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Loi sur les mesures d'urgence

La Loi sur les mesures d'urgence[1] est la loi canadienne qui définit depuis 1988 comment le gouvernement fédéral canadien peut réagir aux situations dites de « crise nationale ». Elle prévoit 4 types de crises: le sinistre, l'état d'urgence, l'état de crise internationale et l'état de guerre. Elle remplace la Loi sur les mesures de guerre.

Loi sur les mesures d'urgence
Autre(s) nom(s) Loi visant Ă  autoriser Ă  titre temporaire des mesures extraordinaires de sĂ©curitĂ© en situation de crise nationale et Ă  modifier d’autres lois en consĂ©quence
Présentation
Référence L.R.C. (1985), ch. 22 (4e suppl.)
Pays Drapeau du Canada Canada
Type Loi publique
Adoption et entrée en vigueur
Législature 33e législature du Canada
Gouvernement Gouvernement Brian Mulroney
Promulgation

Lire en ligne

Lois codifiĂ©es: Loi sur les mesures d’urgence

Historique

Selon le professeur de droit David Schneidermann, qui a participé à l'élaboration de la loi en 1987, pour situer le contexte historique de l'adoption de la Loi sur les mesures d'urgence, il faut comprendre les objectifs du gouvernement de Brian Mulroney à la fin des années 1980, qui cherche à tout prix à ramener le Québec dans le giron constitutionnel canadien, alors que la province avait été exclue des négociations de rapatriement de la Constitution. La stratégie de Mulroney est en deux volets : dans un premier temps, la reconnaissance de la société distincte québécoise par une modification constitutionnelle et dans un deuxiÚme temps, l'abrogation de la Loi sur les mesures de guerre et son remplacement par une loi plus modérée qui réduirait les probabilités d'abus de pouvoir et d'atteintes aux libertés publiques. Le premier volet est un échec en raison de l'impossibilité d'entériner l'accord du lac Meech, tandis que le second volet est considéré comme étant une réussite car la Loi sur les mesures d'urgence est adoptée. Le professeur Schneidermann affirme qu'en rédigeant la loi, énormément de poids a été accordé aux observations et considérations de l'Association canadienne des libertés civiles, qui insiste pour qu'il y ait un rÎle de surveillance accru des parlementaires, qu'il y ait des consultations avec les provinces ainsi qu'un encadrement de l'action gouvernementale par des définitions restrictives qui délimitent les situations d'urgence, en raison du refus historique des tribunaux d'intervenir de maniÚre plus active pour défendre les droits et libertés pendant les périodes de crise et d'urgence[2].

DĂ©finitions

Crise nationale

La loi dĂ©finit une situation de crise nationale comme une situation auquel il est « impossible de faire face adĂ©quatement sous le rĂ©gime des lois du Canada » et qui « met gravement en danger la vie, la santĂ© ou la sĂ©curitĂ© des Canadiens et Ă©chappe Ă  la capacitĂ© ou aux pouvoirs d’intervention des provinces; » ou « menace gravement la capacitĂ© du gouvernement du Canada de garantir la souverainetĂ©, la sĂ©curitĂ© et l’intĂ©gritĂ© territoriale du pays. »[3].

Menace envers la sécurité du Canada

La définition de «Menace envers la sécurité du Canada » dans la loi sur le service canadien de renseignement auquel la loi sur les mesures d'urgence fait référence constitue en:

«a) l’espionnage ou le sabotage visant le Canada ou prĂ©judiciables Ă  ses intĂ©rĂȘts, ainsi que les activitĂ©s tendant Ă  favoriser ce genre d’espionnage ou de sabotage;

b) les activitĂ©s influencĂ©es par l’étranger qui touchent le Canada ou s’y dĂ©roulent et sont prĂ©judiciables Ă  ses intĂ©rĂȘts, et qui sont d’une nature clandestine ou trompeuse ou comportent des menaces envers quiconque;

c) les activitĂ©s qui touchent le Canada ou s’y dĂ©roulent et visent Ă  favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d’atteindre un objectif politique, religieux ou idĂ©ologique au Canada ou dans un État Ă©tranger;

d) les activités qui, par des actions cachées et illicites, visent à saper le régime de gouvernement constitutionnellement établi au Canada ou dont le but immédiat ou ultime est sa destruction ou son renversement, par la violence.

