VĂȘpres grecques
Les vĂȘpres grecques, ou Ă©vĂ©nements de novembre[N 1] (en grec moderne : ÎÎżÎ”ÎŒÎČÏÎčÎ±ÎœÎŹ / NoemvrianĂĄ), sont les combats qui opposent, le 1er dĂ©cembre (18 novembre julien) 1916, des troupes loyalistes du royaume de GrĂšce Ă des forces franco-britanniques dĂ©barquĂ©es Ă AthĂšnes afin dây rĂ©quisitionner des armes. Le surnom de « vĂȘpres grecques » donnĂ©, en Europe occidentale, au massacre qui s'ensuit fait rĂ©fĂ©rence aux « vĂȘpres siciliennes » de 1282, durant lesquelles les troupes du roi angevin Charles Ier furent systĂ©matiquement massacrĂ©es par la population sicilienne. En GrĂšce, les combats sont, par contre, appelĂ©s « Ă©vĂ©nements de novembre », du fait du maintien du calendrier julien dans le pays.
Date | |
---|---|
Lieu | AthĂšnes (Royaume de GrĂšce) |
Casus belli | Refus de l'Armée hellÚne de remettre à l'Entente les armes qu'elle réclame |
Issue |
Victoire de la GrĂšce Retrait des forces franco-britanniques |
Royaume de GrĂšce | France, Royaume-Uni, Royaume d'Italie |
IoĂĄnnis MetaxĂĄs | Louis Dartige du Fournet |
82 morts et blessés militaires (et un nombre inconnu de civils) | 194 morts et blessés |
DĂšs le dĂ©but de la PremiĂšre Guerre mondiale, des tensions trĂšs vives se manifestent entre les gouvernements de la Triple-Entente et la GrĂšce, qui souhaite maintenir sa neutralitĂ© durant le conflit. Cependant, câest la reddition sans condition, en , du fort Rupel, une importante place forte grecque situĂ©e en MacĂ©doine, face aux troupes bulgares, qui conduit au refroidissement des relations entre le royaume hellĂšne et les AlliĂ©s. Ă partir de ce moment, lâEntente, et surtout la France, soupçonne le roi Constantin Ier et son gouvernement dâavoir conclu en secret une alliance avec les puissances centrales et de menacer ainsi lâarmĂ©e française d'Orient, Ă©tablie Ă Thessalonique depuis .
Durant tout lâĂ©tĂ© 1916, des nĂ©gociations diplomatiques sont entreprises entre AthĂšnes et lâEntente, qui demande au roi de lui remettre lâĂ©quivalent des armes capturĂ©es par les Bulgares au fort Rupel. Cependant, lâĂ©chec des nĂ©gociations et lâoccupation dâune partie de la MacĂ©doine par lâarmĂ©e bulgare favorisent la proclamation dâun gouvernement de dĂ©fense nationale par lâancien Premier ministre grec pro-AlliĂ©s ElefthĂ©rios VenizĂ©los, Ă Thessalonique. Le soutien des AlliĂ©s Ă l'homme politique crĂ©tois provoque le « Schisme national », une guerre civile larvĂ©e entre monarchistes pacifistes neutralistes, et vĂ©nizĂ©listes bellicistes pro-AlliĂ©s.
MalgrĂ© tout, fin octobre, un accord secret est signĂ© entre le gouvernement de Constantin Ier et la diplomatie alliĂ©e. Des pressions de lâĂ©tat-major royaliste et la maladresse des vĂ©nizĂ©listes conduisent toutefois le souverain Ă renoncer Ă lâaccord. Toujours dĂ©sireux de rĂ©cupĂ©rer les armes exigĂ©es, le vice-amiral Louis Dartige du Fournet dĂ©barque Ă AthĂšnes Ă la tĂȘte d'un petit contingent franco-britannique, le 1er dĂ©cembre ( julien) 1916. Les troupes de lâEntente sont alors accueillies par un feu nourri des troupes royales grecques. AprĂšs une journĂ©e de combats, un compromis est trouvĂ© entre les belligĂ©rants et les survivants, qui rembarquent pacifiquement. Le dĂ©part des AlliĂ©s dĂ©clenche, durant trois jours, une fĂ©roce rĂ©pression contre les vĂ©nizĂ©listes dans la capitale hellĂ©nique.
