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Contrat administratif en France

En droit français, un contrat administratif est un contrat conclu par au moins une personne publique et dont la connaissance appartient au juge administratif. Il peut ĂȘtre qualifiĂ© de tel par la loi, ou par la jurisprudence s'il porte sur l'exĂ©cution d'un service public ou comporte des clauses exorbitantes du droit commun.

On peut distinguer plusieurs types de contrat administratif, notamment:

Distinction entre les contrats administratifs et ceux de droit commun

DĂ©termination par la loi

Une catĂ©gorie de contrat peut ĂȘtre qualifiĂ©e d'administratif par la loi. C'est le cas des marchĂ©s publics[1], des marchĂ©s de partenariat (qui sont des marchĂ©s publics[2]) et des contrats de concession[3] passĂ©s par les personnes morales de droit public ainsi que des contrats d'occupation du domaine public passĂ©s par des personnes morales de droit public ou leurs concessionnaires de service public[4].

Les textes législatifs peuvent aussi classifier un contrat comme étant un contrat administratif :

-  La loi du 28 PluviĂŽse An VIII : « Loi concernant la division de l’État et l'administration : Contrat d’exĂ©cution des travaux publics[5], contrat de vente de biens de l’État,... ».

-  La loi no 2001-1168 du 11 dĂ©cembre 2001 : « Loi fixant les mesures urgentes de rĂ©formes Ă  caractĂšre Ă©conomique et financier ». « Article 2-1 : Les marchĂ©s passĂ©s en application du code des marchĂ©s publics ont le caractĂšre de contrats administratifs
[6]»

Pour le professeur René Chapus, la détermination par la loi se confondrait avec la détermination selon l'objet en ce que la loi ne ferait que prendre acte d'une réalité provenant de l'objet du contrat.

DĂ©termination par la jurisprudence

La jurisprudence utilise deux critÚres cumulatifs: le critÚre organique et le critÚre matériel.

Le critĂšre organique

Le contrat est en principe administratif s'il contient au moins une personne publique partie au contrat.

Pour les contrats entre deux personnes publiques le juge a affirmĂ© que ceux-ci "revĂȘt(aient) en principe un caractĂšre administratif", ce principe cĂ©dant dans le cas oĂč "eu Ă©gard Ă  (leur) objet, il(s) ne fai(saient) naitre entre les parties que des rapports de droit privĂ©" (T.C Union des Assurances de Paris, 21 mars 1983). Ce mode de qualification a parfois Ă©tĂ© dĂ©signĂ© sous le vocable de "prĂ©somption", qui a Ă©tĂ© utilisĂ© par le Commissaire du gouvernement Daniel Labetoulle dans ses conclusions sur cet arrĂȘt. On peut toutefois en discuter la pertinence puisqu'une prĂ©somption peut porter sur des faits mais assurĂ©ment pas sur une qualification juridique. L'application de cette solution jurisprudentielle a d'ailleurs connu de nombreuses difficultĂ©s, au point qu'aujourd'hui on peut considĂ©rer que ce critĂšre est pratiquement abandonnĂ© au profit des critĂšres usuels de qualification des contrats administratifs.

À contrario, le contrat conclu entre deux personnes privĂ©es est en principe de droit privĂ© mĂȘme si l'une des personnes privĂ©es est chargĂ©e d'un service public (T.C, 3 mars 1969, SociĂ©tĂ© Interlait). Mais le juge administratif a appliquĂ© les notions de mandat et de reprĂ©sentation pour admettre que ce type de contrat pouvait ĂȘtre administratif dĂšs lors qu'une des parties agit "pour le compte d'une personne publique" (C.E, StĂ© Brossette, 30 janvier 1931). En fait l'acception de ces contrats signĂ©s entre personnes privĂ©es comme contrats administratifs constitue une exception au principe qui veut que ces contrats soient privĂ©s. Ainsi ces contrats peuvent ĂȘtre administratifs si l'un des cocontractants a agi au nom et pour le compte d'une personne morale de droit public ou s'il a Ă©tĂ© mandatĂ© par celle-ci (T.C 8 juillet 1963 StĂ© Entreprise Peyrot), (CE 30 mai 1975, StĂ© d'Ă©quipement de la rĂ©gion montpelliĂ©raine). L'arrĂȘt Peyrot a aujourd'hui disparu des grands arrĂȘts, il a Ă©tĂ© en effet renversĂ© par l'arrĂȘt "Madame Rispal c. autoroutes du sud de la France" le 9 mars 2015. Le tribunal des conflits prĂ©cise ainsi que les contrats passĂ©s avec les sociĂ©tĂ©s d'autoroute sont dĂ©sormais assujettis au droit privĂ©, la dĂ©cision n'intervient que pour les contrats passĂ©s aprĂšs l'arrĂȘt, ceux antĂ©rieurs sont toujours soumis Ă  la jurisprudence "sociĂ©tĂ© entreprise Peyrot".

