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RĂ©publique de Marquetalia

La rĂ©publique de Marquetalia (espagnol : RepĂșblica de Marquetalia) est une zone autonome constituĂ©e en 1958 en Colombie. Cette zone vit en marge du pouvoir central colombien entre 1958 et 1964, Ă  tel point qu'elle a parfois Ă©tĂ© dĂ©crite comme une « rĂ©publique indĂ©pendante »[4], une appellation rĂ©cusĂ©e par ses dirigeants, qui prĂ©fĂšrent parler de « groupe d'autodĂ©fense » ou de « zone organisĂ©e du mouvement paysan »[d 2]. Elle fut utilisĂ©e comme refuge par des populations fuyant la violence des zones voisines, avant d'ĂȘtre reprise par l'armĂ©e colombienne le . La plupart des guĂ©rilleros parviennent Ă  quitter la zone, et forment le noyau initial des Forces armĂ©es rĂ©volutionnaires de Colombie (FARC), qui sont fondĂ©es officiellement deux ans plus tard. La rĂ©sistance opposĂ©e par les guĂ©rilleros Ă  l'offensive militaire contre Marquetalia constitue un Ă©vĂšnement fondamental pour les FARC, qui considĂšrent le , date du premier choc important entre l'armĂ©e et les guĂ©rilleros, comme leur date anniversaire[4].

Marquetalia
RĂ©publique de Marquetalia
(es) RepĂșblica de Marquetalia

1958–1964

Description de cette image, également commentée ci-aprÚs
La République de Marquetalia (en rouge) et les autres « Républiques indépendantes » au début des années 1960, d'aprÚs Jean Lartéguy[1].
Informations générales
Statut République[2] ou zone d'autodéfense[3]
Langue(s) Espagnol
DĂ©mographie
Population (1964) env. 6 000 hab.[2]
Superficie
Superficie env. 800 km2[d 1]
Histoire et événements
1958 Création
ReconquĂȘte par la Colombie
Commandant des guérilleros
1958 - 11 janvier 1960 Jacobo PrĂ­as Alape
11 janvier 1960 - 22 juin 1964 Manuel Marulanda VĂ©lez

Entités précédentes :

Entités suivantes :

Autodéfenses et guérillas pendant La Violencia (1948-1958)

Entre 1948 et le dĂ©but des annĂ©es 1960, la Colombie est plongĂ©e dans la pĂ©riode de La Violencia, une guerre civile qui oppose le Parti conservateur au Parti libĂ©ral et qui aurait fait entre 100 000 et 300 000 victimes[5]. Cette pĂ©riode voit, Ă  partir de 1949, l'Ă©mergence dans les campagnes de zones d'autodĂ©fense libĂ©rales, mais aussi communistes, avec pour but de se protĂ©ger du pouvoir conservateur. Entre 1949 et 1953, sous la pression de l'armĂ©e et de la police, ces groupes (tant libĂ©raux que communistes) constituent petit Ă  petit des guĂ©rillas mobiles. Pendant cette pĂ©riode, presque tous les futurs reprĂ©sentants des guĂ©rillas communistes (Manuel Marulanda, Jacobo PrĂ­as Alape (es), Ciro Trujillo (es), Jaime Guaracas et quelques autres) militent dans les guĂ©rillas du Sud du Tolima, rĂ©gion oĂč les autodĂ©fenses aussi bien communistes que libĂ©rales sont trĂšs bien implantĂ©es[4].