Sur le front macĂ©donien comme Ă Paris et Ă Londres, les consĂ©quences de ces « vĂȘpres » ne se font pas attendre. Louis Dartige du Fournet est ainsi dĂ©mis de ses fonctions tandis quâun blocus naval trĂšs strict est imposĂ© Ă la GrĂšce. Surtout, le gouvernement de dĂ©fense nationale de VenizĂ©los est en partie reconnu par les AlliĂ©s. Enfin, Ă Londres, le Premier ministre Herbert Henry Asquith et une partie de son cabinet dĂ©missionnent le 5 dĂ©cembre tandis quâĂ Paris, un important remaniement ministĂ©riel est opĂ©rĂ© le 12.
Contexte : une neutralité difficile
De l'Expédition de Salonique à la reddition du Fort Rupel
AprĂšs le dĂ©barquement et l'installation des troupes de l'Entente Ă Thessalonique en [N 2], lâavancĂ©e des forces du gĂ©nĂ©ral Maurice Sarrail vers la frontiĂšre grĂ©co-bulgare cause un certain trouble au commandement suprĂȘme allemand qui craint quâelles ne viennent renforcer l'armĂ©e serbe en dĂ©route. Le chef dâĂtat-major des puissances centrales Erich von Falkenhayn dĂ©cide alors dâoccuper une sĂ©rie de positions stratĂ©giques situĂ©es en territoire grec, parmi lesquelles le Fort Rupel, sur le Strymon[1].
Le 9 mai 1916, Falkenhayn avertit AthĂšnes de lâimminence dâune avancĂ©e germano-bulgare en MacĂ©doine mais le gouvernement hellĂ©nique tente de lui faire abandonner son projet en minimisant lâimportance des forces de Sarrail[2]. Le , Falkenhayn garantit Ă AthĂšnes le respect de lâintĂ©gritĂ© de son territoire et le respect des droits de ses citoyens. Trois jours plus tard, en dĂ©pit des protestations officielles du gouvernement grec, 25 000 Bulgares franchissent la frontiĂšre et pĂ©nĂštrent en territoire grec. Les forces hellĂšnes du Fort Rupel se rendent sans combattre et leur matĂ©riel de guerre est confisquĂ© par les forces germano-bulgares[3] - [4]. Cependant, malgrĂ© les assurances allemandes, les Bulgares cherchent Ă sâemparer des villes de la rĂ©gion et, le 4 septembre, KavĂĄla tombe entre leurs mains[5] - [6].
Les réactions de l'Entente et de Venizélos
La reddition du Fort Rupel cause une impression dĂ©plorable, tant chez les vĂ©nizĂ©listes que dans les opinions publiques de lâEntente. De fait, les AlliĂ©s sont convaincus que lâavancĂ©e des forces germano-bulgares en Thrace ne peut ĂȘtre que le fruit dâun accord secret passĂ© entre Constantin Ier et les gouvernements de la Triplice[N 3]. Dans les journaux de lâEntente, et tout spĂ©cialement en France, des voix exigent une rĂ©action sĂ©vĂšre afin de punir AthĂšnes de sa trahison et de protĂ©ger lâarmĂ©e dâOrient[7].
Pour VenizĂ©los et ses partisans, la reddition sans condition du Fort Rupel constitue les prĂ©misses dâun grignotage de la MacĂ©doine grecque par les forces bulgares. Le , lâancien Premier ministre propose aux ambassadeurs anglais et français Ă AthĂšnes, Sir Francis Elliot et Jean Guillemin, de se rendre Ă Thessalonique avec le gĂ©nĂ©ral PanagiĂłtis DanglĂs afin dây Ă©tablir un gouvernement provisoire et de mobiliser lâarmĂ©e contre Sofia. Conscient du soutien dont bĂ©nĂ©ficie Constantin Ier auprĂšs des cours de Londres et de Saint-PĂ©tersbourg, VenizĂ©los assure les AlliĂ©s quâil ne dĂ©sire mener aucune action contre le souverain et sa dynastie. Selon Elliot, il est mĂȘme persuadĂ© que le « succĂšs de son action et les pressions de lâopinion publique [grecque] pourraient au dernier moment convertir sa MajestĂ© ». Mais la proposition de VenizĂ©los est rejetĂ©e par Aristide Briand, qui craint d'indisposer Londres en affaiblissant la famille royale de GrĂšce[N 4] - [8].
