Qanûn (instrument)
Le qanoĂ»n (en arabe : ÙŰ§ï»§ï»źï»„ ; en persan : ÙŰ§ï»§ï»źï»„ ; en armĂ©nien ÖŐĄŐ¶ŐžÖŐ¶ ; aussi transcrit « qanoĂ»n », « quanoun », « kanoun », « kanun » ou « kanon »), aussi appelĂ© « kanonaki » ou « kalong », est un instrument Ă cordes pincĂ©es de la famille des cithares sur table, trĂšs rĂ©pandu dans le monde arabe, le monde iranien, en Asie du Sud-Ouest ainsi qu'en GrĂšce et dans le Turkestan, Ă ne pas confondre avec le santour, dont les cordes sont frappĂ©es. Son nom dĂ©riverait du grec « ÎșαΜÏÎœ » (signifiant « la mesure »), qui Ă©tait aussi le nom donnĂ© Ă un instrument monocorde destinĂ© Ă lâĂ©tude des intervalles en musique et connu dĂ©jĂ de Pythagore[1]. Il est l'ancĂȘtre du PsaltĂ©rion.
Historique
Lâhistoire ancienne du kanoun nâest pas bien connue. Il est vraisemblable qu'il descend de lâancienne harpe. On lui attribue une origine grecque ou assyrienne.
Dans la musique byzantine instrumentale, c'est-à -dire la musique savante profane de l'Empire romain d'Orient (appelé aussi Empire byzantin), le kanoun existait déjà sous une forme appelée « psaltirio » en grec[2].
La plus ancienne mention de cet instrument dans la littérature arabe se trouve dans les contes des Mille et une nuits au Xe siÚcle.
Le kanoun avait alors une caisse de rĂ©sonance aux formes variĂ©es (rectangle, triangle ou trapĂšze) sur laquelle Ă©taient posĂ©es des cordes en boyau soutenues Ă la droite de lâinstrument, par un chevalet en contact avec la table d'harmonie (en bois) et rattachĂ©es, Ă sa gauche, Ă des chevilles (malawi en arabe) pour permettre lâaccordage.
Lutherie
Le kanoun moderne remonte Ă la fin du XVIIIe siĂšcle et rĂ©sulte de l'Ă©volution de l'instrument dĂ©jĂ utilisĂ© dans l'Empire byzantin, dans les pays sous influence ottomane, au Maroc, en Iran, etc. Le kanoun ne permettait alors quâun jeu monophonique avec la main droite. La main gauche devait appuyer sur les cordes pour changer la longueur de la partie pincĂ©e et ainsi permettre les modulations, Ă la maniĂšre des cithares asiatiques (koto ou qin).
Ă la fin du XIXe siĂšcle, des luthiers de l'Empire ottoman (d'origine ethnique inconnue) ont introduit Ă la gauche de lâinstrument, prĂšs des chevilles, des leviers (mantalia en grec, mandal en turc et 'orab en arabe) permettant lorsquâils sont abaissĂ©s ou levĂ©s de modifier la longueur de la corde et ainsi dâaltĂ©rer la note. Une autre modification a consistĂ© Ă ne plus laisser le chevalet en contact direct avec la caisse de rĂ©sonance mais Ă le placer sur une sĂ©rie de 4 Ă 5 Ă©lĂ©ments en peau de poisson qui ont considĂ©rablement amĂ©liorĂ© la qualitĂ© (timbre et volume) du son.
Aujourd'hui, le kanoun a une caisse de rĂ©sonance en forme de trapĂšze d'une Ă©paisseur variant entre 3 et 10 cm, la grande base varie entre 75 et 120 cm et la petite base entre 25 et 45 cm. La longueur de l'arĂȘte perpendiculaire varie entre 30 et 45 cm. Elle est en plusieurs types de bois (Ă©rable, acajou, noyer). La table d'harmonie est percĂ©e de 3 ou 4 rosaces et peut ĂȘtre incrustĂ©e de mosaĂŻques.
