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Suffrage féminin au Québec au XIXe siècle

En 1791, l’Acte constitutionnel permet à tous les sujets du Bas-Canada (Québec actuel) de voter, femmes incluses. Des tentatives pour exclure les femmes de la liste des électeurs se manifestent en 1834, mais ce n’est qu’en 1849 qu’il est officiellement retiré par le gouvernement de Louis-Hippolyte La Fontaine et Robert Baldwin[1].

Le droit de vote avant 1834

L'Acte constitutionnel de 1791

À la suite de la guerre d’Indépendance des États-Unis d’Amérique, des dizaines de milliers de loyalistes sont venus dans la province de Québec. Les nouveaux arrivés exigeaient de Londres des institutions parlementaires, chose qu’elle leur accorde en 1791 avec l’Acte constitutionnel. L’Angleterre divise alors la province en deux territoires : le Haut-Canada, au sud de l’Ontario actuel, et le Bas-Canada, au sud du Québec actuel[2]. Les deux territoires sont pourvus d’institutions politiques. L’Acte constitutionnel permet aux sujets britanniques du Bas-Canada de voter à condition de respecter ces critères : être âgé d’au moins 21 ans, ne jamais avoir été condamné pour un acte criminel grave et posséder ou louer une ou des propriétés d’une certaine valeur[3]. Rien de ces conditions ne précise qu’il faut être de sexe masculin. Considérant que les femmes perdaient tout droit de propriété lorsqu’elles se mariaient[4], les femmes propriétaires non mariées ou veuves du Bas-Canada pouvaient voter[1]. À l’époque, elles étaient les seules de l’Empire britannique à profiter régulièrement de ce droit[5].

Au XIXe siècle

Bien que les femmes pouvaient voter, la conception populaire que celles-ci devaient rester au foyer et loin des affaires politiques faisait en sorte que ce droit n’était pas reconnu de tous. Certains agents d’élections leur interdisaient de voter en raison de leur sexe[6]. En 1828, des élections tenues dans la haute-ville de Québec furent controversées parce que le vote des femmes veuves n’avait pas été tenu en compte[4]. Ce retrait volontaire est important, considérant qu’en 1832, les femmes montréalaises représentaient pas moins de 13 pour cent des personnes inscrites pour voter[4].

La tentative de retrait en 1834

Les causes

Plusieurs causes peuvent expliquer pourquoi on désire interdire le suffrage féminin au Bas-Canada. L’élection particulièrement violente à Montréal en 1832 a grandement influencé la décision du parti alors au pouvoir, le Parti patriote. Les membres de celui-ci jugeaient que les lieux de votations étaient des lieux trop dangereux pour la gent féminine[7]. De plus, l’idée du rôle de chaque sexe, soit les femmes au foyer et les hommes sur la place publique, devenait de plus en plus ancrée dans les esprits occidentaux aux XVIIIe et XIXe siècles[6]. Cette transformation des rapports de genre s’accentue davantage entre 1820 et 1850[8]. À l’époque, ceux qui s’opposent au suffrage féminin remettent en question la capacité des femmes de pouvoir voter sans subir l’influence de leurs pères ou leurs maris. De la sorte, ils croient que les femmes sont inaptes à faire un choix éclairé, ce qui peut grandement mettre la démocratie en danger, d’où la nécessité de les empêcher de voter[8]. Enfin, une dernière cause possible pour expliquer l’opposition fervente de Louis-Joseph Papineau, chef du Parti patriote,  au droit de vote féminin est que dans les élections précédentes, les femmes avaient massivement voté contre les patriotes[4]. Elles formaient alors la plus grande opposition au Parti patriote.

La tentative

John Nielson, un député moins radical que les patriotes, a tenté de soumettre un projet de loi pour interdire le suffrage féminin[8]. Le chef du parti patriote, Louis-Joseph Papineau, vient appuyer ce projet de loi en déclarant en 1834 qu’il est « juste de [détruire le droit de vote des femmes] » au nom de « l’intérêt public, la décence [et] la modestie du sexe »[9]. Par cette remarque, il est possible de constater l’idéologie des rôles des sexes dans le monde politique du Bas-Canada. Toutefois, la demande est rejetée par les autorités britanniques, non pas pour défendre les droits des femmes, mais pour d’autres motifs[8].

L'opposition

Ce projet de loi et cette déclaration de Papineau n’ont pas l’approbation de la majorité. En effet, en 1834, une abonnée anonyme de La Minerve s’est insurgée contre ces déclarations. Elle demandait aux patriotes de reconnaître l’égalité des sexes comme étant l’une des valeurs uniques de la nation canadienne-française[6]. Quelques années après cette insurrection, un journal va même jusqu’à publier une étude qui déplore l’inexistence des femmes dans la sphère politique[6]. Malgré la conception grandissante de la séparation des sexes et cette opposition grandissante contre le suffrage, les femmes continuent de voter. Il est possible de détecter une première étincelle féministe en réponse à cette tentative d’interdite le droit de vote féminin.

