Octylphénol
Les octylphénols (ou « OP », de formule brute C14H22O) sont une sous-classe de molécules (alkylphénols) issues de la carbochimie, représentant un grand nombre d'isomÚres.
Le groupe octyle (C8H17) peut dans ce type de molĂ©cule ĂȘtre ramifiĂ© de plusieurs maniĂšres ou constituer une chaĂźne droite ; ce groupe octyle peut ĂȘtre situĂ© en position -2, -3 ou -4 du cycle benzĂ©nique.
Parmi les isomÚres possibles, le 4-tert-octylphénol (principalement vendu comme détergent) a la plus grande importance commerciale et souvent le mot octylphénol le désigne[1] et est suspecté d'avoir contaminé le réseau trophique et parfois l'organisme humain[2].
Ce sont des polluants organiques notamment retrouvĂ©s adsorbĂ©s sur les particules en suspension[3] puis dans les sĂ©diments des eaux douces et marines et des estuaires[1], avec des risques intergĂ©nĂ©rationnels car c'est un perturbateur endocrinien, lipophile et il est retrouvĂ© (de mĂȘme que des Ă©thoxylates d'octylphĂ©nol) dans les tissus gras humains[4] et le lait maternel, moins que le nonylphĂ©nol (mais le nonylphĂ©nol peut ĂȘtre un produit de dĂ©gradation de l'octylphĂ©nol)[5]. Selon les dosages faits dans le lait de femmes italiennes, chez les femmes qui prĂ©sentaient les taux les plus Ă©levĂ©s, l'ingestion journaliĂšre est proche de la dose journaliĂšre tolĂ©rable (DJA) qui a Ă©tĂ© fixĂ©e Ă de 5 ”g/kg de poids corporel par l'Institut danois de sĂ©curitĂ© et de toxicologie[5].
Depuis le dĂ©but des annĂ©es 2000, lâoctylphĂ©nol tend Ă remplacer le nonylphĂ©nol, mais il a Ă peu prĂšs les mĂȘmes propriĂ©tĂ©s chimio-toxicologiques et les mĂȘmes effets de perturbateur endocrinien et donc possiblement les mĂȘmes risques pour l'environnement alertent le Canadian Council of Ministers of the Environment[6], puis Environnement Canada en 2004[7] - [8]
Production
Historiquement, depuis le dĂ©but du XXe siĂšcle, les octylphĂ©nols sont les alkylphĂ©nols qui ont Ă©tĂ© les plus utilisĂ©s par l'Industrie (20 % de la production totale) et plus encore les nonylphĂ©nols ou NPEO (80 % environ de la production )[9], mais dans certains usages les dodĂ©cylphĂ©nols tendent Ă remplacer les nonylphĂ©nols, notamment comme additif de certains lubrifiants (ex. : huile ROWE qui en contient un peu moins de 0,1 %). Il est fabriquĂ© par rĂ©action du phĂ©nol avec le di-isobutĂšne (tert-octĂšne) (Environment Agency, 2005)[10] en prĂ©sence d'une rĂ©sine Ă©changeuse dâions (Ă lit fixe dans le procĂ©dĂ© continu ou avec une rĂ©sine Ă©changeuse dâions sulfonĂ©s dans le procĂ©dĂ© discontinu[11]. aprĂšs quoi deux distillations sont nĂ©cessaires pour retirer les produits qui n'ont pas rĂ©agi.
En 2001, la production européenne d'octylphénol était estimée à 23 000 tonnes par an[12] (22 633 tonnes plus précisément, selon l'Anses, en 2015[13]).
Industriels producteurs
En Europe, ils sont représentés par le CEPAD (Conseil Européen des Phénols Alkylés et Dérivés).
Et avec d'autres industriels, ils ont fondĂ© un laboratoire ECETOC (European Center for Ecotoxicology and Toxicology Of Chemicals) ; basĂ© Ă Bruxelles, rue Belliard, non loin du Parlement europĂ©en, qui â selon son site internet â « reprĂ©sente ses membres devant l'ECHA, l'OMS et l'OCDE »[14].
