Accueil🇫🇷Chercher

Mahorais

Le mahorais, aussi appelé shimahorais ou shimaoré, est l'une des deux principales langues parlées sur l'île de Mayotte (en plus du français qui est la langue officielle). C'est une langue bantoue, apparentée au swahili, alors que le shibushi est une langue austronésienne proche des langues parlées à Madagascar.

Mahorais
shimaoré

Interview en mahorais et français lors des États généraux du multilinguisme dans les outre-mer (décembre 2011).
Pays France (Mayotte)
Nombre de locuteurs 152 000 (2012)
Classification par famille
Codes de langue
IETF swb
ISO 639-3 swb

Présentation

Le nom « shi-mahorais » ou « shimaoré » s'est répandu suivant des écrits d'auteurs ayant entendu les mahorais utiliser le « shi », mais sans porter d'analyse.

Ni « shimaorais » ni « shimaoré » ne rendent compte de la prononciation, le e étant en fait juste entre les deux. C'est pourquoi il est écrit dans cette langue shimaore ou Maore.

Le mahorais est très différent de l'autre langue locale de Mayotte, le shibushi. Le mot kibushi est un terme swahili qui désigne le parler de Madagascar (Ubushi en swahili). Le préfixe de classe ki est présenté comme celui de la classe des instruments et la manière : Anaongea kigeni, il parle comme un étranger ; Anapika kifaransa il cuisine à la française ; Anaongea kifaransa il est en train de parler français ; anajua kifaransa il sait le français donc il parle français. Kibushi fait référence à la façon de parler de Madagascar, et donc sa langue. En shimaore le préfixe shi- est le pendant de cette classe (shi/zi) et il rend alors compte des langues de l'île : shimaore, shifarantsa, shidjeremani ... Le mot shibushi est employé dans certains villages comme Choungui, où l'on parle les deux langues, mais a été violemment décrié par les linguistes de l'île et c'est désormais le terme de kibushi qui est employé.

Waye ulagua shifarantsa (« Il parle français »)

Waye kasijua shingereza (« Il ne parle pas anglais »)

Waye ujua kibushi tu, shimaore kasijua Lui parle le kibushi seulement, le shimaore il ne le parle pas.

Langues

Le mahorais, l'un des dialectes swahili , et le shibushi, une variante de la langue malgache, sont les langues des natifs de l'île de Mayotte. Parler de lingua franca est réducteur car ce n'est pas une simple langue de communication. Ces deux langues sont les langues maternelles des Mahorais avec tout ce que cela comporte comme complexité linguistique, sémantique, sémiologique, phonétique, phonologique, morphologique et culturelle. Le mahorais est dominant tout simplement par le fait majoritaire dans la composition de la population. Le shibushi est circonscrit à certains villages par le fait historique, ce qui n'empêche pas de l'apprendre par volonté ou par pure nécessité. C'est la langue maternelle des natifs de ces villages. Ces deux langues sont présentes dans les nouveaux programmes télévisés de RFO. Le recensement de 2012 a relevé 152 000 individus parlant le mahorais sur l'île de Mayotte.

Origine

L'origine du shimaore est controversée.

Un dialecte du swahili

La classification de Guthrie classe le swahili en G 40, le groupe G étant le groupe des langues de la côte en Tanzanie jusqu'à Dodoma pour le kigogo. Le ngazidja de la Grande Comore et le njuani d'Anjouan sont considérés comme des dialectes du swahili, étiquetés G44a et G44b. Le shimaore étant quasiment identique au ndjuani (ndzuani) la classification en fait un dialecte du swahili.

Une origine proche des langues du Kenya

D'autres travaux se sont penchés sur la phylogéographie culturelle des langues bantu[1], c'est-à-dire les ressemblances de vocabulaire entre les langues sur une même aire géographique. Les langues comoriennes sont alors classées dans une même aire 17 que les langues E, comprenant des langues du Kenya, du Nord de la Tanzanie et de l'Ouganda (kiganda, kichaga, kikuyu, kimeru...)  et G de la classification de Guthrie. Mais cette répartition a été fondée sur le vocabulaire principalement, sans tenir compte de la grammaire.

Le vocabulaire permet de comprendre comment un groupe de langues a pu évoluer[2], ou comment une langue a pu se différencier par rapport à une autre. Dans une étude sur l'origine des peuples bantu il permet de comprendre à quelle époque la langue a intégré de nouvelles données géographiques, comme l'arrivée en forêt ou en savane. Cela permet de comprendre que des mots comme la poule, commun à de très nombreuses langues bantu, était présent dès le départ de leur migration : kúwo en maka-ndjem du Cameroun, kuku en swahili, kuhu en shimaore, nkhuku en chichewa (Malawi), ikukhu en isiZulu. D'autres sont arrivés bien plus tard, comme le fer, chuma en swahili, tsuma en shimaore (donc le groupe E) mais chitsulo en chichewa et insimbi en isiZulu, soit des apports à des époques différentes par des forgerons de cultures distinctes.