Le retrait officiel en 1849

L’article XLVI

Dans les statuts provinciaux du Canada de 1849, l’article XLVI retire le droit de vote des femmes de façon officielle. Celui-ci déclare que « […] aucune femme n’aura le droit de voter à aucune telle élection, soit pour un comté ou riding, soit pour aucune des dites cités ou villes »[10]. De la sorte, le suffrage féminin est officiellement interdit dans toute la province du Canada sous le gouvernement réformiste de Louis-Hyppolite La Fontaine et Robert Baldwin[1]. Proche de Papineau lors des révoltes de 1837-1838, La Fontaine partageait beaucoup d’idées des patriotes, notamment concernant le nationalisme canadien-français[11].

Les réactions

L’adoption de l’article XLVI se fait presque sans opposition[3]. Cette absence de réactions contraste avec celles des années 1830. Pour expliquer ce phénomène, il est possible de faire un rappel à l’idéologie des rôles des sexes; les hommes dans la sphère publique, les femmes dans la sphère privée. Elles avaient adopté elles aussi cette conception du monde politique[8]. La citoyenneté est devient alors un domaine exclusivement masculin. Les revendications pour retrouver ce droit n’apparaissent pas concrètement avant 1893, soit au début de la première vague féministe. Cette date est marquée par la création du Conseil local des femmes de Montréal[12].

Voir aussi

Bibliographie

  • BAILLARGEON, Denyse. « Les Québécoises et le vote ». Bulletin d’histoire politique, 23, 2, 2015, p. 165-172.
  • BRADBURY, Bettina. « Devenir majeure, La lente conquête des droits ». Cap-aux-Diamants, 21, 1990, p.35 à 38.
  • DERBISHIRE, S. et G. Desbarats. « Aucune femme n’aura le droit de voter - Acte pour abroger certains Actes y mentionnés, et pour amender, refonde et résumer en un seul Acte les diverses dispositions des statuts maintenant en vigueur pour régler les élections des membres qui représentent le peuple de cette Province à l’Assemblée législative ». Les statuts provinciaux du Canada. Montréal, 1849, Ch. 27, article XLVI, p. 193. http://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3133263?docsearchtextmode=phrase&docsearchtext=aucune%20femme. , consulté le .
  • « Droit de vote et d'éligibilité des Québécoises ». Élections Québec. https://www.electionsquebec.qc.ca/francais/provincial/vote/droit-de-vote-des-quebecoises.php, consulté le .
  • DUMONT, Micheline et Le Collectif Clio. L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles. Montréal, Les quinze éditeur, 1982, 521 p.
  • FERRETTI, Lucia. « Les femmes et le droit de vote au Québec ». Les Cahiers de lecture de L'Action nationale, 13, 3, , p.8-9.
  • GREER, Allan. «La république des hommes : les Patriotes de 1837 face aux femmes». Revue d'histoire de l'Amérique française, 44, 4, printemps 1991, p. 507 à 528.
  • LINTEAU, Paul-André. Histoire du Canada. 6e édition mise à jour. Paris, Presses universitaires de France, 2016, 128 p. Que sais-je? n° 232.
  • « Loi réglant les élections ». La Minerve (Montréal). . http://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/278905?docpos=0.48000344174841947,0.582399759077612,0.4035019790053347,0.16711409395973153., consulté le .
  • MONET, Jacques. « La Fontaine, sir Louis-Hippolyte ». Dictionnaire biographique du Canada. http://www.biographi.ca/fr/bio/la_fontaine_louis_hippolyte_9F.html, consulté le .
  • « Obtenir le droit de voter ». Dictionnaire biographique du Canada. http://www.biographi.ca/fr/theme_femmes.html?p=2., consulté le .
  • SURPRENANT, Marie-Ève. Manuel de résistance féministe. Montréal, Édition du remue-ménage, 2015, 186 p.

Articles connexes

Notes et références

  1. Marie-Ève Surprenant, Manuel de résistance féministe, Montréal, Éditions du remue-ménage, , 186 p., p. 67
  2. Paul-André Linteau, Histoire du Canada, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je? », , 128 p.
  3. « Obtenir le droit de voter », sur Dictionnaire biographique du Canada (consulté le )
  4. Bettina Bradbury, « Devenir majeure, La lente conquête des droits », Cap-aux-Diamants, , p. 35 à 38
  5. « Droit de vote et d'éligibilité des Québécoises », sur Élections Québec (consulté le )
  6. Allan Greer, « La république des hommes : les Patriotes de 1837 face aux femmes », Revue d'histoire de l'Amérique française, , p. 507 à 528
  7. Lucia Ferretti, « Les femmes et le droit de vote au Québec », Les Cahiers de lecture de L'Action nationale, , p. 8 à 9
  8. Denyse Baillargeon, « Les Québécoises et le vote », Bulletin d’histoire politique, vol. 23, no 2, , p. 165 à 172
  9. « Loi réglant les élections », La Minerve, (lire en ligne)
  10. S. Derbishire & G. Desbarats, « Article XLVI », sur Les statuts provinciaux du Canada, (consulté le )
  11. Jacques Monet, « La Fontaine, sir Louis-Hippolyte », sur Dictionnaire biographique du Canada (consulté le )
  12. Micheline Dumont et Le Collectif Clio, L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles, Montréal, Les quinze éditeur, , 521 p., p.344
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