrative. Il consacre Ă©galement la responsabilitĂ© de l'Etat devant la juridiction administrative, responsabilitĂ© du fait des dommages causĂ©s par la mission de service public. C'est ce que les juristes nomment le « principe de la liaison de la compĂ©tence et du fond ».

L’apport historique de cet arrĂȘt est toutefois remis en cause comme Ă©tant une construction a posteriori de l’« École de Bordeaux ».

Nom

AppelĂ© arrĂȘt Blanco, celui-ci a Ă©tĂ© rendu par le Tribunal des conflits, suivant la dĂ©nomination des dĂ©cisions de justice Ă©tablie par la doctrine. En effet, les diffĂ©rents degrĂ©s de juridictions rendent des dĂ©cisions de justice portant un nom prĂ©cis. Ainsi, en droit administratif, les « arrĂȘts » sont des dĂ©cisions rendues par le Conseil d'État et les cours administratives d'appel, les « jugements » sont des dĂ©cisions juridictionnelles portant sur des faits rendus par les tribunaux administratifs. Le Tribunal des conflits est un tribunal spĂ©cial, qui rend des dĂ©cisions et non des arrĂȘts. En effet, ce dernier n'est pas habilitĂ© Ă  offrir une solution Ă  l'afffaire, donc Ă  statuer sur celle-ci comme le ferait un tribunal de premiĂšre instance ou un tribunal administratif. Le Tribunal des conflits a pour seul but d'orienter l'affaire vers la juridiction compĂ©tente, administrative ou judiciaire, afin qu'elle soit jugĂ©e par le juge compĂ©tent.

Circonstances de l'espĂšce

AgnĂšs Blanco, ĂągĂ©e de cinq ans, est renversĂ©e et griĂšvement blessĂ©e par un wagonnet poussĂ© par quatre ouvriers. Le wagonnet appartient Ă  la manufacture des tabacs de Bordeaux, exploitĂ©e en rĂ©gie par l'État. Le pĂšre de l'enfant saisit la juridiction judiciaire d'une action en dommages-intĂ©rĂȘts contre l'État, estimĂ© civilement responsable de la faute commise par les quatre ouvriers. Un conflit s'Ă©lĂšve entre les juridictions judiciaire et administrative et le Tribunal des conflits est chargĂ© de trancher.

La question est de savoir« quelle est, des deux autoritĂ©s administrative et judiciaire, celle qui a compĂ©tence gĂ©nĂ©rale pour connaĂźtre des actions en dommages-intĂ©rĂȘts contre l'État »[1].

Le Conseil d'État, dĂ©clarĂ© compĂ©tent par la dĂ©cision Blanco, rendra un arrĂȘt le , octroyant une rente viagĂšre Ă  la victime.

Cette décision du Tribunal des conflits est l'une des onze rendues avec la voix déterminante du Garde des Sceaux, ministre de la Justice (Jules Dufaure), pour cause de partage de voix entre les membres[2].

Considérant de principe

« ConsidĂ©rant que la responsabilitĂ©, qui peut incomber Ă  l'État, pour les dommages causĂ©s aux particuliers par le fait des personnes qu'il emploie dans le service public, ne peut ĂȘtre rĂ©gie par les principes qui sont Ă©tablis dans le Code civil, pour les rapports de particulier Ă  particulier ;
Que cette responsabilitĂ© n'est ni gĂ©nĂ©rale, ni absolue ; qu'elle a ses rĂšgles spĂ©ciales qui varient suivant les besoins du service et la nĂ©cessitĂ© de concilier les droits de l'État avec les droits privĂ©s ; »

— ArrĂȘt Blanco du Tribunal des conflits[3]

Commentaire

L'arrĂȘt Blanco fait figure, selon l'expression de Gaston JĂšze, de « pierre angulaire » du droit administratif français. En effet, il dĂ©finit Ă  la fois la compĂ©tence de la juridiction administrative et le contenu du droit administratif. L'arrĂȘt reconnaĂźt le service public comme le critĂšre de la compĂ©tence de la juridiction administrative, affirme la spĂ©cificitĂ© des rĂšgles applicables aux services publics et Ă©tablit un lien entre le fond du droit applicable et la compĂ©tence de la juridiction administrative. C'est ce que les juristes nomment le principe de la liaison de la compĂ©tence et du fond.

Cet arrĂȘt consacre Ă©galement pleinement l'autonomie du droit administratif, s'inscrivant dans la continuitĂ© des arrĂȘts Rotschild ou Dekeister. L'Etat se trouve dĂ©sormais responsable devant la juridiction administrative, et soumis Ă  un droit dĂ©rogatoire au droit commun, le droit administratif.

