Nombre de croisements (théorie des graphes)
En thĂ©orie des graphes, le nombre de croisements cr(G) d'un graphe G est le plus petit nombre d'intersections d'arĂȘtes d'un tracĂ© du graphe G. Par exemple, un graphe est planaire si et seulement si son nombre de croisements est nul. La dĂ©termination du nombre de croisements tient une place importante dans le tracĂ© de graphes. Un graphe Ă but informatif reprĂ©sentĂ© avec peu de croisements facilite la comprĂ©hension de celui-ci[1].
L'Ă©tude du nombre de croisements trouve son origine dans le problĂšme de l'usine de briques de TurĂĄn, dans lequel PĂĄl TurĂĄn a demandĂ© un plan d'usine qui minimiserait le nombre de croisements entre les voies reliant les fours Ă briques aux sites de stockage. Formellement, ce problĂšme revient Ă trouver le nombre de croisements d'un graphe biparti complet[2]. Le mĂȘme problĂšme s'est posĂ© indĂ©pendamment en sociologie Ă peu prĂšs au mĂȘme moment, en relation avec la construction de sociogrammes[3]. La formule conjecturĂ©e de TurĂĄn pour les nombres de croisements de graphes bipartis complets reste Ă prouver, tout comme une formule analogue pour les graphes complets.
L'inĂ©galitĂ© du nombre de croisements (en) indique que, pour les graphes oĂč le nombre e d'arĂȘtes est suffisamment supĂ©rieur au nombre n de sommets, le nombre de croisements est au moins proportionnel Ă e3/n2.
Sans autre prĂ©cision, le nombre de croisements permet des dessins dans lesquels les arĂȘtes peuvent ĂȘtre reprĂ©sentĂ©es par des courbes arbitraires. Une variante de ce concept, le nombre de croisements rectilignes, exige que toutes les arĂȘtes soient des segments et est donc supĂ©rieur ou Ă©gal au nombre de croisements. En particulier, le nombre de croisements rectilignes d'un graphe complet est sensiblement le mĂȘme que le nombre minimum de quadrilatĂšres convexes dĂ©terminĂ© par un ensemble de n points. Le problĂšme de la dĂ©termination de ce nombre est Ă©troitement liĂ© au Happy Ending problem[4].
DĂ©finitions
Dans le but de dĂ©finir le nombre de croisements, le tracĂ© d'un graphe non orientĂ© est une application, des sommets du graphe vers des points distincs du plan, et des arĂȘtes du graphe vers des courbes reliant leurs deux extrĂ©mitĂ©s. Aucun sommet ne doit ĂȘtre appliquĂ© sur une arĂȘte dont il n'est pas une extrĂ©mitĂ©, et chaque fois que deux arĂȘtes ont des courbes qui se croisent (autre qu'Ă une extrĂ©mitĂ© partagĂ©e), leurs intersections doivent former un ensemble fini de croisements. Le nombre de croisements d'un graphe est alors le minimum du nombre de croisements sur tous ces tracĂ©s[5].
Certains auteurs ajoutent plus de contraintes Ă la dĂ©finition d'un tracĂ©, par exemple que chaque paire d'arĂȘtes doit avoir au plus un point d'intersection. Pour le nombre de croisements tel que dĂ©fini ci-dessus, ces contraintes ne font aucune diffĂ©rence, car un tracĂ© qui minimise le nombre de croisements ne peut pas avoir d'arĂȘtes avec plusieurs points d'intersection. Cependant, ces contraintes sont pertinentes pour les dĂ©finitions de variantes du nombre de croisements qui, par exemple, ne comptent que le nombre de paires d'arĂȘtes qui se croisent plutĂŽt que le nombre de croisements[5].
Cas particuliers
Les nombres de croisement sont connus pour trÚs peu de familles de graphes. En particulier, à l'exception de quelques cas, le nombre de croisements de graphes complets, de graphes bipartis complets et de produits de cycles restent tous inconnus, bien qu'il y ait eu quelques progrÚs sur les bornes inférieures[6].
Graphes bipartis complets
Pendant la Seconde Guerre mondiale, le mathĂ©maticien hongrois PĂĄl TurĂĄn a Ă©tĂ© contraint de travailler dans une usine de briques, poussant des wagons de briques des fours aux sites de stockage. L'usine avait des pistes de chaque four Ă chaque site de stockage, et les wagons Ă©taient plus difficiles Ă pousser aux points oĂč les pistes se croisaient, d'oĂč TurĂĄn a Ă©tĂ© conduit Ă poser son problĂšme d'usine de brique: comment les fours, les sites de stockage et les pistes ĂȘtre organisĂ© pour minimiser le nombre total de croisements ? MathĂ©matiquement, les fours et les sites de stockage peuvent ĂȘtre formalisĂ©s comme les sommets d'un graphe biparti complet, avec les pistes comme arĂȘtes. Un plan d'usine peut ĂȘtre reprĂ©sentĂ© comme un dessin de ce graphe, le problĂšme devient donc : quel est le nombre de croisements d'un graphe biparti complet[7] ?
Kazimierz Zarankiewicz a tenté de résoudre le problÚme de l'usine de briques de Turån[8] ; sa preuve contenait une erreur, mais il a établi un majorant correct :
pour le nombre de croisements du graphe biparti complet Km,n. Cette borne est conjecturĂ©e ĂȘtre le nombre de croisements pour tous les graphes bipartis complets[9].