Le critÚre matériel

Le critÚre matériel se base sur deux critÚres alternatifs.

Les clauses ou le régime

Un contrat peut ĂȘtre administratif si ses clauses sont exorbitantes du droit commun (CE 31 juillet 1912, SociĂ©tĂ© des granits porphyroĂŻdes des Vosges ; TC 13 octobre 2014, SA AXA France IARD) ou bien si son rĂ©gime est exorbitant du droit commun (CE section, 19 janvier 1973, SociĂ©tĂ© d'exploitation Ă©lectrique de la riviĂšre du Sant).

  • Ce que les clauses exorbitantes veulent dire:

Définition par effet: elles permettent de "conférer aux parties des droits ou de mettre à leur charge des obligations étrangÚres par leur nature à ceux qui sont librement consentis par quiconque dans le cadre des lois civiles et commerciales" (C.E, 20 octobre 1950, Stein)

DĂ©finition par contenu:

1- La possibilité pour l'administration contractante de résilier le contrat. T.C, 1967, Société du vélodrome du parc des princes. Mais pas en cas d'inexécution de certaines obligations. T.C. 1970, Commune de Comblanchien.

2- La possibilité pour l'administration contractante de diriger, surveiller ou contrÎler l'exécution de contrat. Coopérative agricole "La prospérité fermiÚre" C.E, 1963.

3- La possibilité pour le contractant avec l'administration de prélever directement des taxes. Mais ce n'est pas le cas si c'est l'administration qui le fait pour lui. C.E, 1986, SA de crédit à l'industrie Française (CALIF).

En guise de conclusion, notons ces quelques retournements de situation:

1= La question du régime exorbitant du droit commun a touché aux marchés publics avant qu'ils ne deviennent des contrats administratifs par détermination de l'article 2 de la loi du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractÚre économique et financier dite loi "MURCEF". Certains ont voulu conférer ce caractÚre pour la seule existence d'un cahier des charges. Mais le C.E, a refusé le caractÚre administratif aux contrats faisant référence à un cahier de charges sans clauses exorbitantes. T.C, 1999, Union des groupements d'achat publics.

2= Certains ont considéré alors que le régime particulier de passation des marchés publics ne suffisait pas à en faire des contrats administratifs. T.C, 5 juillet 1999, Commune de Sauve.

3= La loi est revenue à la charge pour clore le débat à peine ouvert: " les marchés passés en application du code des marchés publics ont le caractÚre de contrats administratifs" (article 2 de la loi du 11/12/2001, dite loi "MURCEF").

4= Retournement de situation dans la jurisprudence: "Un contrat de fourniture de pierres pour le revĂȘtement d'une place publique, semblable au marchĂ© de fourniture de pavĂ©s de l'affaire de granits porphyroĂŻdes a donc Ă©tĂ© reconnu administratif". (CAA Bordeaux, 14 septembre 2004)

5= Les contrats des personnes publiques non soumises au code des marchĂ©s tels les Ă©tablissements publics industriels et commerciaux de l'État demeurent assujettis au droit commun sauf s'ils font rĂ©fĂ©rence Ă  des clauses exorbitantes. Mais la clause n'est pas dĂ©terminante quand le contrat est conclu avec leurs agents ou leurs usagers. Voir GAJA, 17e Ă©dition, 2009, p. 147-148.

