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Çayönü

Çayönü est un site néolithique du sud-est de la Turquie localisé à environ 40 km au nord-ouest de Diyarbakır, au pied du Taurus. Occupé à partir de 10 200 avant le présent, il a livré des vestiges très importants pour comprendre le développement de l'agriculture et de l'élevage, mais aussi le développement d'autres techniques durant le Néolithique précéramique.

Çayönü
Image illustrative de l’article Çayönü
Fondations d'une maison
Localisation
Pays Drapeau de la Turquie Turquie
Province Province de Diyarbakır
Coordonnées 38° 07′ 33″ nord, 39° 26′ 01″ est
Géolocalisation sur la carte : Turquie
(Voir situation sur carte : Turquie)
Çayönü
Çayönü
Histoire
Époque Néolithique précéramique A
Néolithique précéramique B

Le site a été découvert par Halet Çambel et Robert John Braidwood. Ce dernier dirigea les premières campagnes de fouilles entre 1964 et 1979[1]. Celles-ci se sont poursuivies entre 1985 et 1991 sous la direction de Mehmet Özdoğan et Aslı Erim Özdoğan[2] - [3]. Une nouvelle campagne de fouilles sous la direction d'Aslı Erim Özdoğan est en cours.

Chronologie

Le site a été fréquenté du début du Néolithique précéramique jusqu'au Moyen Âge[3]. Des traces de fréquentation et des structures datées du début de l'Âge du fer ont été identifiées. Le site semble avoir servi de cimetière durant les deux premières phases de l'Âge du bronze[2]. Des vestiges attribués à l'Âge du cuivre et aux phases tardives du Néolithique ont également été identifiées[2]. Toutefois, les phases les plus importantes à la fois par l'ampleur des vestiges et leur valeur scientifique sont datées du Néolithique précéramique.

Cette fréquentation ancienne et sans doute continue se caractérise par plusieurs phases définies en fonction de l'architecture des bâtiments[2] - [4] - [3] :

Architecture et organisation du site

Environnement et structure générale du site

L'environnement de la région à l'époque néolithique était assez varié : on trouvait des landes et des marais près de la rivière Boğazçay, un affluent du haut Tigre, et au sud du site se développait une forêt-steppe composée d'amandiers et de pistachiers.

Le tell se trouve au sommet d'une colline, près du Boğazçay et du Bestakot, un torrent saisonnier. D'après la présence de vestiges en surface du sol, il s'étend sur au moins 45 000 m²[2]. Les deux premières grandes phases de fouilles, jusqu'en 1991, ont été menées sur 4500 m².

Durant les phases anciennes, le site était un village d'étendue variable selon les phases considérées. Les maisons étaient séparées les unes des autres, des zones dégagées plus larges servaient d'espaces de circulation ainsi que d'espaces de travail, par exemple pour la taille du silex et de l'obsidienne[2].

Bien que pour chaque phase, l'architecture des maisons soit très homogène, durant certaines phases au moins des distinctions sont perceptibles. Ainsi, une série de maisons plus grandes et avec des murs plus robustes que les autres a été construite sur une terrasse dominant la place ("Plazza"). Dans ces dernières, les objets découverts (éléments de parure, etc.) sont d'une fréquence, d'une qualité et d'une variété supérieures à celles des objets provenant des autres bâtiments[2].

Les grandes phases architecturales

architecture "en grille"

Les différences dans l'architecture et les plans des maisons entre chaque phase sont parfois très marquées, mais les changements et le passage d'une architecture à une autre étaient malgré tout graduels[2].

Seules les fondations des maisons sont conservées. Ce sont donc la structure et la technique de réalisation des fondations qui permettent de définir chaque phase. Des structures les plus anciennes aux structures les plus récentes, on a identifié :

  • des bâtiments de forme ronde ou ovale ("round houses"), certains avec des murs de soutènement en pierre, d'autres directement en clayonnage et torchis. Le nombre de sous-phases, c'est-à-dire de niveaux d'occupation avec des bâtiments de ce type est inconnu.
  • Des bâtiments aux fondations en forme de grille ("grill buildings"), c'est-à-dire une série de murs de pierre parallèles. Il existe toutefois des variantes selon la sous-période considérée.
  • Des bâtiments dont les fondations présentent des canaux de drainage ("channeled buildings").
  • Des bâtiments dont les fondations sont constituées d'un pavage de galets ("Cobble-Paved buildings").
  • Des bâtiments dont les fondations en pierre indiquent qu'ils étaient constitués de plusieurs pièces ("Cell buildings"). Les bâtiments de cette phase sont nettement plus massifs que ceux des phases précédentes.
  • Des bâtiments constitués de pièces de grandes dimensions ("Large Room buildings"). Les structures de cette phase sont très abîmées par les phases de fréquentation ultérieures.