La prĂ©sente dĂ©finition ne vise toutefois pas les activitĂ©s licites de dĂ©fense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un dĂ©saccord qui n’ont aucun lien avec les activitĂ©s mentionnĂ©es aux alinĂ©as a) Ă  d). »[4].

Sinistre

La loi dĂ©finit un sinistre comme une « Situation de crise comportant le risque de pertes humaines et matĂ©rielles, de bouleversements sociaux ou d’une interruption de l’acheminement des denrĂ©es, ressources et services essentiels d’une gravitĂ© telle qu’elle constitue une situation de crise nationale, causĂ©e par les Ă©vĂ©nements suivants ou par l’imminence de ceux-ci :

  • a) incendies, inondations, sĂ©cheresse, tempĂȘtes, tremblements de terre ou autres phĂ©nomĂšnes naturels;
  • b) maladies affectant les humains, les animaux ou les vĂ©gĂ©taux;
  • c) accidents ou pollution. »[3].

État d'urgence

La loi dĂ©finit un Ă©tat d'urgence comme une « situation de crise causĂ©e par des menaces envers la sĂ©curitĂ© du Canada (voir la section plus haut) d’une gravitĂ© telle qu’elle constitue une situation de crise nationale ».

État de crise internationale

La loi dĂ©finit un Ă©tat de crise internationale comme une « Situation de crise Ă  laquelle sont mĂȘlĂ©s le Canada et un ou plusieurs autres pays Ă  la suite d’actes d’intimidation ou de coercition ou de l’usage, effectif ou imminent, de force ou de violence grave et qui est suffisamment grave pour constituer une situation de crise nationale. ».

État de guerre

La loi dĂ©finit un Ă©tat de guerre comme: « Guerre ou autre conflit armĂ©, effectif ou imminent, oĂč est partie le Canada ou un de ses alliĂ©s et qui est suffisamment grave pour constituer une situation de crise nationale. »

Dispositions

En cas de sinistre

La loi permet notamment de limiter la liberté de circulation pour les zones touchées, le gouvernement pouvant forcer l'évacuation, et pouvant forcer la réquisition de biens. Notons que si une seule partie du Canada est touchée, seule cette partie sera soumise à la loi sur les mesures d'urgence[3].

En cas d'Ă©tat d'urgence

La loi permet notamment de limiter le droit de manifester, de limiter le droit à la circulation, et, en cas de violation d'un de ces décrets, de déposer des accusations criminelles permettant un emprisonnement pour jusqu'à 5 ans[5]. La loi prévoit que l'application de l'état d'urgence ne doit pas entraver l'autonomie des provinces[5].

En cas d'Ă©tat de crise internationale

La loi permet notamment de dĂ©poser des accusations criminelles permettant un emprisonnement pour jusqu'Ă  5 ans, de mandater un ministre de « s’acquitter sur le plan international de responsabilitĂ©s d’urgence dĂ©signĂ©es, ou de prendre des mesures politiques, diplomatiques ou Ă©conomiques dĂ©signĂ©es pour faire face Ă  la crise », de contrĂŽler et rĂ©glementer des industries, de rĂ©quisitionner des biens, des services et leur usage, et de fermer les frontiĂšres[5].

En cas de guerre

La loi prévoit que le gouvernement peut prendre toutes les mesures jugées « pour des motifs raisonnables, fondée ou opportune pour faire face à la crise. ». Le gouvernement ne peut toutefois pas imposer la conscription et doit dans la mesure du possible se « concerter avec les provinces »[6].

