Tourbillon potentiel
Le tourbillon potentiel (TP) est un concept conservatif de dynamique des fluides qui décrit la valeur du tourbillon dans une masse de fluide (généralement l'air ou l'océan) dans une colonne comprise entre deux surfaces isentropes adjacentes. Un déplacement depuis une latitude standard arbitraire vers une autre, réduit ou étire l'épaisseur de la colonne afin de conserver le tourbillon potentiel et cette valeur permet ainsi d'identifier les caractéristiques de la masse et de suivre son déplacement[1].
Le tourbillon potentiel est utilisé en météorologie et en océanographie pour décrire le mouvement vertical dans l'atmosphÚre et l'océan. C'est un concept servant à déterminer la cyclogénÚse (formation des dépressions atmosphériques le long des fronts) et dans l'analyse des flux océaniques. Par exemple, la physique du mistral dans le sud-est de la France a longtemps été mal comprise car il est contre-intuitif que le temps soit ensoleillé à Marseille avec un vent violent de nord-ouest alors qu'à Nice un vent fort d'est souffle avec de la pluie. L'explication de ce phénomÚne découle du théorÚme de conservation du tourbillon potentiel et de son importance physique.
Définition mathématique
Carl-Gustaf Rossby est le premier à définir le tourbillon potentiel en 1936[2]. Ce travail est basée sur une analyse d'une modélisation du Gulf Stream en tant qu'une couche peu profonde d'eau par rapport à son étendue horizontale. Quelques années plus tard, Hans Ertel développa le concept dans l'équation[3] :
.
OĂč:
- est la densité du fluide (en kilogrammes par mÚtre cube) ;
- est la vitesse angulaire de rotation de la Terre à la latitude considérée ;
- est la vitesse de déplacement d'un parcelle d'air par rapport à la Terre ;
- est le tourbillon absolu en seconde-1. Il peut ĂȘtre dĂ©composĂ© en ses deux composantes , le tourbillon relatif de la colonne de fluide, et , le tourbillon de Coriolis Ă la latitude considĂ©rĂ©e (proportionnel au paramĂštre de Coriolis f) ;
- est le gradient de température potentielle (en kelvins par mÚtre).
Il est possible de dĂ©montrer par la premiĂšre loi de la thermodynamique et de la conservation du mouvement que le tourbillon potentiel est isentropique. Une colonne de fluide ayant un TP donnĂ© ne peut en changer que par un changement diabatique (oĂč il y a Ă©change de chaleur avec l'environnement) ou par friction. Le tourbillon potentiel devient donc une façon de suivre les mouvements verticaux dans une masse d'air avec tempĂ©rature potentielle constante.
La démonstration est principalement basée sur la référence de Hoskins[4]. Cependant, cette référence fait l'hypothÚse que l'atmosphÚre est barotrope ce qui n'est pas nécessaire. L'extension du domaine de validité de la preuve (aucune hypothÚse d'atmosphÚre barotrope) est basée sur celle de Malardel[5].
On raisonne dans un référentiel galiléen. On considÚre un cylindre infiniment petit de base Ύ S et de hauteur Ύ h dont la base est parallÚle à la surface de température potentielle.
On intĂšgre le tourbillon sur la base du cylindre d'aire ÎŽ S. On a donc :
Soit la composante pseudo-verticale dudit vecteur (perpendiculaire Ă la surface constant). On a donc :
On utilise le théorÚme de Stokes. Soit le contour de la surface Ύ S. On a :
On définit la circulation . (on remarque que la circulation est un infiniment petit). On a donc :
On calcule la dérivée lagrangienne de la circulation de la parcelle d'air (on la suit) :
Soit le champ potentiel. On peut Ă©crire :
On obtient donc :
Pour rendre la formule plus claire, on remplace par
On a donc:
Donc,
Donc,
On remarque que:
Donc,
Ensuite:
et donc finalement,
On utilise à nouveau le théorÚme de Stokes et pour toute application f bien définie, l'on a :
- . Donc,
On utilise encore le théorÚme de Stokes. On a donc :
On remarque que :
Le premier terme est nul et donc :
Ainsi,
- .
On note la relation suivante : . On remplace :
- .
On introduit l'astuce de la rĂ©fĂ©rence [5] : on note que ne dĂ©pend que de p et Ï.
On a :
De mĂȘme :
De mĂȘme :
On obtient donc :
Le produit mixte supra est donc nul. Donc,
ce qui démontre que est constant.
La masse d'une parcelle d'air s'Ă©crit pour un volume infiniment petit d'aire ÎŽ S et de hauteur ÎŽ h :
oĂč Ï est la masse volumique de l'air.
La masse de la parcelle d'air ne varie pas au cours du temps.
Donc, le ratio
- est constant.
Donc, est constant.
On remarque que : et ce à une excellente précision. Donc,
Donc,
- est constant.
Comme ÎŽ h est infiniment petit, on a :
Comme le processus est adiabatique, mĂȘme si ÎŽ h varie au cours du temps, et restent constants. Donc,
- est constant.
Cette quantitĂ© est appelĂ© tourbillon potentiel (ce qui peut prĂȘter Ă confusion).
