Manifestations de 2021 en Colombie
Les manifestations colombiennes de 2021 sont des manifestations qui débutent le dans plusieurs villes de Colombie en protestation contre la réforme fiscale du gouvernement du président Ivån Duque.
Date | Depuis le |
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Localisation | Colombie |
Revendications |
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Types de manifestations | Manifestation, grĂšve, concert de casseroles |
Morts | 74 (au ) |
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Blessés | Plus de 2300 (au ) |
Arrestations | Plusieurs centaines |
La réforme est abandonnée aprÚs prÚs d'une semaine de manifestations. Ces derniÚres continuent néanmoins, désormais dirigées contre les inégalités sociales, l'aggravation de la pauvreté dans le pays et les réformes prévues par le gouvernement concernant les politiques de santé et d'éducation.
La Colombie a également connu des manifestations de masse entre 2019 et 2020 contre le gouvernement que la pandémie de Covid-19 a interrompues, et une autre série de manifestations en septembre 2020 contre les violences policiÚres.
Contexte
Situation Ă©conomique
La Colombie affronte une crise économique due principalement à la pandémie de Covid-19. Son PIB chute de 6,8 % en 2020, le taux de chÎmage monte à 16,8 % et la pauvreté frappe 42,5 % de la population[1].
Le modĂšle Ă©conomique colombien prĂ©sente des faiblesses structurelles. La Colombie est le septiĂšme pays le plus inĂ©galitaire au monde et le deuxiĂšme en AmĂ©rique latine selon la Banque mondiale. La part de revenu captĂ©e par les 10% d'habitants les plus riches reprĂ©sente quatre fois celle des 40 % les plus pauvres. Le salaire minimum s'Ă©lĂšve Ă 240 dollars et moins de 40% des travailleurs touchent plus que le salaire minimum selon les donnĂ©es du DĂ©partement national des statistiques pour l'annĂ©e 2020. LâaccĂšs Ă lâenseignement supĂ©rieur est rĂ©servĂ© aux catĂ©gories de la population les plus aisĂ©es en raison dâun systĂšme universitaire majoritairement privĂ© et trĂšs coĂ»teux[2].
RĂ©formes impopulaires
Les manifestations font suite Ă l'annonce par le pouvoir colombien d'une rĂ©forme fiscale visant Ă collecter 6,8 milliards de dollars. Ce projet de rĂ©forme prĂ©voit la baisse du plancher dâimposition sur le revenu et une taxe de 1â% sur les actifs supĂ©rieurs Ă 1,3 million de dollars. Le gouvernement prĂ©voit en outre une hausse de la TVA sur des services de base comme lâĂ©lectricitĂ©, le gaz et lâassainissement, lâaugmentation des prix de l'essence, lâinstallation de nouveaux pĂ©ages, le gel des salaires dans le secteur public jusquâen 2026 et des coupes dans les programmes sociaux[3] - [4].
Perçu par les syndicats comme décuplant la pression fiscale sur les plus modestes et sur les classes moyennes, sans toucher aux privilÚges des plus fortunés, ce projet de loi déclenche contre lui une grÚve nationale[3] - [4].
Deux autres rĂ©formes doivent Ă©galement ĂȘtre adoptĂ©es ultĂ©rieurement, l'une visant Ă une refonte du marchĂ© du travail pour en accroitre la flexibilitĂ©[5], et l'autre concernant le systĂšme de santĂ©. Cette derniĂšre inclut la rĂ©gionalisation du systĂšme de santĂ© et une libĂ©ralisation accrue du secteur[6].
DĂ©rives autoritaires du gouvernement
LâimpopularitĂ© du prĂ©sident IvĂĄn Duque et de son mentor, l'ex-prĂ©sident Ălvaro Uribe, compte aussi parmi les principaux motifs de la contestation. Ălu en 2018, IvĂĄn Duque est accusĂ© de dĂ©rives autoritaires par l'opposition et des associations de dĂ©fense des droits humains[7] - [5].
LâONG Dejusticia a notamment soulignĂ© « la concentration extrĂȘme des pouvoirs », les autoritĂ©s ayant, Ă travers divers dĂ©crets et nominations, placĂ© « des hommes proches du PrĂ©sident aux postes clĂ©s de contrĂŽle de l'administration ». La ProcuradurĂax (lâentitĂ© de contrĂŽle de la fonction publique), la ContralorĂa (service de contrĂŽle fiscal) et le DĂ©fenseur du Peuple (entitĂ© publique chargĂ©e de la protection des droits), organismes thĂ©oriquement indĂ©pendants, sont tous dirigĂ©s par des proches du prĂ©sident. Le Fiscal (le chef du Parquet en Colombie) est Ă©galement un ami dâenfance dâIvĂĄn Duque. Ălvaro Uribe, mis en cause dans des affaires de corruption, est protĂ©gĂ© par toutes les institutions du gouvernement qui tentent de lui Ă©viter un procĂšs[7] - [5].