Le chevalet (köpru en turc et faras en arabe) en épicéa à pieds multiples est posé « à cheval » sur des peaux (raqma en arabe) de poisson rectangulaires (4 pour les kanouns turcs et 5 pour les kanouns arabes) servant d'amplificateurs de résonance. Il est perpendiculaire à la base de l'instrument.
- Chevalet à pieds multiples sur les 5 peaux de résonance d'un kanoun arabe.
- Chevalet sur les peaux de résonance d'un kanoun turc.
- Peau de résonance qui supporte le chevalet.
Les leviers sont des Ă©lĂ©ments mĂ©talliques (en cuivre pour le kanoun arabe et en alliage cuivre, nickel et zinc pour le kanoun turc) permettant d'altĂ©rer le ton d'une corde, de plusieurs degrĂ©s. Ils sont toujours placĂ©s en sĂ©rie, Ă gauche de l'instrument, prĂšs des chevilles, sur la table de support des leviers et chevilles. Ils doivent l'ĂȘtre avec une grande prĂ©cision pour avoir des intervalles corrects car ils remplacent les doigts de l'instrumentiste qui modifient la longueur de la corde en la pinçant (luthâŠ).
Leur nombre est la principale caractĂ©ristique d'un kanoun car il dĂ©termine la musique qui peut y ĂȘtre jouĂ©e. Plus on a de leviers, plus on peut atteindre des micro-intervalles petits :
- kanoun turc : entre 5 et 12 leviers permettant des progressions par comma (Voir musique turque).
- kanoun arabe : entre 2 et 6 leviers permettant des progressions par Œ de ton[3].
- kanoun grec et arménien : entre 1 et 4 leviers permettant des progressions par 1/2 ton (Voir musique occidentale).
- Mi bécarre : le 3e levier est levé (la corde est accordée en mi bécarre avec cette position).
- Mi demi-bémol : le 4e levier est levé.
- Mi bémol : aucun levier n'est levé.
- Leviers sur un kanoun turc.
Les cordes du kanoun sont regroupĂ©es en chĆurs de deux (pour les graves) ou trois cordes, accordĂ©es Ă l'unisson, de telle sorte qu'elles vibrent simultanĂ©ment (vibration par sympathie). Les graves sont Ă la base du trapĂšze et les aigus Ă son sommet. Leur nombre varie entre 63 et 84 et elles couvrent entre 3 et 4 octaves. Elles sont faites de mĂ©tal (pour les graves, jusquâau do no 3) et de nylon de diffĂ©rents calibres.
Accord du kanoun arabe
L'instrument est accordĂ© selon la gamme d'ut majeur en partant du sol no 2 et en choisissant une position pour les leviers de chacune dâelles. Mais pour jouer certaines Ćuvres, il nâest pas rare de voir le joueur de kanoun abaisser ou augmenter certaines notes (on nâest plus dans un tempĂ©rament Ă©gal).
Vu le nombre de cordes, lâaccordage du kanoun peut ĂȘtre une tĂąche fastidieuse (surtout par temps humide en raison des peaux). Un joueur de kanoun expĂ©rimentĂ© peut accorder un bon instrument en un quart dâheure Ă l'aide d'une clef dâaccordage, qu'il place sur la cheville correspondante et tourne tout en exerçant une pression vers le bas pour que la cheville reste fixĂ©e dans le trou.
Les cordes ainsi accordĂ©es prendront les noms des notes. Ces noms peuvent ĂȘtre ceux du systĂšme occidental (do, rĂ©, miâŠ, ou A, B, C) ou oriental (rast = do, doukah = rĂ©, sikah = miâŠ). Sur le kanoun arabe, les cordes sol et do sont gĂ©nĂ©ralement repĂ©rĂ©es par deux petits symboles.
