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Orientation forte

Une orientation forte est, en thĂ©orie des graphes, l'attribution d'un sens Ă  chaque arĂȘte d'un graphe non orientĂ© (une orientation) qui en fait un graphe fortement connexe. Par exemple, on peut attribuer une orientation forte Ă  un rĂ©seau routier s'il est possible de faire de chaque rue un sens unique sans rendre aucune intersection inaccessible.

Le théorÚme de Robbins caractérise les graphes fortement orientables, qui sont exactement les graphes connexes sans pont[1]. Les orientations eulériennes et les orientations bien équilibrées sont des cas particuliers d'orientations fortes. Pour les graphes non connexes, la notion d'orientation forte se généralise par les orientations totalement cycliques.

L'ensemble des orientations fortes d'un graphe forme un cube partiel, dont les orientations adjacentes diffĂšrent par l'orientation d'une seule arĂȘte. Étant donnĂ© un graphe, il est possible de lui trouver une orientation forte en temps linĂ©aire. En revanche, compter le nombre d'orientations fortes d'un graphe donnĂ© est un problĂšme #P-complet .

Exemple du réseau routier

Herbert Robbins présenta dans un article de 1939[2] la recherche d'une orientation forte par le problÚme d'une ville fictive dont les rues et les intersections sont représentés par un graphe G donné.

Pendant la semaine, les routes sont Ă  double sens, mais la ville aimerait savoir si elle peut couper la circulation sur n'importe quelle section de rue pour y faire des travaux, tout en Ă©vitant qu'un quartier de la ville ne se retrouve inaccessible, c'est-Ă -dire qu'il doit toujours exister un itinĂ©raire entre deux points de la ville, mĂȘme si une section de rue est bloquĂ©e.

Le week-end, il n'y a pas de travaux et toutes les rues sont ouvertes à la circulation, mais pour réduire les embouteillages, la ville souhaiterait rendre toutes les rues à sens unique, toujours sans isoler un point de la ville du reste du réseau routier.

En termes de thĂ©orie des graphes, le critĂšre des travaux en semaine peut ĂȘtre satisfait si G est un graphe sans pont (il est 2-arĂȘte-connexe) et celui des sens uniques du week-end est rĂ©solu s'il existe une orientation forte pour G. Le thĂ©orĂšme de Robbins (ou thĂ©orĂšme des sens uniques[3]) affirme qu'un rĂ©seau routier satisfait le problĂšme des travaux si et seulement si il rĂ©sout celui des sens uniques.

À la suite des travaux de Robbins, une sĂ©rie d'articles de Roberts et Xu[4] - [5] modĂ©lisa le problĂšme sur un rĂ©seau routier en grille, par exemple dans une ville ayant adoptĂ© un plan en damier. En examinant la transformation de rues Ă  double sens en rues Ă  sens unique, et les effets de cette transformation sur les distances entre les paires de points au sein de la grille, ils dĂ©montrĂšrent que la disposition habituelle des sens uniques dans laquelle les rues parallĂšles alternent en direction n'est pas optimale pour minimiser la distance entre deux points quelconques de la ville. Cependant, les orientations de rues proposĂ©es dans l'article incluent des points oĂč le trafic provenant de deux blocs Ă  sens unique se rencontre de front, ce qui est un inconvĂ©nient d'un point de vue pratique.

Cas particuliers

Un graphe eulĂ©rien non orientĂ© est toujours fortement orientable. En effet, une orientation eulĂ©rienne du graphe, construite en choisissant un sens de parcours pour le circuit eulĂ©rien et en orientant chaque arĂȘte dans le sens parcouru, est toujours une orientation forte[6]. De plus, dans une orientation eulĂ©rienne, le degrĂ© entrant est Ă©gal au degrĂ© sortant pour chaque sommet.

Un thĂ©orĂšme de Nash-Williams[7] dĂ©clare qu'il existe pour tout graphe non orientĂ© G une orientation bien Ă©quilibrĂ©e . Une orientation est bien Ă©quilibrĂ©e si, pour toute paire de sommets u et v dans G, il existe dans le graphe orientĂ© rĂ©sultant au moins chemins de u Ă  v dont les arĂȘtes sont deux Ă  deux disjointes ; oĂč k est le nombre maximum de chemins dans l'ensemble des chemins de u Ă  v du graphe non orientĂ© Ă  arĂȘtes disjointes. Les orientations de Nash-Williams ont Ă©galement la propriĂ©tĂ© d'ĂȘtre aussi proches que possible des orientations eulĂ©riennes : le degrĂ© entrant et le degrĂ© sortant de chaque sommet diffĂšrent au plus de 1.