Graphes complets et coloration de graphes
Le problÚme de la détermination du nombre de croisements d'un graphe complet a été posé pour la premiÚre fois par Anthony Hill en 1960[10]. Hill et son collaborateur John Ernest étaient deux artistes constructivistes fascinés par les mathématiques. Ils ont non seulement formulé ce problÚme, mais ont également proposé une conjecture pour ce nombre de croisements, que Richard K. Guy a publiée en 1960[10]. On sait qu'il existe toujours un tracé avec
croisements. Cette formule donne les valeurs 1, 3, 9, 18, 36, 60, 100, 150 pour p = 5, ..., 12 ; (suite A000241 de l'OEIS). La conjecture est qu'il ne peut y avoir de meilleur tracĂ©, de sorte que cette formule donne le nombre optimal de croisements pour les graphes complets. Une formulation indĂ©pendante de la mĂȘme conjecture a Ă©tĂ© faite par Thomas L. Saaty en 1964[11].
Saaty a en outre vérifié que cette formule donne le nombre optimal de croisements pour p †10 et Pan et Richter ont montré qu'elle était également optimale pour p = 11, 12[12].
La conjecture d'Albertson, formulée par Michael O. Albertson en 2007, déclare que, parmi tous les graphes de nombre chromatique n, le graphe complet Kn a le nombre minimum de croisements. On sait aujourd'hui que la conjecture d'Albertson est valable pour n †16.[13]
Graphes cubiques
Les plus petits graphes cubiques avec les nombres de croisement 1..., 8 et 11 sont connus (suite A110507 de l'OEIS). Le plus petit graphe cubique à 1 croisement est le graphe biparti complet K3,3, avec 6 sommets. Le plus petit graphe cubique à 2 croisements est le graphe de Petersen, avec 10 sommets. Le plus petit graphe cubique à 3 croisements est le graphe de Heawood, avec 14 sommets. Le plus petit graphe cubique à 4 croisements est le graphe de Möbius-Kantor, avec 16 sommets. Le plus petit graphe cubique à 5 croisements est le graphe de Pappus, avec 18 sommets. Le plus petit graphe cubique à 6 croisements est le graphe de Desargues, avec 20 sommets. Aucun des quatre graphes cubiques à 7 croisements, avec 22 sommets, n'est parfaitement connu[14]. Les plus petits graphes cubiques à 8 croisements incluent le graphe de Nauru et le graphe de McGee ou (3,7)-cage, avec 24 sommets[15]. Les plus petits graphes cubiques à 11 croisements incluent le graphe de Coxeter avec 28 sommets.
En 2009, Pegg et Exoo ont conjecturĂ© que le plus petit graphe cubique avec un nombre de croisements valant 13 est le graphe de TutteâCoxeter, valant 170 est le 12-cage de Tutte[15] - [16].
Complexité et approximation
En gĂ©nĂ©ral, la dĂ©termination du nombre de croisements d'un graphe est difficile ; Garey et Johnson ont montrĂ© en 1983 qu'il s'agissait d'un problĂšme NP-difficile[17]. En fait, le problĂšme reste NP-difficile mĂȘme lorsqu'il est restreint aux graphes cubiques[18] et aux graphes quasi-planaires (graphes qui deviennent planaires aprĂšs suppression d'un seul sommet)[19]. Un problĂšme Ă©troitement liĂ©, Ă savoir la dĂ©termination du nombre de croisements rectilignes, est complet pour la thĂ©orie existentielle sur les rĂ©els[20].
Il existe des algorithmes efficaces pour dĂ©terminer si le nombre de croisements est infĂ©rieur Ă une constante fixe k. En d'autres termes, le problĂšme est traitable Ă paramĂštre fixe[21] - [22]. Il existe Ă©galement des algorithmes d'approximation efficaces pour approximer cr(G) sur des graphes de degrĂ© bornĂ©.[23] En pratique, des algorithmes heuristiques sont utilisĂ©s, tels que l'algorithme simple qui commence sans arĂȘtes et ajoute continuellement chaque nouvelle arĂȘte d'une maniĂšre qui produit le moins de croisements supplĂ©mentaires possible. Ces algorithmes sont utilisĂ©s dans le projet de calcul distribuĂ© Rectilinear Crossing Number[24].
L'inégalité du nombre de croisements
Pour un graphe non orientĂ© G avec n sommets et e arĂȘtes tels que e > 7n, le nombre de croisements minorĂ© par
- .
Cette relation entre les arĂȘtes, sommets et nombre de croisements a Ă©tĂ© trouvĂ© indĂ©pendamment par Ajtai, ChvĂĄtal, Newborn et SzemerĂ©di[25] et par Leighton[26]. Il est connu sous le nom d'inĂ©galitĂ© des nombres de croisement ou de lemme de croisement.
La constante 29 est la meilleure connue Ă ce jour et est due Ă Ackerman[27]. La constante 7 peut ĂȘtre abaissĂ©e Ă 4, mais au dĂ©triment 64 Ă la place de 29. [25] - [26]
Székely a montré que cette inégalité donnait des preuves trÚs simples de certains théorÚmes importants de la géométrie d'incidence, tels que le théorÚme de Beck, et le théorÚme de Szemerédi-Trotter[28].
Nombre de croisements rectilignes
Les nombres de croisement rectilignes pour à Kn pour n de 5 à 12 sont 1, 3, 9, 19, 36, 62, 102, 153, (suite A014540 de l'OEIS). Les valeurs sont connues jusqu'à K27, et K28 à un nombre de croisements rectilignes égal à 7233 ou 7234. D'autres valeurs sont collectées par le projet Rectilinear Crossing Number[24].
Références
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