En 1953, la plupart des guĂ©rillas libĂ©rales acceptent l'amnistie proposĂ©e par le gĂ©nĂ©ral Rojas Pinilla et rendent les armes. Certaines guĂ©rillas, essentiellement communistes, refusent la reddition, mais cessent les hostilitĂ©s et se replient, constituant de nouveau des zones d'autodĂ©fense. Le Parti communiste prĂŽne la coexistence pacifique de ces zones d'autodĂ©fense avec l'armĂ©e, mais cette paix relative est de courte durĂ©e et les affrontements avec les forces Ă©tatiques reprennent dĂšs 1954[4] : les autodĂ©fenses redeviennent mobiles et recourent Ă  nouveau Ă  des tactiques de guĂ©rilla. À partir de 1953, un groupe d'une trentaine de guĂ©rilleros commandĂ© par Jacobo PrĂ­as Alape et Manuel Marulanda[6] s'installe dans la zone de Riochiquito, avant de lancer la « colonisation armĂ©e » de la zone de Marquetalia. D'autres zones d'influence communiste se constituent dans des rĂ©gions voisines, dont Riochiquito, dirigĂ©e par Ciro Trujillo, futur cofondateur des FARC. La reconquĂȘte par l'armĂ©e en 1955 de la zone de Villarica (dans le Cundinamarca) entraĂźne le dĂ©but de la colonisation des zones de El Pato (es) et Guayabero par les paysans expulsĂ©s de Villarica (cet Ă©pisode sera parfois appelĂ© « guerre de Villarica »). L'accord de partage du pouvoir dit du Front national actĂ© en 1958 entre conservateurs et libĂ©raux permet de mettre fin progressivement Ă  la pĂ©riode de La Violencia. Ce contexte plus favorable, permet aux guĂ©rillas communistes de reformer des zones d'autodĂ©fenses dans des zones reculĂ©es, dont Marquetalia[4].

La zone d'autodéfense de Marquetalia (1958-1964)

GĂ©ographie

Marquetalia est situĂ©e prĂšs du village de Gaitania, dans l'actuel municipe de Planadas (fondĂ© en 1966), au sud du dĂ©partement du Tolima, le long de la frontiĂšre avec le dĂ©partement du Huila, dans la cordillĂšre centrale. La superficie de la zone d'autodĂ©fense est estimĂ©e Ă  800 km2 par Jacobo Arenas, dans une zone montagneuse reculĂ©e traversĂ©e par deux riviĂšres, le rio AtĂĄ et le rio Saldaña, ainsi que des affluents de moindre importance, sur les pentes du Nevado del Huila, qui culmine Ă  plus de 5 000 m. Sa partie centrale est constituĂ©e d'un plateau, accessible par des sentiers de montagne difficilement praticables traversant des zones forestiĂšres trĂšs peu peuplĂ©es[d 1] - [7].

Fonctionnement socio-Ă©conomique

En 1958, une confĂ©rence des guĂ©rillas communistes qui a lieu Ă  Marquetalia fixe les conditions de la transformation des guĂ©rillas en mouvements d'autodĂ©fense. Il est dĂ©cidĂ© de dĂ©mobiliser les combattants qui le souhaitent, Ă  la condition qu'ils s'engagent de nouveau dans la guĂ©rilla si la situation le nĂ©cessite. Les biens de l'organisation sont distribuĂ©s entre ses membres, Ă  l'exception des armes qui restent la propriĂ©tĂ© du Parti, et une parcelle de terre est octroyĂ©e aux combattants qui souhaitent rester Ă  Marquetalia. Symbole de la volontĂ© de coexistence avec le pouvoir central, les autodĂ©fenses demandent la venue de personnel administratif afin de procĂ©der au recensement de la population des zones autonomes, et les anciens chefs guĂ©rilleros deviennent des dirigeants agraires. Jacobo PrĂ­as Alape est le principal dirigeant de Marquetalia jusqu'Ă  son assassinat le , date Ă  laquelle Manuel Marulanda VĂ©lez lui succĂšde[4] - [6]. Pendant cette pĂ©riode, la stratĂ©gie de cohabitation pacifique avec le pouvoir central semble fonctionner. Les autoritĂ©s nomment mĂȘme le futur commandant en chef des FARC au poste de responsable de la gestion d'un tronçon de la route de Neiva Ă  Planadas, une charge qu'il occupe pendant prĂšs de deux ans[4].

Les zones d'autodĂ©fenses communistes deviennent de vĂ©ritables zones de refuge pour ceux qui fuient la violence des terres voisines ou l'expropriation de leurs terres[4]. L'historien marxiste Eric Hobsbawm Ă©crit en effet que « ces zones communistes sont armĂ©es, organisĂ©es, disciplinĂ©es. Elles sont toujours reconnaissables Ă  ce que mĂȘme entourĂ©es de territoires oĂč rĂšgne la violence, elles sont parfaitement calmes. Leur avantage principal rĂ©side dans l'attrait qu'elles exercent sur les populations rurales voisines, en raison de leur efficacitĂ© manifeste et de leurs lois Ă©quitables ». L'Ă©vĂȘque colombien GermĂĄn GuzmĂĄn Campos (es) Ă©crit Ă©galement « À Gaitania [principale localitĂ© voisine de Marquetalia] arrivent tous ceux qui fuient les persĂ©cutions. L'organisation rĂ©volutionnaire leur distribue des terres, des mĂ©dicaments et protĂšge leurs vies. L'unique condition que l'on exige des arrivants est de ne porter tort Ă  personne Ă  cause de ses opinions politiques ou religieuses. Aucun d'eux n'a renoncĂ© Ă  son ancienne dĂ©signation politique ou religieuse mais il en a ajoutĂ© une nouvelle : celle de communiste »[8].

