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Théorie du choix social

La théorie du choix social est un domaine multidisciplinaire lié aux thématiques de l'économie, de la théorie de la décision et de la théorie politique.

Elle vise l'étude et l'analyse de la manière dont la combinaison d'opinions individuelles peut mener, au niveau collectif (ou social) à un classement des choix possibles, voire à une décision unique. Cette théorie a donc pour champ d'application d'une part les questions d'évaluation des choix collectifs (aspect normatif) et d'autre part l'analyse des procédures de choix (aspect positif). Historiquement, elle est particulièrement appliquée aux questions de justice économique[1] - [2], de procédures de marchandage (partage équitable)[3], de vote (modes de scrutin)[4] et d'assignement (algorithmes d'appariement).

Plus récemment, l'avènement de l'intelligence artificielle fait émerger un nouveau domaine de recherche, le choix social computationnel, qui, d'une part, emprunte les concepts et procédures de la théorie du choix social pour résoudre des problèmes issus de l'informatique, et, d'autre part analyse les possibilités d'implémentation informatique des concepts développés par la théorie.

Fondements historiques

Le sujet a Ă©tĂ© abordĂ© Ă  la fin du XVIIIe siècle par des mathĂ©maticiens et des Ă©conomistes comme Adam Smith (1759), Borda (1781) et Condorcet (1785). Cet intĂ©rĂŞt pour la construction raisonnĂ©e d'un ordre social est influencĂ© par le contexte du mouvement des Lumières Ă  l'aube de la RĂ©volution française. En effet, les problèmes liĂ©s aux procĂ©dures de dĂ©pouillement de scrutins, les classements hĂ©donistes basĂ©s sur des apprĂ©ciations d'experts, classement des Ă©lèves sont des exemples qui sont susceptibles de brimer des droits de la minoritĂ© par les dĂ©sirs de la majoritĂ©. Or, selon Condorcet « le facteur essentiel de la structure sociale se trouve dans la possibilitĂ© pour chaque individu de participer Ă©galement Ă  la confection des lois Â»[5].

L'ambition de ces travaux de recherche naissants était l’élaboration d’un cadre théorique permettant des décisions de groupe démocratiques et non-arbitraires, tout en prenant en compte les préférences de tous les membres du groupe[6].

Théorie moderne du choix social

Deux siècles plus tard, dans les annĂ©es 1950, l’économiste amĂ©ricain Kenneth Arrow reprend cette question et fonde ce que l’on appelle aujourd’hui la thĂ©orie du choix social « arrovienne Â». L'Ă©tude intervient dans la discussion par les Ă©conomistes des critères de bien-ĂŞtre collectifs : l'utilitarisme de Jeremy Bentham peut-il constituer une base rationnelle d'Ă©valuation collective des dĂ©cisions Ă©conomiques ? Arrow se demande s'il est possible de nĂ©gliger l'intensitĂ© des utilitĂ©s et de n'en retenir que leur contenu informationnel de comparaison (« mieux que Â», « moins bien que Â»). Il dĂ©montre dans son livre Choix social et valeurs individuelles (1951), que si les Ă©valuations des options possibles par les individus sont des simples « prĂ©fĂ©rences Â», c'est-Ă -dire qu'elles sont seulement qualitatives et relatives (en pratique : un classement des options possibles) et nĂ©gligent donc les intensitĂ©s, alors les choix collectifs ne peuvent pas satisfaire les critères de rationalitĂ©. PrĂ©cisĂ©ment, Ă  travers le thĂ©orème d'impossibilitĂ© d'Arrow, il dĂ©montre mathĂ©matiquement que les prĂ©fĂ©rences sociales construites par agrĂ©gation de relations binaires transitives ne sont pas toujours transitives. De ce fait, il est impossible de trouver une règle d'agrĂ©gation des prĂ©fĂ©rences basĂ©e sur les seuls classements qui vĂ©rifie simultanĂ©ment l'universalitĂ©, l'unanimitĂ© et l'indiffĂ©rence aux alternatives non-pertinentes, tout en Ă©tant non-dictatoriale [7].