Le rĂ©gime exorbitant du droit commun est apprĂ©ciĂ© en fonction d'une "ambiance de droit public" (P.Weil, Le critĂšre du contrat administratif en crise, MĂ©langes Waline, p. 847). Ainsi le contrat est soumis Ă  des rĂšgles provenant d’un texte lĂ©gislatif et/ou rĂ©glementaire, applicables indĂ©pendamment de la volontĂ© des parties, et dĂ©rogeant au droit commun.

L'objet

Un contrat peut ĂȘtre administratif s'il est relatif Ă  l'organisation et Ă  l'exĂ©cution d'un service public (C.E. 20 avril 1956 Ă©poux Bertin) ou s'il en est une modalitĂ© permettant Ă  l'administration de le rĂ©aliser (CE, 8 octobre 2010, SociĂ©tĂ© HLM Un toit pour tous).

C'est le cas pour:

  • Les contrats de dĂ©lĂ©gation de service public (NĂ©anmoins ils sont administratifs par dĂ©termination de la loi en application des articles L1411-1 CGCT, L.6 et L1121-3 CCP, s'ils sont passĂ©s par une personne publique)
  • Les contrats d'embauche des agents non titulaires des personnes publiques exerçant un service public administratif, que l'agent participe ou non Ă  l'exĂ©cution du service public (T.C. 1996 Berkani contre CROUS)
  • les contrats conclus avec les usagers des services publics administratifs

Les contrats conclus pour la rĂ©alisation de travaux ou ouvrages d'art routiers conclus avant le 9 mars 2015 (T.C., 9 mars 2015, Madame Rispal contre Autoroutes du Sud de la France) sont toujours administratifs mĂȘme s'ils sont conclus entre deux personnes privĂ©es (TC, 8 juillet 1963, SociĂ©tĂ© Entreprise Peyrot).

Le régime du contrat administratif

L'exécution du contrat administratif

Dans l'exécution des contrats administratifs, l'administration dispose de divers privilÚges, qui ont parfois été expressément prévus mais qui ont aussi un caractÚre de droit commun, c'est-à-dire qu'ils existent en dehors de toute stipulation.

Les pouvoirs de l'administration

  • L'obligation est en principe personnelle pour la personne privĂ©e qui ne peut donc cĂ©der son obligation.
  • Le pouvoir de direction de l'exĂ©cution du contrat, se traduisant notamment par l'Ă©mission d'ordres de services (arrĂȘt Serrand, CE 22 avril 1996)
  • Le pouvoir de contrĂŽle de l'exĂ©cution du contrat
  • Le pouvoir de sanction en cas de faute
  • Le pouvoir de modification pour motif d'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, moyennant le respect de l'Ă©quilibre financier du contrat
  • Le pouvoir de rĂ©siliation pour motif d'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, moyennant indemnisation de son cocontractant

Les obligations du cocontractant

  • Le cocontractant est obligĂ© de dĂ©clarer ses sous-traitants que l'administration doit alors agrĂ©er. L'administration paie alors directement les sous-traitants agrĂ©Ă©s
  • Le cocontractant ne peut faire de cession de contrat sans autorisation de l'administration. Mais l'administration ne peut refuser la cession si le nouveau contractant proposĂ© est tout aussi capable que l'ancien

Le droit à une rémunération

Il se traduit par le droit au rĂšglement du prix ou de la redevance. Le Conseil d'État a ainsi jugĂ© dans une dĂ©cision du 29 septembre 2000, SociĂ©tĂ© DEZELLUS METAL INDUSTRIE, au Rec. CE, que « si le caractĂšre dĂ©finitif des prix stipulĂ©s Ă  un marchĂ© s'oppose en principe Ă  toute modification ultĂ©rieure de ces prix par l'une des parties, ce principe ne fait pas obstacle Ă  ce que l'une des parties obtienne, en cas de rĂ©siliation du contrat pour un motif autre que la faute du cocontractant de l'administration, le paiement des travaux qu'elle a rĂ©ellement exĂ©cutĂ©s ».

Le droit aux indemnités

L'indemnisation est due au cocontractant quand il y a une rupture de l'Ă©quilibre financier.

