Al-Ma'ida
La sourate Al-Maâida (arabe : ŰłÙ۱۩ ۧÙÙ Ű§ŰŠŰŻŰ©, SĆ«ratu-l-MÄ'idah, « La table » ou « La table servie ») est la cinquiĂšme sourate du Coran. Elle comprend 120 versets. Les principaux thĂšmes de cette sourate sont les missions d'ĂsĂą (JĂ©sus de Nazareth) et de MoĂŻse, ainsi que l'affirmation selon laquelle leurs messages sont faussĂ©s par les non-croyants juifs et chrĂ©tiens. C'est dans cette sourate qu'est racontĂ©e l'histoire de la table servie accordĂ©e par Dieu Ă 'ÄȘsÄ (JĂ©sus).
5e sourate du Coran La table | |
Le Coran, livre sacré de l'islam. | |
Informations sur cette sourate | |
---|---|
Titre original | ŰłÙ۱۩ ۧÙÙ Ű§ŰŠŰŻŰ©, Al-Maâida |
Titre français | La table |
Ordre traditionnel | 5e sourate |
Ordre chronologique | 112e sourate |
Période de proclamation | Période médinoise |
Nombre de versets (ayat) | 120 |
Ordre traditionnel | |
Ordre chronologique | |
Origine du nom
Bien que le titre ne fasse pas directement partie du texte coranique[1], la tradition musulmane a donné comme nom à cette sourate La table[2], mais elle aussi parfois appelée "Les Obligations".
Historique
Il n'existe Ă ce jour pas de sources ou documents historiques permettant de s'assurer de l'ordre chronologique des sourates du Coran. NĂ©anmoins selon une chronologie musulmane attribuĂ©e Ă ÇŠaÊżfar al-áčąÄdiq (VIIIe siĂšcle) et largement diffusĂ©e en 1924 sous lâautoritĂ© dâal-Azhar[3] - [4], cette sourate occupe la 112e place. Elle aurait Ă©tĂ© proclamĂ©e pendant la pĂ©riode mĂ©dinoise, c'est-Ă -dire schĂ©matiquement durant la seconde partie de la vie de Mahomet, aprĂšs avoir quittĂ© La Mecque[5]. ContestĂ©e dĂšs le XIXe par des recherches universitaires[6], cette chronologie a Ă©tĂ© revue par Nöldeke[7] - [8], pour qui cette sourate est la 114e.
Cette sourate est composĂ©e de diffĂ©rents passages Ă©voquant tant des considĂ©rations rituelles que des polĂ©miques antijuives et antichrĂ©tiennes. Des chercheurs ont rĂ©cemment essayĂ© de prouver une unitĂ© littĂ©raire Ă cette sourate. Câest le cas de Robinson et de Cuypers (11 sections pour le premier, 6 pour le second)[9]. Reynolds souligne que la diffĂ©rence entre les deux structures ainsi mises au jour suggĂ©rerait que « la mĂ©thode employĂ©e pour trouver les structures prĂ©dĂ©termine les structures trouvĂ©es ». La rĂ©partition des rĂ©futations faites aux chrĂ©tiens semblent ainsi Ă©parpillĂ©es dans les diffĂ©rentes sections... Ainsi, lâauteur voit davantage cette sourate comme une suite de logia connaissant un « processus de composition littĂ©raire qui a impliquĂ© lâinsertion [...] de certaines formules »[9].
Bell avait essayĂ© de relier les Ă©lĂ©ments de cette sourate Ă diffĂ©rents Ă©pisodes de la vie de Mahomet. Elle se serait construite par un processus dâaltĂ©ration et dâadditions[9] - [Note 1]. NĂ©anmoins, pour Reynolds, plusieurs Ă©lĂ©ments, au sein de cette sourate, ne cadrent pas avec la biographie de Mahomet. Ainsi, des passages comme celui autour de la « table » montrerent une grande proximitĂ© avec le christianisme et prouvent lâexistence dâun groupe important dans le milieu oĂč cette sourate a Ă©tĂ© proclamĂ©e[9]. Cuypers et Comerro ont inscrit cette sourate dans un contexte dâAlliance. Pour ces auteurs, une nouvelle alliance est proclamĂ©e, ce qui permet la rĂ©futation du judaĂŻsme et du christianisme[9].
Interprétations
Verset 32 : quiconque tuerait une personneâŠ
Pour Cuypers, « Ici (5:32), il sâagit dâun texte de la Mishna Sanh 4:5, repris presque littĂ©ralement : « Câest pourquoi un seul homme a Ă©tĂ© crĂ©Ă© dans le monde pour enseigner que si quelquâun a causĂ© la perte dâune seule Ăąme dâIsraĂ«l, lâĂcriture le lui impute comme sâil avait causĂ© la perte dâun monde entier, et si quelquâun sauve la vie dâune seule Ăąme dâIsraĂ«l, lâĂcriture le lui impute comme sâil avait sauvĂ© la vie dâun monde entier » »[10]. Pour l'auteur, le « verbe katabnÄ (ÙŰȘŰšÙۧ, nous avons Ă©crit) introduit une citation de la Bible »[10]. Pour Joseph Witztum (citĂ© par Reynolds), ce verset comme ceux qui prĂ©cĂ©dent, racontant l'histoire de CaĂŻn, « est plus proche des rĂ©cits chrĂ©tiens syriaques de l'histoire de GenĂšse que celle trouvĂ© dans les sources juives[10] ».
