Prisonniers de guerre de la guerre franco-allemande de 1870
Ă l'issue de la guerre franco-allemande de 1870 fin , 371 981 soldats et 11 810 officiers sont prisonniers[Note 1] en Allemagne contre moins de 40 000 Allemands capturĂ©s par lâarmĂ©e française. On peut ajouter aux militaires captifs en Allemagne, les 87 000 hommes de lâarmĂ©e de lâEst internĂ©s en Suisse en [1].
L'inconfort du transfert en Allemagne et de la captivité dans des camps improvisés est principalement dû au manque de moyens des autorités allemandes débordées par cet afflux imprévu.
ConsĂ©quence du dĂ©sastre subi par lâArmĂ©e française
Ces chiffres peuvent ĂȘtre mis en rapport avec des effectifs dâenviron 290 000 prĂ©sents dans lâEst Ă lâentrĂ©e en guerre et de 1 600 000 hommes mobilisĂ©s au maximum dont seule une partie fut engagĂ©e au combat. En , le nombre de prisonniers est probablement supĂ©rieur Ă celui des combattants rĂ©els[1]. L'ampleur du dĂ©sastre apparaĂźt d'autant plus en comparaison avec les 600 000 prisonniers français de la PremiĂšre Guerre mondiale d'une armĂ©e qui mobilisa 8 400 000 hommes durant quatre ans.
Les principales captures de prisonniers par les armées allemandes ont eu lieu successivement le à la bataille de Woerth (9 000), le à la capitulation de Sedan (75 000), aux redditions à la suite des siÚges de Strasbourg (17 000) le , de Metz le (142 000).
Les officiers sont faits prisonniers aprÚs avoir refusé la proposition des Allemands de libération sous engagement de ne pas reprendre les armes[2].
Par ailleurs, 87 000 hommes de lâArmĂ©e de lâEst furent internĂ©s en Suisse en .
Le transfert en Allemagne
LâarmĂ©e vaincue de Sedan fut laissĂ©e pendant dix jours, de la reddition du au dĂ©part le , dans la presquâĂźle dâIges, dans un mĂ©andre de la Meuse. Cet espace fermĂ© au nord par la Meuse, au sud par le canal de l'Est, cernĂ© de gardes bavarois brutaux fut surnommĂ© le camp de la MisĂšre[3]. Les 80 000 soldats parquĂ©s avec leurs chevaux sous la pluie, sans matĂ©riel de campement, affamĂ©s avec pour seul approvisionnement des rations acheminĂ©es par la place de MĂ©ziĂšres meurent par centaines de faim ou de dysenterie provoquĂ©e par l'absorption d'aliments corrompus ou de l'eau de la Meuse polluĂ©e par les cadavres. Les survivants partent ensuite Ă pied jusquâĂ Pont-Ă -Mousson Ă une centaine de kilomĂštres. La garde de ces files est insuffisante ce qui permet de nombreuses Ă©vasions. AprĂšs cette marche Ă©puisante, les prisonniers sont transportĂ©s en train dans des wagons de marchandises, dans quelques cas dans des tombereaux non couverts sous la pluie, jusquâĂ leur lieu de captivitĂ© en Allemagne[4].
Les officiers furent convoyés avec leurs ordonnances par trains spéciaux en voitures de voyageurs et leurs chevaux dans des fourgons[1].
Les prisonniers du siĂšge de Metz furent dâabord parquĂ©s dans des camps dans les localitĂ©s environnantes dans le froid et sous la pluie avant une marche jusquâĂ des localitĂ©s distantes de plusieurs dizaines de kilomĂštres, Remilly, Forbach et Sarrelouis, puis un voyage en train de plusieurs jours jusqu'en Allemagne, entassĂ©s dans des wagons Ă bestiaux[4]. Les habitants des dĂ©partements français de lâEst sâefforcent dâaider les prisonniers au cours de leur voyage en distribuant des vivres, des boissons et des vĂȘtements. Certains parviennent Ă sâĂ©vader Ă cette occasion[5].
- Sedan et le camp de la misÚre sur carte contemporaine du désastre de 1870.
- Transport des prisonniers français en 1870, illustration du journal Die Gartenlaube (1870).
