Massacre des Lucs-sur-Boulogne
Le massacre des Lucs-sur-Boulogne a eu lieu le et le , pendant la guerre de Vendée. Il est le plus célèbre et le plus important massacre perpétré par les troupes républicaines des colonnes infernales. Sa notoriété est notamment due aux archives qui ont permis un débat historiographique à son sujet.
Massacre des Lucs-sur-Boulogne | ||||
Vitrail de l'église des Lucs-sur-Boulogne, réalisé par Lux Fournier en 1941. | ||||
Date | - | |||
---|---|---|---|---|
Lieu | Les Lucs-sur-Boulogne | |||
Victimes | Civils vendéens | |||
Morts | 500 Ă 590[1] - [2] | |||
Auteurs | RĂ©publicains | |||
Participants | Colonne infernale de la division Cordellier | |||
Guerre | Guerre de Vendée | |||
Coordonnées | 46° 50′ 42″ nord, 1° 29′ 32″ ouest | |||
GĂ©olocalisation sur la carte : France
GĂ©olocalisation sur la carte : Pays de la Loire
Géolocalisation sur la carte : Vendée
| ||||
Contexte
Les Lucs-sur-Boulogne sont situés à l'intérieur d'un triangle constitué par les routes joignant Challans, Montaigu et La Roche-sur-Yon[3]. Avant la Révolution, la commune est constituée de deux paroisses : le Grand-Luc, peuplé de 2 000 habitants, et le Petit-Luc, situé plus à l'est, et habité par 150 personnes[3]. Une petite rivière, la Boulogne, passe le bourg depuis le sud-est avant de filer vers le nord[3]. Autour du bourg, le paysage est constitué de bocage, de landes et de quelques bois, où sont éparpillés une dizaine de gros villages, trente hameaux et de nombreuses métairies isolées[3].
Au début de l'année 1794, la Vendée est parcourue par les colonnes infernales du général Turreau[4]. Partie de Brissac le 20 janvier, la colonne du général de division Étienne Cordellier se signale notamment par de nombreux massacres[4]. Le 6 février, Cordellier écrit de Tiffauges au général Turreau : « J'ai ponctuellement exécuté ton ordre de purger, par le fer et le feu, tous les endroits que j'ai rencontré sur ma route. Car indépendamment que tout brûle encore, j'ai fait passer derrière la haie environ six cents particuliers des deux sexes »[5].
DĂ©roulement
Le , le général Cordellier aborde les Lucs-sur-Boulogne afin de déloger les troupes vendéennes de François Athanase Charette de La Contrie qui bivouaquent dans les landes de la Vivantière, au sud des Lucs-sur-Boulogne[6] - [7]. Il attaque avec deux colonnes, l'une commandée par lui-même et par le général Crouzat et l'autre par le chef de bataillon Matincourt[6] - [7].
Cordellier suit la rive gauche de la Boulogne, mais sa colonne marche dans une grande confusion et prend du retard[6]. Matincourt file quant à lui le long de la rive droite de la rivière[6] avec sa colonne, constituée du 29e régiment d'infanterie, du 6e bataillon de volontaires de Paris, du 4e bataillon de volontaires des Ardennes et de quelques cavaliers[8] - [7]. Rapidement, les républicains se dispersent en petits groupes et commencent à incendier les fermes sur leur passage et à fusiller les habitants qu'ils rencontrent[6] - [7]. L'opération militaire dégénère en massacre général au cours duquel des centaines d'hommes, de femmes et d'enfants sont mis à mort[7]. Par trois fois, Matincourt tente, sans succès, de faire reformer les rangs, mais il finit cependant par aborder le Petit Luc[6]. Les tirailleurs républicains ne rencontrent que quelques combattants vendéens et se lancent à leur poursuite pendant environ une heure[7]. Cependant, Charette fait ensuite son apparition avec le gros de ses forces et surprend complètement les hommes de Matincourt[7]. Trop éparpillés, ces derniers prennent la fuite et entraînent dans leur déroute les hommes de Crouzat avant que ces derniers n'aient pu engager le combat[7]. Cordellier est quant à lui très en arrière, une partie de sa colonne n'ayant toujours pas franchi le défilé du moulin de l'Audrenière, pourtant située non loin de son point de départ[6]. Toutes les colonnes républicaines se replient alors sur Legé, au nord-ouest des Lucs[7]. Les Vendéens arrêtent leur poursuite aux abords de la ville[7].