Dans tous les cas

La loi interdit au gouvernement canadien de « dĂ©tenir, d’emprisonner ou d’interner des citoyennes et des citoyens canadiens ou des rĂ©sidentes ou des rĂ©sidents permanents sur la base de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur Ăąge ou de dĂ©ficiences mentales ou physiques ». La loi n'interdit toutefois pas de le faire pour des raisons liĂ©es aux opinions politiques[7]. La loi prĂ©voit que le gouvernement doit agir en concertation avec les provinces, et ne peut donc pas agir seul[7]. Le gouvernement ne peut pas agir sans le soutien du parlement, contrairement Ă  ce que prĂ©voyait la loi sur les mesures de guerre[7].

Analyse

Comparaison avec la Loi sur les mesures de guerre

La loi est largement jugée moins liberticide que la loi sur les mesures de guerre qu'elle remplace[7]. Puisque l'ancienne loi suspendait entre autres le habeas corpus et le droit à un procÚs, elle avait mené à des centaines d'arrestations arbitraires au Québec pendant la crise d'Octobre de 1970 pour des délits d'opinion[8].

Selon les professeurs de droit Louis-Philippe Lampron[9] - et Stéphane Beaulac[10], contrairement à l'ancienne Loi sur les mesures de guerre, la Loi sur les mesures d'urgence ne suspend pas les droits et libertés, donc il est en théorie possible de contester une mesure qui résulte de cette loi au moyen des droits et libertés de la Charte canadienne.

Comme la loi impose des restrictions liĂ©es Ă  des situations d'urgence de sĂ©curitĂ© publique mais ne suspend pas les droits, l'enjeu pour un gouvernement est de convaincre un tribunal que la restriction imposĂ©e constitue une atteinte minimale, qu'elle est proportionnelle Ă  la situation d'urgence et qu'elle satisfait donc Ă  l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertĂ©s[11]. S'il y a une vĂ©ritable urgence en matiĂšre de sĂ©curitĂ© publique au sens de la loi et que le gouvernement parvient Ă  faire en sorte que les atteintes aux droits sont de nature minimale, le cas Ă©chĂ©ant, les tribunaux auront tendance Ă  faire preuve d'une relative dĂ©fĂ©rence Ă  l'Ă©gard du gouvernement dans leur application du test Oakes de l'article 1 de la Charte, de maniĂšre analogue Ă  la rĂ©action des tribunaux aux lois d'urgence de santĂ© publique pendant la pandĂ©mie de Covid-19[12], lesquelles ne suspendent pas les droits mais imposent des restrictions sanitaires. Cette attitude des tribunaux serait liĂ©e Ă  la valeur constitutionnelle canadienne de paix, ordre et bon gouvernement, qui donne un « pouvoir rĂ©siduel Ă  l’égard de questions d’intĂ©rĂȘt national et en cas d’urgence »[13].

Selon les auteurs Craig Forcese et Aaron Freeman, le contrĂŽle judiciaire des actes de l'administration publique en fonction des rĂšgles du droit administratif canadien serait Ă©galement possible en vertu de cette loi[14]. Le cas Ă©chĂ©ant, la norme de contrĂŽle est en rĂšgle gĂ©nĂ©rale la norme de la dĂ©cision raisonnable, mais une autre norme de contrĂŽle appelĂ©e norme de la dĂ©cision correcte peut trouver application lorsque des questions constitutionnelles sont soulevĂ©es[15]. Lorsqu'elle est applicable, la norme de la dĂ©cision correcte donne une plus grande marge de manƓuvre de contestation des dĂ©cisions de l'administration car il s'agit de dĂ©terminer si le dĂ©cideur gouvernemental a pris la dĂ©cision correcte et non pas seulement une dĂ©cision raisonnable dans les circonstances[16]. Dans la mesure oĂč un dĂ©cideur administratif et un processus dĂ©cisionnel peuvent ĂȘtre identifiĂ©s, ce que la loi ne fait pas clairement, il peut aussi ĂȘtre question de l'Ă©quitĂ© procĂ©durale de l'administration Ă  l'Ă©gard des administrĂ©s[17].

