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Orchestre rouge

La dénomination d’Orchestre rouge (die Rote Kapelle) est donnée par la Gestapo à un ensemble de réseaux d'espionnage en contact avec l'Union soviétique qui ont résisté au nazisme durant la Seconde Guerre mondiale. À ces groupes appartiennent les cercles berlinois autour de Harro Schulze-Boysen et d'Arvid Harnack et le réseau organisé par Leopold Trepper et Anatoli Gourevitch à Paris et à Bruxelles, opérant au profit de l'Union soviétique. Trepper s'est longtemps présenté comme le responsable de l'ensemble du réseau, notamment dans le livre que Gilles Perrault lui a consacré ainsi que dans ses mémoires. Cette responsabilité est contestée depuis les années 1990 et sa personnalité fait l'objet de controverses.

Les réseaux berlinois

La partie berlinoise du réseau est composée de différents groupes d'amis, dirigés par Harro Schulze-Boysen, officier travaillant au département des communications du ministère des transports aériens du Reich (Reichsluftfahrtministerium) à Berlin, et par Arvid Harnack, en poste au ministère économique allemand. Ces groupes rassemblent des anciens amis de la revue nationale-bolchévique Der Gegner, des artistes, des pacifistes, et des communistes, en tout plus de cent cinquante adversaires du régime hitlérien.

Les membres incluent, entre autres, Alexander Erdberg, Adam Kuckhoff (un producteur de théâtre), sa femme Greta Kuckhoff (qui travaille pour le département de la politique raciale mené par Alfred Rosenberg), Horst Heilmann (spécialiste du chiffre pour la division des communications de la Wehrmacht), Günther Weisenborn (auteur allemand), Herbert Gollnow (affecté au service de contre-espionnage allemand), Johann Graudens (mécanicien pour avions affecté à des bases militaires de la Luftwaffe) et Hans Coppi (un militant communiste)...

Ils distribuent des tracts, écrivent des slogans sur les bâtiments et soutiennent des personnes persécutées. Un cercle plus restreint collecte des informations pour le renseignement soviétique[1]. La combinaison de la résistance politique et de l'espionnage met inévitablement en péril les réseaux berlinois.

Le réseau franco-belge

Le réseau d'espions est mis en place dans l'ouest de l'Europe dans l'Entre-deux-guerres pour fournir des informations à l'Union soviétique. Il est créé par Leopold Trepper et Anatoli Gourevitch à l'instigation de Ian Berzine, responsable du service de renseignements de l'Armée rouge, le GRU. Il est réorienté contre le nazisme à partir du déclenchement de l'opération Barbarossa en . Ses agents sont recrutés parmi les communistes de stricte obédience[2].

La centrale du réseau est à Bruxelles, où elle s'abrite sous le paravent d'une société de commercialisation d'imperméables, créée dès avant la guerre, qui prospère grâce à ses filiales installées dans les pays scandinaves, et établit des relations commerciales avec la France et les Pays-Bas : c'est le « Roi du Caoutchouc, Foreign excellent Trench-coat » installé à Bruxelles, rue Royale. Une autre société a été créée à Paris, la « Simex », avec une succursale du même nom installée à Marseille.

L'idée de Trepper et Gourevitch est de créer à l'étranger des « résidences », sociétés commerciales qui serviront à la fois de couverture et de source de financement du réseau. À la tête de ces sociétés, Trepper (qui se fera aussi appeler Adam Milker), place des hommes de confiance qu'il recrute dans les mouvements de résistance français, belges, néerlandais et allemands. Tous les membres de ce réseau, communistes ou non, agissent avant tout par conviction anti-nazie.

Controverse sur l'organisation de l'Orchestre rouge

Gilles Perrault, dans le livre qu'il consacre en 1967 à l'Orchestre rouge[3], présente Leopold Trepper comme son « grand chef »[4]. Dans ses mémoires, Trepper s'attribue lui aussi la responsabilité de l'ensemble des réseaux connus sous le nom d'Orchestre rouge[5] et notamment des groupes allemands. Cette affirmation est démentie dès 1985 par Jean Rochet, ancien directeur de la DST, qui remarque « qu'il serait injuste de mettre à sa gloire les exploits du réseau berlinois et du réseau helvétique dont la contribution à la victoire contre l'Allemagne fut exceptionnelle[6] ». La mise en cause de Trepper est reprise dans les années 1990, notamment par Thierry Wolton[7] qui l'accuse de s'attribuer avec « culot » les faits d'armes de l'ensemble des réseaux de l'Orchestre rouge.