Insécurité
Les revendications contre les assassinats des leaders sociaux et d'ex-combattants et les violations de l'accord de paix entre le gouvernement et les FARC sont présentes dans les cortÚges. PrÚs d'un millier de dirigeants sociaux ont été assassinés depuis la signature de l'accord de paix en 2016 selon la juridiction spéciale de paix (JEP). En outre, 269 ex-guérilleros ont également été assassinés. Pour les magistrats de la JEP, de nombreuses personnes sont « en trÚs grand danger en raison des menaces, des homicides, des disparitions, des enlÚvements et autres attaques ». Le président Ivan Duque rechigne à respecter les termes de l'accord de paix supervisé par son prédécesseur[6].
DĂ©roulement des manifestations
Des manifestations ont lieu chaque jour depuis le . Elles concernent plus de 70 % des villes et villages de Colombie[8]. D'aprÚs la revue Forbes, 73 % des Colombiens soutiennent le mouvement de protestation à ses débuts mais 57,5% ne souhaitent pas sortir manifester[9].
Le gouvernement suspend la rĂ©forme fiscale et le ministre des Finances, Alberto Carrasquilla, dĂ©missionne le . Un nouveau texte sera prĂ©sentĂ© et devrait exclure certains points contenus dans la loi initiale, comme la hausse de la TVA sur les biens et les services et lâĂ©largissement de la base dâimposition sur les revenus[1].
RassemblĂ©s autour du slogan « ArrĂȘtez le massacre », les manifestants sont descendus dans les rues de plusieurs villes le pour dĂ©noncer la rĂ©pression, aprĂšs qu'un manifestant de 22 ans a Ă©tĂ© tuĂ© d'une balle dans la tĂȘte Ă Cali par la police anti-Ă©meute.
Le gouvernement fait déployer l'armée dans les rues à partir du afin d'assister la police à la suite d'émeutes et de pillages dans des magasins[10]. La communication sur internet est partiellement bloquée afin d'éviter la rediffusion des images de personnes tuées ou blessées par la force publique[11].
Pour l'analyste Ariel Avila de la fondation Paix et rĂ©conciliation, en ayant recours Ă lâarmĂ©e, les autoritĂ©s tentent dâintimider les manifestants : « Câest la mĂȘme vieille stratĂ©gie de toujours qui vise Ă faire se terrer les gens. Câest un message pour Ă©teindre les protestations »[10]. D'aprĂšs le politiste Pedro Piedrahita, lâintensitĂ© de la rĂ©pression serait due au fait que « lâappareil de sĂ©curitĂ© colombien opĂšre toujours sur la base dâune doctrine anachronique. Celle de lâanticommunisme, de lâ« ennemi interne », de sorte que les manifestants ne sont pas vus comme des citoyens, mais comme des cibles militaires lĂ©gitimes[12]. »
Des civils armés, apparemment issus des classes aisées, participent également à la répression des manifestations à Cali. Les indigÚnes semblent avoir été particuliÚrement pris pour cibles[13]. Les affrontements à Cali prennent l'allure d'une « guerre des classes », entre des manifestants appartenant trÚs majoritairement aux classes populaires et une bourgeoisie favorable à la police[14].
Le taux de popularité du président Ivån Duque tombe à 20% à la fin juin[15].
Au , 24 morts et 850 blessĂ©s sont recensĂ©s par les autoritĂ©s, et 37 morts par l'ONG Temblor. Des cas de disparitions et de violences sexuelles ont Ă©galement Ă©tĂ© signalĂ©s[16] - [17]. Au 12 mai, lâONG Temblor et lâInstitut dâĂ©tudes pour le dĂ©veloppement et la paix (Indepaz) recensent 47 morts[18]. Au 11 mai, le gouvernement fait Ă©tat de 42 morts[19].
RĂ©actions
En Colombie
Le gouvernement colombien prĂ©sente les manifestations comme le rĂ©sultat dâune conspiration internationale dont la Colombie serait la cible[12]. La ministre des Affaires Ă©trangĂšres, Claudia Blum, publie une vidĂ©o en anglais oĂč elle affirme que Gustavo Petro, candidat probable de la gauche Ă l'Ă©lection prĂ©sidentielle de 2022, « a cherchĂ© Ă profiter de la situation avec le soutien du prĂ©sident NicolĂĄs Maduro et dâorganisations narcoterroristes, en organisant des attentats et en payant des gens pour quâils terrorisent et quâils vandalisent les villes »[12]. Lors d'une confĂ©rence de presse, le ministre de la DĂ©fense Diego Molano Aponte (en) accuse les manifestants d'entretenir des liens avec des groupes armĂ©s, citant les FARC et l'ELN. Le ministre a nĂ©anmoins refusĂ© de partager les preuves de ses allĂ©gations avec les journalistes.
Le Centre démocratique, le parti au pouvoir, a condamné le mouvement de protestation, qu'il présente comme un « plan macabre de la gauche radicale et criminelle financée par le narcotrafic pour déstabiliser la démocratie »[20].
