No-kill
Le no-kill (« pas de mise Ă mort ») est une pratique dĂ©veloppĂ©e par les pĂȘcheurs sportifs amĂ©ricains au cours du XXe siĂšcle d'abord avec les salmonidĂ©s, puis avec d'autres espĂšces[1]. Elle est de plus en plus utilisĂ©e en Europe, notamment dans les zones polluĂ©es oĂč la consommation des poissons est interdite ou dĂ©conseillĂ©e.
Certains pĂȘcheurs prĂ©fĂšrent manipuler le poisson sous l'eau dans une Ă©puisette, afin de ne pas abĂźmer la couche de mucus protecteur qui le protĂšge notamment des attaques de champignons (mycoses) et bactĂ©ries pathogĂšnes
Mais cette pratique tue nĂ©anmoins beaucoup de poissons. Selon les estimations en provenance du QuĂ©bec, la pratique consistant Ă attraper et relĂącher les poissons tue jusquâĂ 50% des poissons relĂąchĂ©s qui meurent en raison de leurs blessures et de la manipulation. Dans le cas des truites mouchetĂ©es, 1,6 million dâindividus meurent aprĂšs ĂȘtre relĂąchĂ©s dans un lac chaque annĂ©e au QuĂ©bec[2].
Terminologie
Le terme « no-kill » est la transposition imagée et plus explicite de l'expression anglaise « catch and release » (« attraper et relùcher »). On parle également de « graciation »[3] ou de « prendre et relùcher »[4].
Le Grand dictionnaire terminologique prĂ©conise « lieu de pĂȘche avec remise Ă l'eau des prises obligatoire » pour « no kill fishing area »[5].
Histoire
Il s'agissait au dĂ©part de remettre Ă l'eau les poissons jugĂ©s trop petits, ou lĂ©galement trop petits (quand des rĂ©glementations ont commencĂ© Ă ĂȘtre instituĂ©es pour Ă©viter de surexploiter la ressource halieutique en tuant les poissons juvĂ©niles avant mĂȘme qu'ils n'aient pu se reproduire). La mĂ©thode de capture et relĂącher a donc d'abord Ă©tĂ© une mĂ©thode de gestion des ressources halieutiques et de la pĂȘche sportive[6].
Elle semble avoir Ă©tĂ© utilisĂ©e pour la premiĂšre fois en 1954 aux Ătats-Unis sous forme de « pĂȘche avec remise Ă l'eau » obligatoire dans le Parc national des Great Smoky Mountains[7]. Trente ans plus tard, la plupart des Ătats et provinces d'AmĂ©rique du Nord avaient dĂ©veloppĂ© de tels programmes (gĂ©nĂ©ralement pour la truite et le blackbass dans un premier temps), et qui parfois s'appliquaient sĂ©lectivement en fonction du contexte (productivitĂ© de l'environnement, de la longĂ©vitĂ© des poissons en question)[7]. Les autoritĂ©s concernĂ©es avaient une exigence de strict respect de ces rĂšglements spĂ©ciaux par les pĂȘcheurs lĂ oĂč cette mĂ©thode nouvelle Ă©tait mise en Ćuvre. Ces autoritĂ©s ont naturellement pensĂ© que les pĂȘcheurs accepteraient mieux ces nouvelles rĂ©glementations lĂ oĂč elles Ă©taient imposĂ©es si des experts apportaient des preuves biologiques manifestes de lâefficacitĂ© du no-kill en termes de prĂ©servation ou restauration des ressources halieutiques. Elles ont donc financĂ© un certain nombre d'Ă©tudes pour Ă©valuer les effets du no-kill. Peu Ă peu, en raison du recul de nombreuses espĂšces marines, le no-kill s'est aussi dĂ©veloppĂ© chez certains pĂȘcheurs sportifs en mer[7].
Ă la fin du XXe siĂšcle, le no-kill est devenu (dont en Europe) chez un nombre croissant de pĂȘcheurs une pratique et une Ă©thique de pĂȘche consistant Ă relĂącher volontairement et systĂ©matiquement les poissons pĂȘchĂ©s, qu'ils atteignent ou non la taille lĂ©gale de capture fixĂ©e par la rĂ©glementation.
Adeptes
En mer, les pĂȘcheurs de poissons Ă rostre (espadons et marlins) pratiquent de plus en plus souvent le tag and release, qui consiste Ă marquer le poisson avant de le relĂącher.
En France, les principaux adeptes du no-kill se rencontrent chez les pĂȘcheurs de carpe et les pĂȘcheurs Ă la mouche.