Les 8 et 9 juin, une confĂ©rence inter-alliĂ©s est rĂ©unie Ă Londres pour dĂ©cider des sanctions Ă prendre contre la GrĂšce. Demande est alors faite Ă Constantin d'organiser de nouvelles Ă©lections et de dĂ©mobiliser lâarmĂ©e et la marine hellĂ©niques afin de se prĂ©munir contre un retournement dâAthĂšnes en faveur des puissances centrales[9] - [8]. Mais, anticipant les vĆux de lâEntente, Constantin Ier ordonne une dĂ©mobilisation partielle de son armĂ©e dĂšs le . MalgrĂ© tout, les tensions entre AthĂšnes et les AlliĂ©s se poursuivent et des activitĂ©s pro-allemandes sont menĂ©es en GrĂšce sans que le gouvernement rĂ©agisse. Les 12 et 13 juin 1916, des Ă©meutiers saccagent ainsi les bureaux des journaux vĂ©nizĂ©listes Nea Ellas, Patris, Ethnos, et Estia avant de se diriger vers la lĂ©gation britannique. Or, la police ne fait aucun effort pour disperser la foule et nulle mesure nâest prise contre les responsables des destructions[10].
Tous ces dĂ©sordres servent de prĂ©texte Ă la France pour pousser Londres Ă rĂ©agir plus vigoureusement contre la GrĂšce. Déçu par l'attitude d'AthĂšnes, le Royaume-Uni dĂ©cide, le , « quâil est absolument nĂ©cessaire de faire quelque chose pour ramener le roi de GrĂšce et son gouvernement Ă la raison »[11].
La mise en place du gouvernement de défense nationale
Le 27 aoĂ»t 1916, ElefthĂ©rios VenizĂ©los profite dâune manifestation de ses partisans Ă AthĂšnes pour proclamer sa complĂšte opposition Ă la politique mise en place par Constantin Ier. Lâancien Premier ministre dĂ©clare alors que le roi est victime de mauvais conseillers qui cherchent Ă remettre en cause les fruits de la rĂ©volte de Goudi. Il implore le souverain de rester au-dessus de la vie politique et dâassurer une neutralitĂ© bienveillante envers lâEntente. VenizĂ©los termine ensuite son discours par des mots lourds de menace : « Si cette proposition ne conduit pas au succĂšs, alors il y a dâautres moyens de protĂ©ger le pays dâune complĂšte catastrophe »[12]. Mais le roi refuse de recevoir la dĂ©lĂ©gation des manifestants et il nâaccepte absolument aucun compromis avec l'opposition.
Deux jours plus tard, des officiers vĂ©nizĂ©listes organisent un coup d'Ătat militaire Ă Thessalonique et mettent en place un gouvernement de dĂ©fense nationale avec le concours du gĂ©nĂ©ral Maurice Sarrail[13] : c'est le dĂ©but du Schisme national. Soutenu officieusement par les puissances de lâEntente, ce contre-gouvernement nâobtient cependant pas leur reconnaissance officielle du fait de l'opposition des Cours de Londres, de Saint-PĂ©tersbourg et de Rome[14]. Quant Ă VenizĂ©los, il considĂšre d'abord que le soulĂšvement est prĂ©maturĂ© dans la mesure oĂč il ne bĂ©nĂ©ficie pas dâun soutien populaire assez fort[15]. L'homme politique finit malgrĂ© tout par accepter de former un gouvernement provisoire Ă Thessalonique en compagnie de lâamiral PĂĄvlos KoundouriĂłtis et du gĂ©nĂ©ral PanagiĂłtis DanglĂs. Le triumvirat dĂ©barque alors dans la ville le 9 octobre[16].
La GrĂšce et son opinion publique sont dĂ©sormais coupĂ©es en deux avec, au Nord, en CrĂšte et en ĂgĂ©e, le gouvernement provisoire de VenizĂ©los et, au Sud, le gouvernement monarchiste de Constantin Ier[17]. Entre les deux, les AlliĂ©s occupent une zone neutre dans le but d'Ă©viter la guerre civile qui menace[18].
