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Nadejda KroupskaĂŻa

Nadejda Konstantinovna KroupskaĂŻa (en russe : ĐĐ°ĐŽĐ”Đ¶ĐŽĐ° ĐšĐŸĐœŃŃ‚Đ°ĐœŃ‚ĐžĐœĐŸĐČĐœĐ° КрупсĐșая), nĂ©e Ă  Saint-PĂ©tersbourg le 14 fĂ©vrier 1869 ( dans le calendrier grĂ©gorien) et morte Ă  Moscou le , Ă©tait l'Ă©pouse de LĂ©nine. PĂ©dagogue de mĂ©tier (docteur en Ă©ducation[1]), elle est surtout connue en tant que militante bolchĂ©vique et collaboratrice politique de son Ă©poux.

Nadejda KroupskaĂŻa
ĐĐ°ĐŽĐ”Đ¶ĐŽĐ° КрупсĐșая
Description de cette image, également commentée ci-aprÚs
Nadejda KroupskaĂŻa en 1895.
Naissance
Saint-PĂ©tersbourg,
Empire russe
DĂ©cĂšs
Moscou, RSFSR, URSS
Nationalité Drapeau de la Russie Russe (de 1869 à 1917)
Drapeau de la république socialiste fédérative soviétique de Russie Russe (de 1917 à 1922)
Drapeau de l'URSS Soviétique (de 1922 à 1939)
Distinctions
Conjoint
Vladimir Oulianov dit Lénine (né en 1870, mariés de 1898 à 1924, mort en 1924)
Signature de Nadejda KroupskaĂŻaĐĐ°ĐŽĐ”Đ¶ĐŽĐ° КрупсĐșая

Les premiers pas du militantisme marxiste

Nadejda KroupskaĂŻa.

Nadejda KroupskaĂŻa naĂźt au sein d’une famille de petite noblesse. Son pĂšre, Konstantin Krupski, est un officier dont la carriĂšre militaire a Ă©tĂ© brisĂ©e par ses opinions politiques. AprĂšs sa mort, en 1883, sa mĂšre, nĂ©e Elizaveta Vassilievna Tistrova (1843-1915), ancienne gouvernante, l’élĂšve en dĂ©fendant elle aussi des idĂ©es libĂ©rales, celles d’une intelligentsia qui accepte de plus en plus mal les principes de l’autocratie. Cette Ă©ducation influence nettement la jeune fille qui dĂ©montre par ailleurs d’évidentes capacitĂ©s scolaires ainsi qu’une insatiable curiositĂ© intellectuelle.

AprĂšs avoir brillamment achevĂ© ses Ă©tudes secondaires, KroupskaĂŻa Ă©tudie la pĂ©dagogie aux cours Bestoujev pendant une annĂ©e (1889-1890), mais ne parvient pas, ensuite, Ă  trouver un emploi d’institutrice ni en province, ni dans la capitale. Elle doit alors se contenter de donner des leçons particuliĂšres. Elle exerce aussi comme rĂ©pĂ©titrice dans un internat. Elle y fait preuve d’un vĂ©ritable don pour l’enseignement.

MarquĂ©e par son Ă©ducation, Nadejda a trĂšs vite Ă©pousĂ© les idĂ©aux progressistes. Elle s’intĂ©resse aux thĂ©ories marxistes, qui supplantent peu Ă  peu en Russie le courant populiste. Son engagement politique appuie une activitĂ© pĂ©dagogique de plus en plus tournĂ©e vers les pauvres. À partir de 1891, elle se consacre ainsi Ă  l’alphabĂ©tisation des enfants et des adultes de familles ouvriĂšres en donnant des cours du soir aux travailleurs dans une Ă©cole du dimanche de Saint-PĂ©tersbourg.

ConfrontĂ©e Ă  la dure rĂ©alitĂ© d’une vie ouvriĂšre issue du vigoureux dĂ©veloppement industriel de la Russie Ă  la fin du XIXe siĂšcle[2], KroupskaĂŻa s’attache Ă  dĂ©noncer ces contrastes sociaux. Grande lectrice, elle dĂ©vore les ouvrages Ă  rĂ©sonance sociale, avec un intĂ©rĂȘt de plus en plus marquĂ© pour les fondateurs du communisme, Karl Marx et Engels, auteurs dont elle remarque elle-mĂȘme que les traductions dont elle dispose se limitent Ă  des fragments du Capital tandis que les autres Ɠuvres des philosophes, en premier lieu le Manifeste du parti communiste, sont introuvables en Russie.