Cela peut provenir d'un fait intérieur à l'administration; c'est le cas du fait du prince.

Elle peut Ă©galement ĂȘtre due Ă  des Ă©vĂšnements extĂ©rieurs

Pour l'imprévision, l'indemnisation par l'administration se fait dans le but d'assurer la continuité du service public, mais aussi il y a ce que l'on appelle les sujétions imprévues qui sont des faits matériels entrainant une simple difficulté dans l'exécution du contrat. En cas de sujétion imprévue, l'administration doit indemniser partiellement son cocontractant pour permettre la continuité de l'exécution du contrat.

Le contentieux des contrats administratifs

Le contentieux s'exprime par divers recours possibles devant le juge administratif : le référé précontractuel, le contentieux contractuel et le recours pour excÚs de pouvoir.

Le référé précontractuel

Il est prĂ©vu par l'article L. 521-1 du code de justice administrative pour les marchĂ©s des pouvoirs adjudicateurs et par les dispositions de l'article L. 521-2 du mĂȘme code s'agissant des marchĂ©s passĂ©s par les entitĂ©s adjudicatrices.

Le référé précontractuel sanctionne le manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence par le pouvoir adjudicateur dans le cadre de la passation d'un contrat public.

Depuis l'arrĂȘt SMIRGEOMES du 3 octobre 2008, le Conseil d'État estime dĂ©sormais qu'une entreprise n'a d'intĂ©rĂȘt Ă  agir dans le cadre du rĂ©fĂ©rĂ© prĂ©contractuel qu'uniquement si elle se prĂ©vaut de "manquements qui, eu Ă©gard Ă  leur portĂ©e et au stade de la procĂ©dure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lĂ©sĂ©e ou risquent de la lĂ©ser, fĂ»t-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente". Le Conseil d'État a interprĂ©tĂ© de maniĂšre restrictive l'article L551-1 du Code de justice administrative sur la base duquel il Ă©tait possible pour une entreprise d'agir par le biais du rĂ©fĂ©rĂ© prĂ©contractuel alors mĂȘme qu'aucun manquement aux obligations de publicitĂ© et de mise en concurrence ne l'avait lĂ©sĂ©e. En rĂ©duisant le champ des personnes ayant intĂ©rĂȘt Ă  agir, le juge administratif poursuit le travail entrepris par la jurisprudence "SociĂ©tĂ© Tropic Travaux Signalisation" du 16 juillet 2007, le recours contre un contrat public s'Ă©carte du contentieux objectif.

Le juge des référés statue avant la conclusion du contrat, en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Pendant son délai pour statuer qui est de 20 jours, il peut suspendre la signature du contrat.

Le contentieux contractuel

Le juge du plein contentieux ne pouvait ĂȘtre saisi que par les parties. Depuis l'arrĂȘt SociĂ©tĂ© Tropic Travaux Signalisation du 16 juillet 2007, le contrat peut dĂ©sormais ĂȘtre attaquĂ© directement par les concurrents Ă©vincĂ©s.

Le juge administratif dispose dans ce cadre d'une large palette de pouvoirs : annulation totale ou partielle, réformation, indemnisation, etc.

Le juge du contrat

Le juge du contrat ne peut ĂȘtre saisi que par les parties au contrat ou depuis l'arrĂȘt Tropic par un concurrent Ă©vincĂ©. Et depuis 2014, avec l'arrĂȘt PrĂ©fet Tarn et Garonne, tous les tiers peuvent saisir le juge du contrat. Il dispose de larges pouvoirs, dont celui de constater les nullitĂ©s, d'indemniser les parties, etc.

Le référé contractuel

Issu de la transposition de la directive européenne (directive « Recours » du 11 décembre 2007) par l'ordonnance no 2009-515 du 7 mai 2009, le référé contractuel s'appliquera aux contrats de la commande publique pour lesquels une consultation aura été engagée à partir du .

