PhilĂšbe
Le PhilĂšbe ou Sur le Plaisir â en grec ancien ΊίληÎČÎżÏ, áŒą ÏΔÏ᜶ áŒĄÎŽÎżÎœáżÏ, est un dialogue de Platon du genre Ă©thique, considĂ©rĂ© comme lâavant-dernier qui nous soit parvenu, avant Les Lois. Ce dialogue utilise nombre d'Ă©lĂ©ments parmi les dialogues de la vieillesse de Platon : la rĂ©flexion sur L'Un et le Multiple du ParmĂ©nide, une forme, plus simple et inversĂ©e, de division en Ă©lĂ©ments primordiaux â mĂ©thode utilisĂ©e dans Le Sophiste et Le Politique â, un style explicatif et descriptif de lâhomme similaire Ă celui du TimĂ©e concernant lâhomme et lâunivers, style et propos qui annoncent fortement Ă lâavance ceux des Passions de lâĂąme de Descartes.
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(grc) ΊίληÎČÎżÏ |
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Dialogue
Le dialogue se prĂ©sente Ă la maniĂšre dâun exercice de dialectique, classique dans lâAcadĂ©mie de Platon : chacun a une thĂšse Ă dĂ©fendre touchant un problĂšme philosophique. Le PhilĂšbe pose la question suivante : quel est le plus prĂ©cieux de tous les biens humains ? ; Socrate dĂ©fend le point de vue selon lequel la vie bonne est avant-tout constituĂ©e par la rĂ©flexion et la science, tandis que PhilĂšbe laisse le soin Ă Protarque d'opposer Ă Socrate sa thĂšse dâune vie faite de plaisir. Lâart se rapporte Ă la fois au beau et Ă lâagrĂ©able ; il exprime lâun en excitant lâautre ; il a le bien pour dernier but et le plaisir pour condition immĂ©diate. Il y a deux sortes de plaisirs que Platon a distinguĂ©s dans le PhilĂšbe : celui des sens qui naĂźt de leur seule satisfaction, et celui de lâĂąme qui est attachĂ© par un lien merveilleux Ă la perception du vrai et Ă celle du bien. Câest ce plaisir exquis et dĂ©licat, attachĂ© Ă la vĂ©ritĂ© et Ă la vertu, qui les fait belles, et c'est cette beautĂ© que lâart exprime. Son essence est prĂ©cisĂ©ment dans sa dignitĂ©. Le PhilĂšbe est lâoccasion pour Platon de traiter du bonheur sans nĂ©gliger la partie corporelle de lâhomme, pour constituer une hiĂ©rarchie entre les Ă©lĂ©ments qui le constituent :
- La mesure : plaisirs de la musique et de lâart qui se mesurent tout seuls, en revanche les plaisirs du corps sont trompeurs ;
- La beauté et la perfection
- L'intelligence et la sagesse ;
- Les opinions droites et la science
- Les plaisirs purs : notamment, les plaisirs de la connaissance mĂȘlĂ©s dâaucune douleur.
ThĂšse de Protarque : le bien est dans le plaisir
La thĂšse de Protarque[1] veut que le bien, pour tous les ĂȘtres animĂ©s, consiste dans la joie, le plaisir, áŒĄÎŽÎżÎœÎź en grec ancien, lâagrĂ©ment, et dans toutes les choses du mĂȘme genre. Pour Platon, la sagesse sans plaisir serait un bien que personne ne dĂ©sire, personne ne veut.
ThĂšse de Socrate/Platon : le bien est dans la sagesse
« La sagesse (ÏÏÏΜηÏÎčÏ en grec ancien), lâintellect, la mĂ©moire et tout ce qui leur est apparentĂ©, opinions droites et raisonnements vrais, ont plus de prix et de valeur que le plaisir pour tous les ĂȘtres capables dây participer et sont, dans le prĂ©sent et lâavenir, tout ce quâil y a de plus avantageux »[2].
