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Nigra sum

Nigra sum, sed formosa (« Je suis noire mais belle » en latin) est un vers de la Vulgate, traduction de la Bible par Jérôme de Stridon. Elle figure dans le Cantique des cantiques (1:5) qui fait partie des « livres poétiques » de l’Ancien Testament. Or, dans le texte d'origine, en hébreu, il est écrit : « Je suis noire et belle ».

L'expression Nigra sum a inspiré de nombreuses œuvres musicales.

Le texte de la Vulgate

Le texte vient de la traduction de la Bible hébraïque ou Ancien Testament, le Cantique des cantiques (שיר השירים, Chir HaChirim) (Ct 1:5) qui est un poème interprété symboliquement chez les Juifs comme une déclaration de l'amour entre Dieu et son peuple Israël[1], et expliqué chez les chrétiens comme la comparaison de l'amour de l'homme pour sa fiancée avec l'amour du Christ pour son Église.

« Nigra sum sed formosa, filiæ Jerusalem. Ideo dilexit me Rex et introduxit me in cubiculum suum. Et dixit mihi : surge et veni amica mea. Jam hiems transit imber abit et recessit. Flores apparuerunt in terra nostra. Tempus putationis advenit. Alleluia. »

« Je suis noire mais je suis belle, filles de Jérusalem. Aussi le roi m'a-t-il aimée et conduite dans ses appartements, Et il m'a dit : « Lève-toi, mon amie, et viens. L'hiver enfin s'en est allé, la pluie nous quitte et s'éloigne, les fleurs ont fait leur apparition sur la terre, le temps de la taille est venu. Alléluia. »

La traduction du waw

Dans ce poème d'amour allégorique issu de la Bible hébraïque, le vers se présente ainsi :

  • Texte hébraïque : שחורה אני ונאוה, chehora ani ve nava : « je suis noire et belle »[2] (coordination des deux adjectifs). La lettre waw, agglutinée à l'adjectif nava, signifie « et » en hébreu[3].
  • Traduction latine : Nigra sum sed formosa : « Je suis noire mais belle »[4] (opposition des deux adjectifs). Le mot sed, en latin, signifie « mais ».

Toutes les versions postérieures à la Vulgate traduisent pendant des siècles, au moins par tradition, une opposition entre « noire » et « belle »[5] en utilisant « mais / cependant / néanmoins », une « opposition sémantique entre l’idée de noirceur et celle de beauté », alors que littéralement et originellement, il n'existe qu'un lien additif et même d'enchérissement dans le texte hébraïque grâce à la lettre ו vaw (« et »), conjonction de coordination qui lie les deux adjectifs qualifiant la bienaimée[6].

Les Pères de l'Église ont donné une interprétation théologique à ce « mais », ainsi que l'a rappelé Joseph Ratzinger devant la Commission théologique internationale en 2000 :

« Les Pères de l’Église ont trouvé un résumé du paradoxe que sont la faute et la grâce dans la parole de l’Épouse du Cantique des Cantiques : "Nigra sum sed formosa" - "je suis souillée par les péchés, mais belle", belle malgré tout, par ta grâce et par tout ce que tu as fait. L’Église peut franchement, et avec confiance, confesser les péchés du passé et du présent, en sachant que le mal ne la détruira jamais complètement, en sachant que le Seigneur est plus fort et qu’il la renouvelle, pour qu’elle soit un instrument des bienfaits de Dieu dans notre monde[7]. »

Judaïsme

Dans le judaïsme, le Cantique des Cantiques (Chir HaChirim) - qui fait partie du canon des Écritures juives - est lu depuis le Ier siècle à la synagogue lors du Shabbat de Pessa'h (soit le 7e jour de la fête) et dans la tradition séfarade, lors de l’office de chaque vendredi soir, afin d'accueillir dignement la « fiancée Shabbat » - bien que le rituel ashkénaze ne l'exclut pas[8] - [1]. Alors que le Talmud parle déjà « d’un accueil du Shabbat qui se fait sur le mode nuptial », les kabbalistes opèrent, depuis le XVe siècle, une identification des éléments du Cantique en personnalisant clairement la Fiancée, la Shekinah et le Shabbat[1].

Sa « cantilation est précédée par la prière : «Viens, mon Bien-aimé, au devant de la Fiancée, le Shabbat paraît, allons le recevoir... » (Lekha Dodi…). Ensuite, le Cantique est psalmodié »[1]. S'il n’est pas possible de dire tout le Cantique, le rituel conseille une prière composée de quatre versets du Cantique[1].

Catholicisme

Dans le catholicisme, cette antienne est chantée aux Vêpres[9], dites « Vêpres de la Très Sainte Vierge », après le psaume 112 (en) (Laudate pueri) et le psaume 121 (Lætatus sum), qu'elle introduit[10].