On accorde les notes ré, mi, fa, sol (ayant chacune 5 leviers) avec le 3e levier à partir de la droite levé, on peut donc jouer ré, mi, fa, sol sans avoir à altérer les cordes :
L1 | L2 | L3 | L4 | L5 | Note | Corde |
---|---|---|---|---|---|---|
O | O | X | O | O | RĂ© | RĂ© |
O | O | X | O | O | Mi | Mi |
O | O | X | O | O | Fa | Fa |
O | O | X | O | O | Sol | Sol |
En altérant la corde du mi et du fa par abaissement de tous les leviers des deux cordes, on peut jouer :
L1 | L2 | L3 | L4 | L5 | Note | Corde |
---|---|---|---|---|---|---|
O | O | X | O | O | RĂ© | RĂ© |
O | O | O | O | O | Mi | Mi |
O | O | O | O | O | Mi | Fa |
O | O | X | O | O | Sol | Sol |
Maintenant on accorde les notes rĂ©, mi, fa, sol (ayant chacune 5 leviers) avec le 3e levier levĂ©, sauf pour le fa oĂč ils sont tous abaissĂ©s.
L1 | L2 | L3 | L4 | L5 | Note | Corde |
---|---|---|---|---|---|---|
O | O | X | O | O | RĂ© | RĂ© |
O | O | X | O | O | Mi | Mi |
O | O | O | O | O | Fa | Fa |
O | O | X | O | O | Sol | Sol |
Avec cette configuration, il nâest pas possible de jouer rĂ©, mi b, mi, sol sur quatre cordes consĂ©cutives (rĂ©, mi, fa, sol) car la corde du fa ne peut pas ĂȘtre abaissĂ©e en mi. Par contre, elle permet de jouer rĂ©, mi, sol, sol b puisque la corde du fa peut ĂȘtre altĂ©rĂ©e en sol.
L1 | L2 | L3 | L4 | L5 | Note | Corde |
---|---|---|---|---|---|---|
O | O | X | O | O | RĂ© | RĂ© |
O | O | X | O | O | Mi | Mi |
O | O | O | O | X | Sol | Fa |
O | O | X | O | O | Sol | Sol |
Techniques de jeu
C'est essentiellement la musique savante arabo-turque, les maqùms, qui est jouée sur cet instrument difficile, bien qu'il soit aussi utilisé dans la musique actuelle, pour les films notamment. Il peut se jouer en solo, ou accompagné d'une percussion (riqq ou daf) ou en accompagnant un chanteur ou un ensemble.
Le kanoun se joue en Ă©tant posĂ© sur un support ou sur les genoux du kanounji (joueur de kanoun) assis sur une chaise. Les cordes sont pincĂ©es avec lâindex de chaque main ou Ă l'aide de plectres (mezrab fait de corne de bĆuf, de plume de rapace, de mĂ©tal ou de plastique) fixĂ©s Ă lâindex par une bague mĂ©tallique, si bien que le kanoun est un instrument trĂšs riche en sonoritĂ©s.
Pour pincer la corde, le pouce de la main droite doit ĂȘtre placĂ© derriĂšre ou sur la corde qui prĂ©cĂšde celle que lâon veut frapper. Lâindex est levĂ© puis vient frapper la corde de façon que le plectre la pince perpendiculairement en touchant les trois cordes Ă la fois. Ces contraintes sont dĂ©routantes et constituent une difficultĂ© non nĂ©gligeable pour les dĂ©butants.
Les mains ont un rÎle bien spécialisé et pas toujours symétrique :
- La main droite joue la mélodie. Elle attaque la corde juste avant le cadre des peaux de résonance ou au milieu.
- La main gauche peut jouer :
- La mĂȘme mĂ©lodie que la main droite mais une octave en dessous et en attaquant les cordes soit au mĂȘme moment, soit avec un lĂ©ger dĂ©calage crĂ©ant un effet syncopĂ©.
- Aide la main droite Ă jouer les passages rapides (sextolets, trilles, triples croches, etc.).
