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Louis Germain (instituteur)

Louis Germain est un instituteur, musicien et patriote français, né le à Saïda dans le département d'Oran, Algérie et mort le à Alger. Son nom reste attaché à Albert Camus qu'il eut comme élève dans les années 1920 puis comme ami à partir de 1945.

Louis Germain
Louis Germain en 1923.
Biographie
Naissance
Décès
(Ă  81 ans)
Alger
Nom de naissance
Julien Louis Alexandre Germain
Nationalité
Activité

Biographie

Enfance

Ce sont les grands-parents de Louis Germain qui émigrent en Algérie entre 1840 et 1850. Originaires de Haute-Garonne, du Tarn (département), de la Haute-Loire et des Ardennes (département), ils font partie de ces milliers d’émigrants français ayant cherché en Afrique du Nord une vie meilleure[1]. Jean-Martin Germain, le grand-père paternel, est né à Montans, dans le Tarn (département). Sergent-major infirmier, il se marie deux fois avant d’épouser en troisièmes noces Marie Saby à Toulouse[1]. La famille est installée à Saïda vers 1858[2]. Ils ont un fils unique, Philippe qui deviendra employé de banque[1].

Né en 1884 en Algérie, Julien Louis Alexandre Germain est le fils naturel de ce Philippe Germain et de Rose Poulalion, sa future épouse. Son père meurt à 27 ans en 1888 laissant une veuve et un orphelin de quatre ans. La mère de Louis Germain se remarie à Alger et donne deux demi-frères à Louis[1].

Premières armes

Après ses études secondaires, il intègre, de 1902 à 1904, l’école normale de la Bouzaréah[2] à Moustapha, commune qui sera rattachée à Alger. Il effectue son service militaire au 1er régiment de Zouaves de 1905 à 1906[3]. Le , il prend son premier poste d’instituteur à Miliana, à 90 km au sud d’Alger. Louis Germain incarne le mythe de l’instituteur de la Troisième République, sévère et juste, parfois montré en exemple [4]. Il s’y mariera avec Marcelle Combaz. Le couple aura deux enfants, Marcel et Robert, nés respectivement en 1909 et 1911. À partir de juin 1906 et jusqu'à sa mobilisation en 1914, il fréquente à Miliana la loge maçonnique de l’Union du Zaccar[5].

Mobilisé en 1914 au début de la Première guerre mondiale, il est blessé le à la bataille de Nieuport. Réincorporé en juin, il ne sera démobilisé que le . Il est ensuite nommé à l’école Aumerat, dans la rue du même nom dans le quartier Belcourt à Alger[6] - [2] à la rentrée d’octobre 1919[2] - [1]. Les deux fils Germain et les deux fils Camus fréquentent cette même école primaire. Lucien Camus, frère aîné d’Albert, né en 1909 est dans la classe de Marcel Germain. L'instituteur, qui prépare gratuitement au concours des bourses après les cours des élèves défavorisés[6], repère le petit Albert Camus comme un enfant exceptionnel. Orphelin de père, le jeune Albert vit dans la pauvreté avec sa mère, son oncle Étienne et la grand-mère Sintès, minorquine et autoritaire[1].

En 1923, Albert fréquente la classe de 7ème de Louis Germain[7]. Louis Germain interviendra en 1923 auprès de la famille pour les convaincre de permettre au brillant Albert de poursuivre des études au Grand Lycée d’Alger, aujourd'hui lycée Émir-Abdelkader[8] - [1] - [2]. Toute sa vie, Albert Camus lui sera reconnaissant de cette démarche. Orphelin de père, Albert Camus considère Louis Germain comme son père spirituel[1] - [7]. Les relations entre l’élève et le maître sont largement évoquées dans Le Premier Homme, roman posthume d’Albert Camus, tant comme enfant que plus tard, comme adulte, notamment dans la partie intitulée «Recherche du père»[7].

Entre deux guerres

En 1924, Louis Germain divorce de sa première épouse. Selon son registre matricule, il serait parti à Paris pour quatre années, probablement pour parfaire sa formation musicale au Conservatoire de musique. En effet, Louis Germain est d’une famille de musiciens. Parallèlement à son travail d’enseignant, il joue de la clarinette dans plusieurs orchestres. Il deviendra clarinettiste professionnel après sa retraite d’instituteur. Professeur au Conservatoire de musique et titulaire d’un poste à l’orchestre des P. T. T.

