AccueilđŸ‡«đŸ‡·Chercher

Ultrafiltre

En mathématiques, et plus précisément en théorie des ensembles, un ultrafiltre sur un ensemble X est une collection de sous-ensembles de X qui est un filtre, et qui n'est pas contenue dans un filtre plus grand. On peut considérer un ultrafiltre comme étant une mesure (finiment additive), et alors tout sous-ensemble de X est, pour cette mesure, soit négligeable (de mesure 0), soit valant « presque tout » X (de mesure 1). Cette notion se généralise aux algÚbres de Boole et aux ordres partiels, et a de nombreuses applications en théorie des modÚles et en topologie.

Le diagramme de Hasse montre l'ensemble de tous les sous-ensembles de {1,2,3,4}, partiellement ordonnĂ©s par inclusion d'ensemble (⊆). L'ensemble supĂ©rieur ↑{1,4} est surlignĂ© en vert foncĂ©, c'est un filtre. Cependant, ce n'est pas un ultrafiltre, car il peut toujours ĂȘtre Ă©tendu au filtre correctement plus grand ↑{1}, reprĂ©sentĂ© en vert clair. Ce dernier ne peut pas ĂȘtre Ă©tendu Ă  son tour Ă  un filtre non trivialement plus grand, il s'agit donc d'un ultrafiltre.

DĂ©finition

Étant donnĂ© un ensemble X, un ultrafiltre sur X est un ensemble U formĂ© de sous-ensembles de X tel que :

  1. l'ensemble vide n'est pas un élément de U ;
  2. toute partie de X incluant un élément de U est aussi un élément de U ;
  3. L'intersection de deux éléments de U est également dans U ;
  4. si A est un sous-ensemble de X, alors A ou son complémentaire X\A est un élément de U.

Remarques :

  • les axiomes 1 et 3 impliquent que A et X\A ne peuvent ĂȘtre tous les deux Ă©lĂ©ments de U ; le ou de l'axiome 4 est exclusif ;
  • tout ultrafiltre sur X est un filtre sur X, c'est-Ă -dire qu'il vĂ©rifie les axiomes 1, 2 et 3 et qu'il est non vide (d'aprĂšs l'axiome 4).

D'autres caractérisations des ultrafiltres sont données par le théorÚme suivant :

Pour tout filtre U sur X, les conditions suivantes sont Ă©quivalentes :

  • U est un ultrafiltre sur X ;
  • il n'y a pas de filtre sur X strictement plus fin que U, c'est-Ă -dire que pour tout filtre F sur X, U ⊂ F entraĂźne U = F[1] ;
  • AâˆȘB ∈ U entraĂźne A ∈ U ou B ∈ U[2].

Une autre façon d'envisager les ultrafiltres sur X est de dĂ©finir une fonction m sur l'ensemble des parties de X en posant m(A) = 1 si A est un Ă©lĂ©ment de U et m(A) = 0 sinon. Alors m est une mesure finiment additive sur X, et (par rapport Ă  m), toute propriĂ©tĂ© des Ă©lĂ©ments de X est soit vraie presque partout, soit fausse presque partout. Il faut remarquer que cela ne dĂ©finit pas une mesure au sens usuel, lequel demande que m soit dĂ©nombrablement additive ; d'ailleurs, un ultrafiltre qui dĂ©finit ainsi une mesure dĂ©nombrablement additive est dit σ-complet, et l'existence d'un tel ultrafiltre (non trivial) est en fait non dĂ©montrable dans ZFC, et est Ă©quivalente Ă  un axiome de grand cardinal.

Complétude

Le degrĂ© de complĂ©tude d'un ultrafiltre U est le plus petit cardinal Îș tel qu'il existe une famille de Îș Ă©lĂ©ments de U dont l'intersection n'est pas dans U. Cette dĂ©finition implique que le degrĂ© de complĂ©tude de tout ultrafiltre est au moins ℔₀. Un ultrafiltre dont le degrĂ© de complĂ©tude est supĂ©rieur Ă  ℔₀ — autrement dit, tel que l'intersection de toute famille dĂ©nombrable d'Ă©lĂ©ments de U est encore dans U — est dit dĂ©nombrablement complet ou encore σ-complet.

Le degrĂ© de complĂ©tude d'un ultrafiltre (non trivial) σ-complet est toujours un cardinal mesurable.

Généralisation aux ensembles partiellement ordonnés

Dans la théorie des ensembles ordonnés, un filtre F d'un ensemble ordonné E est un sous-ensemble non vide strict de E tel que, si x appartient à F et x inférieur à y, alors y appartient à F, et pour tout x et y éléments de F, il existe z élément de F qui soit inférieur ou égal à x et à y. Un ultrafiltre de E est un filtre maximal pour l'inclusion.

Un cas particulier important d'ensemble ordonné est celui d'une algÚbre de Boole. Dans ce cas, un filtre est un sous-ensemble non vide strict de E tel que, si x appartient à F et x inférieur à y, alors y appartient à F, et pour tout x et y éléments de F, x ∧ y appartient à F. Les ultrafiltres d'une algÚbre de Boole sont caractérisés par le fait de contenir, pour chaque élément a de l'algÚbre, soit a, soit son complémentaire non-a (égal à 1-a).