L'apport de vocabulaire étranger a pu varier selon la situation géographique des locuteurs. Ainsi pour une même langue, le swahili, on trouve shemizi (chemise) en kingwana au Congo et shati (shirt) en kiswahili sanifu (Tz). À une époque donnée les Swahili et les Mahorais ont adopté les mêmes nouveaux concepts venant des Arabes, comme le tribunal et le juge, le calcul, etc. Cela ne présage en aucune manière que l'un vient de l'autre, mais laisse penser que la même source de vocabulaire a exprimé ces nouveaux concepts dans les deux langues.

Certains de ces mots ont même des consonances différentes, comme hesabu (sw) et hasibu (shm). Cela implique que dans les deux cas le mot vienne de l'arabe الحساب, qui s'écrit sans voyelle brève, mais avec une vocalisation différente. Il ne peut y avoir de passage de hesabu en hasibu. Un autre exemple vient de "besoin, il faut", lazima en swahili et lazimu en shimaore. Les deux viennent de l'arabe لزم mais l'un ne peut venir de l'autre, a étant une voyelle forte. Un troisième exemple, venu de الصبر en arabe, patience, qui donne subiri en swahili mais saburi en shimaore. La différence vient probablement de la colonisation par le sultanat shirazi, vers 1470[3], et non par le sultanat de Zanzibar.

Le vocabulaire, enfin, a un fond commun puisque ces langues viennent du proto-bantu[4], langue originelle reconstituée comme l'indo-européen[5]. Ula (shimaore) et kula (sw) ont assurément la même origine, mais cette racine se retrouve dans de nombreuses langues bantu comme ulya en kimakua (Mozambique et Tanzanie), et se dit en maka (Cameroun), nalíya en lingala (Congo), kudya en chichewa (Malawi), -ndlele en isiZulu et  ho j'a en seSotho (Afrique du Sud).

Le mot nyama, la viande, se dit de la même façon en kisagara (Morogoro, Tz) mais aussi en isiZulu (Afrique du Sud) inyama, et inama en kimakua. On peut pour finir citer l'eau qui sont respectivement maji ['ma- ɟi] et maji [ma-'ʒi] en swahili et en shimaore mais cette racine est constante dans les langues bantu, précédée comme tous les liquides du préfixe ma- : mɘjúwo (maka, Cameroun), mecí (mezhime, Cameroun, langue maka-ndjem également), mayi (tshiluba, Congo), mái (lingala, Congo), amazi (kinyarwanda, Rwanda), madzi (chichewa, Malawi), máási (emakhuwa, Mozambique[6]), mèyu (sisarwa, Botswana), metsi (setswana, Botswana), amanzi (isiZulu), metsi (sesotho), etc.

Une origine makua

Quelques spécialistes[7] penchent vers une origine makua du shimaore, se fondant non sur le vocabulaire mais sur la grammaire. Les Makua ou Makhuwa sont établis dans le Nord du Mozambique et le sud de la Tanzanie, et sont proches des Yao et des Makonde selon Guthrie, dans le groupe P.

L'origine makua du shimaore viendrait de "l'importation" forcée de travailleurs pour les plantations des Comores[8] durant la domination arabe. Ces travailleurs forcés auraient alors gardé leur langue, et surtout leur grammaire et leur syntaxe makua en incluant de nombreux termes nouveaux pour eux, d'origine arabe ou swahili comme les termes administratifs ou juridiques, ou les termes de religion : Dini la religion (ar. دنئ), hakimu, le jugement (حكم).

On ne peut affirmer que tous les esclaves aient été makhuwa : il peut aussi s'agir d'une appellation générique comme on le voit sur certains documents, comme cette photographie des "Makois"[9]. Le site de Dembeni, et d'autres vestiges comme ceux de Acoua ou de Tsingoni font état de cultures fondées dès le IXe siècle avec une culture nettement marquée, comme la culture de Dembeni[10]. À Dembeni le site est de 5 à 6 ha au IXe et Xe siècles mais de 15 ha au XIIIe siècle, avec une sous-culture appelée Agnudru ou Bagamoyo[11]. Mais il n'existe pas de preuve formelle de la langue que parlaient ces locuteurs, pouvant être des habitants du Mena Bé, ceux qui ont fondé les villages malgaches, ou des habitants libres de la côte africaine venus coloniser d'autres terres. Et ces deux époques traduisent peut-être la culture de deux populations différentes, venues toutes les deux d'Afrique.

