Alfred Lang-Willar
Alfred Lang-Willar est un homme d'affaires international et une personnalité du Tout-Paris, né le à Bâle (Suisse) et mort dans des circonstances tragiques le à Veroli (Italie).
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Suzanne Picard (d) |
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Robert, Jean-Pierre, Claudine |
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Distinction |
Sa disparition avec son épouse dans un accident d’avion, quelques jours après avoir survécu au naufrage du paquebot Georges Philippar, au cours duquel leur ami le journaliste Albert Londres trouva la mort, a donné lieu à de nombreuses théories du complot.
Biographie
Origines
Alfred Lang-Willar est le descendant d'une famille juive française présente en Alsace depuis des siècles[alpha 1]. Son père, Benoit Lang, est originaire de Sierentz. Sa mère, Sophie Willar, est née à Epfig. Il est le neveu de Léopold Louis-Dreyfus, fondateur du groupe du même nom[alpha 2]. En 1915, il épouse la jeune Suzanne Picard, fille d'un horloger suisse de La Chaux-de-Fonds, qui lui donne trois enfants.
Carrière
Au tout début du XXe siècle, Alfred Lang-Willar a 25 ans. Il est déjà le bras droit de son oncle Léopold, puis de son cousin germain Louis Louis-Dreyfus qui lui confie la direction du principal comptoir du groupe éponyme, à Buenos Aires[alpha 3]. Il devient président de la chambre de commerce française en Argentine[1]. Dans les premiers jours de la Grande Guerre, les deux cousins sont brièvement soupçonnés, sur la base d'un dossier secret visant des échanges de télégrammes, d'avoir fourni des denrées et des chevaux aux Allemands. Mais ils sont lavés de tout soupçon après une enquête diligentée par la Chambre des députés[2] qui conclut que « la section du contrôle télégraphique a, par légèreté, imprévoyance et ignorance, jeté sur une maison honorable une suspicion injustifiée ».
En réalité, depuis l'Argentine qu'il a regagnée en 1916, Alfred Lang-Willar contribue activement à l'approvisionnement de la France pendant la Première Guerre mondiale[3]. Il fait partie de la commission interalliée de ravitaillement des nations alliées et de la Royal Commission of Wheat Supplies, sous la présidence de Sir Herbert Gibson. Membre du Comité patriotique, il organise l'Exposition de guerre de 1917 à Paris et Buenos Aires. Il fonde avec Paul Doumer l'association France - Amérique latine, dont il devient vice-président[4]. En reconnaissance de ses services, il est fait chevalier de la Légion d'honneur en 1921[5].
Revenu en France dans les années 1920, il quitte ses fonctions dans le groupe Louis-Dreyfus et devient une personnalité en vue du Tout-Paris. Ami d'Anatole France comme de René Viviani, il fréquente les cercles littéraires et politiques. Il est nommé administrateur de nombreuses sociétés, dont la compagnie Gaumont[6]. Ses pur-sang s'alignent à Longchamp comme à Deauville[7]. Chaque été, sa femme et lui sont les personnalités en vue de Saint-Jean-de-Luz[8].
Mais atteint par la crise de 1929, Alfred Lang-Willar doit reprendre le « harnais » de l'entreprise Louis-Dreyfus. Son cousin Louis le charge de développer le marché du soja à Kharbine, en Mandchourie. Laissant leurs trois enfants à Paris, les époux Lang-Willar se rendent en Chine fin 1931. Ils arrivent à Shanghai quelques jours avant l'attaque japonaise du 28 janvier 1932. Le grand reporter Albert Londres, avec qui ils sont amis depuis qu’ils se sont connus en Argentine, a fait lui aussi le voyage de Chine. Il y prépare une enquête qu’il présente au couple comme devant constituer le sommet de sa carrière. Tout en vaquant à leurs affaires, les Lang-Willar aident le journaliste à pénétrer certains milieux et l'accompagnent à Moukden, dans sa tournée des états-majors. S'étant aventurés vers Chapéï, faubourg de Shanghai, sous les bombardements, les Lang-Willar sont capturés par des bandes armées et condamnés à mort[9]. Ils parviennent à s'échapper à la faveur des combats. Ils décident alors de ne plus tenter le destin et de rentrer en France.
Mort
Fin avril 1932, Alfred et Suzanne Lang-Willar embarquent à Shanghaï à bord du Georges Philippar, luxueux bateau des Messageries maritimes qui revient de son voyage inaugural. À bord, ils retrouvent Albert Londres, qui rentre en France et profite de la traversée pour mettre la dernière main à son reportage sur la Chine : une enquête explosive sur les trafics d'opiums et d'armes et l'immixtion bolchévique dans les affaires sino-japonaises. À bord du paquebot, les époux Lang-Willar sont ses seuls confidents. Tous les soirs, ils dînent avec le grand reporter et se font lire des passages entiers de son enquête. Le dans la nuit, réunis sur la terrasse de leur cabine, « ils partagent un toast à la fortune littéraire assurée d'une enquête où le grand journaliste a dépensé toute son âme »[10].