Ce rĂ©fĂ©rĂ© est ouvert aux personnes ayant eu un intĂ©rĂȘt Ă  conclure le contrat et qui ont Ă©tĂ© susceptibles d'ĂȘtre lĂ©sĂ©es par un manquement aux obligations de publicitĂ© et de mise en concurrence. Une personne ayant exercĂ© un rĂ©fĂ©rĂ© prĂ©contractuel ne sera pas recevable Ă  exercer le rĂ©fĂ©rĂ© contractuel si le pouvoir adjudicateur a respectĂ© l'obligation de ne pas signer le contrat durant l'instance et s'est conformĂ© Ă  la dĂ©cision rendue sur ce recours prĂ©contractuel.

Le juge du rĂ©fĂ©rĂ© contractuel peut prononcer la suspension de l'exĂ©cution du contrat (avant la dĂ©cision au fond), prononcer la nullitĂ© du contrat, dĂ©cider de son abrĂšgement ou prononcer des pĂ©nalitĂ©s financiĂšres ne pouvant excĂ©der 20 % du montant hors taxes du contrat. Le juge est tenu de prononcer la nullitĂ© en cas de manquements graves aux obligations de publicitĂ© et de mise en concurrence, sauf raisons impĂ©rieuses d'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral.

Le recours en appréciation de la validité d'un contrat (jurisprudence Société Tropic Travaux Signalisation)

À la question qui lui Ă©tait soumise, Ă  savoir la recevabilitĂ© d’un tiers pour agir contre un contrat administratif, le Conseil d’État a longtemps rĂ©pondu nĂ©gativement.

En 2007, il est revenu sur cette jurisprudence ancienne et a dĂ©cidĂ© la crĂ©ation d’un nouveau recours pour certains tiers contre le contrat. Afin d’assurer l’efficacitĂ© de ce nouveau recours et la sĂ©curitĂ© juridique des cocontractants, le Conseil d’État a prĂ©vu la modulation dans le temps des effets de la jurisprudence. En effet, la jurisprudence Tropic Travaux n'a pas d'effet rĂ©troactif. Seuls les recours intentĂ©s par les concurrents Ă©vincĂ©s Ă  partir du 16 juillet 2007 seront valables.

L’assemblĂ©e du Conseil d’État ne franchit pas entiĂšrement le pas, tel que le proposait le rapporteur public, Ă  savoir ouvrir ce recours Ă  tous les tiers justifiant d’un droit lĂ©sĂ©. La mention de « concurrent Ă©vincĂ© » conduit Ă  exclure les usagers du service public, les contribuables, les membres des assemblĂ©es dĂ©libĂ©rantes locales, qui pourtant, du fait de leur position, peuvent avoir intĂ©rĂȘt Ă  agir contre le contrat administratif. Pour attaquer le contrat, il reste Ă  ces autres tiers la voie classique, celle de l’acte dĂ©tachable.

Cette restriction de l’ouverture du recours aux « concurrents Ă©vincĂ©s » s’explique dans la mesure oĂč le Conseil d’État considĂšre que le litige qui lui est soumis est un litige entre candidats Ă  un marchĂ©. Autrement dit que c’est un moyen d’appliquer le principe d’égalitĂ© devant la commande publique. Cependant, la jurisprudence pourra Ă©voluer Ă  l’avenir, en adoptant une dĂ©finition plus extensive du tiers ayant intĂ©rĂȘt Ă  agir. Elle l’a dĂ©montrĂ© par le passĂ©.

Le « concurrent évincé » peut former devant le juge du contrat un « recours de pleine juridiction, contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses qui en sont divisibles, assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires ».

Pour tempĂ©rer les ardeurs contentieuses de tout « concurrent Ă©vincĂ© », le Conseil d’État en consacrant la nouvelle voie de recours a, dans un souci d’équilibre, ajoutĂ© des conditions qui tĂ©moignent de son souci de ne pas porter une atteinte excessive Ă  la stabilitĂ© des relations contractuelles.

En effet, la recevabilitĂ© du recours ne lui est plus possible contre les actes prĂ©alables dĂ©tachables du contrat. En contrepartie de l’ouverture du nouveau recours offert au « concurrent Ă©vincĂ© », celui-ci perd le droit au recours existant auparavant et qui persiste pour les autres tiers. Cela permet de protĂ©ger le recours et de ne pas donner Ă  ces requĂ©rants deux voies de recours contre un seul et mĂȘme contrat. Le Conseil d'État a conjuguĂ© respect du droit au recours et impĂ©ratif de sĂ©curitĂ© juridique.

