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Substance

Notion philosophique

Pour les articles homonymes, voir substance (homonymie).

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Le mot substance (du latin substantia, de substare, être dessous ; du grec ὑποκείμενον hypokeimenon) signifie :

  • la matière dont une chose est formée (substance dure, molle) ;
  • ce qu'il y a d'essentiel dans un ouvrage, dans un acte, etc. : la substance d'un entretien ; la « substantifique moelle » (F. Rabelais) ;
  • ce qu'il y a de meilleur, de plus nourrissant : les plantes tirent leur substance de la terre.

Dans le langage courant, le mot substance a pris une signification le plus souvent matérielle. Par exemple, il est souvent employé pour désigner les substances chimiques (dans le sens de composé chimique).

En philosophie, ou mieux en ontologie, le mot substance désigne ce qu'il y a de permanent dans les choses qui changent et donc le fondement de tout accident. La substance est en effet un concept essentiel de la métaphysique et de l'ontologie non métaphysique. Dans ce sens, les interprétations varient entre ceux qui ne reconnaissent qu'une substance (monistes) et ceux qui en reconnaissent deux (philosophie dualiste) ou plusieurs (philosophie pluraliste).

Cet article traite d'abord de la substance au sens philosophique. La substance pouvant aussi être chimique, il aborde des généralités sur la substance chimique.

Définition

Des points de vue philosophique ou métaphysique, la substance est la réalité permanente qui sert de substrat aux attributs changeants. La substance est ce qui existe en soi, en amont des accidents, sans changements ; ce qui en fait un concept synonyme de l'essence. Elle s'oppose aux accidents variables, qui n'existent pas en et par eux-mêmes, mais seulement dans la substance et par la substance. Le terme vient du latin substare, se tenir dessous ; de substantia, ce qui est dessous, le support.

Dans son sens premier, la substance est conçue comme existant par soi, car, dans le cas contraire, elle serait attribut d'un autre être et substance seulement dans un sens relatif.

Cela pose la question de savoir quels sont les êtres qui sont sans le secours d'aucun autre, qui sont donc substance en un sens premier et absolu.

Sens philosophique

Conception traditionnelle dans la philosophie occidentale

Article détaillé : Substance (Aristote).

Dans la conception traditionnelle de la philosophie, la substance correspond à l’οὐσία de la philosophie d'Aristote. Il faut faire attention au fait que le terme ousia peut prendre plusieurs sens. L’ousia est la première des dix catégories définies par Aristote dans les Catégories.

Modes et attributs de la substance

Article détaillé : Théorie du substratum.

Dans la tradition millénaire d'Aristote, ainsi que dans les traditions du début des temps modernes (XVIe siècle) qui l'ont suivie, les substances sont traitées comme ayant des attributs et des modes.

La substance pour Aristote a besoin d'une matière pour se réaliser. Toute substance est un composé de forme et de matière. Dieu est l'exception : il est une substance immatérielle, tout à fait autonome, une pure pensée[1].

Les théologiens musulmans retiennent l'idée que toute substance est matérielle. C'est pourquoi ils refusent l'idée que Dieu soit une substance. Ainsi, al-Juwayni, qui associe la matière à l'étendue[2],[3].

Ces concepts aident à expliquer, par exemple, les transitions entre états. Si l'on prend une quantité d'eau et qu'on la fait geler pour la transformer en glace. La théorie de la substance affirme qu'il y a une « substance » inchangée à travers cette transition, qui est à la fois l'eau liquide et aussi la glace. Elle affirme que l'eau n'est pas remplacée par la glace — c'est la même substance. L'humidité de l'eau, la dureté de la glace, sont des attributs de la matière sous-jacente.

Le point de vue aristotélicien sur Dieu considérait Dieu comme à la fois ontologiquement et causalement antérieur à toutes les autres substances. D'autres, parmi lesquels Spinoza, affirmaient que Dieu est la seule substance. La substance, selon Spinoza, est une et indivisible, mais elle a de multiples modes. Ce que nous appelons d'ordinaire le monde naturel, avec tous les individus qui le composent, est immanent en Dieu : d'où l'expression fameuse Deus sive Natura (« Dieu ou la Nature »).

Questions autour de la substance au XVIIe siècle

À la suite de la controverse ptoléméo-copernicienne, s'est posée la question du sens à donner au mot substance.

Descartes a commencé à aborder cette question dans les Méditations sur la philosophie première (1641). Il pose la question de la substance dans la méditation troisième. Jusque dans la cinquième partie, il traite de l'Homme comme d'une substance pensante (res cogitans). Il n'aborde les autres aspects de la substance que dans la sixième partie, faisant une distinction assez nette entre substance corporelle (res extensa) et substance intelligente (res cogitans) :

« Je reconnais aussi en moi quelques autres facultés comme celles de changer de lieu, de se mettre en plusieurs postures, et autres semblables, qui ne peuvent être conçues, non plus que les précédentes, sans quelque substance à qui elles soient attachées, ni par conséquent exister sans elle ; mais il est très évident que ces facultés s'il est vrai qu'elles existent, doivent être attachées à quelque substance corporelle ou étendue, et non pas à une substance intelligente, puisque, dans leur concept clair et distinct, il y a bien quelque sorte d'extension qui se trouve contenue, mais point du tout d'intelligence. »

Descartes, qui était réticent à aborder ce thème de la philosophie scolastique, s'étendit beaucoup plus longuement sur la question de la substance dans Les Principes de la philosophie (1644). Il conserva néanmoins la croyance en la transsubstantiation afin d'éviter d'être condamné par les tribunaux de l'Église comme l'avait été Galilée.

Descartes a donc opposé le corps et l'esprit, le corps étant une substance matérielle, étendue, et l'esprit une substance pensante, non étendue. Il s'agit d'un exemple type de dualisme de substance.

Article détaillé : Dualisme de substance.

Si Descartes rechigna à user du concept de substance, Leibniz n'entend pas renier ce concept greco-scolastique[4], mais il le juge différemment :

« Les Monades n’ont point de fenêtres, par lesquelles quelque chose y puisse entrer ou sortir. Les accidents ne sauraient se détacher, ni se promener hors des substances, comme faisaient autrefois les espèces sensibles des Scolastiques. Ainsi ni substance, ni accident peut entrer de dehors dans une Monade. »[5]

La monadologie de Leibniz distingue entre substance simple et substance composée : la substance simple est propre aux différentes monades — impénétrables et procédant de la Monade (divine) — ; celles-ci s'associant dans la constitution des formes de substance composée, avec lesquelles apparaît la matérialité, le quantitatif, et susceptibles d'une décomposition et d'une identification des qualités introduites par la substance (simple) des différentes monades.

Sur la question de savoir quels sont les êtres qui sont sans le secours d'aucun autre, c'est-à-dire sans interdépendance, Descartes et Spinoza répondent que Dieu seul est cette substance indépendante.

Critiques philosophiques de la notion de substance

George Berkeley (Traité des principes de la connaissance humaine, 1710), immatérialiste, soutient qu'« exister, c'est être perçu ou percevoir ». Dès lors, la substance matérielle n'est qu'un ensemble de perceptions. Le mot « matière » ne correspond à rien. « La seule chose dont nous nions l'existence est celle que les philosophes appellent matière ou substance corporelle ».

David Hume, empiriste et sceptique, rejette la notion de substance. « L'idée d'une substance aussi bien que celle d'un mode n'est rien qu'une collection d'idées simples unies par l'imagination auxquelles on a laissé un nom particulier »[6]. Le moi n'est qu'« un faisceau ou une collection de différentes perceptions qui se succèdent ».

Kant fait entrer la substance dans la catégorie relation (substance et accident, cause et effet, réciprocité). Il insiste sur la notion de permanence : « l'immuable dans l'existence, c'est-à-dire la substance » (Critique de la raison pure). Il donne aussi le « critère empirique » d'une substance : l'action.

Alfred North Whitehead, dans Process and Reality (1929), nie les substances, il observe plutôt des processus de réalisation, des « événements », des occasions qui sont en interaction.

