Yaourt géorgien en France
Le yaourt gĂ©orgien en France (gĂ©orgien : áááŹááá, matsoni) a Ă©tĂ© introduit par les rĂ©fugiĂ©s politiques gĂ©orgiens aprĂšs lâinvasion de leur pays par les armĂ©es de la Russie soviĂ©tique en fĂ©vrier et mars 1921.
Sa promotion est facilitĂ©e d'une part par les travaux dâIlya Metchnikov sur les probiotiques Ă lâInstitut Pasteur attribuant aux produits laitiers des propriĂ©tĂ©s favorables Ă la longĂ©vitĂ©[1], et d'autre part par lâimage des centenaires gĂ©orgiens sâen nourrissant dans le haut Caucase[2].
LĂ©gende et histoire
Pour les uns, "la légende attribue à l'un des chefs de guerre de Gengis Khan la découverte du yogourt. Trompé par une population qui souhaite se débarrasser de lui, il gagne le désert avec une gourde de lait, et non d'eau. Sous l'effet de la chaleur le lait fermente et se transforme en yogourt. La diffusion du yogourt suit la marche des Mongols vers l'Ouest. Elle atteint la Cour de France au XVIe siÚcle au titre d'un médicament miracle apporté à François Ier"[1]. Pour les autres, "les données archéologiques et historiques de l'Antiquité incitent à penser qu'elle se situe dans la zone allant du Moyen-Orient aux Balkans"[3]. Il faut attendre 1904 pour que le professeur Ilya Metchnikov fasse connaßtre en France les vertus du yaourt.
Des années 1920 aux années 1950
Les ateliers de production du yaourt gĂ©orgien sont rudimentaires. Certains artisans font faillite faute de savoir-faire ou dâesprit commercial, dâautres se regroupent. L'approvisionnement en lait est parfois erratique, les livraisons aux crĂ©miers et aux restaurants s'en ressentent. "Les anecdotes sont nombreuses, charrettes Ă bras trop lourdes et appels Ă la population, parties de cartes oublieuses des temps de production, journĂ©es passĂ©es Ă consommer le yaourt en surplus, yaourt distribuĂ© Ă des compatriotes dans le besoin et clĂ© sous la porte"[4].Les beaux quartiers sont demandeurs, les autres aussi. Cette pĂ©riode se caractĂ©rise par le pot en cĂ©ramique, utilisĂ© par les fabricants gĂ©orgiens de yaourt jusque dans les annĂ©es 1950.
Ă titre d'exemple peuvent ĂȘtre citĂ©s
- "Yaourt Balia", rĂ©fĂ©rencĂ© de 1923 Ă 1943, appartenant Ă Platon Patchoulia (1879-1948)[Note 1] - [5] â ancien haut fonctionnaire au ministĂšre gĂ©orgien de lâIntĂ©rieur â;
- "Yaourt gĂ©orgien", rĂ©fĂ©rencĂ© en 1928, appartenant Ă NoĂ© TsintsadzĂ© (1886-1978) â ancien ministre gĂ©orgien de lâĂducation nationale â ; lâentreprise compte jusquâĂ une dizaine de collaborateurs[5] ;
- "Yaourt du docteur Gamba", rĂ©fĂ©rencĂ© en 1932, commercialisant le yaourt dans des pots en cĂ©ramique, appartenant au docteur Wakhtang HambachidzĂ© (1872-1951)[6] â ancien pionnier de la santĂ© en GĂ©orgie â et Ă son gendre Chota NicoladzĂ© (1899-1963)[7] ;
- "Yaourt oriental" et "Yagourt oriental", commercialisant le yaourt dans des pots en cĂ©ramique beige avec une inscription noire, appartenant Ă Nicolas DjakĂ©li (1887-1970)[7]; la sociĂ©tĂ© "Oriental" est situĂ©e au 92 avenue Ădouard Vaillant Ă Boulogne-Billancourt en 1946 et au 93 en 1952 ; son tĂ©lĂ©phone est Molitor 19 01 ; elle existe encore en 1962 ;
- "Yaourt Guémo" (goût en langue géorgienne), référencé de 1931 à 1943 , puis aprÚs la Libération, commercialisant le yaourt dans des pots en céramique blanche avec une inscription noire, appartenant à Joseph Sardjvéladzé ; la société "Guémo", est située au 4 rue Henri Poincaré à Malakoff de 1946 à 1952 et 1 rue Guy Mocquet à Malakoff de 1952 à 1962 ; son téléphone est Alésia 49 23 ;
- Yaourt GĂ©orgie, rĂ©fĂ©rencĂ© en 1935 Ă Chatou, commercialisant le yaourt dans des pots en cĂ©ramique beige avec une inscription noire "VĂ©ritable yaourt de GĂ©orgie", appartenant Ă Guiorgui KvinitadzĂ© (1874-1970)[5] â ancien commandant en chef de lâarmĂ©e nationale gĂ©orgienne â.