Sans remise en cause du droit de propriĂ©tĂ©, des formes de travail collectif et une distribution des terres par confiscation des terres improductives sont mises en place, permettant Ă  ces zones d'ĂȘtre indĂ©pendantes sur le plan alimentaire. Les ressources financiĂšres proviennent de l'imposition de produits comme l'alcool et le tabac et des rĂ©seaux de sympathisants qui existent Ă  Bogota[8]. Toutefois, un « cordon sanitaire » militaire est mis en place autour des zones d'autodĂ©fenses, ce qui rend difficile la vente des excĂ©dents agricoles, et pĂ©nalise la vie Ă©conomique. Le rĂ©gime Ă©conomique des zones d'autodĂ©fense peut donc ĂȘtre dĂ©crit comme un « communisme de pĂ©nurie » Ă  dominante agricole[4].

Situation militaire

Marquetalia aurait bénéficié vers 1959-1960 de la venue d'instructeurs chinois et cubains qui pouvaient atterrir avec des avions C-47 sur des pistes de fortune afin d'aider à l'organisation de l'autodéfense sur le plan militaire et de la propagande. Jusqu'en 1961, il n'y a pas d'offensive militaire importante contre les zones d'autodéfense communistes[8].

En octobre 1961, le parlementaire conservateur Álvaro GĂłmez Hurtado dĂ©nonce au SĂ©nat l'existence sur le territoire national de « rĂ©publiques indĂ©pendantes » (Marquetalia, mais aussi d'autres comme RĂ­o Chiquito, El Pato, Guayabero, Sumapaz etc.), oĂč l'armĂ©e ne peut pas entrer et oĂč l'autoritĂ© de l'État ne s'exerce pas. Son discours constitue un vĂ©ritable tournant et force le gouvernement Ă  agir[4]. Les FARC rĂ©cusent l'appellation de « rĂ©publiques », et parlent de « zones agraires munies d'une organisation propre et de formes d'autogestion, maintenant leur caractĂšre armĂ© dĂ©fensif »[3].

DĂ©but 1962, le gouvernement, sous pression des conservateurs, dĂ©cide d'attaquer Marquetalia avec 5 000 combattants appartenant Ă  des unitĂ©s anti-guĂ©rilla commandĂ©es par des officiers formĂ©s aux États-Unis ou Ă  l'École militaire des AmĂ©riques, mais cette attaque est repoussĂ©e par les groupes d'autodĂ©fense. L'armĂ©e subit de lourdes pertes et les guĂ©rilleros s'emparent de nombreuses armes. Le prĂ©sident Lleras Camargo, confrontĂ© aux Ă©checs militaires de l'offensive ainsi qu'Ă  l'agitation urbaine dĂ©clenchĂ©e par le Parti communiste et par le MRL, dĂ©cide d'ordonner la fin de l'offensive. La « rĂ©publique de Marquetalia » et son chef Manuel Marulanda VĂ©lez sortent renforcĂ©s de cette victoire sur l'armĂ©e colombienne. Au cours des deux annĂ©es qui suivent, un statu quo s'installe entre l'armĂ©e et les guĂ©rilleros, marquĂ© par quelques accrochages[8] - [9].