Socrate convient avec Protarque que leurs thĂšses valent pour les hommes, lâune prĂŽnant la jouissance comme disposition et condition de lâĂąme qui assure la vie heureuse, lâautre prĂŽnant la sagesse.
Socrate convient avec Protarque que sâils dĂ©couvraient une disposition de lâĂąme supĂ©rieure Ă celles reconnues par leurs thĂšses, ces derniĂšres seraient battues, et que celle, de la jouissance ou de la sagesse, qui aurait le plus de parentĂ© avec cette disposition supĂ©rieure lâemporterait sur lâautre[3].
Ă la fin du dialogue, lâintellect est dĂ©clarĂ© avoir plus de parentĂ© avec le bien suprĂȘme compte tenu des rapports respectifs de lâintellect et du plaisir Ă la vĂ©ritĂ©, la mesure et la beautĂ©.
Aucun acte nâest un genre d'aboutissement
Le PhilĂšbe montre le plaisir comme un mouvement qui reconstitue un Ă©tat naturel perturbĂ© et que lâon perçoit comme agrĂ©able, parce quâil restaure un organe dĂ©ficient, qui doit son Ă©tat dĂ©ficient Ă un appĂ©tit. Pour Platon, câest la sagacitĂ©, bien en soi, jointe au plaisir, qui le rend bon.
Les quatre essences
Platon nomme la Limite (ÏÎÏαÏ), lâIllimitĂ© (áŒÏΔÎčÏÎżÎœ), le Mixte (ΌΔÎčÎșÏᜎ ÎżáœÏία) et la Cause (Ï᜞ ÏáżÏ αጰÏÎŻÎ±Ï ÎłÎÎœÎżÏ) (23 b - 27 c), Ă laquelle le NoĂ»s, lâIntellect, est apparentĂ© (30 d)[4]. Le Mixte est le fruit engendrĂ© (Ï᜞ áŒÎłÎșÎżÎœÎżÎœ) des deux autres essences que sont la Limite et lâIllimitĂ© (26 d). Protarque rapporte d'abord le plaisir au genre infini[5], mais Socrate, lorsqu'il prĂ©sente les origines du plaisir, le classe dans la catĂ©gorie du genre mixte.
Critique des plaisirs impurs
Les ĂȘtres irrationnels, incapables de bien, recherchent les plaisirs. Les plaisirs impurs, mĂȘlĂ©s de peine par lâappĂ©tit, câest-Ă -dire les plaisirs corporels - sont exclus de la vie heureuse : ce sont les plaisirs familiers, corporels que Platon exclut de la vie heureuse. Les plaisirs purs, eux, ne sont pas tous indĂ©pendants du corps et ne sont pas soumis Ă la contrainte de lâappĂ©tit, au contraire des plaisirs impurs, ceux de lâintempĂ©rant, qui est intempĂ©rant prĂ©cisĂ©ment parce qu'il cĂšde aux appĂ©tits. Aristote contredit cette affirmation : le bien nâest pas le plaisir, parce que rien ne peut ĂȘtre ajoutĂ© au bien qui le rende plus apprĂ©ciable[6].
La perception des plaisirs corporels
Lâargument contre les plaisirs corporels distingue le devenir et lâĂȘtre comme les genres respectifs du plaisir et du bien ; le bien en soi est de lâordre de lâĂȘtre, non de ce qui vient Ă lâĂȘtre.
L'ordre des biens
Le Bien absolu qui « seul se suffit Ă lui-mĂȘme » (60 c).
- Mesure (cause de lâexistence du beau et de sa vĂ©ritĂ©). (64 b-e ; 66 a).
- BeautĂ© et perfection (66 b ; le beau se substitue Ă lâIdĂ©e du bien car nous sommes dans lâincapacitĂ© de la saisir, 65 a).
- Intellect et sagesse (66 b ; 30 c-31 a ; 52 b ; PhÚdre 250 b-d ; Timée 30 b-c).