Utilisations
Les octylphénols sont principalement des intermédiaires chimiques (comonomÚre) dans la production industrielle de résines phénoliques (qui sert principalement à fabriquer les pneus de véhicules ; 1,5 à 10 % de la formulation du caoutchouc), de résines isolantes de circuits électroniques ou d'éléments électriques ou électroniques, d'enroulement de fils métalliques de moteurs et de formaldéhyde ainsi que pour la fabrication d'éthoxylates d'octylphénol (utilisés dans le caoutchouc, les pesticides et les peintures). L'industrie pétroliÚre les utilise pour fabriquer de polymÚres (de peinture au latex ou ajoutés aux papiers peints[15]) et résines éthoxylées (émulsifiant et surfactant non-ionique notamment utilisés pour séparer l'eau du pétrole dans les plateformes de forage offshore, ou comme tensioactif pour améliorer la dispersion de liquides et la miscibilité de certains mélanges, comme composants de produits de nettoyage ou de finition du cuir ou de textiles (traitement de brillance, et anti-poussiÚre)[15]. Ils sont utilisés dans des encres (plus adhésives et séchant plus vite) dans de nombreuses colles, des peintures marines (ainsi rendue plus résistantes au sel) et marginalement pour d'autres usages (par exemple comme spermicide[8].
Polluant
Il est peu soluble dans l'eau (mais se fixe bien sur la matiĂšre organique qui peut ĂȘtre mise en suspension dans l'eau, via l'Ă©rosion et le ruissellement), peu volatile et liposoluble.
Les activitĂ©s anthropiques (principalement Ă partir d'eaux usĂ©es industrielles) et le ruissellement emportent ce produit vers les zones humides et cours d'eau (En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, dans les cours d'eau de la planĂšte, au dĂ©but du XXIe siĂšcle, les concentrations d'octylphĂ©nol (OP) sont comprises entre 0,001â1,44 ÎŒg/L ; Ă comparer Ă celles du bisphĂ©nol-A (BPA), entre 0,0005 et 4,0 ÎŒg/L) et Ă celles du nonylphĂ©nol (NP) encore plus importantes, car comprises entre 0,006 et 32,8 ÎŒg/L (sachant que le nonylphĂ©nol peut aussi ĂȘtre une impuretĂ© ou un produit de dĂ©gradation des deux autres)[8].
Les octylphénols finissent ensuite par contaminer le milieu marin, en tant qu'impureté du nonylphénol, produit de dégradation et sans doute aussi à partir de la décomposition des alkylphénol éthoxylés[1]. En France, selon l'INERIS il est trÚs fréquemment trouvé dans les sédiments (96 % des échantillons en présentent une concentration supérieure à la limite de quantification, LQ)[16].
Sa pression de vapeur, basse, lui permet de s'adsorber sur les sols et sĂ©diments, faisant qu'il ne stagne pas dans l'air (oĂč en rĂ©agissant avec les radicaux hydroxyles, il serait plus rapidement dĂ©gradĂ©). Dans lâeau et le sol, il est rĂ©putĂ© ĂȘtre biodĂ©gradable, mais assez lentement, surtout en lâabsence dâoxygĂšne[8].
