Troubles du sommeil dus au travail posté
Les troubles du sommeil dus au travail postĂ© (en anglais Shift work sleep disorder, abrĂ©gĂ© SWSD) sont des troubles du rythme circadien de veille-sommeil affectant les personnes effectuant un travail de nuit. Ces troubles sont caractĂ©risĂ©s par une somnolence excessive pendant les pĂ©riodes dâĂ©veil et/ou des insomnies pendant les pĂ©riodes de sommeil[1].
Causes et Diagnostic
Causes
Parmi les travailleurs de nuit, de nombreuses Ă©tudes montrent que certains ne sâhabituent pas Ă leurs horaires de travail, et ce mĂȘme aprĂšs plusieurs annĂ©es dâexpĂ©rience[2]. Dans lâenvironnement, de nombreux indices appelĂ©s Zeitgebers permettent de moduler la pĂ©riode ou la phase du rythme circadien endogĂšne des mammifĂšres[3]. Les principaux Zeitgebers connus Ă ce jour sont les variations dâintensitĂ© lumineuse au cours de la journĂ©e[3], les interactions sociales[4] et les heures de nutrition[5]. La mĂ©latonine[6] est un facteur interne altĂ©rant le rythme circadien des mammifĂšres. Par ailleurs, il existe aujourdâhui une controverse concernant les mĂ©canismes de communication entre les horloges pĂ©riphĂ©riques et lâhorloge centrale[7]. Le âdĂ©phasageâ que certains travailleurs subissent entre leur rythme endogĂšne et les Zeitgebers amĂšne Ă un systĂšme neuroendocrinien dĂ©ficient ce qui cause diffĂ©rents troubles chez ces personnes[8].
Diagnostic
D'aprĂšs la classification internationale des troubles du sommeil, les troubles du sommeil dus au travail postĂ© font partie des troubles du rythme circadien d'Ă©veil-sommeil (en anglais circadian rhythm sleep-wake disorder ou CRSWD)[9]. Ces troubles sont caractĂ©risĂ©s par deux principaux symptĂŽmes : le sommeil excessif ou, au contraire, lâinsomnie [9]. Les personnes atteintes des troubles du sommeil dus au travail postĂ© prĂ©sentent une perturbation chronique ou rĂ©currente du cycle veille-sommeil. Un dĂ©calage entre le rythme circadien endogĂšne et les alternances veille-sommeil imposĂ©es par le travail de nuit provoquent une altĂ©ration de leur horloge endogĂšne[9]. Pour prĂ©ciser le diagnostic de ces troubles, les mĂ©decins sont fortement encouragĂ©s Ă utiliser lâactimĂ©trie[10]. De plus les biomarqueurs, notamment le taux de mĂ©latonine relevĂ©s chez ces personnes Ă la suite d'une stimulation lumineuse[11] permettent de diagnostiquer le âshift work sleep disorderâ[9]. Lâutilisation de questionnaires tels que lâĂ©chelle dâĂ©valuation de la somnolence dâEpworth (Epworth Sleepiness Scale, ESS)[12] ou le questionnaire de typologie circadienne (Morningness-Eveningness Questionnaire)[9] complĂštent le diagnostic des troubles du sommeil dus au travail postĂ©. Des problĂšmes de santĂ© observĂ©s pendant une durĂ©e minimale de 3 mois peuvent ĂȘtre caractĂ©ristiques de ces troubles[9].
ProblÚmes de santé liés au travail posté
La modification du cycle circadien endogĂšne peut ĂȘtre source dâautres troubles et risques pour la santĂ©. Le rythme circadien du sommeil permet une coordination du milieu interne aux fluctuations du milieu externe. Si le rythme est dĂ©synchronisĂ© alors cela amĂšne Ă des difficultĂ©s chroniques qui ont dâimportantes consĂ©quences sur la santĂ© mentale et le bon fonctionnement de lâorganisme et de son mĂ©tabolisme[13].
DĂ©sordres hormonaux
Le cycle d'alternance sommeil-rĂ©veil et le rythme circadien endogĂšne jouent un rĂŽle dans la sĂ©crĂ©tion dâhormones. Le taux de cortisol prĂ©sente des variations circadiennes. Câest donc, comme la mĂ©latonine, un biomarqueur permettant de dĂ©tecter un cycle circadien perturbĂ©[14].
La sĂ©crĂ©tion dâinsuline est Ă©galement sous contrĂŽle de lâhorloge circadienne[14]. La modification des cycles de sommeil a une influence sur la tolĂ©rance au glucose[14].
La sĂ©crĂ©tion dâhormones de croissance (GH) est associĂ©e avec le dĂ©but du cycle du sommeil. Ainsi, lorsque le cycle sommeil-rĂ©veil est perturbĂ© la sĂ©crĂ©tion de cette hormone lâest aussi, ce qui peut entraĂźner des changements physiologiques et impacter la croissance d'un individu [13].
