Quinze Oraisons
Les Quinze Oraisons[1] sont un recueil de quinze méditations de la Passion du Christ, liées aux prières du Notre Père et du Je vous salue Marie qui sont dites quotidiennement durant une année entière[2]. Elles sont traditionnellement attribuées à sainte Brigitte de Suède, une mystique et visionnaire suédoise. Elles lui furent dictées (selon la « Légende Dorée » de sainte Brigitte) par le Christ lui parlant depuis le crucifix d'une chapelle de la Basilique Saint-Paul-hors-les-Murs de Rome[3].
Éditions
Elles furent constamment éditées (jusqu'en Ukraine) et rééditées, sous différents noms, Jardin de l'âme (Hortulus Animae) ou Palmier céleste (Caeleste Palmetum) de Wilhelm Nakatenus (de) S.J., Le Secret de Bonheur et traduites en plusieurs langues, au moins huit langues : français, allemand, anglais, espagnol, suédois, nééerlandais, italien danois. Elles furent aussi manuscrites dans des Psautiers et des « Livres d'Heures » ou des « Orationnaires », comme méditations de la Passion[4]. Des promesses (réelles ou apocryphes) leur furent associées. En Suède, elles n'ont jamais été attribuées à sainte Brigitte et ne figurent pas dans son livre des Révélations Célestes et ne sont pas même éditées avec ce livre en supplément sinon à partir du XIXe siècle : certains esprits critiques les pensent donc aussi apocryphes, par exemple réalisées par une religieuse brigittine du nom de Mary Oestrewyk[5], pourtant elles sont toujours répandues et popularisées sous le nom de Sainte Brigitte : elles ne furent très répandues qu'à partir du XVe siècle. L'un des manuscrits de la BNF de 1446 semble avoir appartenu au roi Louis XII. Une très longue suite de rééditions montrent leur succès populaire et authentifier les promesses du Christ à Sainte Brigitte : une heure de méditation de la Passion était réputée valoir davantage que le jeûne ou la flagellation pratiquée au Moyen Âge.
Le texte et la prière
Il s'agit d'un long poème mystique en prose latine.
Les quinze oraisons commencent chacune par une interpellation du Christ commençant par O, suivi du Nom de Jésus, puis d'une épithète[6], Les grandes antiennes « Ô » de l'Avent adoptent le même procédé[7] : O Jésus, vraie Liberté des Anges / Créateur du Ciel et de la terre / Céleste médecin / Miroir (Speculum) de splendeur éternelle / Roi (Rex) aimable et tout désirable / Fontaine de pitié inépuisable / Douceur des cœurs et suavité des esprits, Vertu royale et Voie de l'esprit / qui est en toutes choses commencement et fin / Abîme très profond de Miséricorde / Miroir de vérité, marque d'unité / Lien de charité / Lion très fort / Roi immortel et invincible / Fils unique du Père (Unigenitus), la Splendeur et figure de sa substance / Vraie et féconde Vigne[8].
Chacune est suivie de la méditation d'un épisode de la Passion ou d'une parole de Jésus en Croix.
Méditation de la Passion
Certains mystiques pensaient qu'il est nécessaire d'oublier l'humanité du Christ. Or un grand mystique Jean de la Croix s'oppose à cette idée Il disait que deux choses servent d'ailes à l'âme pour s'élever à l'union à Dieu: la compassion affective à la Passion de Jésus-Christ et l'amour du prochain. Le saint refusait certes les voies surnaturelles et les miracles, mais insistait sur l'importance de cette méditation : on peut en conclure que si les religieux, appelés à une plus grande perfection, méditaient les Sainte Écritures et les Evangiles, la dévotion populaire se servait de prières communément répandues, pour ce même exercice spirituel, de méditation de la Passion et de l'Humanité du Christ[9]. Comme on n'est pas entièrement sûr que ces Oraisons soient un miracle authentique de Sainte Brigitte, et révélées par voie miraculeuse, on peut aussi y voir une méditation dans la prière de la Passion de Jésus Christ dont la récitation quotidienne introduisait chez le fidèle un constant souvenir.