Les fondations des bâtiments étaient particulièrement importantes car le sol du site, naturellement argileux, devient rapidement très collant et impraticable en cas de pluie.

Les bâtiments spéciaux

Il y a au moins quatre bâtiments dans le site qui diffèrent fortement des autres par leur plan, leur technique de construction et par les objets qui y ont été découverts[2]. Alors que la majorité des structures correspondent à des maisons d'habitation, ces bâtiments avaient une fonction particulière. Dans tous les cas, il ne s'agit pas de structures en élévation mais de bâtiments creusés dans le sol, à partir de la pente de la colline artificielle (le tell) constituée par les couches d'occupation précédentes. Du fait de cette technique de construction, leur attribution précise à une phase d'occupation est délicate.

  • Bench Building : il est constitué d'une seule pièce avec des bancs en pierre massifs le long des murs. Le sol est constitué de sable fin. Il est mitoyen d'un autre bâtiment spécial, le Terrazo Building.
  • Flagstone Building : il s'agit d'un bâtiment de dimensions nettement plus importantes que le précédent.
  • Skull Building : cette structure de grande dimension a été dénommée "Bâtiment du Crâne" car on y a découvert de très nombreux ossements humains.
  • Terrazzo Building : ce bâtiment est attribué à la "Cell Phase".

À ces structures, s'ajoute la Plazza qui, comme son nom l'indique, est un large espace ouvert d'environ 50 m sur 25/30 m qui a été employé pour différentes activités. Son sol a été soigneusement préparé et est constitué de fragments de briques cuites pilées. Une grosse pierre ayant servi de polissoir y a été exhumée.

Les objets découverts sur le site

Les poteries

Le site est fondé des siècles avant la généralisation des premières poteries. Celles-ci font leur apparition à une phase tardive de l'occupation du village. Les premières sont de couleur sombre, certaines présentent un aspect brûlé. Lors d'une seconde phase, s'y ajoutent des poteries engobées rouges. Ces vases présentent souvent des rides ou des ondulations sur leur surface, les formes fermées sont nettement plus fréquentes que les formes ouvertes, seule une partie présente des anses horizontales[5].

L'outillage en roche taillée

Une partie des outils en roche taillée est réalisée en obsidienne. Cette roche provient des gisements de l'est de l'Anatolie, notamment de la région de Bingöl. Il existe également des éléments dans différentes variétés de silex dont l'origine est inconnue[6].

Des productions locales de niveau technique simple et des productions importées dont la réalisation nécessite des connaissances et des savoir-faire nettement supérieurs sont présentes[4]. L'analyse des éléments en roche taillée découverts dans le village a permis de démontrer le développement progressif et spectaculaire d'une technique particulière : la pression. C'est en effet dans ce site que se trouve la plus ancienne attestation de l'emploi de la technique de la pression au levier. Une lame entière, mais brisée en plusieurs fragments, atteint près de 30 cm[7]. Dès la phase à "Channeled Building", les tailleurs maîtrisaient également la chauffe du silex[6]. La chauffe contrôlée de certaines variétés de silex permet en effet d'en modifier les propriétés et de faciliter la taille[8]. Outre la chauffe, les tailleurs utilisaient peut-être des embouts en cuivre pour tailler la roche[6]. C'est également durant cette même phase que les différentes techniques de pression se développent sur différentes matières premières[4].

Des lames d'obsidienne rendues étroites par une retouche très profonde sur les deux bords font partie des outils les plus caractéristiques. Ils ont d'ailleurs été dénommés "outils de Çayönü" et ont également été découverts dans d'autres sites contemporains[9] Les analyses ont montré qu'ils avaient été employés pour des tâches très variées et avaient été régulièrement ravivés. Une grande pointe réalisée sur une lame de silex issue d'un nucléus naviforme a été découverte en contexte rituel[4].

Objets en roche polie ou bouchardée

Le matériel en roche polie (haches, etc.) et bouchardée (meules, molettes, etc.) est assez abondant[2].

Des objets en métal sans métallurgie

De nombreux objets en cuivre ont été exhumés[6], y compris dans les niveaux les plus anciens du site qui précèdent de plusieurs millénaires la maîtrise de la métallurgie. Il s'agit toutefois d'éléments en cuivre natif travaillés à froid ou à faible chaleur, sans fonte du minerai. Ces petits objets sont pour l'essentiel des éléments de parure.