La testostĂ©rone est aussi une hormone contrĂŽlĂ©e par l'horloge circadienne. Les travailleurs de nuit masculins ont une plus forte probabilitĂ© dâavoir une production de testostĂ©rone plus basse et des symptĂŽmes liĂ©s Ă la dĂ©pression en comparaison avec des hommes qui travaillent de jour. Les chercheurs pensent que la plus faible production de testostĂ©rone est liĂ©e avec la prĂ©sence de symptĂŽmes liĂ©s Ă la dĂ©pression. Ils Ă©valuent les symptĂŽmes liĂ©s Ă la dĂ©pression grĂące Ă un questionnaire auprĂšs de travailleurs de nuit. Sur 766 travailleurs de nuit, 36,8 % ont des perturbations dans leurs rythmes circadiens et tous prĂ©sentent des symptĂŽmes de dĂ©pression. Parmi ceux qui ne prĂ©sentent pas de perturbation du rythme circadien, trĂšs peu prĂ©sentent tout de mĂȘme des symptĂŽmes de dĂ©pression, ceux-ci seraient liĂ©s Ă dâautre(s) facteur(s)[15].
Autres troubles associés
Les travailleurs Ă horaires rotatifs sont plus frĂ©quemment sujets Ă des problĂšmes gastro intestinaux se traduisant par des douleurs abdominales, de la diarrhĂ©e, de la constipation, des nausĂ©es, des vomissements, des indigestions et des brĂ»lures dâestomac[16]. On observe Ă©galement des risques accrus de cancer du cĂŽlon[17], de dĂ©pression, dâanxiĂ©tĂ©[18], de problĂšmes cardiovasculaires[19], dâAVC ischĂ©mique[20], dâirrĂ©gularitĂ© menstruelle[21] et dâĂ©checs reproductifs[22]. Le travail postĂ© peut Ă©galement diminuer lâefficacitĂ© de plusieurs traitements pour maladies chroniques[16] et peut aggraver plusieurs conditions de santĂ© prĂ©existantes dont : lâhypertension, le diabĂšte de type 1, lâĂ©pilepsie, lâasthme mĂ©dicamentĂ© et les troubles psychiatriques[23]. Il a Ă©galement Ă©tĂ© observĂ© que les longs horaires rotatifs sont associĂ©s Ă plus dâhabitudes dommageables comme le tabagisme, le manque dâactivitĂ© physique et une plus grande consommation dâalcool[24].
DĂ©ficits cognitifs au travail
Une personne en manque de sommeil ne peut pas se forcer de maniÚre fiable à rester éveillée et alerte. Des études conduites sur des médecins résidents suggÚrent que ni la motivation, ni l'entraßnement, ni une plus grande expérience de vie avec un sommeil réduit ne les rendent plus résistant aux effets négatifs du manque de sommeil[25]. Leurs capacités motrices, d'attention, de mémorisation, de communication[26], de prise de décisions, de résistance au stress émotionnel[27] ainsi que leur temps de réaction[26] demeureraient altérées.
Impacts sur le temps et la qualité du sommeil
Parmi un groupe d'infirmiers et d'infirmiĂšres, il a Ă©tĂ© observĂ© que les individus ayant un horaire fixe de 8 heures de travail par jour dorment significativement mieux que les individus ayant un horaire rotatif de 12 heures (travaillant parfois le jour, parfois la nuit). La quantitĂ© de sommeil se trouve diminuĂ©e chez les personnes travaillant de nuit. LâefficacitĂ© du sommeil (pourcentage du temps passĂ© au lit Ă dormir) Ă©galement, variant de 68 Ă 100% pour les individus travaillant de jour contre 41 Ă 100% pour ceux-celles travaillant de nuit. Les sujets effectuant un horaire rotatif de 12 heures rencontrent plus de difficultĂ© Ă sâendormir[2].
Le noyau suprachiasmatique
Le noyau suprachiasmatique ou NSC (en anglais suprachiasmatic nucleus), est situĂ© dans lâhypothalamus des mammifĂšres, dont lâHomme fait partie.
Il est formĂ© de plusieurs cellules autorythmiques constituant lâhorloge circadienne centrale des mammifĂšres. La pĂ©riode de lâactivitĂ© rythmique de ces cellules est de 24 heures au sein du corps en conditions normales (alternance du jour et de la nuit) [28], ce qui correspond Ă la durĂ©e dâun jour. En conditions constantes (lumiĂšre ou noirceur constante par exemple), cette activitĂ© diffĂšre de 24 heures. LâintensitĂ© lumineuse semble ĂȘtre le paramĂštre le plus important pour conserver un rythme endogĂšne de 24 heures[29].