Ă la recherche d'une solution diplomatique
L'accord entre Constantin Ier et Paul BĂ©nazet
Les mois suivant la proclamation du gouvernement provisoire Ă Thessalonique, les nĂ©gociations entre les AlliĂ©s et le roi Constantin sâintensifient. Par la voix du dĂ©putĂ© français Paul BĂ©nazet, lâEntente demande au souverain une dĂ©mobilisation totale de son armĂ©e et lâĂ©vacuation de la Thessalie afin de garantir la sĂ©curitĂ© de lâarmĂ©e dâOrient. De son cĂŽtĂ©, Constantin exige des AlliĂ©s quâils ne reconnaissent pas le gouvernement de dĂ©fense nationale, quâils respectent lâintĂ©gritĂ© territoriale et la neutralitĂ© de la GrĂšce et quâils rendent au pays tout le matĂ©riel quâil leur aura confiĂ© aprĂšs la fin des hostilitĂ©s[19]. AprĂšs plusieurs semaines de nĂ©gociations infructueuses, BĂ©nazet a la surprise, le , de voir le souverain accepter les conditions de lâEntente. Non seulement Constantin Ier accepte dâĂ©vacuer la Thessalie mais il propose en outre de remettre aux AlliĂ©s la majeure partie de son matĂ©riel militaire ainsi que lâintĂ©gralitĂ© de sa flotte avec toutes ses munitions. Le souverain demande seulement en Ă©change que lâaccord soit gardĂ© secret afin de ne pas exposer la GrĂšce au risque dâune attaque des puissances centrales[19].
Lâaccord entre BĂ©nazet et le roi est confirmĂ© par les ambassadeurs de France et de Grande-Bretagne le et, le lendemain, le commandant-en-chef des AlliĂ©s, le vice-amiral Louis Dartige du Fournet, est reçu en audience par le roi. Quelques jours plus tard, le 3 novembre, Dartige du Fournet prend prĂ©texte de la destruction de deux navires marchands hellĂšnes par un sous-marin allemand pour demander la reddition des vaisseaux de guerre grecs et lâoccupation de lâarsenal de Salamine par les troupes françaises[20]. AthĂšnes proteste vigoureusement mais, le [21], le dĂ©sarmement partiel de la plupart des navires de guerre grecs commence tandis que les AlliĂ©s sâemparent de 30 vaisseaux lĂ©gers[22]. Trois semaines plus tard, les Français prennent complĂštement possession de la base navale de Salamine et commencent Ă utiliser les navires grecs pour leur propre compte, avec des Ă©quipages français[23] - [24] - [25].
Cependant, lâaccord entre Constantin et BĂ©nazet fait long feu. Selon lâhistorien G. B. Leon, les raisons en seraient la crainte du roi de voir le gouvernement de dĂ©fense nationale gagner en importance aprĂšs l'occupation, par les vĂ©nizĂ©listes, de nouveaux territoires au sud de Salonique (comme KaterĂni, occupĂ©e avec lâaccord de Sarrail le ). Une autre raison du changement dâattitude du roi serait liĂ©e au refus de ses conseillers dâaccepter le dĂ©sarmement et Ă leurs pressions pour quâil renonce Ă lâaccord[26].
Lâattitude de VenizĂ©los nâest d'ailleurs pas sans soulever les critiques chez les AlliĂ©s, qui lui reprochent dâavoir compromis lâalliance avec AthĂšnes en prenant Katerini[27]. Pourtant, selon Leon, lâavancĂ©e des vĂ©nizĂ©listes en direction de cette ville aurait Ă©tĂ© planifiĂ©e dĂšs le , autrement dit longtemps avant la rĂ©alisation de lâaccord entre le roi et BĂ©nazet. Leon conclut que lâattaque aurait en fait Ă©tĂ© motivĂ©e par la crainte des vĂ©nizĂ©listes que le gouvernement dâAthĂšnes ne cherche Ă paralyser lâadministration du Nord en y promouvant la subversion[26].