Seconde guerre mondiale

Militant de la Ligue des droits de l'homme et du citoyen en Algérie[9] - [2], il est considéré comme sympathisant communiste et défend en 1936, le projet de loi Blum-Violette[2]. Le régime de Vichy tente de le priver de ses emplois au Conservatoire et dans l'orchestre en 1941[10].

Le , après le débarquement allié en Afrique du Nord, l'opération Torch, Louis Germain a 58 ans, se porte volontaire[6] - [7] et se réengage aux Corps francs d'Afrique[3]. Il est promu adjudant-chef en 1943 et termine ses campagnes en 1945 à Paris, au Quartier général des Forces françaises libres. Au total, sans compter son temps comme réserviste, Louis Germain a passé dix ans de sa vie sous l’uniforme. Un dossier de résistant à son nom est répertorié au Service historique de la Défense[11].

Après la guerre

À Paris où il est démobilisé[6], Louis Germain rencontre Andrée, une jeune femme mère d’un jeune garçon. Il les fait venir à Alger en 1947 et se marie avec elle le [1]. Elle a 34 ans, lui 68. Après la guerre, Louis exerce son art au conservatoire d'art dramatique d'Alger comme professeur de clarinette sous la direction de Gontran Dessagnes et intègre l’Orchestre national d’Alger comme première clarinette jusqu’en 1954 [12].

C’est le que Louis Germain retrouve à Paris son ancien élève, Albert Camus[13]. Démarre alors une amitié qui ne s’achève qu’avec la mort d’Albert Camus le . Visites à Alger et correspondances entretiennent le lien entre le vieux maître et l’élève devenu célèbre. Après l’attribution du Prix Nobel en 1957, Albert Camus écrit le une lettre de reconnaissance à Louis Germain :

Cher Monsieur Germain, J'ai laissé s'éteindre un peu le bruit qui m'a entouré tous ces jours-ci avant de venir vous parler un peu de tout mon cœur. On vient de me faire un bien trop grand honneur, que je n'ai ni recherché ni sollicité. Mais quand j'ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous. Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j'étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. Je ne me fais pas un monde de cette sorte d'honneur. Mais celui-là est du moins une occasion pour vous dire ce que vous avez été, et êtes toujours pour moi, et pour vous assurer que vos efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettiez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers qui, malgré l'âge, n'a pas cessé d'être votre reconnaissant élève. Je vous embrasse, de toutes mes forces[13].

Camus dédicace aussi ses Discours de Suède « à Monsieur Louis Germain »[14] - [6] - [15].

Malgré leur divergence quant au devenir de l’Algérie Française, Louis Germain est favorable à l'indépendance algérienne[8], ils restent en relation de confiance[13].

Après la mort d'Albert Camus

Après la mort d’Albert Camus, Louis Germain confie à la Bibliothèque nationale de France ses « reliques camusiennes » : leur correspondance et les livres dédicacés par Camus[2] - [16]. Louis Germain et son épouse restent en Algérie après l’Indépendance algérienne jusqu'à son décès le au 18 rue Meissonier à Alger[1] - [8]. Il est enterré au cimetière d'El Alia à Alger[2], qui contient aussi le carré des héros de l'Indépendance et de l'émir Abdelkader ibn Muhieddine. Son épouse Andrée décède à Montpellier en 1970[1].

Postérité

Plusieurs établissements scolaires, rues et places portent le nom de Louis Germain[17]. Un éphémère prix Louis Germain a été créé en 1997 par Claude Allègre, alors ministre de l’Éducation nationale dans le gouvernement de Lionel Jospin, lequel a donné lieu à une publication de lettres d'élèves devenus adultes adressées à leur instituteur de classes primaires[18].

Les méthodes d'enseignement ont beaucoup évolué. La sévérité des hussards de la République, allant jusqu'aux châtiments corporels feraient pousser des cris d'orfraies aux tenants de nos méthodes actuelles[19]. « Louis Germain a certainement porté à son plus haut point l'idéal de l'école française de la IIIe République »[7] faisant de lui, un mythe de cette époque. Des personnalités comme le philosophe Alain Finkielkraut[20] ou Michèle Delaunay, députée de la Gironde[21] l'ont proposé pour le Panthéon (Paris).