Contrairement à la Loi sur les mesures de guerre, la Loi sur les mesures d'urgence n'autorise pas le déploiement de militaires, qui s'effectue plutÎt en vertu de la Loi sur la défense nationale[18] - [19].

PremiĂšre utilisation

La loi est appliquée pour la premiÚre fois au milieu du mois de en réaction aux perturbations causées par le Convoi de la liberté, un mouvement de camionneurs fortement opposé aux mesures sanitaires imposées à la suite de la pandémie de Covid-19[20]. La loi n'avait jamais été appliquée avant[21].

Un peu plus de deux semaines avant que la loi ne soit invoquée, une des membres du cabinet Trudeau, la ministre Mélanie Joly, a publiquement exprimé des craintes quant à un « 6 janvier canadien », c'est-à-dire l'idée qu'il puisse y avoir au Canada une attaque contre le Parlement similaire à l'assaut du Capitole par des partisans de Donald Trump[22].

Quelques jours avant que la loi ne soit invoquée, le président américain Joe Biden implore le gouvernement canadien d'« utiliser les compétences fédérales » pour mettre fin à l'occupation du pont Ambassadeur. Il dit d'utiliser les compétences fédérales, mais ne recommande pas une solution législative particuliÚre[23]. Le blocage du pont est levé peu de temps aprÚs, à la suite d'une opération policiÚre sans lien avec la Loi sur les mesures d'urgence[24].

Selon le professeur de droit BenoĂźt Pelletier, « une fois que la dĂ©claration d’état d’urgence [est] prononcĂ©e, c’est la GRC qui va prendre le leadership et qui pourra mĂȘme intervenir par rapport aux rĂšglements municipaux, aux violations aux lois provinciales et, Ă©videmment, par rapport aux violations aux lois fĂ©dĂ©rales [...] Ça envoie un message extrĂȘmement important que dorĂ©navant, il y aura un leadership policier. Il y aura une coordination des interventions policiĂšres par Ottawa», dit-il. »[25].

Le ministre de la justice David Lametti (un ancien professeur de droit) a dĂ©clarĂ© que les personnes qui soutiennent financiĂšrement les manifestations et occupations par les camionneurs pourraient ĂȘtre visĂ©s par un gel de leur compte bancaire. « Si vous ĂȘtes membre d'un mouvement pro-Trump qui donne des centaines de milliers de dollars, et des millions de dollars Ă  ce genre de choses, alors vous devriez vous inquiĂ©ter »[26] - [27].

Bien que la Loi sur les mesures d'urgence oblige le Parlement à débattre sans interruption de la loi et de tenir un vote à brÚve échéance, les parlementaires ont décidé d'interrompre les débats au motif que les conditions de sécurité sont difficiles dans la ville d'Ottawa[28].

AprĂšs la dispersion ou l'arrestation des personnes qui s'Ă©taient installĂ©es au centre-ville d'Ottawa, le ministre de la protection civile Bill Blair a dĂ©clarĂ© que les mesures adoptĂ©es en vertu de la Loi sur les mesures d'urgence allaient ĂȘtre maintenues « aussi longtemps que nĂ©cessaire »[29].

Pour s'assurer d'avoir l'unanimitĂ© des votes de tous ses dĂ©putĂ©s libĂ©raux et celui de ses alliĂ©s de circonstance du Nouveau Parti dĂ©mocratique, le premier ministre Trudeau a fait du vote sur la motion ratifiant l'Ă©tat d'urgence une question de confiance envers le gouvernement, ce qui signifie qu'il a dĂ©cidĂ© de mettre ce vote sur un plan d'Ă©galitĂ© avec le vote du budget annuel et que le dĂ©faut d'appuyer le gouvernement sur cette question par un vote majoritaire en Chambre aurait entraĂźnĂ© le dĂ©clenchement d'Ă©lections, ce que beaucoup de dĂ©putĂ©s ne voulaient pas mĂȘme si certains d'entre eux Ă©taient personnellement opposĂ©s Ă  la Loi sur les mesures d'urgence[30].