DĂšs 1890, KroupskaĂŻa devient membre d’un cercle d’étudiants marxistes. Elle travaille dĂšs lors vigoureusement Ă  rĂ©pandre les idĂ©es rĂ©volutionnaires parmi les travailleurs qu’elle cĂŽtoie lors de ses leçons d’alphabĂ©tisation. Ces cinq annĂ©es d’activisme lient dĂ©finitivement la jeune fille noble aux milieux prolĂ©taires, puis, un peu plus tard, Ă  Vladimir Oulianov. Durant l’automne 1893, en effet, elle dĂ©couvre ce « marxiste trĂšs savant » en lisant un de ses textes, une Ă©tude Ă©conomique dans laquelle elle apprĂ©cie, en bonne pĂ©dagogue, la clartĂ© d’expression et la nettetĂ© d’analyse.

Un premier exil au service du marxisme et de LĂ©nine

Photographie d'identité judiciaire de Nadejda Kroupskaïa.

L’annĂ©e suivante, elle rencontre LĂ©nine lors d’une confĂ©rence organisĂ©e Ă  Saint-PĂ©tersbourg. Elle remarque son Ă©nergie comme son sens trĂšs vif de la polĂ©mique, voire du sarcasme. En 1895, KroupskaĂŻa adhĂšre Ă  l’Union de lutte pour la libĂ©ration de la classe ouvriĂšre, fondĂ©e Ă  Saint-PĂ©tersbourg par Oulianov. DĂšs lors, les destins des deux militants se rencontrent, vie privĂ©e et vie publique s’associant alors dĂ©finitivement aux yeux de l’histoire. Collaboratrice attentive, Nadejda prĂ©pare les congrĂšs et les confĂ©rences du mouvement mais ne se cantonne pas Ă  ce rĂŽle secondaire. Elle participe activement, entre arrestations et emprisonnements, aux dĂ©bats du Parti et Ă  la diffusion d’articles de propagande.

En , Vladimir Oulianov est arrĂȘtĂ© puis exilĂ© pour trois ans en SibĂ©rie. CondamnĂ©e peu aprĂšs, KroupskaĂŻa est envoyĂ©e Ă  Oufa en Bachkirie, Ă  des milliers de kilomĂštres du premier, assignĂ© Ă  rĂ©sidence dans la bourgade de ChouchenskoĂŻe, sur le fleuve IenisseĂŻ, Ă  l’est de Novossibirsk. Pour le retrouver, Nadejda se dĂ©clare sa « fiancĂ©e », ce qui lui permet de le rejoindre en toute lĂ©galitĂ© en pour l’épouser en suivant.

Leurs conditions de vie ne sont pas celles du bagne. Libre d’aller et venir, le couple Oulianov, auquel s’est rapidement associĂ©e la mĂšre de KroupskaĂŻa[3], mĂšne aux confins de l’empire une vie studieuse. De multiples lectures s’associent Ă  des travaux de traduction d’ouvrages britanniques, moyen pour le couple d’apprendre l’anglais qui va lui servir plus tard[4]. Ils entretiennent aussi une correspondance trĂšs active, reçoivent et visitent tous les militants exilĂ©s comme eux dans la rĂ©gion.

En , la libĂ©ration d’Oulianov — qui prend alors le pseudonyme de LĂ©nine[5] — permet au couple de quitter la Russie. Avec un dĂ©calage de quelques semaines, KroupskaĂŻa rejoint son Ă©poux Ă  Munich. L’émigration marxiste russe en Allemagne[6] est alors tout entiĂšre tournĂ©e vers la publication d’un journal de propagande, Iskra, qui paraĂźt en Ă  Stuttgart avec le soutien efficace des militants du SPD.

« De l’étincelle jaillira la flamme (de la RĂ©volution) » ainsi que l’annonce un premier numĂ©ro oĂč se retrouvent tous les leaders du POSDR, Ă  cette Ă©poque encore alliĂ©s sur les mots d’ordre marxistes : Julius Martov, Alexandre Potressov, Georgui Plekhanov, VĂ©ra Zassoulitch, Pavel Axelrod. Ces trois derniers, fondateurs, dix ans plus tĂŽt, du groupe « LibĂ©ration du Travail » ne suivent pas toujours les choix stratĂ©giques de LĂ©nine auquel Nadejda, Ă  l’inverse, donne un soutien absolu alors mĂȘme qu’elle gĂšre l’intendance au quotidien avec une grande abnĂ©gation.

Nadejda KroupskaĂŻa.