La chute de Marquetalia (1964)

Le plan LASO

À partir de juin 1962 est mis en Ɠuvre le plan LASO (Latin American Security Operation), sous la direction du prĂ©sident Guillermo LeĂłn Valencia, par le ministre de la DĂ©fense (le gĂ©nĂ©ral Ruiz Novoa) avec l'aide des États-Unis, en particulier par l'envoi de forces spĂ©ciales amĂ©ricaines chargĂ©es d'entraĂźner l'armĂ©e colombienne Ă  la lutte anti-guĂ©rrilla[10]. Ce plan, aussi appelĂ© Plan Lazo, qui a abouti Ă  de premiĂšres offensives couronnĂ©es de succĂšs contre des bandes armĂ©es (bandoleros) dĂšs fin 1962 et dĂ©but 1963, avait pour but de crĂ©er des patrouilles offensives pour attaquer les zones non contrĂŽlĂ©es par l'État, en utilisant en particulier la guerre psychologique et des Ă©quipes anti-guĂ©rillas ayant pour objectif de poursuivre et tuer les rebelles (hunter-killer teams) avec l'aide de chiens spĂ©cialement entraĂźnĂ©s, afin de les empĂȘcher de disparaĂźtre dans la nature lors des attaques militaires[11]. Il encourageait Ă©galement des actions civiques de l'armĂ©e (construction d'Ă©coles, travaux publics etc.), parfois vus comme des moyens dĂ©guisĂ©s de contrĂŽler et surveiller la population civile. Ce contrĂŽle passait Ă©galement par un recensement de la population et une surveillance de ses mouvements dans les zones de violence[12].

L'opération Marquetalia

HĂ©licoptĂšre Kaman HH-43 Huskie du type de ceux prĂȘtĂ©s Ă  la Colombie par les États-Unis au titre de la lutte contre les bandes armĂ©es et les enclaves communistes[13].

En 1964, les activitĂ©s des insurgĂ©s s'Ă©tendent, et ils prennent en embuscade une colonne de l'armĂ©e[14]. Le gouvernement de Guillermo LeĂłn Valencia dĂ©cide donc de reconquĂ©rir Marquetalia, et commence au mois d'avril Ă  masser des troupes autour de la rĂ©gion. InformĂ© de cette offensive imminente, le Parti communiste envoie en avril 1964 Jacobo Arenas, membre du comitĂ© central, pour aider Ă  l'organisation de la guĂ©rilla. L'offensive militaire, appelĂ©e « opĂ©ration Marquetalia », aurait dĂ©butĂ© le [9] - [8] ou le [d 3]. Elle est menĂ©e avec des ressources considĂ©rables, dont l'utilisation d'hĂ©licoptĂšres fournis par les États-Unis[14] - [13] et de bombardements aĂ©riens[d 4]. La carcasse de l'un de ces hĂ©licoptĂšres, criblĂ©e de balles, Ă©tait toujours visible sur les lieux en 2017, plus de 50 ans aprĂšs les combats[15].

Le , date du premier affrontement important entre l'armĂ©e et les insurgĂ©s[d 5], marque la date considĂ©rĂ©e depuis par les FARC comme celle de leur fondation[4]. AprĂšs deux semaines de combats marquĂ©es par quelques accrochages de faible ampleur entre l'armĂ©e et les guĂ©rilleros au cours desquels les militaires ne parviennent pas Ă  pĂ©nĂ©trer profondĂ©ment dans la zone insurgĂ©e, une opĂ©ration hĂ©liportĂ©e est mise en place et l'armĂ©e parvient Ă  prendre pied le sur le plateau central de Marquetalia. Le 17 juin, un combat fait sept morts et vingt blessĂ©s dans les rangs de l'armĂ©e. L'occupation militaire de la zone est achevĂ©e le , mais la plupart des guĂ©rilleros parviennent Ă  fuir et Ă  se retrancher dans les montagnes environnantes[8] - [d 6]. Selon Jacobo Arenas, au cours de l'opĂ©ration militaire de 1964 contre Marquetalia, l'armĂ©e a emprisonnĂ© 2 000 paysans et en a tuĂ© 200. Il chiffre les pertes matĂ©rielles Ă  cent maisons, dix-mille tĂȘtes de bĂ©tail et 100 000 volailles[d 7].