Les ultrafiltres d'une algÚbre de Boole sont associés aux idéaux premiers (qui dans ce cas sont également les idéaux maximaux), par l'intermédiaire des homomorphismes de l'algÚbre vers le corps F2 (noté ici ), de la maniÚre suivante.

  • Étant donnĂ© un homomorphisme d'une algĂšbre de Boole vers {vrai, faux}, la prĂ©-image de « vrai » est un ultrafiltre, et la prĂ©-image de « faux » est un idĂ©al maximal.
  • Étant donnĂ© un idĂ©al maximal d'une algĂšbre de Boole, son complĂ©mentaire est un ultrafiltre, et il y a un unique homomorphisme vers {vrai, faux} envoyant l'idĂ©al sur « faux ».
  • Étant donnĂ© un ultrafiltre d'une algĂšbre de Boole, son complĂ©mentaire est un idĂ©al maximal, et il y a un unique homomorphisme vers {vrai, faux} envoyant l'ultrafiltre sur « vrai ».

Un autre théorÚme pourrait fournir une caractérisation alternative du concept d'ultrafiltre : soit B une algÚbre de Boole et F un filtre non trivial (ne contenant pas 0). F est un ultrafiltre si, et seulement si,

pour tous , si , alors ou

pour éviter des confusions, les signes , sont utilisés pour noter les opérations de l'algÚbre, tandis que les connecteurs logiques sont écrits en français[3].

Ultrafiltres triviaux et non triviaux

Un filtre principal (ou trivial, ou fixĂ©) est un filtre ayant un Ă©lĂ©ment minimal, qui est alors minimum. Les filtres triviaux sont donc des ultrafiltres particuliers, de la forme Fa = {x | a ≀ x} pour un certain Ă©lĂ©ment a de l'ensemble (partiellement ordonnĂ©) de base. Dans ce cas, a s'appelle l'Ă©lĂ©ment principal de l'ultrafiltre. Dans le cas de filtres sur des ensembles, les Ă©lĂ©ments principaux sont exactement les singletons. Ainsi, un ultrafiltre trivial sur S est formĂ© de tous les ensembles contenant un point donnĂ© de S. Les ultrafiltres sur des ensembles finis sont tous triviaux. Tout ultrafiltre non trivial est appelĂ© un ultrafiltre libre (ou non principal).

On peut montrer, en utilisant le lemme de Zorn que tout filtre (ou plus généralement tout sous-ensemble ayant la propriété d'intersection finie) est contenu dans un ultrafiltre, et par conséquent que des ultrafiltres libres existent, mais cette démonstration utilisant l'axiome du choix, il n'est pas possible de donner des exemples d'ultrafiltres non triviaux, et il existe d'ailleurs des modÚles de ZF n'en contenant pas. Cependant, si on admet l'axiome du choix, on peut montrer que « presque tous » les ultrafiltres sur un ensemble infini X sont libres ; plus précisément[4] : le cardinal de l'ensemble des ultrafiltres (donc aussi celui des ultrafiltres libres) est égal à 22|X| (strictement supérieur au cardinal |X| de l'ensemble des ultrafiltres triviaux).

Applications

Les ultrafiltres (sur des ensembles) ont des applications en topologie, en particulier en relation avec l'Ă©tude de la compacitĂ©, et en thĂ©orie des modĂšles, pour la construction d'ultraproduits et d'ultrapuissances. Tout ultrafiltre sur un espace compact (sĂ©parĂ©) est convergent, vers un point unique (et ce rĂ©sultat caractĂ©rise les espaces compacts). De mĂȘme, les ultrafiltres sur des ensembles partiellement ordonnĂ©s sont particuliĂšrement utiles si l'ensemble est une algĂšbre de Boole, car alors ils coĂŻncident avec les filtres premiers ; cette forme joue un rĂŽle central dans le thĂ©orĂšme de reprĂ©sentation de Stone pour les algĂšbres de Boole.

L'ensemble G de tous les ultrafiltres sur un ordre partiel P peut ĂȘtre muni d'une structure topologique naturelle, qui est d'ailleurs Ă©troitement reliĂ©e au thĂ©orĂšme de reprĂ©sentation prĂ©cĂ©dent : pour tout Ă©lĂ©ment a de P, soit Da = {U ∈ G | a ∈ U} ; alors, si P est une algĂšbre de Boole, l'ensemble de tous les D est une base d'une topologie compacte (sĂ©parĂ©e) sur G. En particulier, considĂ©rant les ultrafiltres sur un ensemble S (autrement dit, en prenant pour P l'ensemble des parties de S ordonnĂ© par inclusion), l'espace topologique correspondant est le compactifiĂ© de Stone-Čech de S muni de la topologie discrĂšte.