KroupskaĂŻa dĂ©couvre en Allemagne le milieu des intellectuels exilĂ©s, leurs qualitĂ©s et leurs dĂ©fauts. Elle remarque leur Ă©loignement des rĂ©alitĂ©s russes, PlĂ©khanov surtout, selon elle incapable de saisir les nouveaux Ă©quilibres sociaux au sein de l’empire. Elle cĂŽtoie en revanche les militants ouvriers qui, prenant tous les risques, parcourent des milliers de kilomĂštres pour dĂ©livrer des messages. Sans en connaĂźtre elle-mĂȘme toute la rigueur[7], elle partage aussi les incertitudes d’une vie de rĂ©volutionnaire professionnel oĂč, Ă  de banales difficultĂ©s matĂ©rielles, s’associent les impĂ©ratifs d’une existence clandestine basĂ©e sur le secret.

Durant cette pĂ©riode d’émigration, secrĂ©taire d’Iskra, KroupskaĂŻa visite Ă©coles et bibliothĂšques, rencontre des enseignants, s’intĂ©resse aux mĂ©thodes pĂ©dagogiques locales. Ces travaux lui permettent de dresser un bilan critique des enseignements. Elle associe thĂ©orie et pratique pĂ©dagogiques aux prĂ©ceptes marxistes, ce qui sera son apport le plus original dans ce domaine car personne, avant elle, n’avait reliĂ© l’enseignement Ă  ces concepts. Elle partage aussi des discussions avec LĂ©nine, alors tout entier concentrĂ© Ă  l’écriture de son fameux Que faire ?.

En , KroupskaĂŻa arrive Ă  Londres, rejointe quelques mois plus tard par sa mĂšre. Soucieux d'approfondir ses bases thĂ©oriques dans la ville oĂč Karl Marx a vĂ©cu la derniĂšre pĂ©riode de sa vie[8], LĂ©nine travaille Ă  la bibliothĂšque du British Museum au moment oĂč les clivages au sein du POSDR se font plus rudes. En , Ă©chappĂ© de SibĂ©rie, Trotski rejoint l’Angleterre, Ă©missaire de l’Iskra Ă  l’exemple de ses camarades qui recueillent des renseignements, alimentent les publications, nouent des liens entre la Russie et les milieux d’émigration, sĂ©lectionnant les militants d’envergure qui assurent la relĂšve des camarades emprisonnĂ©s.

En , le couple s’établit Ă  GenĂšve oĂč s’édite Iskra tandis que le congrĂšs de Bruxelles, au mois de de la mĂȘme annĂ©e, marque la rupture au sein du Parti entre MenchĂ©viques et BolchĂ©viques. Peu aprĂšs, les premiers prennent le contrĂŽle du journal ce qui oblige les seconds, menĂ©s par LĂ©nine, Alexander Bogdanov, Anatoli Lounatcharski, Stepanov, Vladimir Alexandrovich Bazarov, Ă  lancer en un nouveau titre, Vperiod (En avant).

Une révolutionnaire professionnelle dévouée à la Révolution

KroupskaĂŻa (date inconnue, probablement avant 1910).

En , elle retourne en Russie, Ă  la suite de la rĂ©volution qui oblige le tsar Ă  libĂ©raliser les institutions, ouverture politique fugace dont profitent toutefois tous les opposants au rĂ©gime, SR, MenchĂ©viques et surtout BolchĂ©viques. Pour des raisons de sĂ©curitĂ©, elle ne partage pas la vie de LĂ©nine durant ce sĂ©jour dans la capitale mais devient secrĂ©taire du ComitĂ© Central. Peu aprĂšs, en dĂ©cembre, l’échec de l’insurrection oblige le couple Ă  quitter la Russie. DĂšs lors, KroupskaĂŻa va connaĂźtre une pĂ©riode d’errance Ă  travers l’Europe au grĂ© des refuges que le couple obtient auprĂšs de ses appuis extĂ©rieurs.