En 2003, un film documentaire allemand[8] réalisé par Stefan Roloff, fils de l'un des membres du réseau berlinois, réaffirme l'identité allemande de ce réseau[9].

En 2021, Rémi Kauffer explique que l'organisation de l'Orchestre rouge n'était ni structurée, ni pyramidale. Selon lui, la revendication par Trepper du rang de « grand chef » est une « imposture trop fréquemment gobée par des auteurs crédules[10] ». Trepper n'eut pas de rapport avec les réseaux berlinois et Gourevitch ne fit qu'une mission avec eux.

Activités

Selon Christopher Andrew et Oleg Gordievsky, les réseaux berlinois de Harnack et Schulze-Boysen transmettent des renseignements importants mais dépourvus d'une valeur opérationnelle déterminante. Les informations les plus intéressantes concernent la puissance de l'armée de l'air allemande au début du conflit, la production de l'industrie aéronautique, les stocks de carburant, le projet d'attaque sur le Caucase, la position des quartiers généraux, la production et le stockage de matériels de guerre chimique, le rapport sur la saisie d'un dictionnaire du chiffre russe, les pertes subies en Crète [11].

Le réseau franco-belge de Trepper commença à fournir des informations significatives après la défaite de la France. Elles concernaient les mouvements de troupes ainsi que les travaux de fortification de l'organisation Todt[12]. Selon Claude de Chabalier, les réseaux transmettent à l’Union soviétique des informations politiques, économiques et militaires collectées à tous les niveaux. Par sa composition, ils peuvent avoir accès à des informations aussi bien auprès de soldats de retour du front pour une permission que de travailleurs dans des usines d'armement, que de hauts fonctionnaires capables de capter les rumeurs et informations courant au sein des administrations et des états-majors ou même en accédant directement à des rapports sensibles. La situation politique interne en Allemagne, en Italie et dans les pays occupés fait l'objet des mêmes soins[13].

L'universitaire Guillaume Bourgeois met en doute le fait que Trepper et son réseau franco-belge aient pu fournir des informations stratégiques à l'Union soviétique, traitant celui-ci d'« imposteur qui par accident devient un héros alors qu'il ne le méritait pas du tout ». Guillaume Bourgeois met également en évidence l'amateurisme du réseau (les membres des différents groupes se connaissaient souvent entre eux, ce qui, en cas de capture de l'un d'eux, pouvait mettre en danger tous les autres)[2].

RĂ©action allemande

Les services de contre-espionnage allemand prirent connaissance du réseau lorsqu'ils interceptèrent des messages radio en provenance des services secrets soviétiques du NKVD en . Dans l'argot des services secrets allemands, le patron d'un réseau est un « chef d'orchestre » : il coordonne et dirige le jeu des « pianistes » (les opérateurs radios) et de leurs « boîtes à musique » (les émetteurs). Les émissions en alphabet morse des réseaux berlinois et franco-belge constituent un genre de musique qui les font surnommer par les Allemands die Rote Kapelle (« l'orchestre rouge ») dont ils ne parviennent pas à percer le code. Un groupe de travail voué à anéantir le réseau est créé, le Sonderkommando Rote Kappelle (Groupe spécial Orchestre rouge).

Le , la station d'écoute allemande intercepte un message codé provenant de Moscou que les spécialistes parviennent à comprendre et qui révèle maladroitement des renseignements permettant de resserrer la recherche de l'adresse du réseau.

L'Abwehr parvient alors, par triangulation radio, à localiser l'émetteur de Bruxelles. Quand les Allemands surgissent au siège bruxellois de « l'orchestre », rue des Atrébates[14] (distinct du siège de la société d'imperméables, rue Royale), la surprise est complète et Léopold Trepper, qui est absent à ce moment-là, ne doit qu'à sa présence d'esprit d'échapper à l'arrestation en se faisant passer auprès d'une sentinelle pour un colporteur passé là par hasard. Cependant, la chasse aux agents de l'Orchestre rouge commence, dirigée par le service spécial de contre-espionnage qui investit plusieurs adresses. Un des radiotélégraphistes belges se réfugie dans un autre quartier bruxellois, mais est surpris en pleine émission et se défend en tirant sur les Allemands tout en fuyant sur les toits des maisons de la rue Marie-Christine avant de succomber.