En eau douce
En France le nombre de « parcours no-kill » (parcours oĂč la pratique du no-kill est obligatoire) est en hausse, sans pour autant atteindre le nombre ou le linĂ©aire (moyen ou cumulĂ©) des grands pays de pĂȘche sportive.
En mer
Cette pratique reste trĂšs marginale en France en eau salĂ©e. Aux Ătats-Unis, la pratique du tag and release en mer a dĂ©jĂ Ă©tĂ© rendue obligatoire par les autoritĂ©s pour gĂ©rer les stocks de poissons Ă rostre, sans interdire la pĂȘche de loisir. De puissantes associations (The Billfish Foundation par exemple) mettent en avant cette pratique des pĂȘcheurs de loisir pour obtenir des rĂ©ductions des prĂ©lĂšvements de la part des professionnels, afin de partager Ă©quitablement la ressource. Le no-kill devient alors Ă©galement un acte politique.
Efficacité et limites
DĂšs les annĂ©es 1950, dans le Michigan, des scientifiques confirment des observations faites par les pĂȘcheurs : une truite risque bien plus de mourir une fois mise en bassin aprĂšs avoir Ă©tĂ© pĂȘchĂ©e si elle a Ă©tĂ© pĂȘchĂ©e avec un ver montĂ© sur un hameçon « normal » que si elle a Ă©tĂ© pĂȘchĂ©e Ă la mouche au moyen d'un leurre montĂ© sur un hameçon propre[8].
Dans les annĂ©es 1970, quelques Ă©tudes nord amĂ©ricaines ont d'abord portĂ© sur l'effet des blessures par hameçons chez les saumons remis Ă l'eau[9], puis chez l'achigan Ă grande bouche[6] - [10] (Micropterus salmoides, qu'on appelle aussi black-bass, ou encore perche truitĂ©e et perche noire en Europe francophone, oĂč il a Ă©tĂ© introduit par des pĂȘcheurs) puis sur l'achigan Ă petite bouche (Micropterus dolomieu) qui n'atteint pas sa maturitĂ© sexuelle avant l'Ăąge de 4 ans.
Des études tentent aussi d'évaluer les impacts subléthaux du stress induits par la capture par hameçon.
Dans les annĂ©es 1980, de premiĂšres Ă©tudes ont alertĂ© sur le fait que le no-kill pratiquĂ© avec un appĂąt vivant Ă©tait responsable d'une surmortalitĂ© qui pouvait en bassin expĂ©rimental ĂȘtre multipliĂ©e par 10 environ. Par exemple, des chercheurs voulaient voir si le no-kill pouvait ĂȘtre appliquĂ© Ă d'autres espĂšces que les salmonidĂ©s, et en particulier Ă des poissons vivant dans des eaux plus chaudes. Ils ont capturĂ© par pĂȘche Ă©lectrique cinquante-quatre achigans Ă petite bouche de taille et d'Ăąge diffĂ©rents maintenus en captivitĂ© durant 15 jours dans deux torrents artificiels. Durant ces deux semaines, tous ceux qui ont mordu Ă lâhameçon ont Ă©tĂ© immĂ©diatement remis Ă l'eau (suivant la mĂ©thode du no-kill). Dans un des rĂ©servoirs, ils Ă©taient pĂȘchĂ©s avec un leurre artificiel et dans l'autre avec un petit poisson utilisĂ© comme appĂąt vivant (l'appĂąt Ă©tait un MenĂ©, petit CyprinidĂ©). Durant l'expĂ©rience ou peu aprĂšs 11 % des poissons pĂȘchĂ©s avec un appĂąt vivant sur hameçon simple sont morts, contre aucun au sein du lot pĂȘchĂ© avec un appĂąt artificiel Ă hameçon triple. Et 4 % de ceux qui n'ont pas mordu Ă lâhameçon sont Ă©galement morts. Le protocole scientifique de cette Ă©tude Ă©tant lĂ©ger, les auteurs ont encouragĂ© Ă refaire ce genre d'Ă©tude et Ă envisager d'interdire la pĂȘche no-kill avec appĂąts vivants si ces rĂ©sultats Ă©taient confirmĂ©s.
De nombreuses Ă©tudes scientifiques menĂ©es en AmĂ©rique du Nord tendent Ă montrer que le taux de survie des poissons relĂąchĂ©s en pĂȘchant aux leurres artificiels avec des hameçons simples est trĂšs satisfaisant (atteignant 97 %)[11].
Ce taux de survie décroßt quand l'utilisation d'appùts naturels est autorisée, sauf avec des hameçons circle, généralement utilisés pour les grands poissons marins.
