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RĂ©volte des vignerons de la Champagne en 1911

La révolte des vignerons de la Champagne en 1911, les « cossiers » (en patois champenois), est la seconde grande manifestation du début du XXe siècle liée à la production de vin. Elle fait suite à la Révolte de 1907 dans le Languedoc bien que les viticulteurs champenois manifestent pour des raisons différentes.

Gaston Cheq haranguant la foule, place de l'HĂ´tel de ville, Ă  Troyes le 9 avril 1911.

DĂ©roulement

Un début de révolte marnais

La tension entre les producteurs de la Marne (en haut, en rouge) et ceux de l'Aube (en dessous, en rouge) a été la source de la révolte qui a suivi et causée par les débats sur les limites géographiques de la région Champagne.
La Maison Ducoin à Aÿ incendiée le 12 avril 1911.

Les récoltes marnaises sont mauvaises entre 1907 et 1910, en particulier à cause du phylloxéra, du gel et des orages qui détruisent les vignes. Les négociants en vin, plutôt que d'augmenter le prix du raisin, préfèrent s'approvisionner dans l'Aube, pourtant située en dehors de la délimitation de l'appellation Champagne depuis le 17 décembre 1908[1].

La « FĂ©dĂ©ration des syndicats viticoles de la Champagne », face Ă  la colère de ses adhĂ©rents, organise un grand meeting le 16 octobre 1910 Ă  Épernay, rassemblant 10 000 personnes. Le 4 novembre suivant, une grève de l'impĂ´t est proclamĂ©e dans plusieurs communes de la Marne[2]. Des « manifestations punitives » sont organisĂ©es dĂ©truisant caves et celliers de plusieurs nĂ©gociants dits « fraudeurs »[3], notamment Ă  Ay et Épernay. Le gouvernement, Ă  la demande du prĂ©fet de la Marne, fait intervenir le 31e rĂ©giment de dragons ainsi que quatre autres rĂ©giments en renfort, notamment pour couper l'accès aux villes et protĂ©ger les nĂ©gociants en vin. Le prĂ©fet s'engage le 20 janvier Ă  « obtenir l'arrĂŞt de l'achat de vins Ă©trangers », calmant ainsi la rĂ©volte[2]. Le 11 fĂ©vrier 1911, l’État interdit l'utilisation de vins ne provenant pas de l'aire d'appellation pour bĂ©nĂ©ficier du nom « champagne »[3].

La riposte auboise

Le président du Conseil, Ernest Monis, déclare le 15 mars que la délimitation du vignoble de Champagne « est faite et bien faite », provoquant la colère du côté aubois. Gaston Cheq notamment, dont il existe toujours une statue à Bar-sur-Aube, prend la tête de cette seconde révolte. La Fédération syndicale vigneronne décide la tenue de grandes manifestations tandis que 62 % des conseils municipaux aubois démissionnent durant le mois de mai[3].

La mobilisation des viticulteurs aubois est plus forte et culmine le 9 avril 1911 à Troyes. Le comité d'organisation, conduit par Gaston Cheq, prend la tête du cortège, arborant des « insignes aux allures de médailles distribuées lors des comices agricoles ». Il est suivi par les femmes en tenue de travail, puis par les hommes en habits du dimanche. Les manifestants brandissent des pancartes rappelant leurs villages d'origine, intitulant leur délégation le « bataillon de fer », et agitent, face à la troupe à cheval, autant de drapeaux rouges que de drapeaux tricolores. Tout comme dans le Languedoc, les photographes prennent des clichés pour éditer des cartes postales généralement favorables aux manifestants. Beaucoup d'ailleurs prennent la pose en dépit du risque évident, puisque qualifiés de « mutins »[1].

  • AutodafĂ© de feuilles d'impĂ´ts Ă  Bar-sur-Aube.
    Autodafé de feuilles d'impôts à Bar-sur-Aube.
  • Les vigneronnes en tĂŞte des cortèges.
    Les vigneronnes en tête des cortèges.
  • Le « bataillon de fer » de Bergères et sa cantinière.
    Le « bataillon de fer » de Bergères et sa cantinière.
  • Les vignerons Ă  Bar-sur-Aube jurent de lutter jusqu'Ă  satisfaction.
    Les vignerons Ă  Bar-sur-Aube jurent de lutter jusqu'Ă  satisfaction.
  • Gaston Cheq et les membres du ComitĂ© le 9 avril 1911 Ă  Troyes.
    Gaston Cheq et les membres du Comité le 9 avril 1911 à Troyes.

Deux départements s'opposent

Soldats à Épernay contre la révolte, 12 avril 1911.
L'armée garde la Verrerie Charbonneaux à Reims.