La grammaire du shimaore semble cependant beaucoup plus proche de la grammaire des langues du groupe P, comme le chuwabo (ou cuwabo, P 34), l'eelomwe (P 32, langue des Lomwe, ces deux langues étant maintenant reconnues comme des dialectes makhuwa) ou le kimakua (de Tanzanie) que du swahili comme le montrent les exemples qui suivent.

Exemples

  • Dans ces langues, le nom en tant qu'objet est précédé du préfixe de classe, ce que l'on ne retrouve pas en swahili :

Samaki poisson ihopa (emakhuwa) ehopa (elomwe[12]) okúpa (chuwabo[13])

En swahili le préfixe de classe est semblable à l'emploi français ou anglais du pronom démonstratif [14].

J'achèterai le poisson Nitsonunua ifi (shimaore) Nitainunua ile samaki (swahili) Kinottuma ehopa (emakhuwa)

  • La forme négative du verbe est précédée d'un préfixe ka- ou khe- comme en shimaore, là où le swahili emploie ha-. Mais au présent de l'indicatif le swahili renonce à l'infixe de temps (-na-) et change le suffixe de l'actif en –i, ce que l'on ne retrouve pas dans ces langues :
Français Emakhuwa Shimaore Swahili
Demain je mangerai du poisson Melo kinolya ihopa Meso nitsola fi Kesho nitakula samaki
Il ne mange plus de poisson Kaolya tunina ihopa Kasila fi tsena Hali samaki tena
  • Le swahili a deux temps passés, l'accompli et l'inaccompli avec des infixes de temps bien distincts, -li- (accompli) et –me- (inaccompli).

Les dialectes du makhuwa n'ont qu'un temps passé, accompli ou inaccompli, même s'il existe aussi un passé antérieur (J'avais cultivé, I had cultivated).

Emamakhuwa aholya Swahili alikula/amekula Il mangea / il a mangé Simaore ali

Oothikila mikole Il a coupé / il coupa des cocotiers[15].

  • Le shimaore, enfin, au passé transforme le suffixe de l'actif –a en –e ou une autre voyelle selon des règles d'euphonie :

Tsiendre Je suis allé (uendra aller) Tsiono J'ai vu (uona voir) Tsilivi j'ai payé (uliva payer)

Cette transformation se retrouve en emakhuwa, la finale étant transformée en –e ou –ale selon les verbes[16] :

Kulya manger Kilyaale J'ai mangé nilyaale Nous avons mangé

Kutenka construire Kitenke J'ai construit Nitenke Nous avons construit

Kulempa écrire Kilempe J'ai écrit.

Ces éléments permettent, en attendant une étude plus approfondie que le shimaore trouve bien plus d'éléments de grammaire en lien avec le emakhuwa qu'avec le swahili.

Influence

Le mahorais subit aujourd'hui fortement l'influence du français. En effet, outre que certains locuteurs de Mayotte parlent le français, celui-ci est la langue de l'éducation, du savoir et de l'emploi (la langue officielle). Pour cette raison des associations culturelles tentent de réanimer la flamme et de redonner au mahorais ses lettres de noblesse, telle l'association SHIME.

Intercompréhension

L'intercompréhension entre l'anjouanais et le mahorais est presque totale ; seules quelques différences phonétiques mineures, et quelques particularités lexicales les distinguent, elle l'est un peu moins avec le mohelien (mais un discours lent permet la compréhension) et très difficile avec le grand-comorien tandis que la compréhension est partielle, et à sens unique, vis-à-vis des autres parlers swahilis. À titre d'exemple, le zanzibarien et le grand-comorien se comprendront plus facilement que le mahorais et le grand-comorien.

Culture mahoraise

La langue mahoraise est un des piliers de la culture des Mahorais. Certains mahorais parlant très bien français apprécieront qu'un Français métropolitain les aborde d'abord en français.