Les conditions de captivité
Soldats du rang
Les soldats du rang rĂ©partis dans 242 localitĂ©s sur l'ensemble de l'Allemagne, d'ouest en est, des rĂ©gions proches de la frontiĂšre Ă la PomĂ©ranie, sont entassĂ©s dans des camps Ă©tablis dans des vieux forts, des casernes, des baraques en bois construites par les premiers arrivĂ©s, dans des conditions dâhygiĂšne prĂ©caires. Lâalimentation est insuffisante et les prisonniers souffrent du froid dâun hiver trĂšs rude. La promiscuitĂ© et la saletĂ© sont un terrain propice aux Ă©pidĂ©mies de variole et de fiĂšvres diverses. Beaucoup souffrent de scorbut dĂ» aux carences alimentaires[6].
Le travail nâest pas obligatoire mais beaucoup y sont contraints par la nĂ©cessitĂ© dâun gagne-pain. AprĂšs un hiver trĂšs dur les conditions sâamĂ©liorent au printemps avec une meilleure nourriture et un moindre entassement dans les camps aprĂšs les premiers rapatriements[7]. Les conditions sont trĂšs variables suivant les camps. Dans certains, les gardiens maltraitent les prisonniers, dans d'autres leur comportement est humain. Cependant, la cause principale de la duretĂ© de la captivitĂ© est le manque de moyens face Ă un afflux exceptionnellement massif qui n'avait pas Ă©tĂ© prĂ©vu.
18 000 prisonniers morts en captivité sont enterrés en Allemagne.
Officiers
Les sous-officiers peuvent cependant sortir de la caserne ou du camp.
Le sort des 11 860 officiers, comprenant 956 officiers supĂ©rieurs dont 152 gĂ©nĂ©raux et 183 colonels est plus confortable. Le gouvernement allemand leur verse une demi-solde de captivitĂ©, 70 thalers pour un gĂ©nĂ©ral, 25 pour un capitaine, 12 pour un sous-lieutenant. Beaucoup d'entre eux bĂ©nĂ©ficient d'une aide complĂ©mentaire de leur famille[8]. Prisonniers sur parole dans la ville oĂč ils sont assignĂ©s Ă rĂ©sidence, ils logent chez l'habitant ou dans des auberges et sont libres de leurs dĂ©placements sous condition de se rendre une fois par semaine au bureau de la place, ce qui leur permet des excursions[2].
Lâaide aux prisonniers
Des secours, initiatives privĂ©es, amis sollicitĂ©s par les officiers prisonniers et associatives, attĂ©nuent la dĂ©tresse des prisonniers par des aides financiĂšres et en nature notamment vĂȘtements chauds. Des journaux publient des listes et lancent des souscriptions. Des dons parviennent Ă©galement dâautres pays, par exemple ceux du ComitĂ© amĂ©ricain de la ville de New York[9].
La Prusse et la France avaient adhĂ©rĂ© Ă la Convention de GenĂšve du portant principalement sur les secours aux militaires blessĂ©s sur le champ de bataille. Ă la suite de cette convention, des sociĂ©tĂ©s nationales de la Croix-Rouge sont constituĂ©es en France, en Prusse et au Wurtemberg. Des sociĂ©tĂ©s neutres dâautres nationalitĂ©s aident Ă©galement les blessĂ©s. La Croix Rouge ouvre Ă BĂąle le , sa premiĂšre agence qui constitue un ComitĂ© international de secours pour les prisonniers de guerre, la Croix verte oĂč travaillent fin , une cinquantaine de bĂ©nĂ©voles. La Croix Verte se charge de lâenvoi des lettres, mĂ©dicaments, mandats, vivres et s'efforce de rĂ©pondre aux demandes de renseignements. Ă cet effet, des listes de prisonniers sont Ă©tablies. Mille lettres sont acheminĂ©es par jour en [10].
Les Ă©vasions
La surveillance est assez lĂ©gĂšre au dĂ©but ce qui permet des Ă©vasions, nombreuses dans les villes proches des frontiĂšres de Belgique, des Pays-Bas et dâAutriche-Hongrie.
Un seul des gĂ©nĂ©raux capturĂ©s Ă Metz et Ă Sedan, Clinchant sâĂ©vade de Mayence dĂ©but dĂ©cembre, rejoint la Loire, puis est nommĂ© adjoint de Bourbaki Ă lâarmĂ©e de lâEst.