Le premier ministre Justin Trudeau met abruptement fin Ă  l'application de la Loi sur les mesures d'urgence au moment oĂč le SĂ©nat se prĂ©parait Ă  tenir un vote sur la motion de ratification des dĂ©crets adoptĂ©s en vertu de la loi[31]. Puisque le SĂ©nat est une composante essentielle du Parlement du Canada, il n'y a donc jamais eu de vĂ©ritable ratification des dĂ©crets de l'exĂ©cutif par le Parlement car la Chambre des communes Ă  elle seule n'Ă©quivaut pas au Parlement[32].

Plusieurs sénateurs avaient exprimé de forts doutes sur la nécessité d'imposer les mesures et sur leur constitutionnalité, dont l'ancien juge Pierre Dalphond, qui a déclaré que la saisie d'actifs financiers sans l'autorisation d'un tribunal telle que prévue dans les décrets constitue une violation claire de l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés[33].

Motifs justifiant de l'invocation de la loi selon la Commission sur l'Ă©tat d'urgence

D'aprÚs le juge Paul Rouleau, qui a présidé la Commission sur l'état d'urgence, l'invocation de la loi sur l'état d'urgence en février 2022 était justifiée pour les raisons suivantes[34] :

  • Un Ă©chec du fĂ©dĂ©ralisme, la province de l'Ontario ayant refusĂ© de mobiliser suffisamment de ressources Ă  la ville d'Ottawa alors que la situation avait manifestement dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©.
  • « Des renseignements crĂ©dibles et convaincants permettaient de croire raisonnablement que la dĂ©finition de menaces envers la sĂ©curitĂ© du Canada Ă©tait respectĂ©e ».
  • Il existait « un fondement factuel convaincant et crĂ©dible qui Ă©tayait objectivement une croyance raisonnable que la vie, la santĂ© et la sĂ©curitĂ© des Canadiens Ă©taient gravement en danger »
  • Les forces de l'ordre Ă©taient au bord du point de rupture avant l'invocation de la loi
  • L'idĂ©ologie extrĂ©miste de certains manifestants est un critĂšre pertinent et dĂ©terminant, selon le juge
  • La manifestation de fĂ©vrier 2022 n'Ă©tait pas une manifestation pacifique et licite.
  • « Les consĂ©quences sur la santĂ© humaine et la sĂ©curitĂ© publique qui peuvent dĂ©couler d’une perturbation grave, soudaine, prolongĂ©e et dĂ©libĂ©rĂ©e de la sĂ©curitĂ© Ă©conomique et de la capacitĂ© de gagner sa vie sont pertinentes ».
  • Le critĂšre de crise est rempli car les convois Ă©taient mobiles et certaines provinces touchĂ©es avaient fait part de leur incapacitĂ© Ă  gĂ©rer la situation.

Toutefois, comme le reconnaĂźt le juge lui-mĂȘme, le Rapport de la Commission sur l'Ă©tat d'urgence n'a pas force de loi; c'est plutĂŽt le contrĂŽle judiciaire devant la Cour fĂ©dĂ©rale (et possiblement devant la Cour suprĂȘme) qui doit exprimer le point de vue officiel du systĂšme judiciaire canadien, qui pourrait ĂȘtre similaire ou diffĂ©rent de celui du Rapport Rouleau[35].