Controverse sur les forces en présence

Le chiffre de 16 000 soldats participant Ă  l'offensive, soit un tiers de l'armĂ©e colombienne Ă  l'Ă©poque, est avancĂ© par les FARC ainsi que par certains historiens et journalistes[8] - [9]. Ce chiffre est jugĂ© exagĂ©rĂ© par des militaires et historiens colombiens, en particulier parce que l'armĂ©e colombienne aurait Ă©tĂ© incapable Ă  cette Ă©poque d'un tel dĂ©ploiement de forces dans un thĂ©Ăątre d'opĂ©ration montagneux et difficilement accessible. Selon ces auteurs, cette dĂ©formation ferait partie d'une volontĂ© des FARC de mettre en scĂšne le combat hĂ©roĂŻque d'une poignĂ©e de guĂ©rilleros contre une force Ă©crasante. Ils s'appuient Ă©galement sur le tĂ©moignage du gĂ©nĂ©ral Matallana, chargĂ© de l'opĂ©ration, qui Ă©value Ă  moins de 2 000 le nombre de soldats rĂ©ellement engagĂ©s. Ces soldats auraient fait face Ă  250 guĂ©rilleros et non 48 comme cela est affirmĂ© par les FARC[16] - [17]. Selon Time Magazine, l'assaut aurait Ă©tĂ© menĂ© par 3 500 soldats, soit cinq bataillons, divisĂ©s en petits groupes mobiles[2].

AprĂšs la chute de Marquetalia

Consolidation de la guérilla

Le , les guérilleros tiennent une assemblée générale et proclament l'ambitieux « programme agraire de la guérilla », qui prévoit la confiscation des terres appartenant aux haciendas et leur redistribution aux paysans. Fin septembre, une nouvelle conférence regroupant des guérilleros du Sud de la Colombie sous la direction du Parti communiste décide de la création d'une force de guérilla unifiée sous le nom de « Bloc Sud ». Les derniÚres « républiques indépendantes » (Riochiquito, Guayabero, El Pato) sont reconquises par l'armée en 1964-1965[9], et en avril 1966 se tient la seconde conférence de la guérilla, constitutive des FARC, en présence de 350 guérilleros issus des Républiques indépendantes vaincues[9] - [4].

RĂ©actions internationales

L'attaque militaire sur Marquetalia semble avoir déclenché une certaine émotion dans la mouvance communiste internationale. Che Guevara, lors d'un discours officiel prononcé à l'ONU comme représentant de Cuba en 1964 en a fait mention :

« Le reprĂ©sentant de la Colombie ne se souvient-il pas qu'Ă  Marquetalia il y a des forces qui avaient Ă©tĂ© qualifiĂ©s par la presse colombienne elle-mĂȘme de « RĂ©publique indĂ©pendante de Marquetalia », mais dont on a affublĂ© l'un des dirigeants du surnom de Tiro Fijo afin de le faire passer pour un vulgaire bandit ? Ne sait-il pas que lĂ -bas a eu lieu une grande opĂ©ration avec 16 000 hommes de l'armĂ©e colombienne, conseillĂ©s par des militaires nord-amĂ©ricains, et avec l'utilisation de certains Ă©lĂ©ments comme des hĂ©licoptĂšres et sans doute — mĂȘme si je ne suis pas en mesure de l'affirmer — des avions, Ă©galement de l'armĂ©e des États-Unis ? »

— Che Guevara, Discours prononcĂ© Ă  l'ONU le 11 dĂ©cembre 1964

En 1965, des intellectuels et militants politiques français font publier dans la revue Documentos PolĂ­ticos, proche du Parti communiste colombien, une dĂ©claration intitulĂ©e « solidaritĂ© active avec les combattants colombiens », revenant sur les opĂ©rations militaires contre « Marquetalia, El Pato et d'autres zones du territoire colombien », demandant en conclusion « que cesse l'agression militaire contre le mouvement agraire et que soit mis fin Ă  l'intervention nord-amĂ©ricaine dans les affaires intĂ©rieures de la Colombie » et appelant en outre tous les dĂ©mocrates Ă  « organiser la solidaritĂ© active avec les combattants colombiens qui luttent pour le progrĂšs social et pour l'indĂ©pendance de leur pays ». Parmi les signataires de cet appel, on trouve en particulier des intellectuels (Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, RenĂ© Dumont, RĂ©gis Debray, Georges Montaron) et des dirigeants politiques du PCF et du PSU (Jacques Duclos, Édouard Depreux, BenoĂźt Frachon, Guy Hermier)[18].