L'Image du Pressoir Mystique
La prière finale exprime le thème iconographique et poétique du Pressoir Mystique (« Torculus Christi ») : le Christ a exprimé son sang tel une grappe de raisin dans un pressoir, Sang à l'origine des Sept Sacrements de l'Église et de la Rédemption. La grappe de raisin, issue de la symbolique chrétienne primitive puisque le Christ se définissait comme le cep de vigne était un thème courant de la mosaïque chrétienne, elle figurait notamment sur les baptistères : elle est ici associée au pressoir car c'est le Christ qui en produit le fruit, comme il le dit dans la Cène en montrant le Vin : « Ceci est mon sang ». De même que le poisson (Piscus) figurait soit le chrétien soit le Christ Lui-même la vigne représente soit le baptisé soit Jésus[10]. Saint Alphonse de Liguori explique : « Le Prophète interroge de nouveau: « Pourquoi donc vos vêtements sont-ils rouges, comme les habits de ceux qui foulent le vin dans le pressoir au temps de la vendange? » (Is 63, 2). Et le Seigneur répond: « J'ai été seul à fouler le vin; aucune homme ne s'est trouvé avec moi » (Is 63, 3). Par ce pressoir, Tertullien, saint Cyprien et saint Augustin entendent la Passion de Jésus-Christ, dans laquelle son vêtement, c'est-à-dire sa chair sacrée fut tout couvert de sang et de plaies, selon ce que dit saint Jean dans l'Apocalypse: « Le manteau qui l'enveloppe est trempé de sang; et son nom? Le Verbe de Dieu » (Ap 19, 13). Saint Grégoire dit que, dans ce pressoir dont parle Isaïe, notre Sauveur a été foulé et a foulé. Il a foulé parce que, dans sa passion, il a vaincu les démons; et il a été foulé, parce que son corps adorable a été brisé dans les tourments comme le raisin dans le pressoir, suivant cet autre texte du même prophète, déjà cité: "Yahvé s'est plu à l'écraser par la souffrance" (Is 53, 10). » [11]
Cette métaphore du « pressoir mystique » est développée au XVe siècle par le moine allemand Ulrich Stöcklins de Rottach abbé de Wessobrunn (1438-1443) :
Qui botrus exprimitur
In Crucis torculari
Quod Vinum conficitur
Calicius praecolari[12]
Qui de caeli vinea
Botrus est egressus
Ac per torcularia
Crucis fuit pressus[13].
On trouve aussi cette métaphore sous la plume de saint Pierre Damien [14] - [15].
Au fil du temps
Une édition fut mise à l'Index en 1661, et elles furent condamnées par l'autorité épiscopale au XIXe siècle [16] puis interdites par Rome en janvier 1954 pendant la période de « crise de l'Église »[17] - [18]. Elles furent cependant approuvées par un très grand nombre de prélats, de papes (Urbain VI, Pie IX, le ), et de religieux[19], de souverains (elles furent éditées sous Mary Tudor en Angleterre où elles jouèrent également un très grand rôle)[20], et furent manuscrites puis imprimées et enfin enregistrées et numérisées[21] de siècle en siècle jusque de nos jours.
Galerie
- Illustration d'une des premières éditions des Quinze Oraisons de Sainte Brigitte de Suède par Caxton
Notes et références
- Oraisons de la passion de N. Seigneur, révélées à sainte Brigitte, reine de Suède, en latin Quindecim Orationes de Passione Domini en anglais The most devout prayers of St. Brigitte, touching the most holy passion of Our Saviour Iesus Christ composed by the aforesaid saint by instinct of the Holy Ghost
- « Quindecim orationes sequentes, si quis deuote cum totidem Pater noster et Aue Maria semel omni die per totum annum cxontinuando dixerit, ob honorem et memoriam vulnerum Jesu Christi, magnas indulgentias merebitur. Et anno sic continuato et completo unum quodque vulnus Domini nostri Jesu Christi cum una sola oratione et Pater noster specialiter honarauit: quarum etiam orantionum virtus et meritum multis claruit exemplis »
- « Ceux qui visitent la Basilique de Saint-Paul à Rome peuvent voir le crucifix de grandeur naturel, sculpté par Pierre Cavallini, devant lequel se tenait à genoux sainte Brigitte, et l'inscription suivante placée dans la Basilique : « Pendentis pendente Dei verba accepit aure accipit at verbum corde Brigitta Deum ». Anna jubilei MCCCL >, qui rappelle le prodige par lequel le crucifix s'entretenait avec Brigitte. »
- ex. BNF XVe siècle Horologium devotionis circa vitam Christi (auctore Bertholdo, Ordinis Praedicatorum). Orationes, sive Collecte illius preclarissime virginis beate Brigide, quas dicebat ante ymaginem Jhesu crucifixi. Oratio pulcra de sancta Veronica
