Vosegus
Vosegus (le plus souvent Vogesus, parfois Vosagus ou plus rarement Vosacius) Ă©tait le nom empruntĂ© au monde celtique rhĂ©nan au sein de l'empire romain pour dĂ©signer la chasse dans les forĂȘts profondes[1]. Vosegus est dans l'hĂ©ritage gallo-romain un dieu topique de la faune[2]. Cette antique divinitĂ© Ă la fois noire et souvent invisible est dans ce sens proche d'Arduinna et Abnoba.
Vogesus | |
Dieu de la mythologie celtique | |
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StÚle votive pour Vosegus (Musée historique du Palatinat). | |
Caractéristiques | |
Fonction principale | Dieu de la silva vosagum |
Période d'origine | Antiquité celte et gauloise |
Symboles | |
Attribut(s) | arc, bouclier, chien |
Description gallo-romaine
Sur les rares reprĂ©sentations qui nous soit parvenues, Vosegus est reprĂ©sentĂ© avec un arc et un bouclier, il est parfois accompagnĂ© d'un chien[3]. Un centre oĂč Vosegus Ă©tait vĂ©nĂ©rĂ© est au voisinage de Donon, encore aujourd'hui lieu de brame des cerfs en automne. Sur ce double mont sacrĂ© ou dunum en gaulois, il y avait deux temples consacrĂ©s au culte solsticial, le solstice d'hiver sur le Petit Donon, le solstice d'Ă©tĂ© au (grand) Donon proprement dit. Vosegus divinitĂ© prĂ©sidant Ă la faune ou Ă la vie sauvage, on dirait aujourd'hui la nature, y avait son culte[4].
Dans la religion gallo-romaine, forte du syncrétisme méditerranéen avec les cultes belges autochtones, Vosegus s'impose en dieu tutélaire de la silva Vosagum, vaste contrée forestiÚre rassemblant les Vosges et la VÎge, dans l'est de la Gaule. Son nom est aussi attesté sur environ cinq inscriptions à l'ouest de l'Allemagne, notamment dans le continuum allemand des Basses-Vosges, ainsi que dans l'Est de la France, deux fois sous la forme Vosego Silv(estri) et une fois sous la forme Merc(urio) Vos(ego)[5].
Description locale
Dieu topique Ă la vouge[6], juchĂ© sur un arbre et coupant les extrĂ©mitĂ©s des branches vertes, l'art des conteurs vosgiens lui faisait chanter une chanson rauque, affirmant que les vents violents n'auraient plus de prises et donc ne dĂ©truiraient pas les grands arbres vĂ©nĂ©rables des forĂȘts. Mieux il est le dieu qui domestique les vents, ce qui pourrait en faire, par rĂ©cupĂ©ration chrĂ©tienne, le patron des soufflets ou des souffleries, et de leurs servants.
La divinitĂ© modeste devenue une crĂ©ature du folklore mĂ©diĂ©val n'a gardĂ© qu'une prĂ©gnance exclusive sur le vĂ©gĂ©tal. Il n'est qu'un protecteur des arbres et par consĂ©quent du monde vĂ©gĂ©tal. C'est peut-ĂȘtre la fonction d'origine du dieu celtique qui a Ă©tĂ© Ă©tendue abusivement Ă l'Ă©poque gallo-romaine. Il serait regrettable de le confondre avec Cernunnos, le dieu celte cornu, protecteur de la faune (mammalienne) et du renouveau vital.
Tout vĂ©gĂ©tal est en principe immobile Ă la base de sa tige ou de son tronc. Il est par consĂ©quent l'ĂȘtre vivant d'un lieu. Dans la tradition vosgienne, le qualificatif de l'ĂȘtre Ă la vouge est Thanne ou Dani. Le mot, probablement gaulois, est apparentĂ© au vieux germanique danna, qui est d'abord un adverbe de lieu avant de devenir l'adverbe de temps "dann" en allemand du XIXe siĂšcle. Le terme allemand est de mĂȘme racine que l'article dĂ©fini "der". Thanne ou Dane signifie un attachement inĂ©branlable Ă un lieu prĂ©cis, celui-lĂ et pas ailleurs. En tĂ©moigne la dĂ©nomination toponymique de Thann, petite ville mĂ©diĂ©vale autrefois prospĂšre sur la route qui franchissait le massif vosgien pour rejoindre Bussang et la vallĂ©e de la Moselle, le nom gĂ©nĂ©rique des Dani ou Danois...