Contenu des décrets de février 2022

RĂšglement sur les mesures d'urgence

La loi est formulĂ©e en termes gĂ©nĂ©raux, tandis que les restrictions adoptĂ©es en vertu de la loi proviennent de dĂ©crets de l'exĂ©cutif, qu'il faut consulter pour connaĂźtre la nature des interdictions imposĂ©es. Les dĂ©crets sont prĂ©sents sur le site web decrets.canada.ca[36]. En pratique, il n'est pas rare que des rĂšglements fĂ©dĂ©raux contiennent des Ă©lĂ©ments de droit pĂ©nal[37], mais celui du a une portĂ©e exceptionnelle car il s'inscrit dans le cadre de la Loi sur les mesures d'urgence et son contenu n'a fait l'objet d'aucun vĂ©ritable dĂ©bat public avant d'ĂȘtre adoptĂ©.

L'article 2 (1) concerne l'interdiction de participer à des assemblées publiques qui peuvent troubler la paix, entraver le commerce, entraver le fonctionnement d'infrastructures essentielles ou favoriser l'usage de la violence grave.

« Interdiction – assemblĂ©e publique

2 (1) Il est interdit de participer Ă  une assemblĂ©e publique dont il est raisonnable de penser qu’elle aurait pour effet de troubler la paix par l’un des moyens suivants :

a) en entravant gravement le commerce ou la circulation des personnes et des biens;

b) en entravant le fonctionnement d’infrastructures essentielles;

c) en favorisant l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens[38]. »


L'article 2 (2) du décret interdit la présence de mineurs aux manifestations.

« Mineur

(2) Il est interdit de faire participer une personne ĂągĂ©e de moins de dix-huit ans Ă  une assemblĂ©e visĂ©e au paragraphe (1)‍[39]. »

L'article 3 du décret interdit d'entrer au Canada pour participer à une assemblée interdite à l'article 2. L'article 3 (2 ) crée des exceptions pour les autochtones, les réfugiés, les demandeurs d'asile et d'autres personnes pour que la restriction puisse paraßtre raisonnable.

« Interdiction – entrĂ©e au Canada – Ă©tranger 3 (1) Il est interdit Ă  un Ă©tranger d’entrer au Canada avec l’intention de participer Ă  une assemblĂ©e visĂ©e au paragraphe 2‍(1) ou de faciliter une telle assemblĂ©e. [...][40] »

L'article 4 (1) du décret interdit les déplacements vers les zones des assemblées interdites de l'article 2[41]. Le paragraphe 4 (2) interdit aux participants de déplacer un enfant vers ces zones[42]. L'article 4 (3) crée des exceptions entre autres pour les agents de la paix et les personnes qui travaillent dans la zone[43].

L'article 5 du décret interdit d'utiliser, de fournir, de réunir des biens pour participer à une assemblée interdite, ou d'inviter une personne à le faire, ou de faciliter une telle assemblée ou faire bénéficier une personne qui participe à une telle assemblée.

« 5 Il est interdit, directement ou non, d’utiliser, de rĂ©unir, de rendre disponibles ou de fournir des biens — ou d’inviter une autre personne Ă  le faire — pour participer Ă  toute assemblĂ©e visĂ©e au paragraphe 2‍(1) ou faciliter une telle assemblĂ©e ou pour en faire bĂ©nĂ©ficier une personne qui participe Ă  une telle assemblĂ©e ou la facilite[44]. »

L'article 7 du décret ordonne de fournir des biens pour assister à l'opération policiÚre de remorquage de véhicules.

« Ordre de fournir des biens et services essentiels 7 (1) Toute personne doit rendre disponibles et fournir les biens et services essentiels demandĂ©s par le ministre de la SĂ©curitĂ© publique et de la Protection civile, du commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, ou la personne agissant en leur nom pour l’enlĂšvement, le remorquage et l’entreposage de vĂ©hicules, d’équipement, des structures ou de tout autre objet qui composent un blocage[45] »

DĂ©cret sur les mesures Ă©conomiques d’urgence

Un autre décret tente de mettre fin aux opérations économiques qui visent à soutenir le mouvement des camionneurs[46].