Le principal facteur qui permet de rĂ©gler lâactivitĂ© des cellules du noyau suprachiasmatique sur un rythme de 24 heures est lâactivitĂ© des cellules ganglionnaires photosensibles de la rĂ©tine, qui font synapse avec les cellules du noyau suprachiasmatique[30]. Cependant, son activitĂ© serait sous lâinfluence dâautres rĂ©gions cĂ©rĂ©brales et donc dâautres stimuli[31].
Le noyau suprachiasmatique est relié par des connections nerveuses et humorales (impliquant entre autres la glande pinéale) au reste du corps. Cela lui permettrait d'entraßner les horloges périphériques sur sa propre période et de régler temporellement plusieurs processus physiologiques[32]. Il serait impliqué dans le rythme de sommeil en réprimant indirectement la production de mélatonine par la glande pinéale lors de la journée [33].
Lâimplication du NSC dans la production de cortisol, hormone contrĂŽlant un grand nombre de fonctions mĂ©taboliques, a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ©e expĂ©rimentalement. Celui-ci envoie des projections vers les noyaux paraventriculaires de l'hypothalamus, qui exerce un contrĂŽle sur lâaxe hypothalamique pituitaire surrĂ©nalien (HPA). L'axe hypothalamique pituitaire surrĂ©nalien contrĂŽle la production de cortisol par la glande surrĂ©nale[34].
Cependant, dâautres cellules comme celles du foie pourraient voir leur rythme se modifier de maniĂšre indĂ©pendante du noyau suprachiasmatique. Les traitements visant Ă attĂ©nuer les troubles du sommeil dus au travail postĂ© pourraient donc agir sur ces cellules pĂ©riphĂ©riques [35].
Traitements possibles
Distribution des horaires de travail
Il existe plusieurs approches pour soulager les effets ressentis dus au manque de synchronisation caractĂ©ristique de ce trouble. Tout d'abord, en limitant la durĂ©e du travail de nuits Ă un maximum de 4 jours, la dĂ©synchronisation interne pourrait ĂȘtre grandement rĂ©duite, voire Ă©vitĂ©e[36]. Une journĂ©e de repos permettrait de combler un manque de sommeil limitant davantage la dĂ©synchronisation du rythme circadien[36].
Effet de la mélatonine
La mĂ©latonine permettrait au cycle circadien de sâadapter plus rapidement au travail de nuit. Cette molĂ©cule a un effet hypnotique et favorise un sommeil plus long[36]. Les travailleur-euse-s de nuit peuvent assurer une plus grande production de mĂ©latonine par leur mĂ©canisme naturel en Ă©vitant la lumiĂšre bleue, qui rĂ©prime celle-ci, dans les quelques heures prĂ©cĂ©dant le sommeil[37]. La mĂ©latonine peut aussi ĂȘtre prise sous forme de comprimĂ© oral quelques heures avant le sommeil, Ă la suite d'une rotation de nuit par exemple[37]. Aucun effets secondaires liĂ© Ă lâingestion de mĂ©latonine nâa Ă©tĂ© observĂ© jusquâĂ prĂ©sent[37].
Exposition Ă la lumiĂšre
Pour les travailleurs de nuits, sâexposer Ă une lumiĂšre intense en soirĂ©e tout en restant dans la noirceur le plus possible le matin permettrait Ă©galement une meilleure adaptation du rythme circadien[36].
Traitements combinés
La mĂ©latonine et lâexposition Ă la lumiĂšre intense peuvent tous deux changer la phase du rythme circadien endogĂšne[36]. En exposant les travailleurs de nuit Ă une lumiĂšre intense lors de leur rotation, idĂ©alement vers le dĂ©but, un dĂ©lai de phase peut ĂȘtre engendrĂ©. Une amĂ©lioration de la performance peut aussi ĂȘtre observĂ©e. Le matin, prendre une dose de mĂ©latonine permet Ă©galement un dĂ©lai de phase et aiderait ainsi les travailleurs Ă mieux dormir durant la journĂ©e[36]. La combinaison de ces deux traitements maximiserait lâadaptation de phase du cycle circadien aux heures du travail postĂ©.
Autres traitements
Les stimulants comme les substances xanthines, dont le cafĂ©, agissent temporairement en repoussant lâenvie de dormir[36] et en augmentant la vigilance[38] lors des rotations de nuit mais nâauraient pas dâimpact sur le rythme circadien et masquent en rĂ©alitĂ© le manque de sommeil accumulĂ©. Plusieurs agents pharmacologiques peuvent baisser le taux de fatigue et induire le sommeil, mais ces derniers nâont Ă©galement aucun effet sur la phase du rythme circadien[38]. Certains traitements plus spĂ©cifiques Ă lâinsomnie chronique peuvent allĂ©ger ce trouble, comme une amĂ©lioration de lâhygiĂšne de sommeil et des thĂ©rapies cognitivo-comportementales[38].
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