- Sciences, arts et opinions droites (66 b-c).
- Plaisirs purs de lâĂąme seule (66 c).
Critique de Théophraste
Selon ThĂ©ophraste, la thĂ©orie des vrais et des faux plaisirs de Platon nâest pas possible : le faux plaisir nâexiste pas, sinon il existerait un plaisir qui nâen est pas, ce qui est impossible. La faussetĂ© peut ĂȘtre envisagĂ©e sous trois rapports : ou comme une habitude morale, ou comme discours, ou comme une chose qui existe dâune certaine maniĂšre. Le plaisir nâexiste sous aucun de ces trois plans. ThĂ©ophraste contredit Platon en affirmant quâil nâexiste pas de plaisir vrai ou faux, mais quâils sont tous vrais ; selon lui, sâil existe un plaisir faux, ce sera un plaisir qui ne sera pas un plaisir. AssurĂ©ment, rien de tel ne sâensuivra ; en effet, lâopinion fausse nâen est pas moins une opinion, une pensĂ©e que le discours peut conduire aussi bien au faux quâau vrai[7]. Mais mĂȘme sâil sâensuit cela, ThĂ©ophraste se demande ce quâil y aurait dâabsurde Ă ce que le plus bas plaisir, semblant un plaisir, nâen soit pas un. Câest quâil existe aussi un ĂȘtre entendu autrement, qui nâest pas lâĂȘtre entendu simplement ; ainsi, ce qui est engendrĂ© nâest pas lâĂȘtre en tant que tel. En effet, mĂȘme Aristote pense quâil existe certains plaisirs relatifs et non en tant que tels, comme ceux des malades qui goĂ»tent lâamer comme le doux. DâaprĂšs ce que dit ThĂ©ophraste, le faux se prĂ©sente sous trois formes : soit comme un caractĂšre feint, soit comme un discours, soit comme une chose qui est.
ThĂ©ophraste se demande relativement Ă quoi le plaisir est donc faux, car selon lui le plaisir nâest ni un caractĂšre, ni un discours, ni un ĂȘtre qui nâest pas, car telle est la chose fausse, caractĂ©risĂ©e par le fait quâelle nâest pas. Il faut rĂ©torquer que le plaisir faux est relatif Ă ces trois dĂ©finitions ; car le plaisir est feint sâil vient du caractĂšre feint, irrationnel, quand lâopinion sâĂ©gare et se dirige vers le faux au lieu du vrai et y trouve son plaisir, et nâexistant pas quand il est imaginĂ© en lâabsence de la douleur, et cela sans que rien dâagrĂ©able ne soit prĂ©sent. Platon appelle ses IdĂ©es « Monades » ou encore « unitĂ©s », dans la mesure oĂč chaque IdĂ©e (le Juste, le Beau, lâAbeille en soi , etc.) est une Forme sans multiplicitĂ© ni changement, un ModĂšle unique, un principe d'existence et de connaissance[8].
La subjectivitĂ© et lâopinion sur le plaisir
Le plaisir est lâeffet du passage, du mouvement de la beautĂ© Ă lâamour par le mouvement qui rĂ©sulte de la disposition des choses qui nous attire vers le bien qui est en elles ; lâeffet est subjectif, et distinct du rĂ©sultat de ce mouvement, qui est objectif. La notion de subjectivitĂ© de celui qui ressent le plaisir est immĂ©diate, et dĂ©pend de celui qui Ă©prouve, que son plaisir soit Ă©prouvĂ© droitement ou non - celui qui a une opinion, droite ou pas, en fait une rĂ©alitĂ© quâil vit et ressent[9].