L'ex-prĂ©sident Ălvaro Uribe, considĂ©rĂ© comme le mentor d'IvĂĄn Duque, appelle dans un message publiĂ© sur les rĂ©seaux sociaux les forces de l'ordre à « utiliser leurs armes pour dĂ©fendre leur intĂ©gritĂ©, pour dĂ©fendre les personnes et les biens [...] du terrorisme vandale »[10].
LâONG colombienne Movice dĂ©nonce une « action disproportionnĂ©e et criminelle de la police nationale et des forces anti-Ă©meute » et un « dĂ©ploiement militaire scandaleux avec des chars et des armes comme sâil sâagissait de combattre contre une autre armĂ©e ». Le site internet de l'ONG est bloquĂ© par les autoritĂ©s[21].
Ă lâinternational
Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme s'est dĂ©clarĂ© « profondĂ©ment alarmĂ© par les Ă©vĂ©nements dans la ville de Cali en Colombie, oĂč la police a ouvert le feu sur des manifestants qui s'opposent Ă une rĂ©forme fiscale, tuant et blessant un certain nombre de personnes ». L'organisation ajoute que des dĂ©fenseurs des droits de l'homme ont fait l'objet de menaces et de harcĂšlements.
La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) a dénoncé « les graves violations perpétrées par la police », exhortant l'Union européenne « à suspendre immédiatement (...) tout type de livraison d'armement et d'aide militaire » au gouvernement colombien[22].
L'Organisation des Nations unies, les Ătats-Unis et l'Union europĂ©enne se joignent Ă ces critiques Ă la suite de l'annonce de 19 dĂ©cĂšs par les autoritĂ©s. Une porte-parole du dĂ©partement d'Ătat des Ătats-Unis, Jalina Porter (en), souligne le droit des peuples Ă manifester pacifiquement et encourage le gouvernement colombien Ă faire preuve de modĂ©ration[23] - [24].
Notes et références
Notes
Références
- « Colombie : démission du ministre des Finances », Le Figaro, .
- David Zana, « Les causes structurelles des soulÚvements en Colombie », sur lvsl.fr, .
- « Colombie: des dizaines de milliers de manifestants contre la réforme fiscale », sur Le Figaro, .
- Rosa Moussaoui, « Colombie. Dans sa guerre au peuple, Ivan Duque redouble de férocité », L'Humanité, .
- Vladimir de Gmeline, « Manifestations en Colombie : « Les aspirations sociales et populaires sont trÚs fortes » », Marianne, .
- « Colombie : pourquoi la colÚre sociale ne retombe pas », sur France 24, .
- Anne Proenza, « En Colombie, la rĂ©pression du prĂ©sident Duque sâaccentue », LibĂ©ration, .
- Patrick BÚle, « La Colombie sombre dans un grave chaos social », sur Le Figaro, .
- (es) « El 73% de los colombianos estå de acuerdo con el paro: encuesta », sur Forbes Colombia, .
- « Malaise face au dĂ©ploiement de lâarmĂ©e en pleine protestation sociale », Le Journal de MontrĂ©al, .
- LĂ©o Roussel, « Au moins 24 morts et 850 blessĂ©s : la Colombie sâembrase, des expatriĂ©s français tĂ©moignent », Ouest-France, .
- Lola Allen et Guillaume Long, « Colombie : feu sur lâ« ennemi intĂ©rieur » », Le Monde diplomatique, ; article complet : « Colombie : feu sur lâ« ennemi intĂ©rieur » », sur alter.quebec.
- Anne Proenza, « En Colombie, la violence monte encore dâun cran Ă Cali », sur LibĂ©ration, .
- « Colombie : à Cali, l'abßme entre riches et pauvres au grand jour », sur Orange Actualités, .
- (es) « Aumenta a 74 % la desaprobación de Ivån Duque en Colombia », sur telesurtv.net, .
- « Colombie : « Quand le gouvernement est pire que le virus, le peuple est dans la rue » », Le Monde,â (lire en ligne).
- Rosa Moussaoui, « Colombie. Les violences sexuelles comme arme de répression », L'Humanité, (consulté le ).
- « Colombie. Un dĂ©chaĂźnement de violence digne dâune dictature », L'HumanitĂ©, .
- « Colombie : 42 morts en treize jours de manifestations violemment réprimées », Le Figaro, (consulté le ).
- « Trois questions pour comprendre la crise en Colombie », sur Radio-Canada, .
- Guylaine Roujol Perez, « La Colombie en route vers la guerre civile ? », Le Parisien, .
- « Colombie : le président Ivan Duque sous pression aprÚs une semaine de manifestations », sur France Info, .
- (en) « Global calls for calm as Colombia deploys 'excessive force' », sur France 24, .
- (en) « Statement by the Deputy Spokesperson of the Department of State, Jalina Porter, Washington D.C. », sur Ambassade des Ătats-Unis en Colombie, .