AprĂšs la Finlande et un court passage Ă  Berlin et le retour en Suisse, Nadejda dĂ©bute alors ce qu’elle nomme elle-mĂȘme la « seconde Ă©migration », la divisant en trois pĂ©riodes d’inĂ©gale importance. La premiĂšre de 1908 Ă  1911 — oĂč elle est Ă  GenĂšve puis Paris Ă  partir de — est celle de la rĂ©pression policiĂšre mais aussi celle de l’incertitude pour LĂ©nine et les BolchĂ©viques, attaquĂ©s de toutes parts par leurs adversaires, menchĂ©viques, « otzovistes », « constructeurs de Dieu » ou autres opposants internes ou externes. La seconde de 1911 Ă  1914 — KroupskaĂŻa se rapproche de la Russie en s’établissant Ă  Cracovie Ă  l’étĂ© 1912 — voit le parti bolchĂ©vique se dĂ©velopper, structurĂ© sur les principes lĂ©ninistes qui commencent Ă  faire leurs preuves contre les factions adverses. La troisiĂšme, enfin, de 1914 Ă  1917 — avec le retour en Suisse, Berne et Zurich — est celle oĂč la guerre, qui bouscule tous les repĂšres, offre peu Ă  peu aux bolchĂ©viques les conditions tant attendues de la prise du pouvoir.

Durant cette pĂ©riode d’exil et de combat, KroupskaĂŻa participe aux nombreux combats qui parsĂšment l’histoire du POSDR, aux cĂŽtĂ©s de LĂ©nine toujours soucieux de conserver la ligne correcte contre ses ennemis. Elle soutient aussi l’émancipation fĂ©minine, appuyant la crĂ©ation d’une « JournĂ©e internationale des femmes » proposĂ©e en 1910 par Clara Zetkin[9]. Lorsque son mari prend InĂšs Armand comme maĂźtresse, KroupskaĂŻa propose de s'effacer, mais LĂ©nine prĂ©fĂšre former avec elle et Armand un mĂ©nage Ă  trois, qui semble leur convenir Ă  tous[10]. KroupskaĂŻa et Armand travaillent notamment ensemble Ă  la publication du premier magazine Rabotnitsa (« OuvriĂšre ») en (la guerre interrompt rapidement la publication) et, un an plus tard, Ă  la « ConfĂ©rence internationale des femmes » organisĂ©e Ă  Berne.

KroupskaĂŻa n'abandonne pas pour autant son propre domaine d'Ă©tude. Elle Ă©tudie attentivement les Ɠuvres des grands pĂ©dagogues, Comenius, Jean-Jacques Rousseau, Johann Heinrich Pestalozzi, Constantin Ouchinsky, TolstoĂŻ, John Dewey, ainsi que les systĂšmes Ă©ducatifs appliquĂ©s. Au moment de la rĂ©volution d'Octobre, elle a dĂ©jĂ  Ă©crit plus de quarante ouvrages sur le thĂšme de l'Ă©ducation, dont le plus important, Instruction publique et dĂ©mocratie — rĂ©digĂ© en 1915, publiĂ© en 1917 — structure l'Ă©volution future de la pĂ©dagogie marxiste. On y trouve un Ă©clairage nouveau sur les rapports de l’enseignement avec le travail productif, notion en forte Ă©volution au dĂ©but du XXe siĂšcle, Ă  l'heure de l'industrialisation des sociĂ©tĂ©s occidentales. Une formule de KroupskaĂŻa rĂ©sume sa pensĂ©e : « Seule la classe ouvriĂšre peut faire de la formation au travail un instrument propre Ă  transformer la sociĂ©tĂ© contemporaine. »

La libération par l'éducation populaire

Nadejda KroupskaĂŻa et LĂ©nine, en 1919.

Retrouvant la Russie en aprĂšs avoir traversĂ© l’Allemagne dans un« train plombĂ© » protĂ©gĂ© par l'immunitĂ© diplomatique, avec LĂ©nine, KroupskaĂŻa apporte Ă  celui-ci tout son soutien durant les dix mois qui prĂ©cĂšdent et prĂ©parent la rĂ©volution d’Octobre. La victoire des BolchĂ©viques lui ouvre un vaste champ d’action en matiĂšre d’éducation, sans qu'elle obtienne pour autant une position de premier plan, qu'auraient pu permettre ses liens particuliers avec LĂ©nine mais qu'elle ne rĂ©clame pas.

De fait, Nadejda, adjointe du Commissaire du peuple Ă  l’instruction, Anatoli Lounatcharski, s'occupe d’organisation et d’éducation politique. À ce poste, sans doute plus efficace que celui du ministre avec le sens aigu des rĂ©alitĂ©s qui est le sien, elle pose les bases d’un systĂšme Ă©ducatif qui vise l’alphabĂ©tisation complĂšte du peuple russe. DĂ©crĂ©tĂ© en 1919, cet objectif est rĂ©alisĂ© en moins de vingt ans. PrĂšs de soixante millions d’adultes apprennent Ă  lire et Ă  Ă©crire, tandis que la quasi-totalitĂ© de la jeunesse est scolarisĂ©e.