Conséquences

La chute de Marquetalia a Ă©tĂ© diversement analysĂ©e. Pour la mouvance communiste colombienne, la rĂ©sistance de quarante-huit guĂ©rilleros contre 16 000 soldats appuyĂ©s par les États-Unis marque le premier grand succĂšs de la guĂ©rilla contre les forces gouvernementales. Lors de la premiĂšre confĂ©rence de la guĂ©rilla, les guĂ©rilleros dĂ©clarent que « cinq mois aprĂšs le dĂ©but de l'offensive contre Marquetalia, les unitĂ©s mobiles de guĂ©rilla ont obtenu une victoire complĂšte face aux techniques anti-guĂ©rilla du gouvernement »[9]. Un responsable communiste de l'Ă©poque juge que, aprĂšs la chute des zones d'autodĂ©fense, le Parti communiste se trouve Ă  la tĂȘte de la force de guĂ©rilla la plus sĂ©rieuse et expĂ©rimentĂ©e de toute l'AmĂ©rique latine. Selon Daniel PĂ©caut, historien et sociologue spĂ©cialiste des FARC, Marquetalia devient « la base de l'histoire lĂ©gendaire des FARC, l'Ă©quivalent de la Sierra Maestra pour la RĂ©volution cubaine[19] ». En effet, selon Jacobo Arenas, l'opĂ©ration a transformĂ© les autodĂ©fenses en un mouvement infiniment plus fort par la constitution d'un mouvement guĂ©rillero mobile et il juge que, malgrĂ© l'importance des forces mises en jeu par le gouvernement, « le prestige de l'armĂ©e, le mythe de son invincibilitĂ©, ont Ă©tĂ© anĂ©antis. Un groupe de paysans, sous la direction du Parti communiste, a pulvĂ©risĂ© sa stratĂ©gie et sa tactique »[d 8]. De façon plus nuancĂ©e, Jean LartĂ©guy estime que le plan LASO, qui a coĂ»tĂ© cher Ă  la Colombie, a partiellement Ă©chouĂ© puisque les guĂ©rilleros n'ont pas pu ĂȘtre capturĂ©s[8].

D'autres analystes, comme RĂ©gis Debray dans son livre RĂ©volution dans la RĂ©volution, jugent au contraire que la fin des zones d'autodĂ©fense marque un Ă©chec clair pour le Parti communiste colombien. Pour le journaliste et historien britannique Richard Gott, « En dĂ©pit de la capacitĂ© des communistes Ă  voir chaque dĂ©faite comme une nouvelle victoire, la chute de Marquetalia doit ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une perte majeure pour la RĂ©volution », et c'est plus par accident qu'Ă  dessein que le Parti communiste colombien se retrouve Ă  la tĂȘte d'une force de guĂ©rilla[9].

Les FARC, dont les cadres issus de Marquetalia (Miguel Pascuas, Jaime Guaracas, Jacobo Arenas, Rigoberto Lozada, Fernando Bustos, entre autres) dominent la structure pendant plus de trente ans, et que Manuel Marulanda dirige jusqu'Ă  sa mort en 2008, ont montrĂ© leur capacitĂ© Ă  durer et Ă  dĂ©velopper une rĂ©elle capacitĂ© militaire culminant Ă  18 000 combattants au dĂ©but des annĂ©es 2000, mais ne sont jamais parvenues Ă  conquĂ©rir le pouvoir, restant jusqu'Ă  leur dĂ©mobilisation en 2017 l'un des principaux acteurs du conflit armĂ© colombien qui empĂȘche la pacification de la sociĂ©tĂ© colombienne et gĂ©nĂšre d'importantes souffrances pour la population, et notamment pour les classes populaires[20] - [21].

Annexes

Articles connexes

Bibliographie

Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article : document utilisĂ© comme source pour la rĂ©daction de cet article.

  • (es) Jacobo Arenas, Diario de la resistencia de Marquetalia, AbejĂłn Mono, (lire en ligne). Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article.
    Traduit en français sous le titre Colombie, guĂ©rillas du peuple, Éditions Sociales, Paris, 1969, 142 p., prĂ©facĂ© par Henri Rol-Tanguy.
  • Daniel PĂ©caut, Les Farc, une guĂ©rilla sans fins ?, Paris, Lignes de repĂšres, , 169 p. (ISBN 978-2-915752-39-7). Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article.
  • (es) JosĂ© Jairo GonzĂĄlez Arias, Espacios de exclusiĂłn : el estigma de las RepĂșblicas independientes 1955-1965, Bogota, Cinep, , 195 p. (ISBN 978-958-644-020-2).
  • Jean-Pierre Sergent, La Colombie (1966), court-mĂ©trage documentaire tournĂ© en septembre 1965 pendant l'attaque de l'armĂ©e contre Riochiquito (voir le film sur le site de l'INA).