Afin d'éviter de blesser davantage les poissons, les pratiquants du no-kill écrasent les ardillons des hameçons et privilégient les hameçons simples par rapport aux hameçons doubles ou triples. De plus, afin d'accroitre leurs chances de survie, les poissons sont manipulés avec précautions et capturés le plus rapidement possible afin qu'ils ne soient pas trop épuisés lors de leur remise à l'eau. Il est ainsi courant de ne pas sortir les poissons de l'eau et d'utiliser une épuisette.
En France un groupe national de onze experts (en hydrologie, hydrogĂ©ologie, biogĂ©ochimie de lâeau, Ă©cotoxicologie, pathologie des poissons, Ă©cologie aquatique, etc.) a Ă©tĂ© formĂ© par l'ONEMA en , pour travailler durant un an Ă expliquer plusieurs cas encore inexpliquĂ©s de mortalitĂ© massive de poissons dans certaines parties de cours d'eau de premiĂšre catĂ©gorie (Doubs et Loue dans le Jura en 2010 et 201)[12]. Ce groupe considĂšre que :
- « lâimpact de certaines pratiques de pĂȘche et de gestion piscicole sur lâĂ©tat sanitaire des peuplements de poissons est encore mĂ©connu. Cela concerne par exemple la pratique du no kill qui est probablement stressante pour les poissons ou le repeuplement de la riviĂšre avec des poissons nâayant fait lâobjet dâaucun contrĂŽle sanitaire et/ou gĂ©nĂ©tique. Ces pratiques peuvent dans certaines conditions, fragiliser les populations piscicoles et favoriser le dĂ©veloppement et la dispersion de pathogĂšnes ».
Notes et références
- Clapp, D. F., & Clark JR, R. D. (1989). Hooking mortality of smallmouth bass caught on live minnows and artificial spinners, North American Journal of Fisheries Management, 9(1), 81-85.
- https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1736163/peche-truites-mouchetees-mort-remise-eau-interdiction-quebec
- CĂ©cile Rousseau, « Le pĂȘcheur No-Kill remet le poisson Ă l'eau », Ouest-France, 14 mars 2010 : « BenoĂźt Lefebvre, chargĂ© de mission Ă la FĂ©dĂ©ration interdĂ©partementale de la pĂȘche de Paris, parle aussi de « graciation ». ».
- Dave Whitlock (trad. de l'anglais par Gabrielle Fourquet et Christian Fourquet), Le manuel de la pĂȘche Ă la mouche [« Fly fishing handbook »], Paris, Ăditions du gerfaut, , 179 p. (ISBN 978-2-901196-75-4 et 2901196756, OCLC 467977687, lire en ligne), p. 165.
- « no-kill », Grand Dictionnaire terminologique, Office québécois de la langue française
- Rutledge WP & Pritchard DL (1977), Hooking mortality of largemouth bass captured by artificial lures and natural bait, pages 109-118 in Barnhart A & Roelofs TD, editors, Catch-and-release fishing as a management tool, California Cooperative Fishery Research Unit, Arcata.
- Barnhart RA (1989). Symposium review: catch-and-release fishing, a decade of experience. North American Journal of Fisheries Management, 9(1), 74-80 (résumé).
- Shelter DS & Allison LN (1955) Comparison of mortality between fly-hooked and worm-hooked trout in Michigan streams. Michigan Department of Conservation, Institute for Fisheries Research Miscellaneous Publication 9, Ann Arbor.
- Warner K (1978), Hooking mortality of lake-dwelling landlocked Atlantic salmon, Salmo salar, Transactions of the American Fisheries Society, 107:518-522.
- Pelzman RJ (1978) Hooking mortality of juvenile largemouth bass, Micropterus salmoides. California Fish and Game 64:185-188.
- « Une partie de pĂȘche assis dans un fauteuil flottant sur le lac », sur midilibre.fr (consultĂ© le )
- Onema (Humbert JF & al.) (2012) Rapport dâexpertise sur les mortalitĂ©s de poissons et les efflorescences de cyanobactĂ©ries de la Loue. Ătude du fonctionnement de la Loue et de son Bassin Versant ; rapport final (expertise mandatĂ©e par le PrĂ©fet du Doubs) ; 9 mars 2012 (PDF, 42 p.).
Voir aussi
Articles connexes
Bibliographie
- Gigliotti LM (1989), No-kill fishing regulations: an assessment of the social and recreational characteristics and behaviors of Michigan stream trout anglers with special consideration of anglers on selected sections of the Au Sable River (ThĂšse de Doctorat soutenue Ă l'universiĂ© d'Ătat du Michigan ; Department of Fisheries and Wildlife).