On notera, qu'il n'y a pas eu besoin de supposer que le fluide est incompressible ou barotrope.Usage
En mĂ©tĂ©orologie, l'une des approximations est celle de l'atmosphĂšre barotrope oĂč il n'y a pas de variation de tempĂ©rature dans une masse d'air. L'Ă©quation de tourbillon barotrope est donc une façon simple de prĂ©voir le dĂ©placement des creux et crĂȘtes d'onde longue Ă une hauteur de 500 hPa. Dans les annĂ©es 1950, le premier programme de prĂ©vision numĂ©rique du temps utilisa cette Ă©quation. Cependant, c'est l'advection de tourbillon positive dans un systĂšme barocline qui crĂ©e la cyclogĂ©nĂšse, le dĂ©veloppement des dĂ©pressions des latitudes moyennes, et l'advection nĂ©gative qui gĂ©nĂšre les anticyclones. Elle fait partie des Ă©quations primitives atmosphĂ©riques qui sont utilisĂ©s dans les modĂšles modernes.
En océanographie, les tourbillons sont particuliÚrement étudiés pour leur capacité à conserver les propriétés de salinité et de température dans le temps au sein d'une lentille d'eau de quelques kilomÚtres de diamÚtre et de plusieurs mÚtres de hauteur. On peut par exemple citer les remous (« eddies » en anglais) qui sortent de la mer Méditerranée par le canal de Gibraltar et en quelques semaines/mois arrivent dans les Caraïbes. Ces tourbillons sont recherchés par les sous-marins militaires pour cacher leur signature sonar. En effet la différence de température et de salinité du tourbillon crée une interface opaque.
Ceci implique la conservation du tourbillon potentiel. Le TP est donc l'équivalent en dynamique des fluides de l'inertie en mécanique. Ainsi un vaste tourbillon qui tourne lentement, augmentera sa vitesse de rotation s'il est étiré verticalement par une convergence des vents en surface (changement de ) ou un changement de latitude (changement de ). La divergence produira l'effet inverse.
Froids intenses dans le Midi de la France
Un exemple concret d'application du thĂ©orĂšme d'invariance du tourbillon potentiel est le phĂ©nomĂšne du mistral qui est presque toujours couplĂ© Ă la dĂ©pression du golfe de GĂȘnes qui est une dĂ©pression dynamique et qui peut engendrer des conditions mĂ©tĂ©orologiques surprenantes dans le Midi de la France lorsque des vagues de froid majeures frappent le pays comme en 1709 et surtout en 1956. Il se produit alors un ciel clair Ă Marseille avec un mistral extrĂȘme[6] tandis que sur la CĂŽte d'Azur, il neige abondamment[7]. La stratosphĂšre est abaissĂ©e dans la vallĂ©e du RhĂŽne et au nord des Alpes (et est nettement plus « chaude ») et donc est grand. Le tourbillon ζ correspond peu ou prou au tourbillon de Coriolis. Au dessus du Golfe de GĂȘnes, la tropopause est nettement plus Ă©levĂ©e et la stratosphĂšre a une tempĂ©rature plus habituelle et en outre, la mer est plus « tiĂšde » et donc devient plus petit. Donc ζ devient plus grand. Comme ζ devient plus grand, une circulation cyclonique se crĂ©e au-dessus du golfe de GĂȘnes qui engendre un retour d'est sur Nice et des chutes de neige abondantes alors qu'il fait « beau » Ă Marseille[8].
Notes et références
- Organisation météorologique mondiale, « Tourbillon potentiel », Eumetcal, (consulté le ).
- (en) Carl-Gustaf Rossby, « Dynamic of Steady Ocean Currents in the Light of Experimental Fluid Dynamic », Papers in Physical Oceanography and Meteorology, MIT et Woods Hole Oceanographic Institition, vol. V, no 1,â (lire en ligne [PDF], consultĂ© le ).
- (en) « Potential vorticity », AMS Glossary, AMS (consulté le ).
- Mid Latitudes, p. 177-178
- Fondamentaux de météorologie, p. 665-666
- Guillaume SĂ©chet, Quel temps! : Chronique de la mĂ©tĂ©o de 1900 Ă nos jours, Ăditions HermĂ©, , 255 p. (ISBN 978-2-286-00897-0, lire en ligne), p. 113
- A. Dugelay, « Observations gĂ©nĂ©rales sur la gelĂ©e de fĂ©vrier 1956 dans les dĂ©partements des Alpes-maritimes et du Var. », Revue forestiĂšre française, no 1,â , p. 4 (lire en ligne [PDF])
- Christophe Yohia, « GenĂšse du Mistral par interaction barocline et advection du tourbillon potentiel », Climatologie, vol. 43,â , p. 24 (DOI 10.4267/climatologie.1182, lire en ligne [PDF])
Bibliographie
- [Midlatitudes] (en) Brian J. Hoskins et Ian N. James, Fluid Dynamics of the Midlatitude Atmosphere, John Wiley & Sons, coll. « Advancing Weather and Climate Science Series », , 488 p. (ISBN 978-0-470-83369-8)
- [Fondamentaux de météorologie] Sylvie Malardel, Fondamentaux de météorologie, deuxiÚme édition, Toulouse, CépaduÚs, , 711 p. (ISBN 978-2-85428-851-3)