Alphabet

Alphabet[17]
ABƁDƊEFGHIJKLMNOPRSTUVWYZ
abɓdɗefghijklmnoprstuvwyz
/a//b//ɓ//d//ɗ//e//f//g//h//i//ʒ//k//l//m//n//o//p//r//s//t//u//v//β//w//j//z/

Quelques exemples

Françaisshimaoréshibushi
bonjourjeje (ou kwezi)akory, karakory
bienndjematsara, mbola tsara
La vie est belle à Mayotte.maesha ya mazuri Maoremayisha tsara Mahory
monde/terredunia/ntsitany / fotaka
cielmainguvingo
eaumajirano
feumoromehemey, mahamay
hommemutru babalalahy
femmemutru mamaviavy
mangerudya (ou ula)mihinagna
boireunwamindrano, mihinogno
grand-bolebe
petit-titihely, kely, hily
nuitukuhaligny
matinasubuhimarandraigny
voleurmwidziampagalatra
je m'appelle...wami uhiriwa...zao kahindreo - agnarako
magasin/boutiquedukadokany
villedagotanana
je - tu - il/elle - nous - vous -ils/elleswami - wawe - waye - wasi - wanyu - waozao - anao - izy - atsika (inclusif) / zehey, zahay (exclusif) - anareo - reo
mercimarahabamarahaba
monsieur, madamemonye, bweni/bibilalahy, viavy
repasshahulahanigny
maisonnyumba (ou dago)tragno

Notes et références

  1. (en) Rebecca Grollemund & al., « Bantu expansion shows that habitat alters the route and pace of human dispersals », PNAS, (www.pnas.org/cgi/doi/10.1073/pnas.1503793112)
  2. Currie TE, Meade A, GuillonM, Mace R. 2013 Cultural phylogeography of the Bantu Languages of sub-Saharan Africa. Proc R Soc B 280: 20130695. DOI 10.1098/rspb.2013.0695
  3. « Histoire de Mayotte »
  4. Gemeinschaflisches Sprachgut in Sumer und Ntu, Benefiz, W. Wangler in Publications d'hommages à P.W. Schmidt, Festchrift, 1928
  5. Étude sur le phénomène historique du Bantu, L. Homburger, Honoré Champion éditeur, 1913
  6. Vocabulário de Makhuwa Emeetto, Octávio Gonçalves Nelly, SIL Moçambique, 2010
  7. Dictionnaire mahorais-français français-mahorais, Sophie BLANCHY L'Harmattan 1996
  8. L’esclavage aux Comores Tome 2. L’influence des Makua dans la société Ibouroi Ali Tabibou Editions Coelacanthe 2017
  9. Sultanat d’Anjouan : groupe de vieux Makois, anciens esclaves importés. Fonds des cartes postales anciennes (FRAD976_1Fi_99). © Archives départementales de Mayotte.
  10. Archéologies mahoraises Quarante années de recherche DAC Mayotte 2017
  11. «Mayotte : mille ans d’histoire (800-1800). Approche archéologique», in Mayotte, acte du colloque universitaire tenu les 23-24 avril 1991 à Mamoudzou, pp.111-154.
  12. Ellomwe – English Vocabulary Emihavani and Ekokholani dialects Patrick Kalinde SIL Language and Culture Documentation and Description 39, 2018
  13. A grammar of Cuwabo Mozambique P 34 Thèse de doctorat en Sciences du Langage Rozenn Guérois juin 2015 Université Lumière Lyon 2 École Doctorale Lettres Langues Linguistique et Arts Laboratoire Dynamique du Langage
  14. Mohamed Mwamzandi. A corpus study of the Swahili demonstrative position. In Jason Kandy-bowicz, Travis Major, Harold Torrence & Philip T. Duncan (eds.), African linguistics on the prairie:Selected papers from the 45th Annual Conference on African Linguistics, 413–429. Berlin: LanguageScience Press
  15. Algumas notas gramaticais sobre a língua Emakhuwa. MOLIMO 5 Oliver Kröger 1º edição, Março de 2006, nova impressão de Abril de 2009© [SIL]
  16. Análise Fonológica da Estrutura Verbal do Passado Recente em Emakhuwa Maurício Bernardo Universidade Eduardo Mondlane 2017
  17. Alphabet du Shimaorais,

Voir aussi

Bibliographie

  • Sophie Blanchy, L'interprète. Dictionnaire Mahorais - Français et Français - Mahorais, Mayotte, Paris, CMAC, édition l'Harmattan, .
  • Cornice, Abdillahi D. (1999), Manuel grammatical de shimaore, Mamoudzou, Mayotte, L’Association SHIME (Le SHImaorais MEthodique), 1999.
  • Kordji, Chamsidine, Martine Jaquin, et alia (1999, 2006), Narifundrihe shimaore - Apprenons le shimaorais, Association SHIME (Le SHImaorais MEthodique), Mamoudzou, 1999 et 2006.
  • Maandhui, Ousseni (1996), Parlons Shimaore, Éditions du Baobab, Mamoudzou, 1996.
  • Rombi, Marie-Françoise (1983), Le Shimaore (Île de Mayotte, Comores): Première approche d’un parler de la langue comorienne, Paris, Société d’Études Linguistiques et Anthropologiques de France (SELAF), 1983.

Articles connexes

Liens externes

Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplémentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimédias.