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Temps surcomposé

En français, un temps surcomposé est un temps qui associe l'auxiliaire à un temps composé au lieu d'un temps simple.

Ainsi, il a eu fini est une forme du passé surcomposé du verbe finir : on retrouve deux fois l'auxiliaire avoir, d'abord au présent (a) puis sous la forme d'un participe passé (eu).

À la voix passive, un temps surcomposé emploie trois auxiliaires successifs (deux fois avoir, une fois être), et trois participes passés :

  • Dès que le PrĂ©sident a eu Ă©tĂ© opĂ©rĂ©, il a repris ses responsabilitĂ©s.

Remarque : L'usage des temps surcomposés pour les verbes se conjuguant avec l'auxiliaire être est plus douteux, voire impossible dans le cas des verbes pronominaux :

  • Lorsqu'il a Ă©tĂ© parti, la fĂŞte a repris.
  • Lorsqu'il a Ă©tĂ© descendu, nous lui avons fait signe que tout allait bien (confusion avec la forme passive du verbe descendre employĂ© transitivement pouvant laisser penser que la personne s'est fait descendre, dans le sens « abattre avec une arme Ă  feu »).

Règle d'accord

Dans tous les cas (en principe), seul le dernier participe passé peut être accordé :

  • Quand elle l'a eu vue.

On trouve toutefois quelques rares exemples d'accord de eu(es) chez certains écrivains. Cet accord de eu est fautif car, en prenant l'exemple précédent, l' est complément de vu(e) qui est lui-même en quelque sorte le complément de eu.

SĂ©mantique

Les temps surcomposés sont essentiellement utilisés dans les propositions subordonnées circonstancielles de temps, où ils marquent l’antériorité de l'action par rapport à celle de la proposition principale.

Toutefois, l'utilisation d'un temps surcomposé au lieu du temps composé habituel ajoute une nuance aspectuelle d’accompli : elle permet d'insister sur le fait que l'action est bien considérée comme terminée, ou parachevée, ce que ne permettent pas toujours d'exprimer des temps plus courants.

Il est d'usage dans le Sud de la France de l'utiliser pour apporter une notion relative à la fréquence, le temps surcomposé soulignant alors la rareté de l'action : Je l'ai eu fait, pour dire Je l'ai fait quelques fois.

Remarque : Il est possible de marquer plus fortement encore cet aspect accompli en appliquant le temps surcomposé à un verbe d'accomplissement comme finir, suivi de l'infinitif du verbe principal :

  • Lorsqu'il a eu dĂ©jeunĂ©, il est sorti
  • Lorsqu'il a eu fini de dĂ©jeuner, il est sorti.

Temps concernés

A priori, tous les temps composés sont susceptibles d'avoir un équivalent surcomposé, à l'actif comme au passif ; cependant, dans la pratique, seuls certains sont réellement utilisés[1] :

  • Indicatif passĂ© composĂ© → Indicatif passĂ© surcomposĂ© :
    • j'ai envoyĂ©, j'ai Ă©tĂ© envoyĂ© → j'ai eu envoyĂ©, j'ai eu Ă©tĂ© envoyĂ©
  • Indicatif plus-que-parfait → Indicatif plus-que-parfait surcomposĂ© :
    • j'avais envoyĂ©, j'avais Ă©tĂ© envoyĂ© → j'avais eu envoyĂ©, j'avais eu Ă©tĂ© envoyĂ©
  • Indicatif passĂ© antĂ©rieur → Indicatif passĂ© antĂ©rieur surcomposĂ© :
    • j'eus envoyĂ©, j'eus Ă©tĂ© envoyĂ© → ?? j'eus eu envoyĂ©, ??? j'eus eu Ă©tĂ© envoyĂ©
  • Indicatif futur antĂ©rieur → Indicatif futur antĂ©rieur surcomposĂ© :
    • j'aurai envoyĂ©, j'aurai Ă©tĂ© envoyĂ© → j'aurai eu envoyĂ©, ?? j'aurai eu Ă©tĂ© envoyĂ©
  • Conditionnel passĂ© → Conditionnel passĂ© surcomposĂ© :
    • j'aurais envoyĂ©, j'aurais Ă©tĂ© envoyĂ© → j'aurais eu envoyĂ©, ?? j'aurais eu Ă©tĂ© envoyĂ©
  • Conditionnel passĂ© deuxième forme→ Conditionnel passĂ© surcomposĂ© deuxième forme :
    • j'eusse envoyĂ©, j'eusse Ă©tĂ© envoyĂ© → j'eusse eu envoyĂ©, ?? j'eusse eu Ă©tĂ© envoyĂ©
  • Subjonctif passĂ© → Subjonctif passĂ© surcomposĂ© :
    • que j'aie envoyĂ©, que j'aie Ă©tĂ© envoyĂ© → que j'aie eu envoyĂ©, ?? que j'aie eu Ă©tĂ© envoyĂ©
  • Infinitif passĂ© → Infinitif passĂ© surcomposĂ© :
    • avoir envoyĂ©, avoir Ă©tĂ© envoyĂ© → avoir eu envoyĂ©, ? avoir eu Ă©tĂ© envoyĂ©
  • Participe passĂ© 2e forme → Participe passĂ© surcomposĂ© :
    • ayant envoyĂ©, ayant Ă©tĂ© envoyĂ© → ayant eu envoyĂ©, ? ayant eu Ă©tĂ© envoyĂ©
  • Subjonctif plus-que-parfait → Subjonctif plus-que-parfait surcomposĂ© :
    • que j'eusse envoyĂ©, que j'eusse Ă©tĂ© envoyĂ© → que j'eusse eu envoyĂ©, ??? que j'eusse eu Ă©tĂ© envoyĂ©
  • ImpĂ©ratif passĂ© → ImpĂ©ratif passĂ© surcomposĂ© :
    • aie envoyĂ©, ? aie Ă©tĂ© envoyĂ© → ?? aie eu envoyĂ©, ??? aie eu Ă©tĂ© envoyĂ©