Nadejda Kroupskaïa et Lénine en avec le journaliste américain Lincoln Eure.

KroupskaĂŻa est confrontĂ©e Ă  une situation inĂ©dite car, selon ses propres mots, s’il s’agit de « dĂ©truire l’ancienne Ă©cole de classe devenue une injustice criante pour crĂ©er une Ă©cole qui rĂ©ponde aux exigences du systĂšme socialiste naissant », la rĂ©volution et la guerre civile se sont chargĂ©es de rĂ©aliser le premier objectif. Tout reste Ă  faire pour Ă©tablir un systĂšme unique d’enseignement envisageant la continuitĂ© du primaire au supĂ©rieur, par ailleurs centralisĂ© et disposant d'Ă©tablissements gratuits ouverts Ă  la totalitĂ© de la population sans aucune distinction sociale.

La rĂ©alisation de ce plan d’éducation s’avĂšre trĂšs complexe. Il faut des bĂątiments, des manuels, des professeurs et des instituteurs certes formĂ©s aux techniques pĂ©dagogiques innovantes, mais surtout partisans du nouveau rĂ©gime. Partout sont organisĂ©s des stages et des sĂ©minaires destinĂ©s au recyclage des enseignants, tandis que sont rĂ©quisitionnĂ©s une multitude de locaux appartenant aux dignitaires de l’ancien rĂ©gime ou Ă  l’église orthodoxe. Cette stratĂ©gie ne s’applique pas seulement en Russie. Au sein des rĂ©publiques d’Asie centrale, dans le Caucase, etc., l’effort est le mĂȘme. Si le russe gagne du terrain par cette scolarisation systĂ©matique, l’écrit supplante l’oral dans certaines rĂ©gions car abĂ©cĂ©daires et autres manuels scolaires sont Ă©ditĂ©s dans les langues des peuples de l’URSS[11].

Enfin, au niveau de la pĂ©dagogie, l’effort est tout aussi important et c’est probablement cet aspect qui passionne le plus KroupskaĂŻa. Les disciplines et les mĂ©thodes didactiques sont totalement renouvelĂ©es par la notion essentielle d'« enseignement polytechnique » qui regroupe les mathĂ©matiques, les sciences naturelles et les sciences sociales. Plus encore, persuadĂ©e qu’une sociĂ©tĂ© socialiste doit donner une place Ă©minente aux Ă©lĂšves eux-mĂȘmes dans le systĂšme scolaire, elle considĂšre que — l’autogestion scolaire doit [leur] donner (
) l’habitude de rĂ©soudre ensemble, par des efforts communs, les problĂšmes qui se posent Ă  eux —. L’expĂ©rience menĂ©e par Anton Makarenko[12] dans sa cĂ©lĂšbre colonie Gorki fondĂ©e en 1920 pour les mineurs grands dĂ©linquants prĂšs de Poltava, puis dans la commune Dzerjinski Ă  partir de 1927, renvoie Ă  ces idĂ©aux, cĂ©lĂ©brĂ©s aujourd’hui dans le monde entier[13].

L’intouchable mĂ©moire de LĂ©nine

Compagne de LĂ©nine, responsable importante de l’éducation en URSS, KroupskaĂŻa est rapidement impliquĂ©e dans les conflits qui ont prĂ©cĂ©dĂ©, puis suivi, la mort du leader bolchĂ©vique. Toujours soucieuse de la santĂ© d’Illitch griĂšvement blessĂ© dans un attentat en , elle s’occupe de lui quand une premiĂšre attaque cĂ©rĂ©brale l’écarte provisoirement du pouvoir en . À partir de cette date, LĂ©nine ne reprend plus rĂ©ellement les commandes du pays, alors mĂȘme que ses inquiĂ©tudes quant Ă  l’évolution du pouvoir soviĂ©tique sont de plus en plus vives.