Démantèlement des réseaux berlinois

Le , le contre-espionnage allemand parvient à décrypter un message radio de Moscou, qui contient les noms et adresses de Harnack, Schulze-Boysen et Kuckhoff. Le , Harro et Libertas Schulze-Boysen sont arrêtés puis jusqu'au plus de 120 membres des groupes de Berlin. Grâce aux interrogatoires et aux espionnages dans les cellules, 80 autres personnes proches du groupe seront encore arrêtées jusqu'en . Les Allemands mettent fin aux activités du réseau.

En dépit des tortures, les membres du groupe berlinois résistent à leurs interrogatoires. Harro Schulze-Boysen monte une astuce dans l'espoir de sauver ses camarades. Le chef de la branche berlinoise de l'Orchestre rouge s'était arrangé, peu avant sa capture, pour faire passer sur les ondes un télégramme concernant de prétendus documents des plus secrets placés en sécurité à l'étranger. La Gestapo, après en avoir informé Himmler et Goering, accepte de marchander avec Schulze-Boysen : celui-ci accepte de parler en échange de l'engagement par la Gestapo, en présence de son père (capitaine de vaisseau) de ne pas exécuter les membres du réseau avant le (espérant la défaite de l'Allemagne avant cette date). Reniant leur promesse, les autorités nazies ordonnent la pendaison d'une soixantaine de membres de l'Orchestre rouge, dont celles de dix-neuf femmes[13].

Démantèlement du réseau franco-belge

Léopold Trepper, « brûlé » à Bruxelles et qui s'était réfugié à Paris, y est finalement arrêté. Il entreprend alors, selon sa version, de tromper les Allemands en affectant de collaborer avec eux. Guillaume Bourgeois dans son ouvrage consacré à l'Orchestre rouge (2015) affirme que Trepper a livré de lui-même les hommes et les femmes de son réseau[2].

Les membres arrêtés sont soumis à de durs interrogatoires, et d'autres noms auraient été délivrés. Il en résulte des arrestations, déportations ou condamnations à mort par les nazis : 27 membres du réseau sont passés par le camp de concentration du fort de Breendonk près de Bruxelles, 24 ont été fusillés, 3 se sont suicidés, 5 ont disparu, 10 sont morts en déportation, 48 autres arrêtés en France et en Belgique sont morts pendant la guerre, 29 arrêtés ont survécu, dont Jules Jaspar, arrêté par la Gestapo à Marseille le , après avoir été dénoncé par un certain Chatelin, ainsi qu'il le précise dans le manuscrit qu'il a rédigé, et transféré à la prison de Fresnes, puis déporté Nacht und Nebel à Mauthausen. Son épouse Claire Legrand est également arrêtée et déportée à Ravensbrück, puis au camp voisin de Uckermark où elle est victime des chambres à gaz. Anatoli Gourevitch est aussi arrêté, tout comme Léo Grossvogel qui était un des principaux collaborateurs de Léopold Trepper et qui fut arrêté par la Gestapo le à Bruxelles et condamné à mort par les nazis en . D'autres agents de l'Orchestre rouge sont exécutés à la prison de Plötzensee.

La socialiste belge Suzanne Spaak, belle sœur du ministre Paul-Henri Spaak – membre du gouvernement belge légal en exil à Londres – est arrêtée avec des membres du réseau parisien de l'Orchestre rouge. Détenue à la prison de Fresnes, elle est fusillée par les nazis le , 13 jours avant la libération de Paris. La belge Georgie de Winter, amie de cœur de Trepper, survit à plusieurs camps de concentration et retrouve la liberté à la fin de la guerre. Mais elle ne reverra jamais Trepper. Elle accompagne Jules Jaspar jusqu'à la fin de ses jours à Soudorgues (France).

Quant à Trepper, qui avait été capturé en France le , il devient agent double en collaborant au « Grand Jeu » initié par les Allemands, une vaste entreprise d'intoxication destinée à tromper les renseignements soviétiques. Mais, selon la version qu'il présente, depuis le début de son incarcération, il a su préserver certains secrets. Devenu familier d'un responsable de la Gestapo, il profite d'un transfert en voiture à travers Paris pour solliciter de pouvoir se procurer un médicament dans une pharmacie qu'il connaît. L'officine possède deux accès, ce qui permet à Trepper de s'échapper le plus simplement du monde. Il peut enfin informer Moscou des intentions des services secrets allemands sur la base des renseignements en partie vrais, en partie faux, qu'il a communiqués à ceux-ci.