Il convient toutefois de souligner que l'importance donnĂ©e Ă  l'arrĂȘt Blanco rĂ©sulte d'une reconstruction mythologique du droit administratif, opĂ©rĂ©e au dĂ©but du XXe siĂšcle sous l'influence du Commissaire du gouvernement Jean Romieu. Avant cette date, en effet, l'arrĂȘt Blanco n'Ă©tait pratiquement pas citĂ©, ni dans les Ɠuvres de doctrine, ni dans les conclusions de commissaires du gouvernement. La thĂšse selon laquelle le droit administratif français serait nĂ© autour de 1870 avec, notamment, cet arrĂȘt, a ainsi pu ĂȘtre qualifiĂ©e de « mythe du droit public »[4].

De surcroĂźt, cette approche est extrĂȘmement discutĂ©e. En effet deux Ă©coles doctrinales s'affrontent Ă  ce sujet : l'Ă©cole du service public (Duguit) et celle de la puissance publique (Hauriou). La principale diffĂ©rence entre ces deux courants rĂ©side dans le critĂšre de l'application du droit administratif.

Il est Ă©galement important de souligner que l'arrĂȘt Blanco reprend en grande partie les termes d'un arrĂȘt antĂ©rieur, l'arrĂȘt Rothschild du Conseil d'État du 6 dĂ©cembre 1855.

Compétence

En rĂ©fĂ©rence Ă  la loi des 16-24 aoĂ»t 1790 et du dĂ©cret du 16 fructidor an III qui proscrivent aux tribunaux judiciaires de « troubler, de quelque maniĂšre que ce soit, les opĂ©rations des corps administratifs », l'arrĂȘt retient le critĂšre de service public comme fondement de la compĂ©tence administrative. Ainsi, le commissaire du gouvernement dĂ©clare[1] :

« Les tribunaux judiciaires sont radicalement incompĂ©tents pour connaĂźtre de toutes les demandes formĂ©es contre l'administration Ă  raison des services publics, quel que soit leur objet, et alors mĂȘme qu'elles tendraient, non pas Ă  faire annuler, rĂ©former ou interprĂ©ter par l'autoritĂ© judiciaire les actes de l'administration, mais simplement faire prononcer contre elle des dommages pĂ©cuniaires en rĂ©paration des dommages causĂ©s par ses opĂ©rations. »

Ce faisant, est retenu comme fondement de la compétence du juge administratif un texte visant en réalité à exclure la compétence judiciaire mais ne visant nullement un quelconque autre ordre de juridiction, ordre qui n'existait d'ailleurs pas en 1790.

Les Ă©volutions du droit administratif remettent cependant en cause ce principe affirmĂ© par l'arrĂȘt. La crĂ©ation du rĂ©gime des services publics industriels et commerciaux notamment vient bousculer la spĂ©cificitĂ© de la mission de service public de l'administration, en soumettant les SPIC Ă  la compĂ©tence du juge judiciaire. La multiplication et la diversitĂ© des contentieux viennent aussi brouiller la limite claire donnĂ©e par Blanco qui sĂ©parait juge judiciaire et juge administratif.

Responsabilité

Le Tribunal des conflits rejette par cet arrĂȘt des principes du code civil français, pourtant Ă©tablis par le lĂ©gislateur, en revendiquant des « rĂšgles spĂ©ciales », justifiĂ©es par les « besoins du service ». Mais cette mise Ă  l'Ă©cart de la rĂšgle gĂ©nĂ©rale permet de consacrer le principe de la responsabilitĂ© de l'État Ă  raison des services publics en lieu et place d'un principe d'irresponsabilitĂ© qui ne trouvait d'exceptions qu'en cas de responsabilitĂ© contractuelle ou d'intervention lĂ©gislative, telle la loi du 28 pluviĂŽse an VIII pour les dommages de travaux publics.

La distinction des rĂšgles applicables n'est cependant pas absolue. À bien des Ă©gards, le Code civil resta un guide interprĂ©tatif pour le juge administratif et les parallĂšles entre sa jurisprudence et le droit civil de la responsabilitĂ© sont nombreux. De mĂȘme, loin de signifier que la rĂšgle administrative serait moins protectrice, la distinction Ă©tablie a pu conduire le juge du Palais-Royal Ă  se montrer plus protecteur que le juge judiciaire (par exemple en matiĂšre de responsabilitĂ© mĂ©dicale : l'arrĂȘt d'AssemblĂ©e du 9 avril 1993, Bianchi).

Limites de l'arrĂȘt

La loi et la jurisprudence postĂ©rieure ont prĂ©cisĂ© ou remis en cause les solutions apportĂ©es par l'arrĂȘt Blanco :

  • Le service public n'est pas le seul critĂšre de compĂ©tence du juge administratif. On peut invoquer par exemple le simple exercice de la puissance publique[5].
  • Le triptyque originel de l'arrĂȘt Blanco (coĂŻncidence de l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, action d'une personne publique et rĂšgles exorbitantes du droit commun) a Ă©tĂ© largement remis en cause par la jurisprudence postĂ©rieure.
  • Le service public n'entraĂźne pas toujours la compĂ©tence administrative, par exemple en cas de gestion privĂ©e d'un service public[6].
  • Un service public peut en effet ĂȘtre gĂ©rĂ© par une personne privĂ©e[7]. La puissance publique est alors le critĂšre de la compĂ©tence administrative[8].
  • Un service public peut ĂȘtre soumis au droit privĂ© quand il s'agit d'un service public industriel et commercial, et non administratif[9]. En outre les contrats passĂ©s par un service public ne sont administratifs que s'ils contiennent une clause exorbitante du droit commun[10] ou liĂ© Ă  l'exĂ©cution mĂȘme du service[11].
  • La loi du a transfĂ©rĂ© Ă  la juridiction judiciaire le contentieux des « dommages de toute nature causĂ©s par un vĂ©hicule quelconque ». Contrairement Ă  une interprĂ©tation erronĂ©e, le wagonnet ayant blessĂ© AgnĂšs Blanco ne relĂšverait plus aujourd'hui de la juridiction administrative. (GAJA).
  • L'autonomie du droit administratif est moins claire, les juridictions administratives appliquant parfois le code civil[12].

Notes et références

  1. Conclusions du commissaire du gouvernement David, sur Lexinter.
  2. Rapport annuel du Tribunal des conflits (2005), sur son site Internet, p. 44.
  3. ArrĂȘt Blanco du Tribunal des conflits, sur LĂ©gifrance
  4. Mathieu Touzeil-Divina, Dix Mythes du droit public, Issy-les-Moulineaux/53-Mayenne, LGDJ, coll. « Forum », , 420 p. (ISBN 978-2-275-06084-2), chap. III (« Le droit administratif français naĂźt autour de 1870 ; il est d’essence prĂ©torienne »)
  5. TC., , Société Bourgogne-Bois.
  6. CE., , Société des granits porphyroïdes des Vosges : « Considérant que le marché passé entre la ville et la société, était exclusif de tous travaux à exécuter par la société et avait pour objet unique des fournitures à livrer selon les rÚgles et conditions des contrats intervenus entre particuliers ; qu'ainsi ladite demande soulÚve une contestation dont il n'appartient pas à la juridiction administrative de connaßtre ».
  7. . NĂ©anmoins, l'ArrĂȘt Blanco trouve son prolongement dans l'ArrĂȘt Guitou en date du 30 juin 1934.CE., , Caisse primaire aide et protection ; CE., , Narcy.
  8. CE., , Magnier.
  9. TC., , Société commerciale de l'Ouest africain ; CE., , Union syndicale des industries aéronautiques.
  10. CE., , Société des granits porphyroïdes des Vosges.
  11. CE., , Époux Bertin.
  12. CE., , Société d'exploitation des établissements Roger Revellin.

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • Grands arrĂȘts de la jurisprudence administrative, Dalloz, , 16e Ă©d.
  • RenĂ© Chapus, « Signification de l'arrĂȘt Blanco », dans L'administration et son juge, PUF, coll. « Doctrine juridique », (ISBN 2-13-049896-5).
  • RenĂ© Chapus, Droit administratif gĂ©nĂ©ral, t. 1, Montchrestien, coll. « Domat Droit public », , 12e Ă©d.
  • Charles Bosvieux-Onyekwelu, « Revenir sur une lĂ©gende en sociologue : l'arrĂȘt Blanco et le mythe de la « naissance » du droit administratif français », Droit et SociĂ©tĂ©, no 101 : « Comment penser un droit pour l'alimentation ? »,‎ , p. 159-178 (DOI 10.3917/drs1.101.0159, rĂ©sumĂ©, lire en ligne AccĂšs libre).
  • FrĂ©dĂ©ric Rolin, « Elle s'appelait Ignacia : un regard d'histoire sociale sur Tribunal des conflits, , Blanco, et Conseil d'État, , Blanco », Revue française de droit administratif, vol. 37, no 3,‎ , p. 413-420.

Liens externes

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