Il existe une ancienne confusion perceptible entre ce terme Thanne et le vieil-haut-allemand tanna, qui a donnĂ© die Tanne, le sapin en allemand. Mais une observation attentive des rituels anciens et la diffĂ©rence phonĂ©tique ne peut induire en erreur. Il s'agit d'un calque gallo-romain qui a utilisĂ© le sapin (tanna, venant de l'indo-europĂ©en dhanu-h, soit l'arc en bois de sapin soit l'attribut de Vosegus) comme symbole de Vosegus et parfois dans l'ĂȘtre vert Ă la vouge. Dans le langage des "mais", cĂ©rĂ©monial de verdure antique et mĂ©diĂ©val souvent associĂ© au premier mai, la branche de sapin reprĂ©sente la fidĂ©litĂ©, la foi continuĂ©e, la longĂ©vitĂ© extrĂȘme de vie ainsi que le souhait d'une bonne et longue vieillesse. L'ĂȘtre Ă la vouge patronnait cette cĂ©rĂ©monie, allant du baptĂȘme des fontaines au nobles dĂ©filĂ©s, en passant par le langage du dĂŽnage des garçons amoureux, mais il n'incite pas Ă couper que du sapin, fait rare destinĂ© Ă un curĂ© exemplaire ou une vieille fille acariĂątre.
Les interprĂ©tations savantes ou littĂ©raire du XIXe siĂšcle sont rĂ©vĂ©latrices d'assimilations hĂątives Ă des rites de force ou de puissance viriles ou animales. Une pseudo-Ă©tymologie latine, par le terme vosego, dĂ©signant la force, la vigueur, voire la virilitĂ© sexuelle, ou une dĂ©rivation ou dĂ©composition fantaisiste par bos, le bĆuf pour suggĂ©rer le culte de la force ritualisĂ© du taureau en MĂ©diterranĂ©e, se retrouve parmi les interprĂ©tations les plus citĂ©es. Il est vrai que le bonhomme couvert de branchages verts, l'ĂȘtre vert, qui le reprĂ©sente dans les rĂ©cits mĂ©diĂ©vaux, porte en lui une vigueur vĂ©gĂ©tale exceptionnelle, Ă l'aune du printemps naissant. Le bonhomme vert, protecteur des jeunes pousses, peut logiquement ĂȘtre placĂ© sous le patronage de VĂ©nus, dĂ©esse de la prime saison et des amours de la Rome antique. Que ce reprĂ©sentant de la vie renaissante soit assimilĂ© Ă un puissant bovidĂ© qui ne se nourrit paradoxalement que d'herbes vertes et de verdures, est aussi comprĂ©hensible.
Peut-on retrouver des corrĂ©lations faciles avec le monde gallo-romain de la chasse, de la guerre, de la destruction mortifĂšre ? Il semble que la confusion avec HĂȘsus, le dieu de l'ĂȘtre et de la mort au combat, le dieu noir du vent et de rĂ©gĂ©nĂ©rescence Ă partir de la matiĂšre consumĂ©e, ait jouĂ© lors de l'attribution gallo-romaine au dieu Vosegus ou Vogesus de sa fonction de "chasseur errant dans les bois". Il existe un calendrier rituel prĂ©cis, comme les conteurs ne cessaient de le rappeler, propre Ă chaque culture et lieu. Le conte typique des Vosges du Sud, du faucheur fou au dĂ©but de l'Ă©tĂ© aprĂšs la saint-Jean, qui, une fois sa faux en main, ne s'arrĂȘte plus et fauchait toute la vallĂ©e et au-delĂ , illustre sous une forme humoristique, le changement de statut divin : Vosegus patronnerait dans ce cas la rĂ©colte de foin et d'herbe, il coupe sans Ă©tat d'Ăąme. Son chien reprĂ©sente ici la canicule, la privation d'eaux nĂ©fastes Ă la rĂ©colte et explique la cĂ©rĂ©monie lorraine du tue-chĂŻn, c'est-Ă -dire le rite de tuer le chien, qui impose idĂ©alement une pĂ©riode sans pluies qui est justement levĂ©e Ă la fin de la fenaison par le rameau vĂ©gĂ©tal ou la branche de sapin, placĂ© sur le dernier chariot de rĂ©colte[7]. Ă l'automne, surtout aprĂšs la Samain[8], Vosegus serait alors le premier des bĂ»cherons merveilleux, un rĂŽle de contes qu'il hĂ©rite de son probable statut archaĂŻque de dieu des arbres et du vent[9].