Cuypers relĂšve que le Coran ajoute une exception non prĂ©sente dans le texte rabbinique. Le verset coranique parle de personnes « non coupable dâun meurtre ou dâune corruption sur la terre[10] ». Pregill, remarque, ironiquement, que « c'est exactement ce que les juifs sont censĂ©s ĂȘtre coupables ici et ailleurs ». En effet, ils sont Ă plusieurs reprises accusĂ©s d'ĂȘtre coupable de meurtres, comme celui des prophĂštes[10]. De mĂȘme, ce verset Ă©voque l'idĂ©e de « corruption sur terre », concept qui a Ă©voluĂ© dans la doctrine islamique. « Selon lâinterprĂ©tation doctrinale iranienne, cette forme de la corruption âconstitue tout acte troublant, de façon grave, lâordre religieux ou moral dans ses aspects diversâ » y incluant les dĂ©sordres moraux, politiques, sociaux, Ă©conomiques[11]⊠Plus largement encore, selon certains savants musulmans, « âUne croyance ou un dogme erronĂ©â, câest la âcorruption sur terreâ[12] ».
Cuypers repĂšre Ă l'intĂ©rieur du verset un jeu de parallĂ©lisme entre Comme s'il avait tuĂ© et Comme s'il faisait vivre. NĂ©anmoins, plus largement, ce verset s'inscrit dans un ensemble composĂ© des versets 27 Ă 40 et prĂ©pare le verset suivant : « La rĂ©compense de ceux qui font la guerre contre Dieu et Son messager, et qui sâefforcent de semer la corruption sur la terre, câest quâils soient tuĂ©s, ou crucifiĂ©s, ou que soient coupĂ©es leur main et leur jambe opposĂ©es, ou quâils soient expulsĂ©s du pays. Ce sera pour eux lâignominie ici-bas ; et dans lâau-delĂ , il y aura pour eux un Ă©norme chĂątiment » (Coran 5:33)[10]. Le verset central de cette sĂ©quence (verset le plus important selon les rĂšgles de la rhĂ©torique sĂ©mitique) est le verset 35 : « ŰŽ les croyants ! Craignez Dieu, cherchez le moyen de vous rapprocher de Lui et luttez pour Sa cause. Peut-ĂȘtre serez-vous de ceux qui rĂ©ussissent ! » (Coran 5:35)[10].
Ă l'inverse du texte rabbinique, le texte coranique ne se limite pas aux « enfants d'IsraĂ«l ». Zellentin relĂšve que la Mishna de JĂ©rusalem dit sanhĂ©drin ne possĂšde pas de limitation aux enfants d'« IsraĂ«l » Ă la diffĂ©rence du Talmud babylonien. Pour Reynolds, ce verset peut ĂȘtre interprĂ©tĂ© Ă la lumiĂšre dâune discussion prĂ©sente dans la Mishna et sâinscrit dans le contexte adamique du premier homme crĂ©Ă© « seul et unique ». Ce verset « doit ĂȘtre reliĂ© Ă la polĂ©mique antijuive : le dĂ©cret « quiconque tue une seule Ăąme...» ne sâapplique quâaux israĂ©lites. »[9].
Versets 109-120 : la table garnie
Pour Cuypers, ce passage est composĂ© de trois parties prĂ©sentant des moments de la vie de JĂ©sus : l'enfance et la vie publique, la promesse de nourriture cĂ©leste et le jugement de JĂ©sus par Dieu[13]. Certains mots de ce passage proviennent de lâĂ©thiopien[9] et la premiĂšre partie est composĂ©e d'Ă©pisodes prĂ©sents dans les apocryphes: Vie de JĂ©sus en arabe et lâHistoire de lâenfance de JĂ©sus[13].
Certains auteurs associent la promesse de nourriture céleste à la vision de Pierre dans les Actes des ApÎtres ou à la multiplication des pains. Cuypers critique ces associations. Il voit dans cette promesse une allusion à la cÚne mais surtout au "Discours du pain de Vie". La mention d'une table descendant du ciel est, pour lui, une référence au psaume 78 (verset 19)[13]. Pour Zellentin, cette table renvoie à des traditions rabbiniques et syriaques[13].
En prĂ©sentant la table comme une « fĂȘte pour toutes les gĂ©nĂ©rations », le Coran fait un lien avec lâEucharistie, prĂ©sent dans Jean 6. « Toutefois, tandis que, pour les chrĂ©tiens, lâEucharistie est le don de JĂ©sus Ă ses adeptes, la « table » du Coran est simplement un signe que Dieu produit pour donner raison Ă un prophĂšte. »[9].