L'artisanat gĂ©orgien du yaourt subsiste tant bien que mal durant la Seconde Guerre mondiale: la pĂ©nurie de lait Ă Paris entraĂźne la fermeture dâateliers de fabrication, la pratique du marchĂ© noir Ă©galement. Ă la LibĂ©ration, quelques reprĂ©sentants d'une deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration gĂ©orgienne s'installent dans le mĂ©tier, les anciens soldats de l'ArmĂ©e rouge ayant Ă©chappĂ© Ă lâobligation de retour en URSS et rĂ©fugiĂ©s en France.
Les années 1950 et 1960
Le contexte évolue. Le pot en verre détrÎne le pot en céramique : son coût de production et de gestion (retour clientÚle et distributeur, lavage) est trop élevé. La réclame effectuée par les grandes marques sensibilise. La demande de la population parisienne est forte aprÚs les années de privation. Les livraisons effectuées, en véhicule automobile, touchent un plus grand nombre de distributeurs. Mais la production doit répondre à des normes sanitaires plus rigoureuses. L'introduction du yaourt parfumé bouleverse le marché. La gestion demande plus d'attention. La concurrence est plus vive. Le label "yaourt géorgien" est moins porteur. Quelques belles réussites d'artisans géorgiens perdurent jusque dans les années 1960, mais un "géant du métier " s'affirme de plus en plus, Danone.
à partir des années 1970
La plupart des marques industrielles de yaourt sont progressivement rachetĂ©es par Danone : il s'assure l'exclusivitĂ© de l'approvisionnement des petits distributeurs et des grandes surfaces. Cahin-caha quelques artisans gĂ©orgiens rĂ©sistent encore Ă Paris, mais la production de yaourt de proximitĂ© n'a bientĂŽt plus de raison d'ĂȘtre. Le pot paraffinĂ© illustre le dĂ©clin de l'artisanat gĂ©orgien du yaourt Ă Paris.
Filmographie
En 1977, Danone diffuse une publicitĂ© tĂ©lĂ©visuelle montrant des agriculteurs gĂ©orgiens centenaires, habillĂ©s en tenues traditionnelles et actifs en pleine culture, avec le commentaire : En GĂ©orgie, oĂč l'on mange beaucoup de yaourt, beaucoup de gens vivent passĂ© les 100 ans[8].
En 1987, le film géorgien Les Racines ("Fesvebi") raconte entre autres comment les immigrés géorgiens fabriquaient et commercialisaient le yaourt en France[9].
Notes et références
Notes
- La transcription en langue française des patronymes gĂ©orgiens a Ă©tĂ© stable jusquâĂ la fin du XXe siĂšcle : les rĂšgles constituĂ©es par lâintermĂ©diation de la langue russe, confirmĂ©es par la LĂ©gation de la RĂ©publique dĂ©mocratique de GĂ©orgie en France (1921-1933) et proches de la prononciation en langue gĂ©orgienne, Ă©taient utilisĂ©es sans exception ; elles le sont encore aujourdâhui par le ministĂšre français des Affaires Ă©trangĂšres et par la plupart des universitaires français sâintĂ©ressant Ă la GĂ©orgie. Lâusage a progressivement changĂ© avec lâintermĂ©diation de la langue anglaise et la dĂ©finition dâune translittĂ©ration latine proche de la transcription anglaise (2002). Ainsi áááá áá áŻááááźáá«á donne Guiorgui DjavakhidzĂ© en transcription française et Giorgi Javakhidze en transcription anglaise (et en translittĂ©ration latine). La transcription en langue française des noms de villes a obĂ©i Ă une Ă©volution similaire, áááŁá áááá devient OzourguĂ©ti en transcription française et Ozurgeti en transcription anglaise (et translittĂ©ration latine), avec une difficultĂ© supplĂ©mentaire liĂ©e au changement de nom de certaines villes durant lâĂ©poque soviĂ©tique (OzourguĂ©ti sâest appelĂ©e MakharadzĂ© durant 70 annĂ©es).
Références
- « Historique du yaourt », sur Yaourtophile, .
- DaniĂšle Chauvin, Lâimaginaire des Ăąges de la vie, Grenoble, Ellug, , 322 p. (ISBN 2-902709-95-1), p. 111.
- (en) A.Y. Tamine et R.K. Robinson, Yoghurt : Science and Technology, Boca Raton (Fla.), CRC Press Inc, , 619 p. (ISBN 0-8493-1785-1), p. 306.
- Mirian Méloua, « Le yaourt géorgien en France », sur Colisée, .
- (ka) áááááá áááá áááá«á, « áááá áááźáááá áȘáááááá á„áá ááááááá áááŹáááᥠááŹáá áááááááá áĄáá€á áááááášá », sur Gza Kviris Palitra,â .
- National Parliamentary Library of Georgia, « áááźáąááá áŠááááášáá«á », sur site officiel.
- Luc Méloua et Othar Pataridzé, « Carré géorgien du cimetiÚre communal de Leuville », sur Samchoblo.
- (en) « Dannon commercial video in Georgia 1977 », sur YouTube (consulté le ).
- (en) « Fesvebi (1987) », sur Georgian National Filmography (consulté le ).