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Armistice de Villa Giusti

L’armistice de Villa Giusti met fin aux combats de la Première Guerre mondiale entre l'empire austro-hongrois et les alliés. Il est signé à la villa Giusti, située à Mandria près de Padoue en Italie, le 3 novembre 1918 à 15 heures, avec effet le 4 novembre à 15 heures, alors que les combats de la bataille de Vittorio Veneto faisaient encore rage. Comme tout armistice, il suspend les combats, mais l’état de guerre ne cessera qu'avec les traités de paix : Saint-Germain-en-Laye (10 septembre 1919) avec la République autrichienne et de Trianon (4 juin 1920) avec la République hongroise. Il préfigure cependant ces traités car il met l'empire hors d'état de reprendre la lutte et met de facto les territoires que les alliés revendiquaient sous leur contrôle.

B&W newspapers
première page de journaux américains du 4/11/1918

Il ne prévoit pas la désintégration de l'empire, qui a déjà commencé avec la proclamation d'indépendances de plusieurs provinces fin octobre, mais qui n'était pas un but de guerre des alliés. Ils s'adapteront en signant un armistice supplémentaire avec le représentant des Hongrois Mihály Károlyi, la convention de Belgrade (en), le 13 novembre.

L'armistice de Villa Giusti fait de l'Allemagne le dernier pays combattant encore les alliés, et de surcroit il prévoit notamment que le territoire autrichien pourra servir de voie d'attaque aux alliés, ce qui aggrave la situation militaire déjà désespérée des allemands. Dès le lendemain, 5 novembre, ils demandent à leur tour un armistice qui sera celui du 11 novembre.

Contexte

Victoire alliée en vue

L'offensive du printemps 1918 était la dernière chance des allemands pour gagner la guerre, après avoir repositionné sur le front français les troupes libérées du front russe, et avant que les américains qui arrivent alors en masse (à raison de 300 000 hommes par mois) forment réellement une force combattante opérationnelle (ces recrues doivent être équipées et formées). Cette offensive fût un échec, et depuis le Reich recule en France. L'armée allemande tient encore, mais elle est au bord de la rupture.

Avec l'écroulement des bulgares, la situation est devenue franchement désespérée et les « dioscures », qui de facto dirigent l'Allemagne, ont décidés, le 28 septembre, d'imposer aux civils la responsabilité de rechercher une paix de défaite, à la conférence de Spa (29 septembre 1918). Ce qui s'est traduit notamment par une note en ce sens envoyée au américains le 4 octobre et à laquelle les autrichiens se sont associés.

Épuisement austro-hongrois

L’Autriche-Hongrie, comme l'Allemagne et tout l'est de l'Europe, souffre de la faim. Les écroulements russe et roumain ont libéré l'armée austro-hongroise des combats sur ces fronts, mais n'ont pas permis d'élargir les approvisionnements alimentaires de l'empire ; le « pain ukrainien » que la propagande fait espérer est en réalité absent des assiettes. Les pénuries alimentaires touchant les civils incitent les autorités de chaque région de l’Autriche-Hongrie à conserver sous leur autorité les stocks de nourriture disponibles, ce qui, en plus d’affaiblir l’armée, accélère la décomposition politique en constituant des régions économiquement autonomes de facto[1].

L'industrie militaire de l'empire est également insuffisante, de sorte que les troupes austro-hongroises, en plus de souffrir de sous-alimentation chronique, ne sont pas suffisamment ravitaillées en armes et en munitions. Et comme tous les belligérants, mais peut-être plus que les autres, l'empire manque de soldats, ce qui se traduit par trop peu de relève et de permissions. Le tout se traduisant par un moral et une combativité des soldats réduits[2].

Sur le front italien, l’échec sur le Piave en [3], a démontré que depuis le désastre italien de Caporetto l'armée italienne s'est entièrement remise et même renforcée, pendant qu'au contraire les unités austro-hongroises ont décliné jusqu'à un très mauvais état. La marine austro-hongroise est bloquée dans ses ports, et l'aviation militaire italienne domine au point de se permettre de lâcher des tracts sur Vienne.