Notes et références

  • Jacobo Arenas (prĂ©f. Henri Rol-Tanguy), Colombie, guĂ©rillas du peuple [« Diario de la resistencia de Marquetalia »], Paris, Éditions Sociales, , 142 p..
  1. p. 33.
  2. p. 22-23.
  3. p. 34.
  4. p. 40.
  5. p. 37.
  6. p. 42-44.
  7. p. 108.
  8. p. 109.
  • Autres rĂ©fĂ©rences :
  1. Jean LartĂ©guy, Les guĂ©rilleros, Éditions Raoul Solar, , 443 p., p. 198.
  2. (en) « Colombia: The Backlands Violence Is Almost Ended », Time Magazine,‎ (lire en ligne).
  3. (es) Las FARC-EP: 30 Años de lucha por la Paz, Democracia y Soberanía, déclaration des FARC, 27 mai 1994.
  4. (es) Eduardo Pizarro LeongĂłmez, « Los origenes del movimiento armado comunista en Colombia (1949-1966) », Analisis polĂ­tico, vol. 7,‎ , p. 7-31 (lire en ligne).
  5. (es) Eric Hobsbawn, Rebeldes Primitivos, Estudio sobre las formas arcaicas de los movimientos sociales en los siglos XIX y XX, Editorial Ariel S. A., , 328 p. (ISBN 978-84-8432-244-3, lire en ligne), p. 263-273.
  6. Hernando Calvo Ospina et Jaime Guaracas, « La véritable histoire du plus ancien mouvement de guérilla des Amériques, par un de ses protagonistes : Interview de Jaime Guaracas, légendaire guérillero des FARC », sur letacle.canalblog.com, .
  7. (es) Fabio Arenas Jaimes, « Marquetalia vive entre el olvido y las historias de alias Tirofijo », El Tiempo,‎ (lire en ligne).
  8. Jean LartĂ©guy, Les guĂ©rilleros, Éditions Raoul Solar, , 443 p., p. 252-261.
  9. (en) Richard Gott, Guerrilla Movements in Latin America, Thomas Nelson and Sons, Ltd., (lire en ligne), « The fall of Marquetalia », p. 247-256.
  10. (en) « United States Army reveals participation in exterminating violence in Colombia », United Press International, 20 mai 1964.
  11. (en) Review of Plan Lazo, document militaire déclassifié, 1963.
  12. (en) Gonzalo Sanchez et Donny Meertens, Bandits, peasants, and politics: the case of La Violencia" in Colombia, Duke University Press, , 229 p. (ISBN 978-0-292-77757-6, lire en ligne), p. 178.
  13. (en) helicopters for Colombia, 14 mai 1964, DĂ©partement d'État des États-Unis.
  14. (es) « Clave 1990 Asalto A Casa Verde », El Tiempo,‎ (lire en ligne).
  15. « Colombie : dans le berceau des Farc pour leur dernier anniversaire », La Croix/AFP,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  16. (es) Luis Alberto VillamarĂ­n Pulido, « Marquetalia: DesfiguraciĂłn proselitista de la historia del conflicto colombiano. », El Tiempo,‎ (lire en ligne).
  17. (es) Ariel Sånchez Meertens et Gonzalo Sånchez G., « Mayo 27 de 1964, el huevo de la serpiente : La recuperación de Marquetalia por parte del gobierno es un referente central de los debates sobre la caracterización del conflicto armado y su lugar en la historia de Colombia. », sur semana.com (consulté le ).
  18. El día en que Sartre y otros intelectuales franceses apoyaron a las Farc, El Espectador, 2 août 2017, reproduisant en intégralité la déclaration intitulée Solidaridad activa con los combatientes colombianos parue dans la revue Documentos Políticos (numéro 49) en 1965.
  19. Daniel Pécaut, Les Farc, une guérilla sans fins ?, Paris, Lignes de repÚres, , 169 p. (ISBN 978-2-915752-39-7), p. 29.
  20. Ibid., p. 156.
  21. « Colombie : les Farc ont rendu toutes leurs armes, selon l'ONU », France 24, 27 juin 2017.
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