La mention de « concurrent Ă©vincĂ© » conduit Ă  Ă©carter les contrats administratifs non soumis Ă  concurrence. Ainsi la jurisprudence SociĂ©tĂ© Tropic Travaux Signalisation s’appliquerait alors principalement aux marchĂ©s publics et dĂ©lĂ©gations de service public, voire Ă  l’ensemble du champ de la commande publique.

Le recours exclusivement indemnitaire (jurisprudence Société Rebillon Schmit Prevot)

Par un jugement avant dire droit du 22 fĂ©vrier 2011, le Tribunal Administratif de Cergy-Pontoise a saisi le Conseil d'État d'une demande d'avis contentieux sur la question de savoir si les conclusions indemnitaires d'un concurrent Ă©vincĂ© doivent ĂȘtre prĂ©sentĂ©es dans le dĂ©lai de recours de deux mois dans le cadre d'un recours "Tropic".

Suivant les conclusions du rapporteur public, l'avis contentieux du Conseil d'État du 11 mai 2011, SociĂ©tĂ© Rebillon Schmit Prevot (RSP), no 347002, va au-delĂ  de la question posĂ©e en apportant plusieurs prĂ©cisions sur les demandes indemnitaires.

Le concurrent évincé peut présenter des conclusions indemnitaires à titre accessoire ou complémentaire à ses conclusions à fin de résiliation ou d'annulation du contrat dans le cadre d'un recours "Tropic".

Le concurrent évincé "peut également engager un recours de pleine juridiction distinct, tendant exclusivement à une indemnisation du préjudice subi à raison de l'illégalité de la conclusion du contrat dont il a été évincé".

Qu'il s'agisse d'un recours de plein contentieux "Tropic" en contestation de la validité du contrat ou d'un recours de plein contentieux "RSP" exclusivement indemnitaire, la présentation de conclusions indemnitaires par le concurrent évincé n'est pas soumise au délai de deux mois mais est en revanche soumise, selon les modalités du droit commun, à l'intervention d'une décision préalable de l'administration de nature à lier le contentieux, le cas échéant en cours d'instance.

La jurisprudence Tarn et Garonne du 4 avril 2014

Le Conseil d'État, par un arrĂȘt Tarn et Garonne du 4 avril 2014, a mis un terme Ă  la jurisprudence Martin en ouvrant aux tiers le recours de plein contentieux contre le contrat. La juridiction vient donc Ă©largir le recours Tropic tout en l'amendant.

Plusieurs éléments constituent une véritable rupture avec la jurisprudence Tropic

  • Ce recours de plein contentieux est ouvert contre tous les contrats administratifs et plus seulement contre les contrats Ă  procĂ©dure (comme le suggĂ©rait le terme de "concurrent Ă©vincĂ©" dans l'arrĂȘt SociĂ©tĂ© Tropic de 2007). Se pose dĂšs lors la question du maintien de la spĂ©cificitĂ© contentieuse des contrats de recrutement des agents publics
  • Les tiers peuvent former un tel recours. NĂ©anmoins, l'arrĂȘt Tarn et Garonne rĂ©duit la catĂ©gorie des justiciables potentiels en prĂ©cisant qu'il doit s'agir de tiers susceptibles d'ĂȘtre lĂ©sĂ©s, de maniĂšre suffisamment directe et certaine, dans leurs intĂ©rĂȘts par la passation du contrat administratif ou par une de ses clauses.
  • Enfin, l'arrĂȘt opĂšre une rĂ©organisation de l'arrĂȘt Tropic en prĂ©cisant que ces tiers ne peuvent se prĂ©valoir que de manquements ayant un rapport direct avec l'intĂ©rĂȘt lĂ©sĂ© invoquĂ©.

Le recours pour excĂšs de pouvoir

Le recours pour excÚs de pouvoir n'est en principe ouvert que pour les actes administratifs unilatéraux.

Il a néanmoins été admis par la jurisprudence pour les actes détachables des contrats (C.E. 4 août 1905 Martin), dont la décision de signature du contrat ou encore les délibérations ayant autorisé cette signature.