« En Champagne, il y a plus de soldats que de vignerons. »

— L'Humanité

En rĂ©action Ă  cette grande manifestation, le 11 avril, le SĂ©nat dit s'opposer aux dĂ©limitations qui « provoqu[ent] des divisions entre Français ». Y voyant une volontĂ© de supprimer la dĂ©limitation de l'appellation Champagne, les vignerons marnais provoquent la nuit mĂŞme Ă  Ay, Épernay et Damery ce que ClĂ©mentel appelle une « Saint-BarthĂ©lĂ©my des vins »[3]. Le lendemain Ă  AĂż, on compte 6 000 manifestants mettant le feu et pillant plusieurs maisons de Champagne pour une ville de 7 000 habitants[4]. L'armĂ©e intervient Ă  nouveau dans la Marne. Pour Ă©viter de nouvelles manifestations dans l'Aube, elle est Ă©galement envoyĂ©e dans le dĂ©partement[3].

Suites

Une délimitation « Champagne deuxième zone » est instituée par décret le 7 juin 1911, pour donner satisfaction aux viticulteurs aubois, qui possèdent désormais l'appellation, et les vignerons marnais, qui sont les seuls à garder la réelle dénomination Champagne. Cependant, il crée des frustrations des deux côtés de la Champagne. Un projet de loi est déposé à la fin du mois, proposant de condamner la « délimitation judiciaire » sans l'abolir. Après trois ans de navette parlementaire, la situation reste en suspens[3].

En 1927, après sept années de batailles judiciaires, la majorité du vignoble aubois, dont la côte des Bar, revient dans la délimitation de la Champagne viticole[3]. En 2013, l'appellation en production s'étale sur cinq départements : la Marne (66,38 %)[5], le tiers restant réparti sur l'Aube, l'Aisne, la Haute-Marne et la Seine-et-Marne.

La révolte dans la culture et postérité

Gaston Couté, un chansonnier des cabarets parisiens, prit fait et cause pour les Champenois et composa quatre chansons, de juin 1910 à avril 1911, soutenant les viticulteurs marnais. Elles furent publiées dans le journal La Guerre Sociale. La première saluait Le beau geste du sous-préfet, la seconde était un Cantique à l'usage des vignerons champenois, la troisième fut intitulée Ces choses-là. Au Vigneron Champenois, enfin la dernière parue le et fut baptisée Nouveau crédo du paysan[2].

À Bar-sur-Aube, la statue de Gaston Cheq atteste toujours de l'importance de cette révolte dans l’histoire régionale afin que les vignobles aubois conservent l'appellation Champagne. Une coopérative de vignerons vinifie toujours une cuvée en son honneur[6] - [1].

Notes et références

  1. Danielle Tartakowsky, « La grève des viticulteurs », sur histoire-image.org (consulté le )
  2. Amancio Tenaguillo y Cortázar, « Le vin sur la scène de l'histoire 2 : 1911 - Gaston Couté et la révolte des vignerons marnais », dans Cepdivin.org, Le vin social et politique, (lire en ligne)
  3. Claudine Wolikow, « La Champagne viticole : banc d’essai de la délimitation (1903-1927) », dans Territoires du vin, (lire en ligne)
  4. « Historique », sur Commune d'Aÿ-Champagne (consulté le )
  5. site du CIVC, Les chiffres clés pour 2013, consulté le 22 septembre 2014
  6. « Gaston Cheq », sur Coopérative « les coteaux du Landion » (consulté le )

Bibliographie

  • Jean Nollevalle, 1911. L'agitation dans le vignoble champenois, La Champagne Viticole, numĂ©ro spĂ©cial, 1961. RĂ©Ă©ditĂ© dans les numĂ©ros de janvier Ă  avril 2011 de La Champagne Viticole, 32 p. Consultable sur Il y a 100 ans, les rĂ©voltes de 1911.
  • Yann Harlaut et Fabrice Perron, Les rĂ©voltes du champagne, Éditions Dominique GuĂ©niot, Langres, 2010, 120 p.
  • Marcel Lachiver, Vins, vignes et vignerons. Histoire du vignoble français, Éd. Fayard, Paris, 1988, (ISBN 2-213-02202-X)
  • Alexandre Niess, « Champagne rouge, Champagne sang. De l’épineuse question de la dĂ©finition du vigneron champenois (1908-1914) », in Philippe Lacombrade, Fabien Nicolas (dir.), Vin et RĂ©publique, Paris, Pepper/L’Harmattan, « Cliopolis », 2009, p. 97–111.
  • Claire Desbois-Thibault, AurĂ©lie Melin, 1911-2011 du dĂ©sĂ©quilibre au consensus. Histoire & Souvenirs, La Champagne Viticole, Hors-sĂ©rie, septembre 2011, 64 p.
  • Thierry Delmotte, 1911, la rĂ©volte des cossiers champenois., Association Informer par la carte postale ancienne AIPCA, Boulogne-Billancourt, mars 2019, 336 p., 600 reproductions de cartes postales.

Voir aussi

Articles connexes

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