L'article 2 de dĂ©cret ordonne l'arrĂȘt des opĂ©rations Ă©conomiques suivantes en faveur des personnes dĂ©signĂ©es dans le RĂšglement sur les mesures d’urgence adoptĂ© le mĂȘme jour :

« Obligations de cesser les opérations

2 (1) DĂšs l’entrĂ©e en vigueur du prĂ©sent dĂ©cret, les entitĂ©s visĂ©es Ă  l’article 3 doivent cesser :

a) toute opĂ©ration portant sur un bien, oĂč qu’il se trouve, appartenant Ă  une personne dĂ©signĂ©e ou dĂ©tenu ou contrĂŽlĂ© par elle ou pour son compte ou suivant ses instructions;

b) toute transaction liĂ©e Ă  une opĂ©ration visĂ©e Ă  l’alinĂ©a a) ou d’en faciliter la conclusion;

c) de rendre disponible des biens — notamment des fonds ou de la monnaie virtuelle — Ă  une personne dĂ©signĂ©e ou Ă  une personne agissant pour son compte ou suivant ses instructions, ou au profit de l’une ou l’autre de ces personnes;

d) de fournir des services financiers ou connexes Ă  une personne dĂ©signĂ©e ou Ă  son profit ou acquĂ©rir de tels services auprĂšs d’elle ou Ă  son profit[47]. »

L'article 3 rend les banques et diverses autres entreprises financiÚres responsables de l'application des interdiction d'opérations financiÚres[48]. Il vise aussi à réglementer les plateformes de monnaie virtuelles, historiquement considérées comme étant difficiles à réglementer[49].

L'article 4 (1) crĂ©e une obligation d'enregistrement des entitĂ©s de l'article 3 auprĂšs du Centre d’analyse des opĂ©rations et dĂ©clarations financiĂšres du Canada[50]. L'art. 4 (2) les oblige Ă  dĂ©clarer toute opĂ©ration douteuse[51]. L'art. 6 autorise la communication de renseignements par le gouvernement aux fins du dĂ©cret[51]. L'art. 7 accorde une immunitĂ© de poursuite aux entitĂ©s qui se conforment au dĂ©cret[52].

La vice-premiĂšre ministre Chrystia Freeland a dĂ©clarĂ© que le gouvernement fĂ©dĂ©ral a l'intention de rendre permanentes certaines mesures du dĂ©cret Ă©conomique en prĂ©sentant un projet de loi devant le Parlement, notamment celles en lien avec le Centre d’analyse des opĂ©rations et dĂ©clarations financiĂšres du Canada[53].