Aussi force est de constater que Vosegus est en premier lieu associĂ© au rituel pacifique du mai, avec ses dĂ©filĂ©s, ses dĂŽnages, ses associations en fĂȘtes... ou Ă des pratiques mĂ©dicales, par l'usage des plantes sĂ©chĂ©es Ă partir de ce jour. S'Ă©changer ou dĂ©poser une petite branche, un bouquet de rameaux fleuris de mai ou mĂȘme un arbre est un rite clos dans le temps. Le soir ou le jour suivant, les produits de la cueillette s'Ă©vanouissent dans un grand feu. Comment ne pas retrouver le principe de Beltaine, de sa vigile Ă la fĂȘte de purification des bestiaux sortis des Ă©tables. Les troupeaux devaient en effet ĂȘtre conduits vers de grands feux, allumĂ©s sur des amas de bois verts, sources de fumĂ©es denses et de brouillards au contact de l'air frais.
Voir aussi
Articles connexes
Références
- Il faut supposer une prononciation assez gutturale du type uossgessus ou uossagessus pour unifier les variantes. Les deux variantes latine, masculine, VÇgÄsus et VÇsÄgus,i, dĂ©signant le dieu topique ont donnĂ© respectivement Vogesen en allemand par l'adoption en germanique du terme de basse-latinitĂ©, les dĂ©terminants gĂ©ographiques VĂŽge et Vosges, en passant par le mot gallo-romain passĂ© en latin mĂ©diĂ©val, repris de l'ancien français Vouge par renormalisation latine et française Ă la Renaissance. On remarquera que la vouge dĂ©signe des outils apparemment diffĂ©rents, soit le nom de l'outil paysan coupant, une sorte de serpette de dĂ©frichage, soit une arme d'hast soit un soufflet. Ce serait des attributs de ce dieu.
- Geschichte zur frĂŒhen Besiedlung des Oberrheingrabens, Geological Institute of Albert-Ludwigs-UniversitĂ€t Freiburg (de)
- Gallo-Roman Exhibition at Langensoultzbach (en) « Copie archivée » (version du 8 novembre 2007 sur Internet Archive)
- Vosegus - A Gaulish god: The Sower (en)
- Nicole Jufer & Thierry LuginbĂŒhl. 2001. Les dieux gaulois : rĂ©pertoire des noms de divinitĂ©s celtiques connus par l'Ă©pigraphie, les textes antiques et la toponymie. Ăditions Errance, Paris.
- La vouge ou vÎge est une serpette destinée à couper les petits bois ou branchages.
- Il s'applique aussi Ă la maison couverte en fin de construction.
- Les trois premiers jours de novembre sont devenus Toussaint, FĂȘte des morts...
- La prĂ©sence du chien est signe de fidĂ©litĂ© et de sĂ©cheresse : il s'agit bien plus d'un vent shamanique qu'il faut savoir entendre en soi, vent de purification du monde vĂ©gĂ©tal pour qu'il puisse avec le retour du soleil reprendre sa croissance. Vosegus affirme une juste rĂ©gulation du monde Ă©cologique, oĂč l'excĂšs de la croissance est compensĂ© par la coupe, le fauchage ou le broutage des espĂšces animales.
Bibliographie
- Michel Pastoureau, Vert. Histoire d'une couleur, Ă©dition du Seuil, 2013, 240 p.