Les auteurs ont spĂ©culĂ© sur le verset 109 et sur la « comprĂ©hension confuse que Muhammad aurait pu avoir de la TrinitĂ© » pour y voir lâexistence dâune secte chrĂ©tienne particuliĂšre. Pour Reynolds, il nây a pas de raison de spĂ©culer sur une telle existence. Pour lui, cette accusation est une exagĂ©ration dĂ©libĂ©rĂ©e, du mĂȘme ordre de lâaccusation coranique portĂ©e contre les chrĂ©tiens et les juifs de diviniser leur clergĂ©[9].
Pour Cuypers, « la sourate al-MÄÊŸida, [âŠ] se prĂ©sente comme un texte testament qui clĂŽt la prĂ©dication mohammadienne. » par le discours de JĂ©sus dans l'Au-delĂ . Selon Dye, ce passage est Ă©crit dans une optique "antichrĂ©tienne"[13]. Le verset 116 a pu ĂȘtre perçu comme l'illustration d'une mĂ©connaissance du christianisme. Pour Dye, il s'agit d'une "rĂ©duction Ă l'absurde", proche des polĂ©miques nestoriennes contre le titre marial de mĂšre de Dieu[13].
Voir aussi
Articles connexes
Bibliographie
- Reynolds G.S, "Sourate 5", Le Coran des historiens, t.2a, 2019, p. 203 et suiv.
- R. Paret, Der Koran. Kommentar und konkordanz, 1980[Note 2].
- Cuypers M., Le Festin. une lecture de la sourate al-MÄâida, Paris, RhĂ©torique sĂ©mitique, 2007
Liens externes
- Texte de la sourate 5 en français, d'aprĂšs la traduction de Claude-Ătienne Savary de 1783.
- Texte de la sourate 5 en arabe sur Wikisource.
Notes et références
Notes
- Les islamologues ont utilisĂ© plusieurs approches pour tenter de dater les diffĂ©rentes sourates du Coran. Paret et Neuwirth appartiennent Ă lâ« Ă©cole allemande » qui, Ă la suite de Nöldeke, sâappuie sur la chronologie traditionnelle et sur un rĂ©cit « laĂŻcisĂ© » des traditions musulmanes. Autrefois dominant dans les Ă©tudes islamologiques, ce paradigme nöldekien n'est plus qu'« en partie prĂ©sent ». Les auteurs du Coran des historiens appartiennent davantage Ă lâautre courant (dit sceptique ») qui prend davantage en compte une critique des sources traditionnelles. Voir : Historiographie de l'islam et du Coran
- En 2019, seuls deux ouvrages peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des commentaires scientifiques et continus du texte coranique. Il s'agit du Commentary on the Qur'an de Richard Bell publiĂ© en 1991 (aujourd'hui datĂ©) et du Coran des historiens publiĂ© en 2019. L'ouvrage de Paret s'inscrit, avec ceux de BlachĂšre, Khoury et Reynolds, dans un ensemble de traduction avec apparat critique. Voir : Sourate
Références
- A. Chouraqui, Le Coran, traduction et commentaires, 1990, p. 15.
- A. Chouraqui, Le Coran : L'appel, France, Robert Laffont, , 625 p. (ISBN 2221069641)
- G.S. Reynolds, « Le problÚme de la chronologie du Coran », Arabica 58, 2011, p.477-502.
- R. BlachĂšre, Introduction au Coran, p.244.
- R. BlachĂšre, Le Coran, 1966, p. 103.
- M. Azaiez, « Chronologie de la Révélation »
- G. Dye « Le Coran et son contexte Remarques sur un ouvrage récent », Oriens Christianus no 95, 2011, p. 247-270.
- E. Stefanidis, « The Qur'an Made Linear: A Study of the Geschichte des Qorùns' Chronological Reordering », Journal of Qur'anic Studies, X, II, 2008, p.13.
- Reynolds G.S, "Sourate 5", Le Coran des historiens, t.2a, 2019, p. 203 et suiv.
- M. Azaiez (Ed.), G.S. Reynolds (Ed.), T. Tesei (Ed.), et al. (2016). The Qur'an Seminar Commentary / Le Qur'an Seminar. A Collaborative Study of 50 Qur'anic Passages / Commentaire collaboratif de 50 passages coraniques. Berlin, Boston : De Gruyter. partie. QS 8 Q 5:32
- S. H. Hosseini, « Internationalisation du droit pĂ©nal en Iran : le cas de la corruption », Archives de politique criminelle, no 25,â , p. 213â236 (ISSN 0242-5637, lire en ligne, consultĂ© le )
- « Chapitre IV. La socialisation filtrée », sur Cairn.info (consulté le )
- M. Azaiez (Ed.), G.S. Reynolds (Ed.), T. Tesei (Ed.), et al. (2016). The Qur'an Seminar Commentary / Le Qur'an Seminar. A Collaborative Study of 50 Qur'anic Passages / Commentaire collaboratif de 50 passages coraniques. Berlin, Boston: De Gruyter. partie. QS 9 Q 5:109â120