Usage

Les temps surcomposés étaient encore fréquemment employés par les gens de lettres au XVIIIe siècle. Aujourd'hui, il est encore très présent dans le français méridional, sous l'influence grammaticale de l'occitan. On les rencontre toutefois dans certaines régions françaises de langue francoprovençale, par exemple dans les parlers stéphanois, lyonnais, en Savoie et en Suisse, dans les régions de Langues d'Oc, au Québec (influence du Poitevin-saintongeais) et dans l'ouest de la Bretagne (influence du breton). Les grammaires scolaires, qui les considéraient encore il y a peu comme des usages désuets, régionaux ou approximatifs (voire les ignoraient complètement), ont désormais tendance à les mentionner discrètement.

De nos jours, on utilise plutĂ´t d'autres constructions, bien qu'il existe des nuances de sens entre elles :

  • dès que j'ai eu Ă©crit la lettre (passĂ© surcomposĂ©), je l'ai envoyĂ©e ;
  • après avoir Ă©crit la lettre, je l'ai envoyĂ©e ;
  • une fois la lettre Ă©crite, je l'ai envoyĂ©e ;
  • Ă  peine avais-je (Ă©crit / fini d'Ă©crire) la lettre que je l'ai envoyĂ©e.

Toutefois, du fait de la désuétude progressive de temps comme le passé simple, les temps surcomposés peuvent combler une lacune dans les possibilités d'expression de la langue[2] :

  • Lorsqu'il a dĂ©jeunĂ©, il sort (correct, mais exprime une action habituelle) ;
  • Lorsqu'il eut dĂ©jeunĂ©, il sortit (correct, mais vieillot ou littĂ©raire) ;
  • Lorsqu'il a dĂ©jeunĂ©, il est sorti (incorrect) ;
  • Après qu'il ait dĂ©jeunĂ©, il est sorti (incorrect, « après que » rĂ©git l'indicatif) ;
  • Après qu'il a dĂ©jeunĂ©, il est sorti (correct, mais moins qu'avec un passĂ© antĂ©rieur) ;
  • Lorsqu'il (ou : après qu'il) a eu dĂ©jeunĂ©, il est sorti (correct) ;
  • Après avoir dĂ©jeunĂ©, il est sorti (correct, et le plus souvent utilisĂ©).

Quelques exemples littéraires

  • Dans Le Père Goriot (1842) de Balzac, chapitre 1 : « Comment monsieur Vautrin est-il donc rentrĂ© cette nuit après que Christophe a eu mis les verrous ? »
  • Dans L'Étranger (1942) d'Albert Camus, 2e partie, chapitre 3 : « Le silence Ă©tait complet dans la salle quand elle a eu fini. »
  • Lettres de Madame de SĂ©vignĂ© (1626-1696) « AussitĂ´t que j’ai eu envoyĂ© mon paquet, j’ai appris, ma bonne, une triste nouvelle. »
  • Dans l'Ă©pisode Le Roi Ă  la taverne II du livre II de la sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e de fantasy historique Kaamelott (2005) : « Sire, je ne vais pas vous raconter de connerie. Ça a eu arrivĂ© qu'il y en ait un ou deux qui vomisse son vin par terre. »[3]
  • Dans L'OdyssĂ©e d'AstĂ©rix, le commis du commerçant Samson Pludechorus se nomme SaĂĽl PĂ©hiĂ©, dĂ©formation de « ça a eu payĂ© », forme verbale tournĂ©e en ridicule dans le sketch Un pauvre paysan de l'humoriste Fernand Raynaud.

Confusions possibles

À la voix passive, les temps composés utilisent de fait des formes surcomposées, mais il ne s'agit pas alors de temps surcomposés :

  • Elle a Ă©tĂ© aimĂ©e (passĂ© composĂ© passif).

On trouve un cas d'utilisation mal comprise du passé surcomposé dans le sketch de Fernand Raynaud Le paysan : la graphie erronée Ça eut payé doit être interprétée en réalité comme « Ç'a eu payé », c'est-à-dire « Cela a eu payé », qu'on peut gloser en : « l'époque où cela payait est bel et bien révolue ».

Notes et références

  1. Le Bescherelle ne mentionne que le passé surcomposé, le plus-que-parfait surcomposé et le futur antérieur surcomposé (par ordre de rareté croissante).
  2. Le Bescherelle précise d'ailleurs à propos de la « forme surcomposée » que « la révolution de la langue a conduit à mentionner la 2e personne de ces nouveaux temps » (sic).
  3. Kaamelott, « Kaamelott Livre II - Tome 1 / [ENG SUB] », (consulté le )

Bibliographie

  • Bescherelle, La Conjugaison pour tous, Hatier, 1997 (ISBN 2-218-73245-9)
  • Le Robert et Nathan, Grammaire, Nathan, 1995 (ISBN 2-09-180328-6)
  • Denis ApothĂ©loz, « Le passĂ© surcomposĂ© et la valeur de parfait existentiel », Journal of French Language Studies, 20, no 2, 2010, p. 105-126.
  • Denis ApothĂ©loz, « La surcomposition verbale et ses emplois en français », Cahiers Chronos, no 30, 2019, p. 13-37.
  • Lucien Foulet, « Le dĂ©veloppement des formes surcomposĂ©es », Romania, no 202, p. 203-252, 1925.
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