Ăcotoxicologie
Selon S. Veillette (2018), lâoctylphĂ©nol « reprĂ©sente un danger Ă©cotoxicologique Ă©levĂ© pour les Ă©cosystĂšmes aquatiques ,compte tenu de son caractĂšre persistant, bioaccumulable et toxique »[8] On lui reconnait notamment :
- des effets de perturbation endocrinienne (effet oestrogĂ©niques) chez les animaux Ă sang chaud (mammifĂšres)[17], et de mĂȘme chez des animaux Ă sang froid tels que des mollusques gastĂ©ropodes[18]âŠ, ainsi que chez les poissons[19])[1] ; L'exposition de femelles Guppy durant 90 jours Ă 100 ”g/l induit une perte de poids des gonades et une baisse du nombre d'ovocytes[20].Une exposition du mĂąle Ă 38,5 ”g/L durant le dĂ©veloppement sexuel induit des gonades (testicules) et une spermatogenĂšse rĂ©duites, avec un phĂ©nomĂšne dâintersexuation chez le Medaka (aprĂšs 97 jours d'exposition). Et la parade nuptiale du Guppy ou de la truite sont rĂ©duites ;
- une toxicité chez la salamandre nord-américaine Ambystoma barbouri, dont les embryons de femelles exposés à 500 mg/L ne meurent pas mais présentent une éclosion retardée, avec une moindre survie larvaire, une moindre croissance des individus et un risque accru de malformations congénitales[21] ; de plus, « une exposition chronique à l'octylphénol a entraßné la mortalité, les retards d'éclosion, la réduction de la croissance et la léthargie les plus importants » (par rapport aux tests faits avec trois pesticides : atrazine (4, 40 et 400 mg/L), carbaryl (0,5, 5 et 50 mg/L) et endosulfan (0,1, 1 et 10 mg/L pour 31 jours et 0,1, 10 et 100 mg/L pour les six derniers jours)[21] ;
- des effets neurologiques et musculaire ? (donnĂ©e nouvelle) : une Ă©tude rĂ©cente (2018) a portĂ© sur les effets dâune exposition Ă l'octylphĂ©nol sur le systĂšme de dĂ©fense antioxydant des tissus musculaires. LâespĂšce modĂšle choisie a Ă©tĂ© le poisson, Oreochromis niloticus (exposĂ© Ă une dose sublĂ©tale d'octylphĂ©nol de 50,6 ”g/L durant 24, 48, 72 et 96 heures, avec groupes tĂ©moins Ă©galement observĂ©s. Les poissons exposĂ©s ont significativement (P <0,05) diminuĂ© leur activitĂ© enzymatique antioxydante (superoxyde dismutase, catalase et glutathion rĂ©ductase, en fonction du temps, par rapport aux groupes tĂ©moins correspondants), alors que les taux de peroxydation lipidique et la gĂ©nĂ©ration de peroxyde d'hydrogĂšne augmentaient significativement (P <0,05) dans tous les groupes exposĂ©s, suggĂ©rant la production de radicaux libres dans le muscle[22]. L'acĂ©tylcholinestĂ©rase a aussi prĂ©sentĂ© une moindre activitĂ© intramusculaire (P <0,05) aprĂšs 48 heures d'exposition Ă l'octylphĂ©nol, Ă©voquant un dĂ©faut de neurotransmission Ă la jonction neuromusculaire. Lâhistologie a montrĂ© une altĂ©ration du muscle (dĂ©gĂ©nĂ©rescence, et fibres musculaires fendues aprĂšs 24 et 48 h puis dĂ©sorganisation complĂšte des fibres musculaires aprĂšs 72 h, produisant des faisceaux musculaires Ă©paissis et raccourcis aprĂšs 96 h de traitement Ă l'octylphĂ©nol[22] ;
- une certaine tendance Ă persister et Ă s'accumuler dans les sĂ©diments (ex. : jusqu'Ă 13 ”g/L dans lâestuaire des Tees au Royaume-Uni, et jusqu'Ă 0,32 mg/kg de poids sec) alors que dans les eaux cĂŽtiĂšres il dĂ©passe rarement Ă 0,016 ”g/L[1] ;
- une légÚre tendance à la bioaccumulation dans les tissus gras (en mer du Nord les poissons en contiennent souvent, mais à des doses généralement inférieures à la limite de quantification, soit 0,004 mg/kg de poids sec[1]) ;
- pas de tendance à la biomagnification[1] chez certaines espÚces comme (poisson plat Pleuronectes (grùce à une glucuronidation efficace[23]) mais des indices plaident pour une certaine bioamplification chez certaines espÚces (à tissus gras ou dotées d'un métabolisme propice à l'accumulation de ce polluant (Saumon, Phoques, Globicéphales...). L'octylphénol semble encore plus bioconcentré que le nonylphénol chez le saumon atlantique (facteur de bioconcentration de 331, à comparer à 280 pour le nonylphénol), mais pas chez la truite arc en ciel (FBC=98 selon Lewis & lech, 1996[24]). Son FBC est également beaucoup plus élevé que celui cu buthylphénol. Les phoques danois en contiennent de 25 à 472 ng/g[25] alors que l'Anchois du Pérou n'en contient « que » 0,8 à 1,7 ng/g[8] ;
- une toxicité pour de nombreux organismes marins au-dessus de 6,1 ”g/L.