Gaston Bachelard a placé le concept de substance parmi les notions élémentaires dont il faut dépasser les attraits pour le rendre conforme à l'esprit scientifique : « En réalité, il n'y a pas de phénomènes simples ; le phénomène est un tissu de relations. Il n'y a pas de nature simple, de substance simple : la substance est une contexture d'attributs. »[7].

Dans les religions

Les substances sont différentes et variées. Elles sont plus ou moins riches.

Christianisme

La substance est une notion employée dans le christianisme au sujet de l'Eucharistie.

La substance est l'un des concepts métaphysiques clés employés dans la philosophie scolastique. Cette philosophie résulte de la réconciliation entre la philosophie d'Aristote et la philosophie chrétienne, aux XIIe et XIIIe siècles. La conception de la substance développée dans l'Antiquité a été reprise par Thomas d'Aquin (1225-1274), puis développée par des métaphysiciens tels que le jésuite Francisco Suárez (1548-1617).

L'importance de la substance est rappelée dans l'Encyclique Fides et ratio de Jean-Paul II :

« Un grand défi qui se présente à nous au terme de ce millénaire est de savoir accomplir le passage, aussi nécessaire qu'urgent, du phénomène au fondement. Il n'est pas possible de s'arrêter à la seule expérience ; même quand celle-ci exprime et manifeste l'intériorité de l'homme et sa spiritualité, il faut que la réflexion spéculative atteigne la substance spirituelle et le fondement sur lesquels elle repose. Une pensée philosophique qui refuserait toute ouverture métaphysique serait donc radicalement inadéquate pour remplir une fonction de médiation dans l'intelligence de la Révélation. »[8]

On note une différence entre l'Église catholique, qui parle de transsubstantiation, et d'autres Églises, qui parlent plutôt de consubstantiation.

Philosophie indienne

Dans le cadre traditionnel des Veda, la substance a été retenue comme la première des sept catégories dans la théorie des catégories élaborée par les systèmes Nyâya et Vaisheshika ; cette dernière étant une philosophie atomique de la nature. De son côté, le bouddhisme substituant l'idée d'une évolution à celle d'un être stable rejette le concept de substance. Pour lui, le monde repose sur des « dharmas », des facteurs rendant les existences transitoires possibles sous forme de phénomènes.

Articles détaillés : Philosophie indienne, Madhyamaka et Cittamatra.

La substance dans les rapports entre l'Homme, la Nature, et Dieu

Substance et Nature dans le christianisme

Concernant la nature humaine, l'Église, suivant saint Paul (chapitre 12 de l'épître aux Thessaloniens) considère qu'il y a unicité de la nature entre l'esprit, l'âme et le corps :

« Que le Dieu de paix lui-même vous sanctifie tout entiers, et que tout ce qui est en vous, l'esprit, l'âme et le corps, se conserve sans reproche jusqu'au jour de l'avènement de notre Seigneur Jésus-Christ ! »

L'unité de l'âme a été rappelée au quatrième concile de Constantinople (869).

L'Église l'exprime encore de la façon suivante :

« L'unité de l'âme et du corps est si profonde que l'on doit considérer l'âme comme la forme du corps ; c'est-à-dire, c'est grâce à l'âme spirituelle que le corps constitué de matière est un corps humain et vivant ; l'esprit et la matière, dans l'homme, ne sont pas deux natures unies, mais leur union forme une unique nature. »[9]

L'Homme comme substance

Il existe plusieurs manières de concevoir l'Homme :

  • l'homme est substance à l'égard de la Nature, mais non en comparaison de Dieu ;
  • l'homme n'est pas une substance, mais un mode de la substance divine ou de la Nature.

Dans le premier cas, l'homme peut être tenu pour un être indépendant, un empire dans un empire bien qu'il subsiste avec l'aide de Dieu.

En revanche, dans le second cas, l'homme, en tant que modification d'une substance totale, est déterminé par les lois de celle-ci (qu'il s'agisse d'un dieu immanent, transcendant, ou de la nature).

Substances et connaissance

Les substances dans la Nature

La Nature nous présente ordinairement des formes identifiables : une feuille, une toile d'araignée, un œuf. Mais, on rencontre aussi des éléments moins familiers : de la résine, de la cendre, de l'argile, ainsi que les diverses matières que le corps produit. Privées de forme propre, ces matières nous échappent matériellement ainsi que d'une certaine façon conceptuellement. Il s'agit de substances.