Le vers 2 h du matin, au large d'Aden, le Georges Philippar est la proie des flammes. Bloqué dans sa cabine, cherchant à sauver ses précieux documents, Albert Londres meurt dans l'incendie, comme cinquante-quatre autres passagers. Les Lang-Willar en échappent en se jetant à l'eau. Ils sont recueillis par un navire soviétique, le Sovetzkaya Neft[11]. Pressés de retrouver leurs enfants à Paris, ils prennent un avion anglais de l'Imperial Airways qui fait la liaison Port-Saïd - Brindisi. Le journal l'Excelsior, souhaitant recueillir en exclusivité leur témoignage sur le naufrage et leurs confidences sur l'enquête d'Albert Londres, affrète un avion Farman F.190 piloté par deux as de l'aviation, Marcel Goulette et Lucien Moreau. L'avion vient chercher les Lang-Willar à Brindisi le . Il décolle malgré les mauvaises conditions météo. Il percute les monts Ernici près du village de Veroli, au lieu-dit « La Femme morte ». Les quatre occupants sont tués sur le coup[12]. Les secours, cheminant dans un paysage montagneux et hostile, mettent deux jours pour atteindre le lieu de l'accident. Les obsèques des Lang-Willar ont lieu le au cimetière de Passy[13] - [14]. Leur destin reste pendant des semaines à la une des journaux français. Il en est à nouveau question en 1934 lorsque des receleurs tentent d’écouler à Lyon des bijoux Van Cleef et Arpels ayant appartenu à Suzanne Lang-Willar, bijoux volés sur les lieux de l’accident[15].
Théories complotistes
Avant la disparition tragique des Lang-Willar, l'incendie du Georges Philippar avait déjà fait naître toutes sortes de spéculations. Comment un navire aussi moderne, fleuron de la marine française, pouvait-il avoir été, en aussi peu de temps, la proie des flammes ? L'hypothèse d'un sabotage est sur toutes les lèvres. Le bateau soviétique qui se trouvait à proximité, et venu ensuite secourir les naufragés, alimente les théories conspirationnistes de la presse de droite ou d'extrême droite. Sur sa une, Le Figaro dénonce un complot communiste[16]. Le journal Cyrano s'empare des origines suisses de Mme Lang-Willar, qui sous la plume de son journaliste deviennent des origines russes. Elle est soupçonnée d'avoir émis des messages radios depuis le navire soviétique à bord duquel le couple a été secouru, messages dont elle aurait détruit la trace. Il n'en faut pas plus à une certaine presse pour la suspecter d'être un agent soviétique. Le Petit Marseillais voit dans les époux Lang-Willar « des personnes plus qu'énigmatiques »[17]. D'autres imaginent derrière cette catastrophe la main des triades ou de terroristes indochinois cherchant à faire disparaître Albert Londres, au motif qu'il préparait des révélations explosives sur leur compte. Mais une enquête ordonnée par le gouvernement français sur les circonstances de l'incendie fait justice de toutes ces rumeurs, le feu étant finalement attribué à une mauvaise conception du circuit électrique du navire.
L'accident d'avion des Lang-Willar, neuf jours seulement après la catastrophe du Georges Philippar, alimente de nouvelles rumeurs, parfois en contradiction avec les précédentes. Comment croire à tant de hasard ? Comment Marcel Goulette, cet as de l'aviation, auteur de nombreux records[18], habitué à naviguer dans les circonstances les plus difficiles, aurait-il pu abîmer son appareil au cours d'un vol a priori aussi simple ? Depuis Brindisi, Alfred Lang-Willar avait câblé à l'Excelsior qu'il était le dépositaire des secrets d'Albert Londres. De là , à imaginer qu'on ait voulu le faire taire lui aussi, il n'y a qu'un pas que certains n'hésitent pas à franchir, comme le rappellent la biographie de Pierre Assouline sur Albert Londres ou le livre de Jean-Paul Ollivier sur le Georges Philippar. La vérité est probablement plus prosaïque : pressé de regagner Paris par ses commanditaires de l'Excelsior, le pilote aurait pu décider de défier les exécrables conditions météorologiques qui régnaient ce jour-là sur les Apennins.
Le destin des Lang-Willar a été plusieurs fois évoqué dans la littérature. Outre les ouvrages précités de Pierre Assouline et Jean-Paul Ollivier, Régis Debray a écrit un scénario dont ils sont les personnages clés, mais qui fait la part belle à une vision complotiste.
Descendance
Claudine, fille d’Alfred et Suzanne Lang-Willar, épouse Marc Najar, grand négociant international de matières premières[19]. Elle périt avec son mari et deux de ses enfants dans un accident d’avion privé le .