Le recours pour excÚs de pouvoir contre les contrats a été ensuite étendu dans plusieurs cas :

  • En premier lieu par le dĂ©fĂ©rĂ© prĂ©fectoral instituĂ© par la loi du 2 mars 1982, qui permet au prĂ©fet de dĂ©fĂ©rer les contrats au juge administratif. Dans l’arrĂȘt CE, 4 novembre 1994, DĂ©partement de la Sarthe, le Conseil d’État a estimĂ© que des actes non soumis Ă  obligation de transmission pouvaient Ă©galement ĂȘtre dĂ©fĂ©rĂ©s Ă  la censure du juge.
  • Dans l’arrĂȘt CE, 10 juillet 1996, Cayzeele, par la thĂ©orie dite de l’acte mixte, un tiers a Ă©tĂ© admis Ă  demander directement l’annulation des clauses rĂ©glementaires se dĂ©tachant du reste du contrat.
  • L’arrĂȘt CE, 30 octobre 1998, Ville de Lisieux, ouvre la possibilitĂ© Ă  un tiers ayant un intĂ©rĂȘt suffisant de contester directement le contrat de recrutement d’agents non titulaires de la fonction publique par le biais du recours pour excĂšs de pouvoir car le contrat est alors trĂšs proche du recrutement d'un fonctionnaire qui est un acte unilatĂ©ral. L'arrĂȘt du 4 avril 2014 DĂ©partement de Tarn et Garonne en permettant Ă  tout tiers justifiant d'un intĂ©rĂȘt lĂ©sĂ© par un contrat administratif d'introduire un recours de plein contentieux devant le juge du contrat laissait planer un doute sur le sort de la jurisprudence Ville de Lisieux. Le Conseil d’État, dans un arrĂȘt du 2 fĂ©vrier 2015, Castronovo c/ Commune d'Aix en Provence no 373520 rappelle cependant que le recours des tiers contre les contrats de recrutement des agents publics sont des recours pour excĂšs de pouvoir. Selon la jurisprudence Tarn et Garonne, peuvent introduire un recours de plein contentieux les tiers justifiant d'un intĂ©rĂȘt lĂ©sĂ© par un contrat. La jurisprudence Ville de Lisieux permet Ă  tout tiers justifiant d'un intĂ©rĂȘt suffisant d'introduire un recours pour excĂšs de pouvoir. Si les pouvoirs du juge sont plus limitĂ©s en matiĂšre de recours pour excĂšs de pouvoir, le maintien de la jurisprudence Ville de Lisieux permet d'Ă©viter une restriction de l'intĂ©rĂȘt Ă  agir.

Notes et références

  1. Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics : Article 3 (lire en ligne)
  2. Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics : Article 67 (lire en ligne)
  3. Ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession : Article 3 (lire en ligne)
  4. Code général de la propriété des personnes publiques : Article L2331-1 (lire en ligne)
  5. « Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 4 octobre 2017, 16-21.693 », sur Legifrance.gouv.fr
  6. « Loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractÚre économique et financier (MURCEF) (1) », sur Legifrance.gouv.fr

Voir aussi

Bibliographie

  • Bernard Asso, FrĂ©dĂ©ric Monera, Julia Hillairet et Alexandra Bousquet, Contentieux administratif, Levallois-Perret, Studyrama, , 463 p. (ISBN 2-84472-870-7)
  • RenĂ© Chapus, Droit du contentieux administratif, Paris, Montchrestien, , 12e Ă©d. (ISBN 978-2-7076-1441-4)
  • M. Long, P. Weil, G. Braibant, P. DelvovĂ© et B. Genevois, Les Grands ArrĂȘts de la jurisprudence administrative, Paris, Dalloz, , 16e Ă©d. (ISBN 978-2-247-07424-2)
  • Jean-Claude Bonichot, Paul Cassia et Bernard Poujade, Les Grands ArrĂȘts du contentieux administratif, Paris, Dalloz, , 1re Ă©d., 1182 p. (ISBN 978-2-247-07095-4)

Articles connexes

Liens externes

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