Les figurines, les tampons et autres objets en terre-cuite

Plusieurs figurines et tampons en terre-cuite ont été découverts dans le site[10]. Ces derniers figurent parmi les plus anciens objets de ce type documentés pour l'ensemble du Proche-Orient. C. Lichter suppose qu'ils étaient utilisés pour marquer des produits qui étaient regroupés dans des structures de stockage collectives[11].

L'élément en terre-cuite le plus spectaculaire est une représentation miniature d'une maison découverte dans un des bâtiments construits sur la terrasse au nord de la place ("Plazza")[2].

Des objets de parure

Des fragments de bracelets en obsidienne ont été découverts[12]. Ils sont comparables et peut-être de même origine que celui découvert à Aşıklı Höyük, site contemporain situé plus à l'ouest. Leur réalisation témoigne d'un niveau technique hors du commun[12].

Des perles et des pendants en pierre semi-précieuse ont également été exhumés dans certaines structures[2].

Origines de la domestication

Animaux sauvages et domestication

Les ossements d'animaux découverts montrent que les porcs et les sangliers étaient les espèces les plus fréquentes. Les moutons et les chèvres, les bovins et les cerfs étaient également très bien représentés[3]. En analysant l'âge de la mort des porcs et en analysant l'ensemble des caractéristiques des ossements de ces animaux, A. Ervynck et ses collaborateurs ont constaté que les animaux étaient abattus de plus en plus jeunes, leur stature ainsi que la taille de leurs dents ont diminué régulièrement au cours du temps. Cela suggère que les porcs du site avaient un statut intermédiaire entre les sangliers et les porcs domestiques, la domestication de cette espèce s'est développée de manière très progressive sur ce site[13]. Çayönü est aussi un des sites les plus anciens dans lequel la domestication des bovins a été réalisée à partir des aurochs. En outre, les habitants du site pratiquaient également la chasse des sangliers, de moutons sauvages, de chèvres sauvages et de cervidés.

Culture des céréales

Au début de l'occupation, les plantes exploitées étaient uniquement sauvages, puis les habitants ont pratiqué la culture de différentes espèces comme l'engrain, l'amidonnier, les pois, les lentilles, les fèves. Ils continuaient néanmoins de collecter des plantes sauvages, par exemple des pistaches[14].

Les pratiques rituelles et funéraires

Le skull-building (la « maison des crânes »)

Généralement, les défunts étaient inhumés sous le sol des maisons, pratique très courante, déjà identifiée dans de nombreux autres sites du Proche-Orient.

Çayönü se distingue par une autre pratique funéraire : les dépouilles d'environ 400 individus des deux sexes et de tout âge ont été déposées dans le Skull Building[3]. Ce bâtiment présente au moins cinq phases de construction[2]. Durant la première, contemporaine des phases Round Building et Grill Building, les restes de 120 individus préalablement inhumés ailleurs y ont été déposés. Au cours de cette même période, environ 65 individus furent enterrés sous le sol des maisons. Durant les phases Channeled Building et Cobble-Paved Building, les restes de 280 personnes ont été déplacés dans ce bâtiment après avoir été inhumés ailleurs. Seule une ou deux personnes y ont été directement déposées après leur décès. À la même période, le nombre de personnes inhumées sous le sol des maisons était nettement plus faible que lors des phases précédentes : on en compte environ trente, représentées uniquement par quelques dents ou le crâne. Lors de la phase suivante (phase Cell Plan Building), le bâtiment n'est plus utilisé, les défunts sont de nouveaux enterrés sous le sol des maisons comme l'atteste la découverte de 135 corps dans de tels contextes[3].

Outre les pratiques funéraires, des pratiques qualifiées de "rituelles" ont été identifiées, comme l'érection de stèles, en particulier sur la place (plazza). Au moins une d'entre elles porte des traces de peinture rouge. Certaines ont volontairement été brisées et enterrées sur place. D'autres stèles sont associées aux bâtiments spéciaux, en particulier le Flagstone building et le Skull building. Elles mesurent de un à deux mètres de haut[2].

Population et génétique

Une étude de paléogénétique publiée en 2022 a étudié treize génomes anciens (env. 8500-7500 avant notre ère) du néolithique pré-céramique du site archéologique. Les résultats révèlent que la population de Çayönü était génétiquement diversifiée, portant une ascendance mixte de l'ouest et de l'est du Croissant Fertile. L'étude des segments d'homozygotie sur l'échantillon qui a la plus grande couverture génomique indique une population néolithique relativement importante sur ce site, sans consanguinité substantielle. L'haplogroupe du génome mitochondrial de tous les individus est K1, sauf un qui est T2g[15].