La construction des ultraproduits en thĂ©orie des modĂšles utilise des ultrafiltres pour obtenir des extensions Ă©lĂ©mentaires (en) de structures. Par exemple, la construction des nombres hyperrĂ©els commence par Ă©tendre le domaine du discours des rĂ©els Ă  l'ensemble des suites de rĂ©els, considĂ©rĂ© comme une extension des rĂ©els, identifiĂ©s aux suites constantes. Les opĂ©rations et les relations entre rĂ©els ne peuvent ĂȘtre directement ĂȘtre Ă©tendues aux suites, parce que, par exemple, les suites ne sont pas totalement ordonnĂ©es par l'ordre produit. On dĂ©finit donc ces relations « modulo U » (oĂč U est un ultrafiltre sur les entiers), c'est-Ă -dire, par exemple, qu'on pose si l'ensemble des indices k tels que appartient Ă  U. D'aprĂšs le thĂ©orĂšme de Ɓoƛ, ceci prĂ©serve toutes les propriĂ©tĂ©s des rĂ©els exprimables dans une logique du premier ordre, et si U est non trivial, l'extension ainsi obtenue contient de nouveaux objets (qui seront par exemple « infiniment grands », c'est-Ă -dire plus grands que tous les rĂ©els) ; cela permet donc de dĂ©finir rigoureusement des nombres infiniment petits (ou infiniment grands), et donc une construction explicite de l'analyse non standard.

En théorie géométrique des groupes, on utilise des ultraproduits pour définir le cÎne asymptotique d'un groupe. Cette construction donne un sens rigoureux au fait de « considérer le groupe vu de l'infini », c'est-à-dire d'étudier la géométrie du groupe à grande échelle. Le cÎne asymptotique est un cas particulier de la notion d'ultralimite d'un espace métrique.

La preuve ontologique de Gödel (de l'existence de Dieu) utilise parmi ses axiomes une caractérisation de l'ensemble des « propriétés positives » qui en fait un ultrafiltre.

En thĂ©orie du choix social, on utilise des ultrafiltres libres pour dĂ©finir une rĂšgle (appelĂ©e fonction de bien-ĂȘtre social) permettant de grouper les prĂ©fĂ©rences d'une infinitĂ© d'individus. Contrairement au thĂ©orĂšme d'impossibilitĂ© d'Arrow correspondant au cas fini, une telle rĂšgle satisfait Ă  toutes les conditions d'Arrow[5]. Ces rĂšgles ont cependant Ă©tĂ© dĂ©montrĂ©es n'avoir pas d'intĂ©rĂȘt pratique, car elles sont non calculables[6] - [7].

Ordre sur les ultrafiltres

L'ordre de Rudin–Keisler est un prĂ©ordre sur la classe des ultrafiltres dĂ©fini de la maniĂšre suivante : si U est un ultrafiltre sur X, et V un ultrafiltre sur Y, alors si et seulement s'il existe une fonction f: X → Y telle que

pour tout sous-ensemble C de Y.

Deux ultrafiltres U et V sont RK- Ă©quivalents, , s'il existe des ensembles , , et une bijection f: A → B vĂ©rifiant la condition prĂ©cĂ©dente (si X et Y ont le mĂȘme cardinal, la dĂ©finition peut ĂȘtre simplifiĂ©e en fixant A = X, B = Y).

On démontre que est le noyau de , c'est-à-dire que si et seulement si et .

Ultrafiltres sur ω

Walter Rudin a prouvé que l'hypothÚse du continu prouve l'existence d'ultrafiltres de Ramsey.

Voir le paragraphe correspondant de l'article en anglais.

Notes

(en) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de l’article de WikipĂ©dia en anglais intitulĂ© « Ultrafilter » (voir la liste des auteurs).
  1. C'est la dĂ©finition choisie par N. Bourbaki, ÉlĂ©ments de mathĂ©matique, livre III : Topologie gĂ©nĂ©rale [dĂ©tail des Ă©ditions], p. I.39.
  2. On en dĂ©duit par rĂ©currence que si une rĂ©union finie A1 âˆȘ 
 âˆȘ An de parties de X appartient Ă  un ultrafiltre U sur X, alors au moins l'un des Ak appartient Ă  U : Bourbaki, p. I.39.
  3. On trouvera les détails (et les démonstrations) dans (en) Stanley N. Burris et H. P. Sankappanavar, « A Course in Universal Algebra », , Corollary 3.13, p. 133.
  4. (en) Thomas Jech, Set Theory : The Third Millennium Edition, revised and expanded, Springer, , 3e Ă©d., 772 p. (ISBN 978-3-540-44085-7, lire en ligne), p. 75.
  5. (en) A.P. Kirman et D. Sondermann, Arrow's Theorem, many agents, and invisible dictators, Journal of Economic Theory, , 267–277 p. (lire en ligne), chap. 2.
  6. (en) Mihara, H.R., Arrow's theorem and Turing computability, vol. 10, Economic Theory, , 257–276 p. (lire en ligne), chap. 2.
  7. (en) Mihara, H.R., Arrow's theorem, countably many agents, and more visible invisible dictators, vol. 32, Journal of Mathematical Economics, , 267–288 p. (lire en ligne), chap. 3.

Références

Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplĂ©mentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimĂ©dias.