Le testament politique qu’il rĂ©dige auprĂšs de KroupskaĂŻa en exprime beaucoup de rĂ©serves envers ses collaborateurs les plus proches, mais ses critiques les plus fermes sont dirigĂ©es contre Staline. Il faut, sans doute, pour expliquer ces remarques acerbes, datĂ©es de dans un Ă©tonnant post-scriptum[14], considĂ©rer son rĂ©cent manque de respect envers Nadejda, le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral ayant osĂ© dire publiquement, par des mots aussi crus que violents, que le partage du lit de LĂ©nine ne lui donne aucune lĂ©gitimitĂ© politique[15]. Participant comme dĂ©lĂ©guĂ©e Ă  tous les congrĂšs du Parti, y compris aprĂšs la mort de LĂ©nine en , KroupskaĂŻa essaie de jouer un rĂŽle dans la guerre de succession qui fait rage. Sa tentative de faire connaĂźtre le testament d'Illitch lors du congrĂšs du Parti en se solde par un semi-Ă©chec : le testament est bien lu aux dĂ©putĂ©s du 13e congrĂšs, avec l'accord de la troĂŻka Kamenev - Staline - Zinoviev, mais ceux-ci ont interdiction d'en rĂ©vĂ©ler le contenu Ă  l'extĂ©rieur du congrĂšs. Durant trois ans, elle appuie les factions contre Staline, soutenant mĂȘme quelque temps l'Opposition unifiĂ©e. Elle capitule rapidement en 1927 mais Ă©prouve beaucoup de mal Ă  accepter le culte inouĂŻ du leader bolchĂ©vique que le nouveau maĂźtre du Kremlin organise Ă  son plus grand bĂ©nĂ©fice.

Nadejda KroupskaĂŻa en 1936.

PrĂ©venue contre Staline, KroupskaĂŻa n’en reste pas moins intouchable car elle est de fait protĂ©gĂ©e par les effets de la religion lĂ©niniste qui se dĂ©veloppe dans le pays. Il serait en effet compliquĂ© d’expliquer qu’un LĂ©nine infaillible et visionnaire ait pu se tromper si longtemps sur la personne qui partageait son existence. Nadejda, qui adopte un profil bas, apporte pourtant de l’aide Ă  tous les anonymes qu’elle a croisĂ©s durant ses annĂ©es de combat et qui parfois l’appellent Ă  l’aide. Elle tente mĂȘme de soutenir certains vieux bolchĂ©viques pris dans la nasse des « grands procĂšs ». On sait ainsi qu’elle vote vainement contre la dĂ©cision d'exĂ©cution de Boukharine en 1938. Elle s’éteint le , alors qu'elle avait fĂȘtĂ© ses soixante-dix ans la veille. De forts soupçons d'un empoisonnement par le NKVD planent encore aujourd'hui[16]. Ses cendres reposent Ă  Moscou, au pied du Kremlin, sur la place Rouge, Ă  cĂŽtĂ© du mausolĂ©e de LĂ©nine.

Son action dans la construction du bolchĂ©visme est incontestable, notamment dans le domaine de l’éducation oĂč son rĂŽle historique est certainement Ă  rĂ©Ă©valuer. Sur le plan privĂ©, le soutien empreint d’abnĂ©gation qu’elle a donnĂ© Ă  LĂ©nine, Ă  tous les niveaux, son indulgence envers ses travers de caractĂšre[17], a libĂ©rĂ© le leader des contingences matĂ©rielles et des soucis domestiques, lui laissant toute libertĂ© pour mener ses combats politiques, sachant de plus que le couple n'a jamais eu d'enfants[18]. Femme politique dĂ©fendant l’émancipation fĂ©minine, KroupskaĂŻa correspond assez mal dans le privĂ© aux idĂ©aux qu’elle dĂ©fend dans le public, Alexandra KollontaĂŻ parlant mĂȘme d’un « esclavage » domestique, quand elle considĂ©rait la position en retrait de la femme du leader bolchĂ©vique.

Le partage des tĂąches au sein du couple Ă©tait clair, y compris dans l'analyse politique, Nadejda n'ayant que trĂšs rarement exprimĂ© une quelconque opposition envers son Ă©poux. Ses Ă©crits — notamment Souvenirs sur LĂ©nine, publiĂ© sous sa forme dĂ©finitive en 1933 mais oĂč le rĂ©cit s'interrompt en 1919 — renseignent sur leur vie d'exil avec abondance de dĂ©tails.