DerniĂšres tractations diplomatiques
La prise de la flotte grecque par les Français et lâinvasion de KaterĂni par les vĂ©nizĂ©listes provoquent de nouvelles tensions Ă AthĂšnes et font naĂźtre dâautres manifestations contre les AlliĂ©s. De fait, les multiples violations de la neutralitĂ© grecque par les Franco-britanniques durant lâannĂ©e 1916 (et surtout lors de lâoccupation de Corfou, en janvier) ont profondĂ©ment offensĂ© lâhonneur national hellĂšne et, par ricochet, augmentĂ© la popularitĂ© de Constantin Ier, surtout en « vieille GrĂšce »[16]. En dĂ©pit des promesses du roi Ă BĂ©nazet et Ă dâautres reprĂ©sentants de lâEntente, les officiers grecs dĂ©pendant dâAthĂšnes qui demandent Ă rejoindre le gouvernement provisoire du Nord dans le but dây combattre les Bulgares sont emprisonnĂ©s pour « dĂ©sertion dans la rĂ©bellion »[28]. En outre, un mouvement dĂ©cidĂ© Ă empĂȘcher le pouvoir de dĂ©sarmer et de livrer son matĂ©riel militaire aux AlliĂ©s grandit, Ă AthĂšnes, parmi les officiers de second rang conduits par IoĂĄnnis MetaxĂĄs et SofoklĂs DoĂșsmanis[21].
MalgrĂ© le mĂ©contentement du gouvernement athĂ©nien, lâEntente continue Ă exiger du roi quâil lui livre des armes. Le , Dartige du Fournet demande ainsi la remise de 16 batteries de campagne avec 1 000 obus par piĂšce, 16 batteries de montagne Ă©galement pourvues, 40 000 fusils Mannlicher, avec 220 cartouches par fusil, 140 mitrailleuses ainsi que 50 voitures de transport. Le vice-amiral exige en outre, comme preuve de bonne volontĂ©, la remise immĂ©diate de dix batteries de montagnes Ă ses troupes[29].
Devant le refus des Grecs d'accĂ©der Ă sa requĂȘte, Dartige du Fournet expulse d'AthĂšnes les reprĂ©sentations diplomatiques des puissances centrales le et lance Ă la GrĂšce un dernier ultimatum le lendemain. Prenant fin le 1er dĂ©cembre, celui-ci rĂ©itĂšre les mĂȘmes exigences mais est assorti d'une menace d'invasion de la capitale[30] - [31], ce que les ordres reçus par l'amiral ne permettent normalement pas[30]. Le roi lui rĂ©pond alors que son peuple et son armĂ©e le pressent de ne pas accepter le dĂ©sarmement et refuse de prendre de nouveaux engagements[32].
En dĂ©pit de la gravitĂ© de la situation, AthĂšnes et lâEntente laissent ensuite les Ă©vĂ©nements suivre leur propre cours. Le , le gouvernement loyaliste rejette officiellement les demandes de lâamiral. Une rĂ©sistance armĂ©e se met en place dans la capitale, constituĂ©e de soldats et de membres de la milice royaliste (les « epistratoi ») composĂ©e principalement de rĂ©servistes. Au total, 20 000 hommes sont ainsi mobilisĂ©s pour dĂ©fendre la capitale hellĂ©nique[33] - [34]. Ils se dĂ©ploient dans toutes les positions stratĂ©giques avec lâordre de ne pas tirer les premiers[32]. En face, les reprĂ©sentants de lâEntente, et surtout Dartige du Fournet, sont convaincus que le gouvernement grec est en train de bluffer et quâil est en fait disposĂ© Ă rendre les armes[32].
Le dĂ©clenchement des « vĂȘpres »
La bataille d'AthĂšnes
Ă 5 heures du matin, le 1er dĂ©cembre (18 novembre julien), lâEntente dĂ©barque au PirĂ©e 1 200[N 5] marins français, britanniques et italiens[35] - [36] qui prennent la direction de la capitale[37] - [22]. Peu avant le dĂ©barquement, Constantin Ier a envoyĂ© Ă Dartige du Fournet son marĂ©chal du palais afin de lui faire savoir une derniĂšre fois son refus de lui remettre les armes demandĂ©es par lâEntente. Mais, sĂ»r de lui, le vice-amiral a seulement rĂ©pondu Ă lâĂ©missaire que son ultimatum expirait Ă minuit[36].