Considérons ainsi un œuf, si naturellement beau et prometteur ; s'il vient à nous glisser des doigts, l'œuf éclaté perd sa cohésion naturelle. Ceci était un futur volatile, maintenant on est en présence de deux substances inattendues ; substances bien différentes et qui s'interpénètrent sans se mêler, en contournant les fragments de la coquille : qu'est-ce ? Qu'est devenu ce volatile si volatil ?

Scientifiquement, on parle donc naturellement de substance dans un contexte d'ignorance.

Substance chimique

Article détaillé : Substance chimique.

Le premier rôle du chimiste — assisté parfois du physicien — est de repousser l'ignorance en procédant à l'identification, ou caractérisation, de toute substance de quelque origine. Ses méthodes et outils permettent de repousser ou de contourner les limites des sens et de l'expérience commune : il procède à une analyse. Dans un second temps, ses connaissances lui permettront de procéder à des synthèses, même de substances non naturelles qu'il nommera produits artificiels ou de synthèse, ou encore composés chimiques.

La chimie fait donc généralement appel au terme « substance » quand aucune autre caractéristique ne peut utilement désigner ou définir le corps en question. À commencer donc dans le temps précédant les opérations d'analyse, par exemple, différentes substances sont apportées dans les centres anti-poison, qu'il s'agisse de poudres, de solutions…

Si l'analyse, l'identification, sont fructueuses, le chimiste a recours à un terme représentatif de la connaissance de la matière : ceci est du fer, ceci est un métal, un cristal, un polymère, etc. Mais, si l'analyse révèle un mélange, il est encore contraint d'utiliser le terme substance : le radium est un élément radioactif, mais un minerai de radium est une substance radioactive, ou encore le lait est une substance alimentaire d'origine animale... L'œuf lui apparaît ainsi constitué de deux corps — un organique et un minéral — (l'albumine du blanc et le calcaire de la coquille) et d'une substance complexe (le jaune), dont l'inventaire est confié au biochimiste...

Une substance, en chimie, est un échantillon homogène de matière de composition chimique pratiquement définie ; exemples : le sel pur, le sucre pur, le fer pur, l'eau pure.

Notes et références

  1. Émile Bréhier, Histoire de la philosophie. Tome 1, ch. IV, 9, PUF, (ISBN 9782130523826), p. 196-199
  2. Al-Juwayni, Le livre du Tawhîd (itâb al-irshâd). Chap. V, section 9, Alif, (ISBN 9782908087208)
  3. Louis Gardet, M. M. Anawati et Georges C. Anawati, Introduction à la théologie musulmane: essai de théologie comparée, J. Vrin, (lire en ligne), p. 66
  4. Josiane Boulad Ayoub, « Descartes face à Leiniz sur la question de la substance », Philosophiques, vol. 11, no 2,‎ (lire en ligne)
  5. Leibniz, Monadologie, paragraphe 7
  6. (Hume, Traité de la nature humaine (1739-1740), trad. André Leroy, Aubier, 1962, t. I, p. 81.
  7. Gaston Bachelard, Le Nouvel Esprit scientifique, Paris, PUF, 1934, p. 152.
  8. Encyclique Fides et ratio (1998), § 83
  9. Jean-Paul II, Catéchisme de l'Église catholique, numéro 365, p. 84

Bibliographie

  • Aristote, Métaphysique, livre Z.
  • Thomas d'Aquin, Somme de théologie.
  • Descartes, Principes de la philosophie, I, 51-54.
  • Gaston Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, Paris, PUF, 1934, p. 152.
  • Jean-François Courtine, Les catégories de l'être, Paris, Presses universitaires de France, 2003.
  • André Motte, Pierre Somville (éds.), Ousia dans la philosophie grecque des origines à Aristote, Louvain-la-Neuve, Peeters 2008.
  • Michel Bastit, La substance: essai de métaphysique, Paris, Éditions Parole et Silence, 2012.

Voir aussi

Articles connexes

La substance en philosophie et sociologie

La substance dans la religion chrétienne

Liens externes