En 1952, le mathématicien Kenneth O. May exposa sa théorie dans un article fondateur intitulé A Set of Independent Necessary and Sufficient. Conditions for Simple Majority Decision[8] qui caractérise le principe de la règle de la majorité par quatre critères procéduraux (choix décisif, critère de l'anonymat, critère de la neutralité, respect du vote exprimé).

À partir des années 1970, les travaux d'Amartya Sen avec son ouvrage fondateur Collective Choice and Social Welfare  aborde la problématique dans un cadre moins restrictif que celui envisagé par Kenneth Arrow en précisant qu'un choix social ne peut pas être pris uniquement sur la base de jugements individuels qualitatifs relatifs. Ses travaux proposent d’enrichir le cadre conceptuel de la théorie du choix social et de l'économie normative en y intégrant des dimensions liées à la philosophie morale et à l’éthique sociale[9] - [10].

Choix social computationnel

À partir des années 1980, le domaine du choix social a été investi dans le domaine informatique (en particulier l'informatique théorique, l'intelligence artificielle et la recherche opérationnelle) dans le but d'utiliser des concepts computationnels et des techniques algorithmiques pour résoudre des problèmes de décisions collectives complexes[11].

Les premiers travaux axés sur le choix social computationnel sont initiés par Bartholdi III et al. (1989b) et par Hudry (1989)[12]. Ils utilisent des techniques algorithmiques pour mieux analyser les mécanismes du choix social dont notamment les règles de vote qui peuvent servir de barrière contre la manipulation stratégique d'une élection.

Certains domaines de l'intelligence artificielle comme l'apprentissage, le raisonnement dans l'incertain ou la représentation des connaissances, ont été appliqués au choix social dans le même but[13]. Les applications sont variées concernent aussi bien le vote (l'utilisation de procédures de vote pour la classification et la reconnaissance des formes), que le partage équitable de ressources (procédures d'agrégation pour le classement de pages web) ou la recherche de consensus (agrégation de jugement).

Références

  1. Fleurbaey (1996)
  2. B. Dutta "Inequality, poverty, and welfare", chapitre 12 dans Arrow, Sen and Suzumura (2002)
  3. Moulin (2003)
  4. Laslier (2004)
  5. Condorcet, Jean-Antoine-Nicolas de Caritat (1743-1794 ; marquis de), Essai sur l'application de l'analyse à la probabilité des décisions rendues à la pluralité des voix, Paris, Imprimerie Royale, (lire en ligne)
  6. « Les apports de la théorie du choix social pour l’analyse de la démocratie », sur www.cairn.info, (consulté en )
  7. Encyclopaedia Universalis, Choix collectif et bien-être social d'Amartya Sen : Les Fiches de lecture d'Universalisé, Encyclopaedia Universalis, , 16 p. (ISBN 978-2-85229-468-4, lire en ligne)
  8. Kenneth O. May, « A Set of Independent Necessary and Sufficient Conditions for Simple Majority Decision », Econometrica,‎ (lire en ligne)
  9. cf. le recueil en français : Sen (1993)
  10. « La rationalité des préférences : à propos de l’interprétation de l’incomplétude dans les travaux d’Amartya Sen », sur Noesis, (consulté en )
  11. (en) Felix Brandt, Vincent Conitzer, Ulle Endriss et JĂ©rĂ´me Lang, Handbook of Computational Social Choice, Cambridge University Press, , 544 p. (ISBN 978-1-107-06043-2 et 1-107-06043-5, lire en ligne)
  12. (en) Bartholdi, J., Tovey, C, « Introduction to Computational Social Choice », Duke Computer Science,‎
  13. Nathanaël BARROT, Sur les aspects computationnels du vote par approbation, Paris, Université Paris Dauphine,

Bibliographie

Articles connexes

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