Jean-Pierre Lang-Willar, fils cadet d’Alfred et Suzanne, un temps associé de son beau-frère Marc Najar, se distingue lui aussi par une réussite remarquable dans le commerce international du blé et du café. La vie aventureuse de Marc Najar et de Jean-Pierre Lang-Willar dans les années 1950 est racontée par le journaliste et écrivain Dan Morgan dans son livre Les Géants du grain[20].
Alfred et Suzanne Lang-Willar sont les arrière-grands-parents du chanteur Raphael. Dans un portrait que lui consacre Le Monde en 2015, l'artiste évoque « la ligne de faille sur trois ou quatre générations », ouverte par leur tragique destin[21].
Notes et références
Notes
- La présence des Lang en Alsace est attestée depuis le rattachement de cette province au royaume de France, au XVIIe siècle. L'arrière-grand-père d'Alfred, Baruch Lang, fut l'un des 111 délégués à l'assemblée des notables juifs de l'Empire, réunie par Napoléon à Paris en 1806.
- En 1860, Léopold Louis-Dreyfus avait épousé Émilie Lang, tante d'Alfred Lang-Willar. Dès avant ce mariage, les familles Louis-Dreyfus et Lang avaient un ancêtre commun, Isaac Dreyfus, préposé des juifs de Sierentz.
- L'Argentine représente 23 % du commerce mondial des céréales dans les années 1910. Le blé argentin devient indispensable aux puissances alliées, quand en 1917 la révolution prive l'Europe des blés de Russie et d'Ukraine ; voir sur ce point l’histoire de la culture des céréales.
Références
- A. Magne, « France-Amérique latine »,Le Gaulois, , p. 4 lire en ligne sur Gallica. « Les ressources de l'Argentine et l'expansion française », Le Petit Parisien, , p. 2 lire en ligne sur Gallica.
- Rapport de la commission parlementaire du , Journal Officiel, numéro 5749, annexe au PV de la séance.lire en ligne sur Gallica.
- Voir la biographie dans l'Intransigeant du .
- Voir l'Excelsior, .
- Voir le journal Comoedia, , rubrique Échos.
- Sa nomination aux côtés de Léon Gaumont est annoncée dans la revue Les Spectacles du .
- Voir Paris-Soir-Courses, ou Chicago Tribune, .
- Voir La Gazette de Biarritz, Bayonne et St Jean de Luz, .
- Cet épisode est rapporté par Jean-Paul Ollivier dans son livre Mon père, Albert Londres et le Georges Philippar.
- Ces détails sont rapportés par L'Avenir du Tonkin du .
- En 2011, la chaine russe 1TV consacra un reportage sur le sort du navire à bord duquel se trouvaient Albert Londres et les Lang-Willar. Titre de l'émission : En France comme en Russie on se souvient de l'exploit des marins soviétiques. Le commentaire y affirme que les marins du Sovetzkaya Neft ont sauvé 483 passagers au péril de leur vie.
- « Crash of a Farman F.199 near Veroli: 4 killed », sur baaa-acro.com, Bureau of Aircraft Accidents Archives (consulté le ).
- (en) « Alfred Lang-Willar », sur Find a Grave.
- (en) « Suzanne Picard », sur Find a Grave.
- Voir L’Intransigeant du 3 décembre 1934.
- Le Figaro du .
Voir également Le Petit Parisien de la veille qui évoque l'hypothèse d'un attentat commis par un nationaliste de « race jaune ». - Le Petit Marseillais, .
- Marcel Goulette détenait plusieurs records du monde de vitesse et de distance. À peine un mois avant l'accident, il avait établi, avec André Salel, un record de vitesse entre Paris et Le Cap, rejoint en 3 jours et 19 heures. À leur retour, le , Goulette et Salel avaient été reçus en héros au Bourget.
- Morgan 1980, note 23, p. 151 : « Dans les affaires, il [Marc Najar] était tout simplement éblouissant. »
- Dan Morgan (trad. de l'anglais), Les GĂ©ants du grain, Paris, Ă©ditions Fayard, , p. 149-155
- Laurent Carpentier, « Des lignes de faille sous la ligne de chant », Le Monde, no 21855,‎ , p. 21.
Voir aussi
Bibliographie
- Pierre Assouline, Albert Londres, vie et mort d'un grand reporter, Ă©ditions Gallimard, 1990.
- Jean-Paul Ollivier, Mon père, Albert Londres et le Georges Philippar, éditions Glénat, 2010.
- Régis Debray, Shanghaï, dernières nouvelles, éditions Arléa, 1999.
- Bernard Cahier, Albert Londres, terminus Gardafui, éditions Arléa, 2012.
- GĂ©rard Piouffre, Les grands naufrages, du Titanic au Costa Concordia, Ă©ditions First, 2012.
Télévision
- François Reinhardt, Le dernier voyage d’Albert Londres, , DOC52’ /Production: GrandAngle, Diffuseur : France Télévisions / France 5
Radio
- Albert Londres, le dernier reportage, une fiction radiophonique de René Meyer, émission Autant en emporte l'Histoire, diffusée dimanche sur France Inter, disponible en podcast.