- Un accompagnement de la mélodie jouée par la main droite : les notes de la main gauche sont souvent jouées en arpÚge et non simultanément.
- Une ornementation : en jouant une note en haut ou en bas de la note jouĂ©e par la main droite, en jouant des effets glissando, vibrato ou dâĂ©touffement.
- LĂšve et abaisse les leviers pour les modulations.
Ornementations :
- TrĂ©molo Ă deux mains : les deux mains pincent successivement et rapidement la mĂȘme note ou Ă une octave lâune de lâautre.
- TrĂ©molo de la main droite : le bas de la paume de la main droite est placĂ© sur le chevalet avec lâindex au-dessus de la note jouĂ©e lĂ©gĂšrement en oblique, et le poignet oscille pour frotter la corde par des aller-retour rapides et rĂ©guliers comme pour un oud.
- Glissando : la main gauche est courbĂ©e de façon que la bague soit au contact de la corde et le pouce vient sâappuyer sur lâindex en exerçant une lĂ©gĂšre pression et la main glisse sur la corde juste aprĂšs quâelle est jouĂ©e par la main droite.
- Vibrato avec le levier : la main gauche lĂšve et abaisse plusieurs fois et rapidement un levier pendant que la main droite joue cette note une ou plusieurs fois.
- Vibrato avec lâongle : lâongle du pouce de la main gauche vient toucher plusieurs fois la corde Ă lâendroit voulu pendant que la main droite joue cette note une ou plusieurs fois.
- Pizzicato : les doigts de la main gauche et/ou droite Ă lâexception des index, pincent les cordes au milieu de lâinstrument, lâune devant lâautre, comme quand on joue dâune harpe.
- Harmonique : On pose légÚrement un doigt en un endroit précis de la corde, sans appuyer, de maniÚre à bloquer certains modes de vibration : en mettant le doigt au milieu de la corde, on Îte par exemple le mode fondamental, et on entend alors surtout le premier harmonique, une octave plus haut que la note obtenue sur cette corde à vide. Ces notes sont appelées des harmoniques et ont des sonorités assez flûtées.
- Ătouffement : il y a trois façons dâĂ©touffer la note :
- Lâongle du pouce de la main gauche Ă©touffe la corde jouĂ©e par la main droite.
- Lâauriculaire de la main droite exerce une pression plus ou moins importante selon lâeffet dĂ©sirĂ© sur la corde que vient de jouer cette main.
- La partie de lâavant-bras prĂšs du poignet vient se poser sur les cordes pour les Ă©touffer.
Quelques interprÚtes célÚbres
- Anzhela Atabekyan (arménienne)
- Göksel Baktagir (turc)
- Ahmet meter (turc)
- Aytaç Dogan (turc)
- Halil Karaduman (turc)
- Abd el fattah Al Mansi (Ă©gyptien)
- Panos Dimitrakopoulos (grec)
- Ahmed Mneimneh (libanais)
Notes et références
- Kanun, ministĂšre de la Culture turc. Voir aussi Le grand Bailly grec-français s.v.ÎșαΜÏÎœ: particul.:1 ÎŒÎżÏ ÏÎčÎșáœžÏ ÎșαΜÏÎœ, Theol.2,27; DL. 8,12, appareil monocorde, sorte de diapason. Ăgalement Meizon elliniko lexiko, s.v. ÎșÎ±ÎœÎżÎœÎŹÎșÎč (kanonaki) et s.v. ÎșαΜÏÎœÎč (kanoni).
- Nikos Maliaras, Byzantine Musical Instruments, volume I, Athens, 2007, Papagregoriou-Nakas Editions (ISBN 978-960-7554-44-4).
- Le systĂšme ÂŒ de ton a Ă©tĂ© adoptĂ© lors du 1er congrĂšs de la musique arabe en 1932. Mais de nos jours, il existe des kanouns arabes avec plus de leviers.
Bibliographie
- Christian Poché, Dictionnaire des musiques et danses traditionnelles de la Méditerranée, Fayard, 2005