Après le combat, Charette abandonne les Lucs et se porte sur Le Poiré-sur-Vie[7]. Cependant le lendemain, le général Cordellier lance une contre-attaque sur Les Lucs avec ses colonnes et celle de Legé, dirigée par Rouget, le commandant du 4e bataillon de volontaires des Deux-Sèvres[6]. Les républicains ne trouvent aucune trace des troupes de Charette et commettent de nouveaux massacres entre Legé et les Lucs[7] - [6].
TĂ©moignages
Il reste peu de témoignages sur le déroulement du massacre. Un soldat républicain, nommé Chapelain, écrit dans une lettre : « Aujourd'hui journée fatigante, mais fructueuse. Pas de résistance. Nous avons pu décalotter à peu de frais toute une nichée de calotins. Nos colonnes ont progressé normalement[9]. » Un autre, nommé François Pelereau, écrit que les volontaires « ont avancé pour lors dans le bois en fusillant hommes, femmes et enfants qui se trouvèrent à leur rencontre »[6].
En 1823, le mémorialiste royaliste Urbain-René-Thomas Le Bouvier-Desmortiers écrit d'après un témoignage recueilli : « Une femme pressée par les douleurs de l'enfantement, était cachée dans une masure près de ce village. Des soldats la trouvèrent, lui coupèrent la langue, lui fendirent le ventre, et enlevèrent l'enfant à la pointe des baïonnettes. On entendit d'un quart de lieue les hurlements de cette malheureuse femme, qui était expirante quand on arriva pour la secourir »[10].
D'après la tradition orale, de nombreux habitants parviennent cependant à trouver refuge dans les bois[11].
Bilan humain : le martyrologe des Lucs
Le , une liste précise des victimes, avec leurs noms, âges et domiciles, est dressée par l'abbé Charles Vincent Barbedette, curé du Grand-Luc et aumônier des troupes de Charette[12]. Pour l'historien Alain Gérard, ce document, appelé « le martyrologe des Lucs », constitue la seule liste des victimes d'un massacre à avoir été dressée au moment des faits[12]. À la fin de son cahier, l'abbé Barbedette précise : « Lesquels noms ci-dessus, au nombre de 564, des personnes massacrées en divers lieux de la paroisse du Grand-Luc, m'ont été référés par les parents échappés au massacre, pour être inscrits sur le présent registre, autant qu'il a été possible de les recueillir dans un temps de la persécution la plus atroce, les corps morts ayant été plus d'un mois inhumés dans les champs de chaque village du Luc : ce que j'atteste comme trop véritable, après avoir été témoin oculaire de ces horreurs et exposé plusieurs fois à en être aussi la victime »[5] - [13].
Si d'après l'abbé Barbedette, les massacres du 28 février et du 1er mars font 564 morts, sa liste ne comprend que 459 noms, ce qui, pour l'historien Alain Gérard, est probablement dû à la perte d'un feuillet[5]. Parmi les 459 noms connus figurent 80 hommes et 127 femmes de 10 à 49 ans, 124 personnes de plus de 50 ans et 127 enfants de moins de 10 ans[5].
Les tueries du 28 février ont principalement lieu dans les villages et les hameaux le long de la Boulogne, entre Rocheservière et les Lucs, tandis que celles du 1er mars ont lieu le long de la route entre Legé et les Lucs[14]. On relève ainsi 54 morts au Grand-Luc et 25 morts au Petit-Luc, ainsi que 31 morts à La Guyonnière, 16 morts à La Pèlerinière, 12 morts à La Primandière, 10 morts à la Bugelière[14]. Entre Legé et les Lucs, on compte notamment 32 morts à La Gaconnière, 23 morts à La Sorinière, 14 morts à La Renaudière, 14 morts à La Bromière, 11 morts à La Moricière, 11 morts aux Guénières et 10 morts à La Coruetière[14]. Certaines métairies et certains hameaux sont cependant épargnés par le passage des colonnes[11].
Historiographie
Les mémoires du chef vendéen Pierre-Suzanne Lucas de La Championnière, rédigés en 1798, semblent avoir été les premiers à faire état des événements survenus aux Lucs[13]. Ce premier récit sert de base à Alphonse de Beauchamp, auteur d'une Histoire de la guerre de Vendée en 1806 et de prétendus Mémoires de Bodereau en 1804, qui seraient de sa main[13]. Il ajoute également la présence de Haxo[13]. En 1808, sous prétexte de réfuter Beauchamp, Le Bouvier-Desmortiers publie une Vie du général Charette, dans laquelle il reprend cependant son récit des Lucs, qu'il étoffe[13]. En 1819, Berthre de Bournizeaux ajoute encore quelques éléments de son cru dans son Histoire des guerres de Vendée et des Chouans, de même que Jacques Crétineau-Joly en 1840, dans son Histoire de la Vendée militaire, dans laquelle il donne le 5 mars comme date des faits, jusque là située par aucun auteur[13].