- The XVe O's of the crucifixion « Hese prayers circulated in Brigittine manuscripts, in Latin and in English, and in one instance even in Swedish, because it was written by a Swedish Brigittine nun at Syon Abbey. They are often in these manuscripts ascribed to 'a woman solitary desirous to know Christ's wounds', and in one instance she is named, 'Mary Oestrewyk', which is like the opening of the Short Text of Julian of Norwich's Showing of Love in the Amherst Manuscript, or they are ascribed to St Birgitta of Sweden »
- Voir aussi GEORG SCHERER, Mysteria Passionis Domini nostri Iesu
- Sagesse, Seigneur, Rejeton, Clé, Astre, Roi, Emmanuel. En latin : O Sapientia, Adonai, Radix, Clavis, Oriens, Rex, Emmanuel
- Antiphonaire de Bangor : Règle, Vraie vigne importée d'Égypte
- « Le motif pour lequel on a introduit ce paragraphe ainsi que les autres est, à mon avis, celui de montrer comment saint Jean de la Croix ne partageait pas l'opinion de certains mystiques d'après lesquels l'âme, arrivée à la contemplation, doit éloigner de sa mémoire tout ce qui est corporel, et même la très Sainte Humanité de Notre-Seigneur Jésus-Christ; mystiques qui avaient déjà été victorieusement réfutés par sainte Thérèse (Vie, ch. 22 et Château de l'âme, Dem. 6E, ch.7). Certainement le Saint pensait ainsi. Mais, pour le prouver, il n'y avait pas de nécessité our celui qui édita ses œuvres de recourir à de telles fictions. La dévotion toute particulière que le Saint avait pour l'Humanité du Christ, le souvenir constant qu'il gardait de la Passion, bien qu'il fût déjà arrivé à la plus haute contemplation, sont une preuve plus que suffisante pour réfuter d'une façon péremptoire ces mystiques outrés et montrer qu'il n'était pas de leur bord. L'auteur de l'interpolation a quelque excuse. Son but était de fournir des textes comme preuves, et vraisemblablement il ignorait encore ceux que nous connaissons. » Livres Mystiques.com, Édition de la Montée du Carmel
- Jean, 15 , Je suis le vrai cep, et mon Père est le vigneron. 2 Tout sarment qui est en moi et qui ne porte pas de fruit, il le retranche; et tout sarment qui porte du fruit, il l’émonde, afin qu’il porte encore plus de fruit
- Considérations sur la Passion Saint Alphonse-Marie de Liguori
- Grappe exprimée sous le pressoir du Calvaire, grappe d'où sort le vin unique du calice
- Grappe de la céleste vigne jetée pour être écrasée sous le pressoir de la Croix
- Citations extraites du livre : Rémy de Gourmont, Le latin mystique. Les poètes de l'antiphonaire et la symbolique au Moyen Âge, page 248, Editions « Mercure de France », 1892. Identifiant BnF : ark:/12148/bpt6k55759246.
- « Le pressoir mystique (torcular christi) est une métaphore de la Crucifixion, le corps du Christ étant assimilé à une grappe de raisin dont on extrait le vin de l’Eucharistie qui régénère et guérit les âmes délivrées du péché. »
- Sainte Brigitte de Suède : sa vie, ses révélations et son œuvre par Madame de Flavigny
- « AVERTISSEMENT DU SAINT-OFFICE CONCERNANT LES RÉVÉLATIONS DE SAINTE BRIGITTE (28 janvier 1954) 1On répand en diverses régions un opuscule traduit en plusieurs langues qui a pour titre : « Le secret du bonheur. Les quinze oraisons révélées par Notre-Seigneur à sainte Brigitte dans l'église Saint-Paul à Rome », et est édité à Nice et ailleurs. Comme cette brochure affirme que Dieu aurait fait à sainte Brigitte certaines promesses dont l'origine surnaturelle n'est nullement prouvée, les Ordinaires des lieux doivent veiller à ce que ne soit pas accordé le permis d'éditer les opuscules qui contiendraient ces promesses ».
- soit quatre ans près l'interdiction faite à Henri de Lubac d'enseigner à la suite de son livre Surnaturel.
- « Ces Oraisons et ces Promesses ont été copiées sur un livre imprimé à Toulouse en 1740 et publié par le P. Adrien Parvilliers, de la Compagnie de Jésus, missionnaire apostolique de la Terre Sainte, avec approbation, permission et recommandation de les répandre ».
- <The Medieval mystical tradition in England: Exeter Symposium VII : papers Edward Alexander Jone, Annette Grisé Pages 83-85
- (en) « 15 Prayers of St. Bridget MP3 audio download and text - Discerning Hearts », sur Discerning Hearts Catholic Podcasts (consulté le ).
Annexes
Articles connexes
Liens externes
- Le texte des Quinze Oraisons
- Les différentes éditions des Quinze Oraisons
- BNF : Texte italien arabe( maronite) XVII° s.
- « Aberdeen Burnet Psalter Manuscript » : les Quinze Oraisons enluminées et calligraphiées en gothique
- Les Quinze Oraisons en livre électronique
- Coeleste Palmetum, Ausgabe Brügge 1756. Digitalisé par Google-Books.