Notes et références

  1. LRC 1985, c. 22 (4e suppl)
  2. The Globe and Mail. David Schneidermann. I witnessed the creation of the Emergencies Act. It shouldn’t have been invoked in Ottawa. En ligne. Page consultĂ©e le 2022-02-24
  3. MinistÚre de la Justice, « Lois codifiées RÚglements codifiés », sur laws-lois.justice.gc.ca, (consulté le ).
  4. MinistÚre de la Justice, « Lois codifiées RÚglements codifiés », sur laws-lois.justice.gc.ca, (consulté le )
  5. MinistÚre de la Justice, « Lois codifiées RÚglements codifiés », sur laws-lois.justice.gc.ca, (consulté le )
  6. MinistÚre de la Justice, « Lois codifiées RÚglements codifiés », sur laws-lois.justice.gc.ca, (consulté le )
  7. « Loi sur les mesures d’urgence | », sur l'EncyclopĂ©die Canadienne (consultĂ© le ).
  8. Youtube. Entrevue avec Gilles Paquin. Canal Youtube du Bloc Québécois. « Crise d'Octobre : des arrestations abusives ». En ligne. Page consultée le 2022-02-16
  9. Le Journal de MontrĂ©al. « Loi sur les mesures d’urgence: une loi au passĂ© controversĂ© ». En ligneĂ© Page consultĂ©e le 2022-02-15
  10. La Presse. 15 fĂ©vrier 2022. «Qu’est-ce que la Loi sur les mesures d’urgence ?». En ligne. ConsultĂ©e le 2022-02-15
  11. Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11, art 1, <https://canlii.ca/t/dfbx#art1>, consulté le 2022-02-15
  12. Loi sur la santé publique, RLRQ c S-2.2, art 118, <https://canlii.ca/t/1b5s#art118>, consulté le 2022-02-15
  13. BibliothĂšque du Parlement. Notes de la colline. 16 juillet 2020 Les pouvoirs du gouvernement fĂ©dĂ©ral en cas d’urgence de santĂ© publique. En ligne. Page consultĂ©e le 2022-02-19
  14. Forcese, Craig; Freeman, Aaron (2005). The Laws of Government: The Legal Foundations of Canadian Democracy. Irwin Law, p. 592
  15. Canada (Ministre de la CitoyennetĂ© et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (CanLII), au para 17, <https://canlii.ca/t/j46kc#par17>, consultĂ© le 2022-02-19
  16. Barreau du QuĂ©bec, Droit public et administratif - Collection de droit 2019-2020, Volume 8, MontrĂ©al, Éditions Yvon Blais, 2019.
  17. Canada.ca ÉquitĂ© procĂ©durale. En ligne. Page consultĂ©e le 2022-02-20
  18. La Presse. « Ottawa doit ĂȘtre trĂšs prudent, selon le pĂšre de la loi ». En ligne. Page consultĂ©e le 2022-02-17
  19. LRC 1985, c. N-5
  20. RaphaĂ«l Pirro, « [EN DIRECT] Manifestations dans le pays: Trudeau aura recours Ă  la Loi sur les mesures d’urgence » (consultĂ© le )
  21. Zone Politique- ICI.Radio-Canada.ca, « La Loi sur les mesures d’urgence, c’est quoi au juste? | Coronavirus », sur Radio-Canada.ca (consultĂ© le )
  22. TVA Nouvelles. 26 janvier Convoi de camionneurs : MĂ©lanie Joly ne veut pas d’un «6 janvier» canadien. En ligne. Page consultĂ©e le 2022-02-20
  23. New York Post. 11 février 2022. Biden urges Trudeau to use fed powers to end bridge blockade. En ligne. Page consultée le 2022-02-21
  24. CBC News. Ambassador Bridge reopens after police clear protesters. 13 février 2022. En ligne. Page consultée le 2022-02-21
  25. TVA Nouvelles. 14 fĂ©vrier 2022. « Quels pouvoirs accorde la Loi sur les mesures d’urgence? TVA Nouvelles ». En ligne. Page consultĂ©e le 2022-02-14
  26. Toronto Sun. 17 février 2022. Trudeau minister threatens to seize accounts of 'pro-Trump' convoy donors. En ligne. Page consultée le 2022-02-18
  27. CTV News 16 février 2022. U.S. donors to trucker protest convoys 'ought to be worried': Lametti. En ligne. Page consultée le 2022-02-18
  28. Radio-Canada. 18 fĂ©vrier 2022. « Le Parlement ne siĂšge pas en raison de l’opĂ©ration policiĂšre Ă  Ottawa ». En ligne. Page consultĂ©e le 2022-02-18
  29. Global News. 20 fĂ©vrier 2022. ‘Threat still exists’: Emergencies Act to remain as long as required, Bill Blair says. En ligne. Page cconsultĂ©e le 2022-02-21
  30. « Le NPD sauve le gouvernement Trudeau sur les mesures d’urgence », Le Devoir,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  31. Radio-Canada. 23 fĂ©vrier 2022. « Le premier ministre Trudeau rĂ©voque la Loi sur les mesures d’urgence ». En ligne. Page consultĂ©e le 2022-02-23
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