Sur le front balkanique, les forces serbes et françaises commandées par Louis Franchet d'Espèrey ont percé, mis la Bulgarie hors de combat, et progresse irrésistiblement, à une vitesse inouïe depuis 1914, vers Belgrade, le Danube, et même Vienne[3].

Effondrement des fronts austro-hongrois

Depuis le 14 septembre 1918, une offensive de rupture alliée dans les Balkans perce le front d'Orient, essentiellement tenu par les Bulgares. Le gouvernement bulgare demande l’armistice, signé à Thessalonique le 29 septembre 1918. Conformément aux clauses de cet accord, les troupes bulgares se retirent à l’intérieur des frontières bulgares de 1913. Le front des puissances centrales en Macédoine ainsi que la participation ottomane au conflit[4] sont ainsi compromis. Dans l’urgence, une ligne de défense est mise en place en Serbie centrale à partir de la mi-octobre, mais l’armée austro-allemande, qui la tient, se montre incapable d’arrêter la remontée des unités franco-serbes vers Belgrade[5].

Parallèlement, à partir du 24 octobre, une offensive italienne balaie les lignes austro-hongroises en Italie alors que les unités hongroises sont retirées du front italien, pour être déployées dans les Balkans, et que l’Autriche-Hongrie entre dans la phase finale de sa dislocation[6] - [7]. Après trois jours de résistance austro-hongroise, les unités alliées engagées en Italie établissent des têtes de pont sur la rive droite du Piave en exploitant la percée en profondeur du dispositif austro-hongrois en Italie[8].

Dislocation de l'Autriche-Hongrie.

Dislocation politique austro-hongroise

Depuis juillet, les succès des Alliés et les échanges de notes diplomatiques avec l’Autriche-Hongrie qui s’ensuivent, accélèrent le processus de dislocation politique en faisant « sauter le cadre de la monarchie », selon Stephan Burián von Rajecz, alors ministre des affaires étrangères austro-hongrois[9]. Le président américain, Woodrow Wilson, reconnaît officiellement le 21 octobre le droit des peuples qui composent l’Autriche-Hongrie à organiser à leur guise leur cadre politique, et à la rentrée parlementaire, le Parti social-démocrate autrichien annonce reconnaître le droit des peuples à l'indépendance. Cela incite les représentants des peuples de l’Empire, regroupés à partir du en sept « conseils nationaux Â», à radicaliser leurs revendications en passant de l’autonomisme à l’indépendantisme[1].

Au nord, les trois premiers « conseils nationaux » à proclamer leur sécession sont ceux des sujets slaves de la partie autrichienne de la « double-monarchie » : Polonais de Galicie occidentale et Tchèques de Bohême-Moravie le 28 octobre, auxquels se joignent dès le lendemain les Slovaques, alors sujets de la partie hongroise de l’Empire : ainsi naît la première république tchécoslovaque, tandis que les Ruthènes de Galicie orientale y proclament le 1-er novembre une république populaire d'Ukraine occidentale. De son côté, le 16 novembre, le « Conseil national » des Magyars constitue, par la révolution des Asters, la toute nouvelle république démocratique hongroise désormais indépendante, qui s'oppose à la sécession des Slovaques et, à partir du 19 novembre, à celle des Ruthènes de Hongrie[10].

Les trois autres « conseils nationaux » en voie de sécession sont : à l’ouest, le 22 novembre, celui des Autrichiens germanophones qui souhaitent rejoindre la république de Weimar (à l’exception de ceux du Vorarlberg qui eux, souhaitent rejoindre la Suisse[11]) ; au sud, le 29 octobre, celui des Slaves méridionaux ou « Yougo-Slaves » souhaitant s’unir à la Serbie, et à l’est, le 28 novembre 1918, celui des Roumains transylvains alors sujets de la partie hongroise de l’Empire et bucoviniens alors sujets de la partie autrichienne de l’Empire, qui proclament le 1-er décembre 1918 leur union avec la Roumanie[10].