Le concept dâEuexia
La santĂ© de lâĂąme, en grec ancien ΔáœÎ”ÎŸÎŻÎ±, traduit par « bonne constitution » ou « condition physique », existe comme la santĂ© du corps, avec la notion de hiĂ©rarchie et de domination de certaines parties ou fonctions qui ont Ă se conformer Ă cette hiĂ©rarchie. SantĂ© morale et santĂ© intellectuelle parachĂšvent la santĂ© des corps[10]. Le plaisir devient un attribut de la santĂ©. La santĂ© est un mĂ©lange, le fruit de deux principes antithĂ©tiques : la « limite » et « lâillimitĂ© ». La santĂ© est une combinaison de tensions contradictoires en « mĂ©lange mesurĂ© ». La santĂ© du corps est la limite dominant les tensions illimitĂ©es, ceci vaut autant pour la santĂ© du corps, celle de lâĂąme, celle de la citĂ©[11].
Le thĂšme de la technique
Tout mĂ©tier a son expert ; le mĂ©decin en lâoccurrence, est un expert s'il accomplit bien sa tĂąche[12].
Citations
Bibliographie
- Ăditions
- Platon (trad. Auguste DiĂšs), PhilĂšbe : Ćuvres complĂštes, SociĂ©tĂ© dâĂdition Les Belles Lettres (rĂ©impr. 1966) (1re Ă©d. 1941), 212 p.
- Platon (trad. Luc Brisson, Jean-François Pradeau), « PhilĂšbe », dans Ćuvres complĂštes, Ăditions Flammarion, (1re Ă©d. 2006), 2204 p. (ISBN 978-2081218109)
- Ătudes
- Tatjana AleknienÄ, « Le skopos du PhilĂšbe », Ătudes platoniciennes, no 13,â (lire en ligne)
- AndrĂ© Bremond, « Les perplexitĂ©s du PhilĂšbe : Essai sur la logique de Platon », Revue nĂ©o-scolastique de philosophie, vol. 18á” annĂ©e, no 72,â , p. 457-478 (lire en ligne)
- Jacques Darriulat, « Platon, Commentaire du PhilÚbe »,
- Sylvain Delcomminette, Le PhilĂšbe de Platon : Introduction Ă lâagathologie platonicienne, Brill, , 680 p. (ISBN 978-90-04-15026-3, lire en ligne)
- André-Jean FestugiÚre, Contemplation et vie contemplative selon Platon, Paris,
- LĂ©on Robin, La PensĂ©e hellĂ©nique des origines Ă Ăpicure : Questions de mĂ©thode, de critique et dâhistoire, Paris, P.U.F., , 560 p. (lire en ligne), p. 355 Ă 360 : Le cinquiĂšme genre du PhilĂšbe.
- Georges Rodier, « Remarques sur le PhilĂšbe », Revue des Ătudes anciennes, vol. 2, no 3,â , p. 169-194 (lire en ligne, consultĂ© le )
- Georges Rodier, « Remarques sur le PhilĂšbe », Revue des Ătudes anciennes, vol. 2, no 4,â , p. 281-303 (lire en ligne, consultĂ© le )
- Georges Rodier, Ătudes de philosophie grecque, Paris, , p. 74-137 (« Remarques sur le PhilĂšbe »)
- Monique Canto-Sperber, Ăthiques grecques, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige/Essai », , 455 p. (ISBN 2-13-050646-1)
Références
- PhilĂšbe, 11 a-c.
- PhilĂšbe, 11 b.
- PhilĂšbe, 11 d-12 a.
- Auguste DiĂšs 1966, p. XXVI.
- https://fr.wikisource.org/wiki/Page%3APlaton_-_%C5%92uvres%2C_trad._Cousin%2C_I_et_II.djvu/727
- Ăthique Ă Nicomaque, X, 2.
- 36 c.
- 15 a b.
- 32-37.
- Platon, La RĂ©publique, livre IV, 444 c-e.
- PhilĂšbe, 45 a et suivants.
- 56.
- ORPHIC, Fragment, v. 473, Ă©d. dâHermann (PhilĂšbe, 66 c).
- HomÚre, Iliade [détail des éditions] [lire en ligne], XVIII, 107 et passim.
Liens externes
- Notice dans un dictionnaire ou une encyclopédie généraliste :