Notes et références

  1. Â«ĐŁĐœŃ–ĐČĐ”Ń€ŃĐ°Đ»ŃŒĐœĐ°Ń Đ‘Đ”Đ»Đ°Ń€ŃƒŃĐșая ŃĐœŃ†Ń‹ĐșĐ»Đ°ĐżĐ”ĐŽŃ‹ŃÂ». ĐŁ 18 Ń‚Đ°ĐŒĐ°Ń… / РэЮ. ĐșĐ°Đ».: Г. П. ПашĐșĐŸŃž, Б. І. ĐĄĐ°Ń‡Đ°ĐœĐșĐ° і Ń–ĐœŃˆ. — Đł. ĐœŃ–ĐœŃĐș: ВыЮ. Â«Đ‘Đ”Đ»Đ°Ń€ŃƒŃĐșая Đ­ĐœŃ†Ń‹ĐșĐ»Đ°ĐżĐ”ĐŽŃ‹Ń Ń–ĐŒŃ Пятруся Đ‘Ń€ĐŸŃžĐșі», 1999 Đł. — Đą. 8, ĐĄ.487. (be)
  2. DopĂ© par les transferts financiers en provenance des pays occidentaux, en premier lieu par les capitaux français, le dĂ©collage Ă©conomique s’affirme Ă  travers une concentration industrielle trĂšs Ă©levĂ©e. Ainsi, les usines Poutilov de PĂ©tersbourg comptent en 1910 plus de 12 000 ouvriers sur un seul site.
  3. Un peu prĂ©venue contre ce gendre curieux qui n’assumera jamais la moindre profession tout au long de sa vie, Elizaveta Vasilevna accompagnera cependant le couple durant ses pĂ©rĂ©grinations, assurant avec sa fille les dĂ©tails d’intendance jusqu’à sa mort Ă  Berne en .
  4. KroupskaĂŻa traduit notamment l'histoire des syndicats anglais de Sidney et BĂ©atrice Webb.
  5. Ce choix reste assez Ă©nigmatique, certaines sources parlent d’une rĂ©fĂ©rence au fleuve LĂ©na (alors qu’Oulianov est exilĂ© sur l’IĂ©nisseĂŻ) voire la volontĂ© de s’opposer Ă  PlĂ©khanov, lui-mĂȘme ayant utilisĂ© le pseudonyme de Volgine, inspirĂ© de Volga, fleuve qui serait moins puissant que la LĂ©na et surtout d'une direction diffĂ©rente. KroupskaĂŻa, quant Ă  elle, n’utilise que le patronymique Illitch (d’Illya, le pĂšre d’Oulianov).
  6. Le Parti ouvrier social-démocrate de Russie a été fondé, en absence de Lénine, au congrÚs clandestin de Minsk en .
  7. Le couple bĂ©nĂ©ficie des « expropriations » qui permettent au Parti de se constituer des ressources. Il s’agit soit des coups de main commis par des militants au nom de la cause (dont le plus cĂ©lĂšbre est le fameux hold-up de Tiflis commis par Staline et Kamo en ), soit plus souvent des dons ou des legs effectuĂ©s par des partisans fortunĂ©s. Certains d’entre eux vont mĂȘme jusqu’à lĂ©guer leur fortune au mouvement, ainsi NikolaĂŻ Pavlovitch Schmidt, neveu d’un riche industriel, dont LĂ©nine a su habilement capter l’hĂ©ritage en mobilisant, par des mariages fictifs, quelques militants dĂ©vouĂ©s.
  8. Il y est mort en 1883.
  9. Journée que Lénine décrÚte en Russie le dont la date sera ensuite reprise dans le monde entier.
  10. « « Sexe et pouvoir » : le mĂ©nage Ă  trois de LĂ©nine », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  11. En 1928, les manuels scolaires sont Ă©ditĂ©s dans les soixante-dix langues de l’URSS, chiffre qui passe Ă  cent quatre en 1934.
  12. Makarenko (1888-1939), dans des conditions assez proches de celles connues par Johann Heinrich Pestalozzi Ă  Stans, est nommĂ© en 1919 directeur d’une colonie d’enfants abandonnĂ©s ou dĂ©linquants, de « besprizorniki », colonie qui sera baptisĂ©e Gorki aprĂšs la visite de l’écrivain en 1927. AprĂšs avoir connu quelques dĂ©boires avec les autoritĂ©s ukrainiennes et un dĂ©mĂ©nagement sur un autre site — oĂč il fonde la colonie Dzerjinski — Makarenko est reconnu par le pouvoir en 1929, annĂ©e qui consacre, avec le soutien de KroupskaĂŻa, la pĂ©dagogie marxiste. L’accord du ComitĂ© Central du parti communiste russe permet Ă  Makarenko de diffuser librement des mĂ©thodes Ă©ducatives alors jugĂ©es orthodoxes.
  13. CĂ©lestin Freinet, qui visite l’URSS en 1925, voyage qui influencera sa dĂ©marche pĂ©dagogique, raconte six ans plus tard, dans un numĂ©ro de L’École Ă©mancipĂ©e, sa rencontre avec l’éminente adjointe de Lounatcharsky : « Je pense (
) Ă  la rĂ©ception simple et cordiale que nous rĂ©serva KroupskaĂŻa Ă  Moscou (
). La glorieuse compagne de LĂ©nine vint s’asseoir au milieu de nous comme une vieille et bonne maman, et nous discutĂąmes longuement, sans le moindre apparat. »
  14. Ainsi dans le post-scriptum du testament : « Staline est trop brutal, et ce dĂ©faut parfaitement tolĂ©rable dans notre milieu et dans les relations entre nous, communistes, ne l’est pas dans les fonctions de secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral. Je propose donc aux camarades d’étudier un moyen pour dĂ©mettre Staline de ce poste et pour nommer Ă  sa place une autre personne qui n’aurait en toutes choses sur le camarade Staline qu’un seul avantage, celui d’ĂȘtre plus tolĂ©rante, plus loyale, plus polie et plus attentive envers les camarades, d’humeur moins capricieuse. »
  15. KroupskaĂŻa Ă©crit en Ă  Lev Kamenev Ă  cette Ă©poque chef du Politburo : « LĂ©on Borisovitch ! À la suite d'une courte lettre que m'a dictĂ©e, avec l'autorisation des mĂ©decins, Vladimir Ilitch, Staline est entrĂ© hier dans une violente et inhabituelle colĂšre contre moi. Ce n'est pas d'hier que je suis au Parti. Au cours de ces trente annĂ©es je n'ai jamais entendu d'aucun camarade un mot grossier. Les affaires du Parti et celles d'Ilitch me sont aussi chĂšres qu'Ă  Staline. J'ai besoin aujourd'hui d'un maximum de sang-froid. Ce que l'on peut — et ce que l'on ne peut pas — discuter avec Ilitch je le sais mieux que n'importe quel mĂ©decin, parce que je sais ce qui le rend ou ne le rend pas nerveux. En tout Ă©tat de cause, je le sais mieux que Staline. Je m'adresse Ă  vous et Ă  Grigori (nda : Zinoviev) comme Ă  de vieux camarades de Vladimir Ilitch, et vous supplie de me protĂ©ger contre des ingĂ©rences brutales dans ma vie privĂ©e, de viles invectives et de basses menaces. Je n'ai aucun doute quant Ă  ce que sera la dĂ©cision unanime de la Commission de contrĂŽle, de laquelle Staline a jugĂ© bon de me menacer. Quoi qu'il en soit, je n'ai ni force, ni temps Ă  perdre dans cette stupide querelle. Je suis un ĂȘtre humain, et mes nerfs sont tendus Ă  l'extrĂȘme. N. KroupskaĂŻa. » CitĂ© par Nikita Khrouchtchev au XXe congrĂšs de 1956.
  16. Vladimir FĂ©dorovski, Le fantĂŽme de Staline, Paris, Le Livre de Poche, , 281 p. (ISBN 978-2-253-12681-2), p. 101-102.
  17. Elle a supportĂ© en silence la liaison que LĂ©nine a entretenue avec InĂšs Armand et qui ne se serait interrompue qu’en 1913.
  18. Les Ă©crits de KroupskaĂŻa indiquent qu’elle souffrait de la thyroĂŻde. Certaines sources parlent de maladie de Basedow qui l'aurait peut ĂȘtre rendue stĂ©rile.