Les ruines de l'ancienne église du Petit-Luc ne sont déblayées qu'en 1863 à l'initiative d'une équipe missionnaire des Pères de Chavagnes[12]. À cette occasion, de nombreux ossements humains, ainsi que des balles, des scapulaires et des « Sacrés-Cœurs » sont découverts[12]. Des recherches sont alors entreprises par l'abbé Jean Bart, curé de la paroisse[12]. Entre 1866 et 1873, il découvre le cahier manuscrit de l'abbé Barbedette dans les papiers du presbytère des Lucs[12] - [13].
En 1867, Jean Bart publie un opuscule intitulé Chapelle de Notre-Dame des Lucs dans lequel il reprend la date du 5 mars et le récit développé par la tradition historiographique[13]. Selon lui, la population, cachée dans les broussailles de la Vivantière, aurait été surprise par une colonne à la recherche de Charette[13]. La moitié des habitants, plus un, aurait été massacrée[13]. Puis les hommes rescapés se seraient ressaisis pour résister à l'ennemi, tandis que les plus faibles se rassemblaient dans la chapelle du Petit-Luc pour prier[13]. Enfin, la venue de Charette et de son adjoint Guérin aurait permis de faire fuir la colonne qui, en partant, aurait tué l'abbé Voyneau, curé du Petit-Luc, puis massacré les gens réunis dans la chapelle, détruite à coups de canons depuis le chêne du Quati-Fort[13].
Dans une seconde version, parue en 1874 sous le titre : Chapelle de Notre-Dame des Lucs, reine des martyrs, Jean Bart situe un massacre au , en reprenant les éléments trouvés dans le cahier de Barbedette[13]. Il y ajoute une précision pour justifier sa première version : « non compris le nombre des victimes du combat de la Vivantière et des massacres de la chapelle du Petit-Luc, le 5 mars[13] ».
Par la suite, la tradition locale étoffe encore les premiers récits. Entre 1898 et 1908, une nouvelle chapelle est édifiée au Petit-Luc[15]. Vers 1935, le curé Boudaud orne la chapelle de panneaux de bois reprenant les noms des victimes connues ; en 1941, son successeur Gabriel Prouteau fait installer des vitraux célébrant, en plus des personnages bibliques et des saints nationaux et locaux, les curés Barbedette et Voyneau, ainsi que le souvenir du massacre. En 1947, un monument dédié au curé Voyneau et à ses compagnons est érigé[13].
Dans les années 1960, l'érudit Gilles de Maupeou découvre des documents inédits sur les opérations militaires aux Lucs du général Cordellier[16]. En 1977, il découvre le procès intenté par Cordellier contre le chef de bataillon Matincourt[12].
À la fin du XXe siècle, le déroulement et le bilan humain du massacre fait l'objet de débats parmi les historiens. En 1992, le dossier est rouvert par Jean-Clément Martin, pour qui non seulement il paraît difficile d'affirmer qu'il n'y eut qu'un seul massacre, mais tout permet au contraire de penser qu'il y eut une multiplicité de combats et massacres entremêlés sur toute la paroisse des Lucs durant plusieurs mois de 1794. Les victimes mêlent à la fois femmes, vieillards, enfants et combattants tombés les armes à la main[17]. Selon lui, la « liste dressée en 1794 comptabilise manifestement l'ensemble des habitants tués depuis 1789, alors que toute une tradition veut la voir comme le résultat d'un massacre unique commis en deux jours de . Les conclusions sont évidemment fort divergentes selon la lecture adoptée »[18].
Il est suivi dans cette voie par Paul Tallonneau, dans un ouvrage rédigé en 1993[19]. Cependant si Jean-Clément Martin conteste de larges pans du martyrologe des Lucs, Paul Tallonneau rejette totalement son authenticité[16]. Refusant de croire à la réalité d'un massacre, il estime que la disparition de plusieurs centaines de villageois pourrait être imputable à une épidémie[20] - [21]. En 2007, cette thèse est rejetée par Jacques Hussenet : « la population de la Vendée militaire se situait sur une courbe ascendante entre 1780 et 1790. Certes, des épidémies sévissaient par intermittence, mais ni plus ni moins qu'ailleurs en France et pas au point d'inverser la tendance »[21].
En 1993, Pierre Marambaud, en s'appuyant sur différentes archives (paroissiales et des armées), ainsi que certaines lettres émanant de soldats présents lors des faits, soutient la thèse d'un massacre unique le 28 février et le 1er mars 1794. Il considère que ce massacre englobe non seulement les Lucs (qui à l'époque comprenait le Grand Luc et le Petit Luc où s'élève la chapelle commémorative), mais aussi les hameaux et métairies des alentours[22]. Selon lui, l'authenticité du martyrologe est crédible et compatible avec les dénombrements et recensements qui l'encadrent[12] - [16]. Il estime le nombre des victimes entre 500 et 590[1] - [2].