Références

  1. Braidwood L. S., Braidwood R. J. (eds), 1982, Prehistoric village archaeology in South Eastern Turkey, The eighth millenium B.C. site at Çayönü: its chipped and ground stone industries and faunal remains, BAR International Series 138, Oxford, 210 p.
  2. Özdoğan A., Özdoğan M., 1989, Çayönü. A Conspectus of Recent Work, Paléorient, vol. 15 no 1, p. 65-74
  3. Pearson J., Grove M., Özbek M., Hongo H., 2013, Food and social complexity at Çayönü Tepesi, southeastern Anatolia: Stable isotope evidence of differenciation in diet according to burial practice and sex in the early Neolithic, Journal of Anthropological Archaeology, vol. 32, p. 180-189
  4. Binder D., 2008, Technologie lithique et comportement social dans le PPN de Çayönü tepesi (Turquie). Un aperçu à travers l’analyse des matières premières, Paléorient, vol. 34 n. 1, p. 5-21
  5. Özdoğan M., 2000, The Appearance of Early Neolithic Cultures in Northwestern Turkey. Some Problems, in Hiller S., Nikolov V., Karanovo III. Beiträge zum Neolithikum in Südosteuropa, Internationalen Symposiums « Tell Karanovo 1947-1997. Das Neolithikum in Südosteuropa », 6-9 octobre 1997, Karanovo, Phoibos Verlag, Wien, p. 168
  6. Binder D., 2007, PPN Pressure Technology: Views from Anatolia, in Astruc L., Binder D., Briois F. (dir.), Systèmes techniques et communautés du Néolithique précéramique au Proche-Orient, Actes du 5e colloque international, Fréjus, 2004, Éditions APDCA, Antibes, p. 235-243
  7. Altınbilek-Algül C., Astruc L., Binder D., Pelegrin J., 2012, Chapter 5 – Pressure Blade Production with a Lever in the Early and Late Neolithic of the Near East, in Desrosiers P. M. (Ed), The Emergence of Pressure Blade Making. From Origin to Modern Experimentation, Springer, New York, p. 157-179
  8. Domanski M., Webb J. A., 1992, Effect of heat treatment on siliceous rocks used in Prehistoric lithic technology, Journal of Archaeological Science, vol 19 n. 6, p. 601-614
  9. Bezić A., 2007, Distribution of flint in Turkey, from 10,000 to 6,000 cal BC. Case study –Çatalhöyük, in Delage C., Chert Availability and Prehistoric Exploitation in the Near East, BAR International Series 1615, Archaeopress, Oxford, p. 68-86
  10. Bigazzi G., Poupeau G., Yeğingil Z., Bellot-Gurlet L., 1998, Provenance studies of obsidian artefacts in Anatolia using the fission-track dating method. An overview, in Cauvin M.-C., Gourgaud A., Gratuze B., Arnaud N., Poupeau G., Poidevin J.-L., Chataigner C. (Eds), L’obsidienne au Proche et Moyen Orient. Du volcan à l’outil, BAR International Series 738, Oxford, p. 69-89
  11. Lichter C., 2005, Western Anatolia in the Late Neolithic and Early Chalcolithic : the actual state of research, in Lichter C. (Ed), How did farming reach Europe ? Anatolian-European relations from the second half of the 7th through the first half of the 6th millennium calBC, Proceedings of the International Workshop, Istanbul 20-22 May 2004, Ege Yayınları, Istanbul, p. 59-74
  12. Astruc L., Vargiolu R., Ben Tkaya M., Balkan-Atlı N., Özbaşaran M., Zahouani H., 2011, Multi-scale tribological analysis of the technique of manufacture of an obsidian bracelet from Aşıklı Höyük (Aceramic Neolithic, Central Anatolia), Journal of Archaeological Science, vol. 38, p. 3415-3424
  13. Ervynck A., Dobney K., Hongo H., Meadow R., 2001, For the Status of Sus Scrofa at Neolithic Ççayönü Tepesi (Southeastern Anatolia, Turkey), Paléorient, vol. 27 n. 2, p. 47-73
  14. Van Zeist W., Jan de Roller G., 1991-1992, The Plant Husbandry of Aceramic Çayönü, SE Turkey, Palaeohistoria, vol. 33-34, p. 65-96
  15. (en) N. Ezgi Altinisik et al.; A genomic snapshot of demographic and cultural dynamism in Upper Mesopotamia during the Neolithic Transition, Science Advances, Vol 8, Numéro 44, 4 novembre 2022, DOI: 10.1126/sciadv.abo3609

Voir aussi

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