Les gérantes de la maison de repos où Trepper s'est réfugié sont arrêtées, les Allemands ayant vite trouvé la bonne piste. Mais il parvient encore à s'échapper et prend alors le maquis en France jusqu'à la Libération. De retour à Moscou en , et malgré ses états de service, il est emprisonné sur ordre de Staline et n'est libéré et réhabilité qu'en 1954 après la mort du dictateur soviétique. Il choisit alors d'émigrer en Israël, puis s'installe à Copenhague, au Danemark. En 1975, il publie ses mémoires : Trepper - Le Grand Jeu - Mémoires du chef de l'Orchestre rouge.

Membres

Bibliographie

MĂ©moires

Récit romancé

Étude historique

  • Christopher Andrew et Oleg Gordievsky (trad. de l'anglais par Ana Ciechanowska, Herbert DraĂŻ, PatricSiĂ©tyk Michel et Francine), Le KGB dans le monde : 1917-1990 [« KGB, The Inside Story »], Paris, Fayard, (1re Ă©d. 1990), 755 p. (ISBN 2-213-02600-9)
  • Guillaume Bourgeois, La vĂ©ritable histoire de l'Orchestre rouge, Paris, Éditions Nouveau Monde, coll. « Le grand jeu », , 581 p. (ISBN 978-2-36942-067-5, prĂ©sentation en ligne)
    Réédition : Guillaume Bourgeois, La véritable histoire de l'Orchestre rouge, Paris, Éditions Nouveau Monde, coll. « Chronos », , 581 p., poche (ISBN 978-2-36942-549-6).
  • RĂ©mi Kauffer, Les Grandes affaires des services secrets, Paris, Perrin, , 509 p. (ISBN 978-2-262-08528-5), L'orchestre qui chantait rouge

Matériel scanné de la RDA

Cinéma

  • 1971, KLK an PTX - Die Rote Kapelle, film est-allemand rĂ©alisĂ© par Horst E. Brandt
  • 1989, L'Orchestre rouge, film français rĂ©alisĂ© par Jacques Rouffio.
  • 2003, L'Orchestre rouge (Die Rote Kapelle), documentaire allemand rĂ©alisĂ© par Stefan Roloff (en).
  • 2021, The Red orchestra, film germano-belge rĂ©alisĂ© par Carl-Ludwig Rettinger et Lorenz Findeisen

Notes et références

  1. (de) Peter Koblank, Harro Schulze-Boysen. Rote Kapelle: Widerstand gegen Hitler und Spionage fĂĽr Stalin, Online-Edition Mythos Elser, 2014
  2. Pour Ă©clairer l'histoire de "l'Orchestre rouge", lanouvellerepublique.fr, 19 octobre 2015
  3. Gilles Perrault, L'Orchestre rouge, Paris, Fayard, , 577 p.
  4. « " L'Orchestre rouge ", de Gilles Perrault », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  5. Paul Gillet, « Les Mémoires de Léopold Trepper le chef de l'Orchestre rouge », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  6. Jean Rochet, Cinq ans Ă  la tĂŞte de la DST : 1967-1972 - La mission impossible, Paris, Plon, , 339 p. (ISBN 2-259-01271-X), p. 221
  7. Thierry Wolton, « AU COURRIER DU MONDE RÉSISTANCE Quelques vérités sur Trepper », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  8. (en) « Die Rote Kapelle », sur IMDB (consulté le )
  9. Francis Cornu, « L'Orchestre rouge », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  10. RĂ©mi Kauffer, Les Grandes affaires des services secrets, Paris, Perrin, , 509 p. (ISBN 978-2-262-08528-5), L'orchestre qui chantait rouge
  11. Andrew et Gordievsky 1990, p. 276.
  12. Andrew et Gordievsky 1990, p. 258.
  13. Claude de Chabalier, « L'incroyable réseau de l'Orchestre rouge », dans Bernard Michal, Les grandes énigmes de la seconde guerre mondiale, Paris, Éditions de Saint-Clair, , 250 p.
  14. (en) « Plaque « Orchestre rouge » - Etterbeek (Bruxelles) », sur www.tracesofwar.com (consulté le )
  15. Il a fait de la prison en Belgique pour Collaboration avec l'occupant (comme d'ailleurs son patron Trepper qui a aussi « collaboré »). C'est Abraham Rajchman qui, à Breendonk, a dénoncé, sous de très graves tortures, les membres de « L'Orchestre Rouge ».

Annexes

Articles connexes

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