L'existence d'orientations bien Ă©quilibrĂ©es et le thĂ©orĂšme de Menger, impliquent immĂ©diatement le thĂ©orĂšme de Robbins. D'aprĂšs le thĂ©orĂšme de Menger, un graphe 2-arĂȘte-connexe (i.e. sans pont) a au moins deux chemins d'arĂȘtes disjointes entre chaque paire de sommets, d'oĂč il suit que tout graphe orientĂ© par une orientation bien Ă©quilibrĂ©e doit ĂȘtre fortement connexe. Plus gĂ©nĂ©ralement, ce rĂ©sultat implique que chaque graphe 2k-arĂȘtes-connexe peut ĂȘtre orientĂ© pour former un graphe orientĂ© k-arĂȘte-connexe.

Une orientation totalement cyclique d'un graphe G est une orientation dans laquelle chaque arĂȘte appartient Ă  un cycle orientĂ©. Pour un graphe connexe, cette notion est Ă©quivalente Ă  l'orientation forte, mais des orientations totalement cycliques peuvent Ă©galement ĂȘtre dĂ©finies pour les graphes non connexes. Dans ce cas, chaque composante connexe de G devient fortement connexe sous cette orientation.

Le thĂ©orĂšme de Robbins peut ĂȘtre reformulĂ© comme affirmant qu'un graphe (non nĂ©cessairement connexe) peut ĂȘtre orientĂ© par une orientation totalement cyclique si et seulement s'il n'a pas de pont.

Les orientations totalement cycliques sont duales aux orientations acycliques (orientations qui transforment G en un graphe acyclique orientĂ© ) en ce sens que, si G est un graphe planaire et que les orientations de G sont transfĂ©rĂ©es aux orientations du graphe planaire dual de G en tournant chaque arĂȘte 90 degrĂ©s dans le sens des aiguilles d'une montre, alors une orientation totalement cyclique de G correspond ainsi Ă  une orientation acyclique du graphe dual et vice-versa[8] - [9]. Le nombre d'orientations totalement cycliques distinctes d'un graphe G est TG(0,2) oĂč TG est le polynĂŽme de Tutte du graphe, et par dualitĂ©, le nombre d'orientations acycliques est TG(2,0)[10] . En consĂ©quence, le thĂ©orĂšme de Robbins implique que le polynĂŽme de Tutte a une racine au en (0,2) si et seulement si le graphe G a un pont.

Si, pour une orientation forte, tous les cycles orientĂ©s passent par une seule arĂȘte st (autrement dit, si il existe une arĂȘte dont le changement de sens produit une orientation acyclique) alors l'orientation acyclique formĂ©e en rĂ©alisant le changement sens de st est une orientation bipolaire. Chaque orientation bipolaire est ainsi liĂ©e Ă  une orientation forte[11].

Flip graphs

Si G est un graphe 3-arĂȘte-connexe et que X et Y sont deux orientations fortes diffĂ©rentes de G, alors il est possible de transformer X en Y en changeant l'orientation des arĂȘtes unes par une, de telle sorte qu'Ă  chaque Ă©tape, l'orientation du graphe reste forte[12]. Par consĂ©quent, le flip graph dont les sommets correspondent aux orientations fortes de G, et dont les arĂȘtes correspondent Ă  des paires d'orientations fortes qui diffĂšrent dans la direction d'une seule arĂȘte, forme un cube partiel .

Algorithmes et complexité

Une orientation forte d'un graphe non orientĂ© sans pont quelconque peut ĂȘtre Ă©tablie en temps linĂ©aire en effectuant un parcours en profondeur du graphe. On oriente d'abord toutes les arĂȘtes de l'arbre obtenu dans le sens allant d'un nƓud parent vers ses enfants (les branches s'Ă©loignant de la racine de l'arbre). Enfin, on oriente toutes les arĂȘtes restantes (qui sont nĂ©cessairement entre un ancĂȘtre et un descendant dans l'arbre de recherche en profondeur) du descendant Ă  l'ancĂȘtre (c'est-Ă -dire en se rapprochant de la racine).

Pour un graphe non orientĂ© G ayant des ponts, si l'on donne une liste de paires ordonnĂ©es de sommets qui doivent ĂȘtre connectĂ©s par des chemins orientĂ©s, il est possible de trouver en temps polynomial une orientation de G qui relie toutes les paires donnĂ©es, si une telle orientation existe. Cependant, le mĂȘme problĂšme est NP-complet lorsque l'entrĂ©e peut ĂȘtre un graphe mixte[13].