Œuvres littéraires

Dans le roman français Une vieille maîtresse de Jules Barbey d'Aurevilly, de 1851[11], il est écrit : « [...] la nuit s'avançait, noire, mais belle, comme la Fille du Cantique des cantiques. »[12], qui est une référence explicite au verset cité[13].

Les vers d'un poème pétri d'oxymores de Charles Baudelaire lui font écho[13] :

« Elle est belle, et plus que belle : elle est surprenante. En elle le noir abonde : et tout ce qu'elle inspire est nocturne et profond. Ses yeux sont deux antres où scintille vaguement le mystère, et son regard illumine comme l'éclair : c'est une explosion dans les ténèbres. Je la comparerais à un soleil noir, si l'on pouvait concevoir un astre noir versant la lumière et le bonheur...»[14].

Nigra sum sed formosa est le titre du chapitre dans lequel est donnée la description de l'héroïne du roman d'Auguste de Villiers de l'Isle Adam de 1886, L'Eve future.

Œuvres musicales

Incipit de la partition du Nigra sum de Carlo G., c. 1620.

L'antienne Nigra Sum a été mise en musique par de nombreux compositeurs, notamment :

Motets :

Messes :

Discographie

(sélection)

Notes et références

  1. « La liturgie synagogale : Le Cantique des Cantiques de Salomon », sur harissa.com, (consulté le )
  2. Transcription de Henri Meschonnic, Poétique du traduire, Lagrasse, Verdier, 1999, p. 128.
  3. Mot à mot, la phrase signifie : « Noire je [suis] et belle. »
  4. Traduction de Jérôme de Stridon dans la Vulgate
  5. Traduction d'une opposition entre « noire » et « belle » notamment dans les Bibles de : Olivétan, 1535 ; Castellion, 1555 ; Port-Royal, 1701 ; Calmet, 1726 ; Ostervald, 1744 ; Renan, 1860 ; Segond, 1874 ; Crampon, 1938 ; Bible de Jérusalem ; Pléiade, 1956 ; Osty, 1973 ; Traduction œcuménique, 1976 ; Bible en français courant, 1982 ; Bible du Semeur, 1992. Seule la Bible des Écrivains (2001) traduit : « Je suis noire et magnifique ». Source
  6. Claire Placial, « « Je suis noire et belle ». Sur les traductions de Ct 1,5, et sur l’importance du mot “et” », sur langues de feu, (consulté le )
  7. Commission théologique internationale, « Mémoire et repentance ».
  8. Sophie Pujas, « Oser lire « Le Cantique des cantiques » » Accès limité, sur Le Point, (consulté le )
  9. Antienne 3 des premières vêpres des fêtes de la sainte Vierge (bréviaire romain)
  10. Vespéral dominical, en notation grégorienne, Paris, Schola Cantorum, , 105+568*+146, p.33*
  11. Jules Barbey d'Aurevilly (1808-1889), Une vieille maîtresse, (lire en ligne)
  12. Barbey d’Aurevilly, Une vieille maîtresse, Garnier-Flammarion, Paris, 1996, p. 390.
  13. Eric Hendrycks, « Nigra sum sed formosa, ou l'épiphanie de la nuit dans Une vieille maîtresse et l'Eve future », Bulletin de Littérature ecclésiastique, vol. 113, no 2, , p. 201 (lire en ligne, consulté le )
  14. Charles Baudelaire, “Le désir de peindre”, Le Spleen de Paris - Petits poèmes en prose, Editions la Pléiade, p.341.
  15. Marc Vignal, Larousse de la Musique, Paris, Larousse, , 864 p. (ISBN 2-03-511303-2), p.249
  16. Nigra sum, sed formosa - motet sur data.bnf.fr
  17. André Pirro, Histoire de la musique de la fin du XIVe siècle à la fin du XVIe siècle, Paris, Librairie Renouard, H. Laurens, , 371 p., pp.299-300
  18. Nigra sum sur cpdl.org
  19. Edmond Lemaître, La Musique sacrée, Paris, Fayard, , 828 p. (ISBN 2-213-02606-8), p.565
  20. Marc Honegger, Dictionnaire des œuvres de l'art vocal, t. III, Paris, Bordas, , 2377 p. (ISBN 2-04-018533-X), p.2170
  21. « ks.imslp.net »
  22. imslp.info
  23. Marc Honegger, Dictionnaire de la musique, Paris, Bordas, 1970-rééd.1993 (ISBN 2-04-019972-1), p. 1121
  24. Bernard Foccroulle sur francemusique.fr
  25. Bernard Foccroulle, Nigra Sum, Paris, Henry Lemoine, (ISMN 9790230991049)
  26. [vidéo] Disponible sur YouTube

Bibliographie

Articles connexes

Liens externes

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