Implications de la dislocation pour l'armistice

Face à ces tendances centrifuges, l’armistice de Villa Giusti sera écrit comme si l'empire existait toujours, les nouveaux états n'étant pas encore reconnus. Cela ne posera de problème qu'avec la Hongrie, qui se considèrera comme nouvellement indépendante avant l'armistice de Villa Giusti et donc non concernée par elle, alors que certaines clauses la concernent. Prenant acte de cette situation le Français Louis Franchet d’Espèrey signera avec le Hongrois Mihály Károlyi la convention de Belgrade le 13 novembre. Cette convention disloquera de facto la partie hongroise de la « double-monarchie » et l'ampute des deux tiers, au profit de la Tchécoslovaquie, de la Roumanie et de l’État des Slovènes, Croates et Serbes, en lui imposant de tenir compte de leurs indépendances proclamés en application du dixième des « quatorze points de Wilson »[12]. La traduction de jure de ces points sera faite par le traité du Trianon.

Négociations

L'armistice a été signé autour de cette table.

Composition des délégations

Le 31 octobre 1918, une délégation austro-hongroise est invitée à se présenter au haut-commandement italien pour négocier l'armistice avec les Alliés. Elle est formée par sept représentants de l’empereur Charles d’Autriche :

  • Général Viktor Weber Edler von Webenau
  • Oberst Karl Schneller (de)
  • Fregattenkapitän Johannes Prinz von und zu Liechtenstein
  • Oberstleutnant J.V. Nyékhegyi
  • Korvettenkapitän Georg Ritter von Zwierkowski
  • Oberstleutnant i.G. Victor Freiherr von Seiller (de)
  • Hauptmann i.G. Camillo Ruggera (it).

Propriété du comte Giusti, sénateur d’Italie, la villa Giusti, située aux environs de Padoue, servait de résidence et poste de commandement au roi Victor-Emmanuel III et à son État-major depuis 1917. Le roi était représenté par :

Ces quatorze personnes furent les signataires de l’armistice[13].

Clauses

Le texte est bref, huit clauses terrestre et onze clauses navales, auxquelles il faut ajouter un protocole annexe plus détaillé à peine plus long. La plupart des clauses ne font qu'une phrase, parfois deux ; l'exception est la clause fixant la ligne derrière laquelle les forces austro-hongroises doivent se retirer, contenant une longue liste de lieux.

  1. fin des combats.
  2. démobilisation totale et retour de toutes les unités en service entre la Suisse et la mer du nord. Armée réduite à 20 divisions dans leur état du temps de paix. Livraison, sans destruction, de la moitié de l'artillerie.
  3. évacuation des territoires occupés et, en plus, des territoires au sud de la ligne crète des Alpes, ainsi que de la côte dalmate. Abandon (sans le détruire) du matériel dans la zone évacuée, et interdiction d'y procéder à des réquisitions .
  4. mise à disposition du territoire et des réseaux de transport ferrés et fluviaux afin de permettre l'attaque de l'Allemagne. Possibilité pour les alliés de réquisitionner (contre paiement) les moyens pour ce faire.
  5. libération immédiate des prisonniers de guerre fait par l'empire et des civils internés, sans réciprocité.
  6. expulsion des troupes allemandes de tous les territoires austro-hongrois, avec seulement leur armement de base, à réaliser sous 15 jours. Internement de toutes les troupes germaniques encore présentes au terme du délai.
  7. administration provisoire des territoires austro-hongrois évacués par les autorités locales, sous le contrôle des troupes d'occupation alliées et associées.
  8. les malades et blessés austro-hongrois non transportables dans la zone évacuée resteront aux soins du personnel médical austro-hongrois laissé derrière à cet effet.