Compter le nombre d'orientations fortes d'un graphe G donnĂ© est un problĂšme #P-complet mĂȘme lorsque G est planaire et biparti. Cependant, pour les graphes denses (plus prĂ©cisĂ©ment, les graphes dans lesquels chaque sommet a un nombre O(n) de voisins), le nombre d'orientations fortes peut ĂȘtre estimĂ© par un schĂ©ma d'approximation alĂ©atoire entiĂšrement polynomial[8] - [14]. Le problĂšme du comptage des orientations fortes peut Ă©galement ĂȘtre rĂ©solu exactement, en temps polynomial, pour des graphes dont la largeur arborescente est bornĂ©e[8].

Références

  1. Bretto, Faisant et Hennecart, dans leur livre ÉlĂ©ments de thĂ©orie des graphes, Paris, Springer-Verlag France, coll. « IRIS », (ISBN 978-2-8178-0280-0) appellent « orientables » les graphes admettant une orientation forte.
  2. H. E. Robbins, « A Theorem on Graphs, with an Application to a Problem of Traffic Control », The American Mathematical Monthly, vol. 46, no 5,‎ , p. 281–283 (ISSN 0002-9890, DOI 10.2307/2303897, lire en ligne, consultĂ© le )
  3. K.M. Koh et E.G. Tay, « Optimal Orientations of Graphs and Digraphs: A Survey », Graphs and Combinatorics, vol. 18, no 4,‎ , p. 745–756 (ISSN 0911-0119 et 1435-5914, DOI 10.1007/s003730200060, lire en ligne, consultĂ© le )
  4. (en) Fred S. Roberts et Yonghua Xu, « On the Optimal Strongly Connected Orientations of City Street Graphs I: Large Grids », SIAM Journal on Discrete Mathematics, vol. 1, no 2,‎ , p. 199–222 (ISSN 0895-4801 et 1095-7146, DOI 10.1137/0401022, lire en ligne, consultĂ© le )
  5. (en) Fred S. Roberts et Yonghau Xu, « On the optimal strongly connected orientations of city street graphs. II: Two east-west avenues or North—South Streets », Networks, vol. 19, no 2,‎ , p. 221–233 (DOI 10.1002/net.3230190204, lire en ligne, consultĂ© le )
  6. (en) A. Schrijver, « Bounds on the number of Eulerian orientations », Combinatorica, vol. 3, nos 3-4,‎ , p. 375–380 (ISSN 0209-9683 et 1439-6912, DOI 10.1007/BF02579193, lire en ligne, consultĂ© le )
  7. (en) C. St. J. A. Nash-Williams, « On Orientations, Connectivity and Odd-Vertex-Pairings in Finite Graphs », Canadian Journal of Mathematics, vol. 12,‎ , p. 555–567 (ISSN 0008-414X et 1496-4279, DOI 10.4153/CJM-1960-049-6, lire en ligne, consultĂ© le )
  8. Dominic Welsh, « Approximate Counting », dans Surveys in Combinatorics, 1997, Cambridge University Press, (ISBN 978-0-521-59840-8, DOI 10.1017/cbo9780511662119.010, lire en ligne), p. 287–324
  9. (en) Marc Noy, « Acyclic and Totally Cyclic Orientations in Planar Graphs », The American Mathematical Monthly, vol. 108, no 1,‎ , p. 66–68 (ISSN 0002-9890 et 1930-0972, DOI 10.1080/00029890.2001.11919725, lire en ligne, consultĂ© le )
  10. (en) Michel Las Vergnas, « Convexity in oriented matroids », Journal of Combinatorial Theory, Series B, vol. 29, no 2,‎ , p. 231–243 (DOI 10.1016/0095-8956(80)90082-9, lire en ligne, consultĂ© le )
  11. (en) Hubert de Fraysseix, Patrice Ossona de Mendez et Pierre Rosenstiehl, « Bipolar orientations revisited », Discrete Applied Mathematics, vol. 56, nos 2-3,‎ , p. 157–179 (DOI 10.1016/0166-218X(94)00085-R, lire en ligne, consultĂ© le )
  12. (en) Komei Fukuda, Alain Prodon et Tadashi Sakuma, « Notes on acyclic orientations and the shelling lemma », Theoretical Computer Science, vol. 263, nos 1-2,‎ , p. 9–16 (DOI 10.1016/S0304-3975(00)00226-7, lire en ligne, consultĂ© le )
  13. (en) Esther M. Arkin et Refael Hassin, « A note on orientations of mixed graphs », Discrete Applied Mathematics, vol. 116, no 3,‎ , p. 271–278 (DOI 10.1016/S0166-218X(01)00228-1, lire en ligne, consultĂ© le )
  14. (en) Noga Alon, Alan Frieze et Dominic Welsh, « Polynomial time randomized approximation schemes for Tutte-Gröthendieck invariants: The dense case », Random Structures & Algorithms, vol. 6, no 4,‎ , p. 459–478 (DOI 10.1002/rsa.3240060409, lire en ligne, consultĂ© le )

 

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