Publié bien après sa mort, Louis Germain ne sut jamais la place qu'il occupait dans Le Premier Homme où il est parfois désigné par son vrai nom[7] ni dans le cœur d'Albert Camus[1].

Notes et références

  1. Patrick De Meerleer, Louis Germain, 1884-1966 : instituteur et père spirituel d'Albert Camus, Éditions Domens, 2021
  2. Faris Lounis, « Lettres d’Albert Camus à Louis Germain, l’Algérien : «Un bon maître est une grande chose» (Part. 1) », El Watan,‎ (lire en ligne)
  3. Registre matricule Alger n°314 classe 1904
  4. Marcel Rufo, « les enfants qu'on mérite », sur Directeurs en lutte, « Doit-on tenir pour quantité négligeable le passeur de culture que représente l’instituteur ? On dirait que monsieur Germain est un mythe. »
  5. Pierre Mollier, Archiviste du Grand Orient de France, article du 6 décembre 2020
  6. Jérôme Dupuis, « Malraux, Germain, Martin du Gard: les trois fées de Camus », L'Express,‎ (lire en ligne)
  7. Mathieu-Job 2009.
  8. Arezki Metref, « Albert Camus, une jeunesse algérienne », Le Monde Diplomatique,‎ , p. 24 (lire en ligne)
  9. « Comptes rendus », Bulletin de la Ligue des Droits de l'Homme. Section d'Alger, no 2,‎ (gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57875973/f3.image.r=alger)
  10. [Christian Phéline.Chroniques camusiennes n° 37 sept 2022 pages 11-14]
  11. GR 16 P 252779, http://servicehistorique.sga.defense.gouv.fr/
  12. Le conservatoire d'Alger, Monsieur Gontran DESSAGNES Directeur. Le Conservatoire chronique départementale, janvier 1953, p. 82-87
  13. Camus et Germain 2022.
  14. Camus 1958, p. 7.
  15. Lottman 1978, p. 44.
  16. Lettre à Julien Cain, directeur de la B. N. F. du 24 mars 1954 B. N. F.n°18288
  17. Collège de St-Jean de Védas ; école du Pont-de-l’Arn ; Institut à Saint-Rémi-de-Provence ; rue à Niort, place à Béziers, etc.
  18. Il fallait que je vous dise …, Lettres d’élèves, Prix Louis Germain 1997, Nathan 1997
  19. Jean-Louis Saint-Ygnan : Le Premier Homme ou le chant profond d’Albert Camus, Feuga, 2006, page 88]
  20. Jean-Marc Thiabaud, « Le droit de chercher sa vérité – Louis Germain », sur Volte & Espace,
  21. « Michèle Delaunay veut "panthéoniser" l'instituteur d'Albert Camus », sur Europe1,

Voir aussi

Bibliographie

  • Patrick De Meerleer, Louis Germain, 1884-1966 : instituteur et père spirituel d'Albert Camus… sĂ©vère, mais chaleureux, PĂ©zenas, Domens, (ISBN 978-2-35780119-6)
  • Albert Camus, Discours de Suède, Paris, Gallimard, , 69 p. — Discours dĂ©diĂ© par A. Camus Ă  Louis Germain
  • Albert Camus, Le Premier Homme, coll. « Folio » (no 3320), (ISBN 978-2-07040101-7)
  • Albert Camus (1913-1960) et Louis Germain (1884-1966), Cher monsieur Germain : lettres et extraits, Paris, Gallimard, (ISBN 978-2-07295654-6)
  • Baptiste Jacomino, « Camus et son maĂ®tre d'Ă©cole : la pĂ©dagogie rĂ©publicaine de Monsieur Bernard est-elle dĂ©suète ? », Le Philosophoire, vol. 39, no 1,‎ , p. 107-116 (DOI 10.3917/PHOIR.039.0107)
  • Herbert R. Lottman (trad. Marianne VĂ©ron), Albert Camus, Paris, Le Seuil, (ISBN 978-2-02005008-1)
  • Jean-Louis Saint-Ygnan, Le Premier Homme ou le chant profond d’Albert Camus, Feuga, (ISBN 978-2-91574164-3)
  • Olivier Todd, Albert Camus, Une vie, Gallimard, (BNF 35811854)
  • Martine Mathieu-Job et Jean-Yves GuĂ©rin (Directeur), « Germain, Louis », dans Dictionnaire Albert Camus, Robert Laffont, , 1492 p. (ISBN 978-2-22110734-8)

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