Les clauses navales comprennent essentiellement : une entière liberté de mouvement (militaire et marchande) dans les eaux maritimes de l'empire et celle du bassin du Danube, et le droit, le cas échéant, de détruire toutes les défenses gênantes ; la possibilité d'utiliser les bases navales et ce qu'elles contiennent ; la livraison en état de marche d'une force navale importante (quinze sous-marins, trois cuirassés, etc.) ; et la concentration et le désarmement complet du reste de la flotte ainsi que de tout bâtiment allemand s'y trouvant. En pratique, l'armistice réduit à néant la K.u.K. Kriegsmarine.

On peut noter que la rédaction implique que l'empire austro-hongrois existe toujours, et qu'il a toujours un espace maritime en méditerranée. Sa marine est anéantie, mais on lui laisse une armée très significative, 20 divisions. En pratique, toutefois, la défaite désastreuse à la bataille de Vittorio Veneto, à laquelle l'armistice met fin, a quasiment anéanti l'armée. Même si certains comme Svetozar Borojević von Bojna ont envisagé de l'utiliser à des fin de politique intérieure, pour reprendre le pouvoir et rétablir l'ordre dans l'empire, il n'y aura pas de suite, la décomposition de l'empire étant déjà trop avancée. Les alliés prendront acte de cette décomposition très vite, en signant un autre armistice avec la Hongrie nouvellement indépendante : la convention de Belgrade. Celle ci oblige notamment la Hongrie à évacuer des territoires qui en dépendait et qui ont pris leur indépendance : Slovaquie, Transylvanie, etc.

L'armistice livre aux alliés un territoire important, mais ne règle pas les partages entre eux, ce qui conduira à des affrontements entre les italiens et des partisans des territoires de la future Yougoslavie.


Désaccords entre Alliés

À mesure que l’armée austro-hongroise se retirait et était démobilisée, des désaccords apparurent entre l’État des Slovènes, Croates et Serbes et l’Italie au sujet de leur future frontière commune[13] :

  • le premier revendiquait l’ensemble des territoires peuplés par des Slaves du Sud, Dalmatie et Istrie entières ainsi que Trieste inclus ;
  • l’Italie revendiquait, conformément à son idéal irrédentiste, les territoires, pour la plupart anciennement vénitiens, où vivaient des minorités italiennes et qui lui avaient été promis par le pacte de Londres de 1915 : Trieste, l’Istrie entière et une partie de la Dalmatie (la moitié des îles et un large territoire continental autour de la ville de Zara).

La solution médiane qui sera finalement adoptée après la guerre ne satisfera ni les uns, ni les autres : l’Italie n’eut que trois îles dalmates (Cherso, Lussino, Lagosta et leurs petites « Ã®les-satellites Â») et la ville de Zara sans territoire adjacent ; le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes n’eut ni Trieste, ni la moitié slave (orientale) de l’Istrie, et dut même renoncer au quart occidental de la Slovénie au profit de l’Italie, qui finit aussi par annexer Fiume en 1924[14].

Notes et références

Notes

    Références

    1. Renouvin 1934, p. 631.
    2. Bled 2014, p. 383.
    3. Bled 2014, p. 382.
    4. Bled 2014, p. 401.
    5. Bled 2014, p. 402.
    6. Renouvin 1934, p. 634.
    7. Bled 2014, p. 411.
    8. Bled 2014, p. 412.
    9. Renouvin 1934, p. 633.
    10. Renouvin 1934, p. 632.
    11. (en) Alfred D. Low, The Anschluss Movement, 1918-1919, and the Paris Peace Conference, 1985 p. 350.
    12. Miklós Molnar, Histoire de la Hongrie, Hatier, 1996, p. 329
    13. Renouvin 1934, p. 639.
    14. Luigi Tomaz, Il confine d'Italia in Istria e Dalmazia : duemila anni di storia, Presentazione di Arnaldo Mauri, ed. Think ADV, Conselve 2008.

    Voir aussi

    Bibliographie

    Articles connexes

    Liens externes

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