Toxicité
L'octylphénol ne présent pas d'effet génotoxique selon les études disponibles (sur le modÚle animal)[8].
Sa toxicitĂ© est bien plus Ă©levĂ©s (pour les poissons par exemple) que ne l'est celle des alkylphĂ©nols Ă chaines courtes. Ex : la CL50 (96 h) est de 5,1 mg/L pour le poisson MĂ©nĂ© Ă grosse tĂȘte, contre seulement 0,29 mg/L pour celle de l'octylphĂ©nol. Chez les crustacĂ©s, la toxicitĂ© varie selon lâespĂšre : la crevette marine Acartia tonsa sây montre trĂšs sensible, bien plus que la daphnie en eau douce : cinq jours d'exposition Ă de l'eau Ă 0,0013 mg/L d'octylphĂ©nol (dose trĂšs faible) tue la moitiĂ© des Acartias[26] La CE50 pour cinq jours d'exposition Ă une eau contenant 0,12 mg/L d'octylphĂ©nol tue 50 % des truites arc-en-ciel exposĂ©es[27] et ce poisson est aussi trĂšs vulnĂ©rable Ă l'effet endocrinien[8] (voir p. 52-53).
Cinétique environnementale
Selon les modĂšles de fugacitĂ© de l'OCDE, les octylphĂ©nols s'adsorbent trĂšs bien dans les sols, ont une courte durĂ©e de demi-vie dans l'air (0,25 jour car dĂ©gradĂ© par les radicaux hydroxyles) mais la pluie pourraient contribuer Ă les amener au sol[8]; ils sont donc rĂ©putĂ©s ne pas diffuser trĂšs loin de leurs source d'Ă©mission. Un peu plus de 1 % des Ă©missions aĂ©riennes environ seraient stockĂ© dans le sĂ©diment (oĂč sa demi-vie est assez longue : 150 jours surtout en condition anoxique) et 67,7 % passerait dans le sol[8] (voir p. 26-27).
Le sĂ©diment en suspension dans l'eau de zones industrialisĂ©es se montre 5 Ă 35 fois plus (trans-)porteur dâoctylphĂ©nols que les lits de sĂ©diments des cours d'eau (oĂč en condition anaĂ©robie les octophĂ©nols ne se biodĂ©gradent pas du tout selon Johnson et al. (2000)[28].
Une grande partie de ces molĂ©cules traversent les {stations d'Ă©puration sans ĂȘtre dĂ©gradĂ©es ou en Ă©tant incomplĂštement dĂ©gradĂ©es[29].
L'octylphĂ©nol et abondant dans l'air prĂšs de routes (selon une Ă©tude allemande), probablement en raison de l'Ă©rosion des gommes de pneumatiques de vĂ©hicules. On en trouve en fait de faibles quantitĂ© dans l'air partout oĂč on l'a cherchĂ©, avec un record au japon (5,3ng/m3 selon Saito et al 2004[30]).
LĂ©gislation
Le nonylphénol et ses dérivés éthoxylés ont été ajoutés à la liste des substances toxiques de la LCPE en .
De nombreux pays cherchent Ă le rĂ©duire voire Ă lâĂ©radiquer Ă long terme, au profit dâalternatives moins toxiques. LâoctylphĂ©nol prĂ©sente en effet une Ă©cotoxicitĂ© et une toxicitĂ© qui a Ă©tĂ© maintes fois comparĂ©e Ă celle du nonylphĂ©nol (en raison dâexpĂ©rimentations et parce que leurs propriĂ©tĂ©s physico-chimiques sont a priori similaires), et bien quâil prĂ©sente un potentiel ĆstrogĂ©nique trente fois supĂ©rieur Ă celui du nonylphĂ©nol (selon Routledge et Sumpter 1997) aprĂšs 20 ans, lâoctylphĂ©nol ne figure toujours pas sur la liste des substances toxiques prioritaires[31].
Notes et références
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Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
- Octylphénol dans la base de données ED North
- Document de fond OSPAR sur octylphénol
Bibliographie
- Commission OSPAR, 2006: Document de base OSPAR sur l'octylphénol
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