- Le Zappéion, lieu de retranchement du vice-amiral Dartige du Fournet pendant l'attaque grecque.
- artillerie française sur les hauteurs d'AthÚnes.
Peu Ă peu, les soldats de lâEntente atteignent les positions stratĂ©giques qui leur ont Ă©tĂ© indiquĂ©es par Dartige du Fournet mais ils ont cependant la surprise de les trouver dĂ©jĂ occupĂ©es par des soldats grecs . Durant prĂšs de deux heures, les deux forces se jaugent sans tirer. Mais, en milieu de matinĂ©e, un coup de feu retentit et la « bataille dâAthĂšnes » commence, sans quâil soit possible de dire quel camp lâa entamĂ©e[38] - [36].
Une fois les combats dĂ©clenchĂ©s, lâambassadeur de Russie se rend au palais royal, rejoint par les autres ambassadeurs de lâEntente[39]. DĂ©sireux de mettre fin aux combats, le roi leur propose une solution de compromis et le vice-amiral, qui manque de troupes et de munitions, accepte rapidement lâoffre qui lui est faite par leur intermĂ©diaire. Pourtant, les combats reprennent avant quâun accord soit obtenu. Les batteries grecques placĂ©es sur la colline dâArditos tirent en effet sur lâentrĂ©e du ZappĂ©ion, oĂč le commandant des forces de lâEntente assiĂ©gĂ©s par une foule de quelque 10 000 civils grecs qui menacent Ă©galement les ambassades a Ă©tabli son quartier gĂ©nĂ©ral[40]. En consĂ©quence, lâescadre alliĂ©e situĂ©e prĂšs de PhalĂšre bombarde diffĂ©rents quartiers de la capitale et principalement ceux situĂ©s autour du stade panathĂ©naĂŻque et du palais royal[38] - [35]. Les pourparlers reprennent et un compromis est atteint. Constantin Ier accepte alors de remettre Ă Dartige du Fournet six batteries de montagne au lieu des dix que demandait le vice-amiral[41] - [38].
En fin dâaprĂšs-midi, les combats se terminent. LâEntente compte 194 morts et blessĂ©s, les Grecs 82 (plus un nombre inconnu de victimes civiles)[38] - [42]. HumiliĂ©es par cet Ă©chec, les forces alliĂ©es Ă©vacuent la capitale grecque tĂŽt dans la matinĂ©e du 2 dĂ©cembre[38].
Le rÎle des vénizélistes
Le rĂŽle des vĂ©nizĂ©listes dans la bataille a Ă©tĂ© intensĂ©ment dĂ©battu. Selon Louis Dartige du Fournet, les forces de lâEntente reçoivent, pendant les combats, le soutien dâun grand nombre de partisans de lâancien Premier ministre armĂ©s secrĂštement. RetranchĂ©s dans des bĂątiments athĂ©niens, ils attaquent les unitĂ©s grecques qui passent Ă leur portĂ©e[35]. Pour lâamiral, les vĂ©nizĂ©listes auraient dâailleurs Ă©tĂ© si nombreux quâil aurait eu le sentiment dâassister lĂ Ă un Ă©pisode dâune guerre civile[43].
Selon certaines sources comme G. F. Abbott, les fidĂšles de VenizĂ©los continuent Ă combattre les loyalistes jusquâau 2 dĂ©cembre, avant de cesser le feu ou de capituler. Les forces loyalistes dĂ©couvrent alors parmi eux dâimportantes quantitĂ©s dâarmes et de munitions, dont certaines toujours enveloppĂ©es dans les toiles françaises qui avaient servi Ă leur livraison. Les rebelles sont ensuite conduits en prison, non sans que des foules en furie essaient de les lyncher sur leur passage[43].
Cependant, dâautres tĂ©moins des « vĂȘpres grecques » nient la prĂ©sence de volontaires vĂ©nizĂ©listes aux cĂŽtĂ©s des combattants de lâEntente. Lâhistorien monarchiste Pavlos Karolidis Ă©crit ainsi quâaucun vĂ©nizĂ©liste nâa soutenu les forces franco-britanniques durant la bataille et quâaprĂšs les raids qui ont suivi dans les demeures des Ă©lites vĂ©nizĂ©listes, aucune arme nâa Ă©tĂ© trouvĂ©e par la police royale, Ă part quelques rares couteaux[44].