La thèse de Marambaud est soutenue par Alain Gérard[12]. De même, en 2007, Jacques Hussenet écrit : « En m'appuyant sur le capital de connaissance accumulé depuis les années 1990, je ne ferai pas mystère de ma préférence pour les conclusions de Pierre Marambaud »[16].
MĂ©morial
On peut visiter le Mémorial de la Vendée qui témoigne de cet événement. À l'occasion de son inauguration, le , Alexandre Soljenitsyne prononça un discours, où il fit un parallèle entre l'esprit qui animait les hommes politiques appliquant la Terreur et le totalitarisme soviétique.
Notes et références
- Marambaud 1993, p. 123
- Hussenet 2007, p. 233.
- GĂ©rard 2013, p. 393-394.
- GĂ©rard 2013, p. 395-396.
- GĂ©rard 2013, p. 400.
- GĂ©rard 2013, p. 397-399.
- Dumarcet 1998, p. 326-328.
- GĂ©rard 2013, p. 401.
- GĂ©rard 2002, p. 144.
- GĂ©rard 2013, p. 405.
- GĂ©rard 2013, p. 398.
- GĂ©rard 2013, p. 394-395.
- GĂ©rard 2000, p. 275-288.
- GĂ©rard 2013, p. 407.
- Meyer-Sablé et Le Corre, 2007, p. 76-77.
- Hussenet 2007, p. 525-526.
- Jean-Clément Martin, Le Massacre des Lucs, Vendée 1794 (en collaboration avec Xavier Lardière), Geste Éditions, La Crèche, 1992
- Jean-Clément Martin, Violence et Révolution. Essai sur la naissance d'un mythe national, éditions du Seuil, 2006
- Paul Tallonneau, Les Lucs et le génocide vendéen : comment on manipule les textes, Hécate, 1993
- Tallonneau 1993, p. 73-79.
- Hussenet 2007, p. 131.
- Marambaud 1993, p. ?
Voir aussi
Bibliographie
- Gaëtan Bernoville. L'épopée des Lucs et les Saints Innocents de la Vendée. Paris 1944.
- Lionel Dumarcet, François Athanase Charette de La Contrie : Une histoire véritable, Les 3 Orangers, , 536 p. (ISBN 978-2912883001).
- Alain Gérard, « Les Lucs, Vendée 1794 : l'histoire d'un trou de mémoire », dans Jean-Pierre Bardet, Dominique Dinet, Jean-Pierre Poussou, Marie-Catherine Vignal, État et société en France aux XVIIe et XVIIIe siècles : Mélanges offerts à Yves Durand, Presses Paris Sorbonne, coll. « Centre Roland Mousnier » (no 5), , 548 p. (ISBN 9782840501510, lire en ligne)
- Alain Gérard, D'une grande guerre à l'autre : La Vendée, 1793-1914, Centre vendéen de recherches historiques, , 330 p. (ISBN 978-2911253157).
- Alain Gérard, Vendée : les archives de l'extermination, Centre vendéen de recherches historiques, , 684 p. (ISBN 978-2911253553).
- Jacques Hussenet (dir.), « Détruisez la Vendée ! » Regards croisés sur les victimes et destructions de la guerre de Vendée, La Roche-sur-Yon, Centre vendéen de recherches historiques, , 634 p.
- Pierre Marambaud, Les Lucs, la Vendée, la Terreur et la Mémoire, Fromentine, Éditions de l'Étrave, , 228 p. (ISBN 2-909599-12-4)
- Jean-Clément Martin et Xavier Lardière, Le massacre des Lucs : Vendée, 1794, Geste éditions, , 158 p. (ISBN 978-2905061645, présentation en ligne)
- Nathalie Meyer-Sablé et Christian Le Corre, La Chouannerie et les guerres de Vendée, Rennes, Édition Ouest-France, , 127 p. (ISBN 978-2-7373-3863-2)
- Paul Tallonneau, Les Lucs et le génocide vendéen : comment on a manipulé les textes, Editions Hécate, , 184 p.
- On trouvera ici une bibliographie détaillée Archives de la Vendée
- La Complainte des Lucs fut écrite par frère Gabriel-Marie Gauvrit, du Poiré-sur-Vie, supérieur général des Frères de Saint-Gabriel de Saint-Laurent et illustrée par Maurice de la Pintière.