Paul DĂ©roulĂšde, assignĂ© Ă rĂ©sidence Ă Breslau, passe la frontiĂšre autrichienne en dĂ©cembre arrive Ă Tours aprĂšs un long pĂ©riple ferroviaire et participe aux combats de lâarmĂ©e de lâEst de [11]. Le capitaine Albert Louis Candelot s'Ă©vade et traverse la Meuse Ă la nage et prend part au siĂšge de Paris.
Les rapatriements
Lâarticle 6 des prĂ©liminaires de paix du prĂ©voit la libĂ©ration des prisonniers. Seule une minoritĂ© a les moyens de financer le retour Ă cette date. Le rapatriement est organisĂ© par la convention de FerriĂšres du . Le retour est assez lent. Une minoritĂ© est transportĂ©e par bateaux envoyĂ©s par le Gouvernement français Ă BrĂȘme et Hambourg : 270 000 rentrent en train, 25 000 isolĂ©ment, de fin mars au .
Le rapatriement est suspendu jusquâĂ la signature du traitĂ© de Francfort le . Ă cette date, il reste 138 000 prisonniers[7]. Le rapatriement sâachĂšve le sauf pour des francs-tireurs et des condamnĂ©s de droit commun pour avoir attaquĂ© ou blessĂ© des Allemands. Ceux-ci restent en Allemagne jusquâen 1872 et ne sont libĂ©rĂ©s quâaprĂšs nĂ©gociations. Parmi ces condamnĂ©s, certains Ă de longues peines, figuraient des soldats rĂ©guliers[12].
La durée de captivité a été variable, de deux à trois mois pour les plus courtes, dix mois pour beaucoup[12].
Le souvenir de la captivité
Les prisonniers ont beaucoup Ă©crit, certains ont tenu un journal quotidien. Quelques-uns ont Ă©tĂ© publiĂ©s au cours des dĂ©cennies suivant la guerre. Les documents originaux non retouchĂ©s reflĂštent la diversitĂ© des expĂ©riences, des Ă©preuves les plus pĂ©nibles, Ă des captivitĂ©s acceptables, de la duretĂ© de certains gardiens, aux rapports amicaux avec la population. La plupart des officiers ont Ă©vitĂ© par patriotisme les contacts avec les classes dirigeantes. Tous ont constatĂ© lâexplosion du nationalisme allemand. La plupart sont revenus avec la conviction dâune hostilitĂ© du peuple allemand. Cependant beaucoup lui reconnaissent des qualitĂ©s : ordre, propretĂ© des appartements[13]. Lâennemi hĂ©rĂ©ditaire est en mĂȘme temps un modĂšle dont la France devrait sâinspirer[14].
Les prisonniers allemands
Beaucoup moins nombreux que les prisonniers français, quelques-uns des prisonniers allemands en France ont laissĂ© des tĂ©moignages trĂšs variĂ©s dâune captivitĂ© sinistre dans des locaux infects, dont ils conservent une image noire de la France, Ă des sĂ©jours agrĂ©ables dans le Midi ou en AlgĂ©rie.
LâĂ©crivain ThĂ©odore Fontane, prisonnier civil Ă l'Ăźle d'OlĂ©ron, a publiĂ© des souvenirs. Sa description de la France et des Français y est sĂ©vĂšre[15].
Notes et références
Notes
- En février 1871, Jules Favre, ministre des Affaires étrangÚres donnait une estimation sensiblement différente : 509 000 combattants français prisonniers dont 420 000 détenus en Allemagne, 4 000 internés en Belgique et 85 000 en Suisse contre 35 000 soldats allemands faits prisonniers.
Références
- François Roth, p. 418.
- François Roth, p. 422.
- GĂ©rald Dardart, Glaire, Villette et Iges sur le boulevard des invasions, Ville de Glaire Ă©diteur
- François Roth, p. 419.
- François Roth, p. 420.
- François Roth, p. 428.
- François Roth, p. 502.
- François Roth, p. 423.
- François Roth, p. 433.
- François Roth, p. 432.
- François Roth, p. 429.
- François Roth, p. 503.
- François Roth, p. 504.
- François Roth, p. 608.
- François Roth, p. 622.
Bibliographie
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
- François Roth, La guerre de 70, Fayard, (ISBN 2-213-02321-2).
- Ămile Zola, La DĂ©bĂącle, Paris, Charpentier et Fasquelle, 1892. â Roman dans lequel un passage Ă©voque l'enfermement des prisonniers dans une boucle de la Meuse aprĂšs la capitulation de Sedan.