La répression contre les vénizélistes
RĂ©el ou non, le soutien des vĂ©nizĂ©listes aux troupes de lâEntente provoque un vent de colĂšre dans les milieux monarchistes de la capitale hellĂ©nique. Des foules loyalistes sâabattent alors sur toute la ville, saccageant les maisons et les commerces des vĂ©nizĂ©listes durant trois jours et tuant trente-cinq personnes[45]. DâaprĂšs S. M. Chester, la majoritĂ© des victimes de ces violences sont des rĂ©fugiĂ©s dâAsie mineure[46]. Des centaines dâentre eux sont emprisonnĂ©s et gardĂ©s Ă l'isolement. Pour Karolidis, lâarrestation de certains vĂ©nizĂ©listes de premier plan, comme le maire dâAthĂšnes Emmanuel BenĂĄkis, est une honte[44].
Selon Seligman, il faut ensuite attendre quarante-cinq jours pour que les prisonniers vĂ©nizĂ©listes soient libĂ©rĂ©s, grĂące Ă un nouvel ultimatum de lâEntente acceptĂ© le 16 janvier[47]. G. F. Abbot affirme que, durant la nuit oĂč les marins de lâEntente ont quittĂ© la capitale, plusieurs criminels Ă la solde des services secrets français et britanniques auraient fui la capitale que, d'aprĂšs lui, ils terrorisaient depuis presque un an[41].
Un événement aux conséquences multiples
Sur le front macédonien et en GrÚce
AprĂšs cette humiliante dĂ©faite, le vice-amiral Dartige du Fournet est relevĂ© de ses fonctions[48]. Mais, peu dĂ©sireux de risquer un nouveau fiasco, les AlliĂ©s se contentent de faire subir au pays un blocus naval trĂšs Ă©troit, causant ainsi dâimportantes restrictions alimentaires en GrĂšce du sud[42].
Surtout, dĂšs le , en rĂ©ponse aux Ă©vĂ©nements de la veille, la France et le Royaume-Uni donnent un dĂ©but de reconnaissance au gouvernement de dĂ©fense nationale dâElefthĂ©rios VenizĂ©los, officialisant ainsi la division opĂ©rĂ©e par le Schisme national[49] - [50]. Satisfait de cette Ă©volution, le gouvernement de dĂ©fense nationale dĂ©clare, le 7 dĂ©cembre, la guerre aux puissances centrales[50] - [51] - [52]. En reprĂ©sailles, un mandat dâarrestation est lancĂ© par le pouvoir royal contre VenizĂ©los tandis que lâarchevĂȘque-primat ThĂ©oclĂšte Ier dâAthĂšnes excommunie lâancien Premier ministre[53] - [54].
En France et au Royaume-Uni
En France, le prĂ©sident du conseil Aristide Briand, qui a longtemps soutenu lâidĂ©e dâune rĂ©conciliation entre ElefthĂ©rios VenizĂ©los et le roi Constantin Ier, est directement menacĂ© par les Ă©vĂ©nements dâAthĂšnes et une rĂ©organisation de son gouvernement doit ĂȘtre opĂ©rĂ©e le sous la pression de lâopinion publique et de la Chambre[55].
En Grande-Bretagne, les consĂ©quences de la dĂ©faite alliĂ©e ne sont pas moins importantes. Trois jours aprĂšs les « vĂȘpres », le Premier ministre Herbert Henry Asquith et le ministre des Affaires Ă©trangĂšres Edward Grey remettent leur dĂ©mission au roi Georges V et sont respectivement remplacĂ©s par David Lloyd George et Arthur Balfour. Pour la GrĂšce, ce changement dans le cabinet a une grande importance puisque Lloyd George est un fervent admirateur de VenizĂ©los et quâil sâintĂ©resse tout particuliĂšrement Ă la question d'Orient[42].