Annexes

Citations

Dans son autobiographie Ma vie publiĂ©e en 1929, Trotski Ă©crit sur la pĂ©riode de l'Iskra Ă  Munich : « La liaison avec la Russie Ă©tait toute entre les mains de LĂ©nine. C'Ă©tait sa femme, Nadejda Konstantinovna KroupskaĂŻa, qui avait assumĂ© le secrĂ©tariat de la rĂ©daction. Elle Ă©tait au centre de tout le travail d'organisation, recevait les camarades venus de loin, instruisait et accompagnait les partants, fixait les moyens de communication, les lieux de rendez-vous, Ă©crivait les lettres, les chiffrait et les dĂ©chiffrait. Dans sa chambre, il y avait presque toujours une odeur de papier brĂ»lĂ© venant des lettres secrĂštes qu'elle chauffait au-dessus du poĂȘle pour les lire. Et frĂ©quemment elle se plaignait, avec sa douce insistance, de ne pas recevoir assez de lettres, ou de ce que l'on s'Ă©tait trompĂ© de chiffre, ou de ce que l'on avait Ă©crit Ă  l'encre sympathique de telle façon qu'une ligne grimpait sur l'autre, etc. »

Sources

  • Encyclopaedia Universalis, notices biographiques, Ă©dition de 1977.

Articles connexes

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