Lieu de mémoire
AprĂšs les « vĂȘpres », les corps des 54 soldats français tuĂ©s durant les combats sont enterrĂ©s au cimetiĂšre Anastaseos (cimetiĂšre de la RĂ©surrection) de la commune de Keratsini, prĂšs du PirĂ©e, dans un carrĂ© rĂ©servĂ© Ă la France Ă lâintĂ©rieur du cimetiĂšre catholique. En 1922, les corps sont rapatriĂ©s en France[56].
Il subsiste aujourdâhui dans le cimetiĂšre une stĂšle commĂ©morative qui ne porte que 43 des noms des 54 victimes. Chaque annĂ©e, le 2 novembre, les catholiques grecs y cĂ©lĂšbrent une cĂ©rĂ©monie Ă leur mĂ©moire[56].
Notes et références
Notes
- On trouve aussi les noms de « vĂȘpres athĂ©niennes », de « guet-apens d'AthĂšnes » et d'« Ă©vĂ©nements de dĂ©cembre ».
- Bien que neutre, la GrÚce a autorisé, par la voix du Premier ministre Elefthérios Venizélos, le débarquement des troupes de l'armée d'Orient à Thessalonique le . Mais, en agissant ainsi, l'homme politique a passé outre la volonté du roi Constantin Ier de ne pas intervenir dans le conflit. Venizélos a donc été démis de ses fonctions et remplacé par Aléxandros Zaïmis le (Driault et Lhéritier 1926, tome V, p. 204-206).
- Depuis le mariage de Constantin avec la princesse Sophie de Prusse, sĆur du Kaiser Guillaume II d'Allemagne, le roi des HellĂšnes est regardĂ© comme un fervent partisan de l'Allemagne par le gouvernement français (Driault et LhĂ©ritier 1926, tome V, p. 260-266).
- Ă l'Ă©poque, l'attitude Ă©quivoque de Briand, qui entretient une relation amoureuse avec une belle-sĆur de Constantin Ier, le fait passer pour le jouet du roi des HellĂšnes (David Dutton, « The Deposition of King Constantine of Greece, June 1917 : An Episode in Anglo-French Diplomacy » dans Canadian Journal of History, vol. 12, no 4, 1977, p. 327-328).
- Câest le chiffre indiquĂ© par Ădouard Driault et Michel LhĂ©ritier. Selon George F. Abbot et lâIndex of Events in the Military History of the Greek Nation., Hellenic Army General Staff, Army History Directorate, AthĂšnes, 1998. (ISBN 960-7897-27-7) p. 110, ils seraient en fait 3 000. Paul Chack et J-J. Antier sur le tome 2 de l'Histoire maritime de la premiĂšre guerre mondiale indiquand 2 000 fusiliers marins.
Références
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- Driault et Lhéritier 1926, tome V, p. 255.
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- Kitromilides 2006, p. 124.
- Clogg 2002, p. 87.
- Driault et Lhéritier 1926, tome V, p. 267.
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Autres ouvrages sur la GrĂšce
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- Ădouard Driault et Michel LhĂ©ritier, Histoire diplomatique de la GrĂšce de 1821 Ă nos jours, t. IV et V, Paris, Presses universitaires de France, (lire en ligne)
- (en) Pavlos Karolidis et Constantin Paparrigopoulos, History of the Hellenic Nation, vol. VI, Eleftheroudakis,
- (en) SpĂros MarkezĂnis, Political History of modern Greece, vol. IV, Papyros,
Biographie de personnalités liées à l'événement
- (en) S. M. Chester, Life of Venizelos, with a letter from His Excellency M. Venizelos, Londres, Constable, (lire en ligne)
- Vice-amiral Louis Dartige du Fournet, Souvenirs de guerre d'un amiral, 1914-1916, Paris, Plon-Nourrit, (lire en ligne)
- (en) Herbert Adams Gibbons, Venizelos, Nabu Press, (ISBN 978-1-176-41837-0, OCLC 945119216)
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- (en) Hibben Paxton, Constantine I and the Greek People, New York, Century, (lire en ligne)
- (en) V. J. Seligman, Victory of Venizelos, (lire en ligne)
- (en) P. Vatikotes, Popular autocracy in Greece, 1936-41 : a political biography of general Ioannis Metaxas, Routledge, , 223 p. (ISBN 978-0-7146-4869-9)