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Kulturkampf

Le Kulturkampf /kʊlˈtuËÉÌŻËŒkampf/ , ou « combat pour la civilisation », est une politique religieuse menĂ©e par le chancelier de l'Empire allemand, Otto von Bismarck, destinĂ©e Ă  rompre les liens entre Rome et l’Église catholique d'Allemagne et Ă  placer celle-ci ― perçue comme une menace Ă  l'unitĂ© nationale ― sous la tutelle de l'État. EntamĂ©e en et conduite jusqu'en , elle est dĂ©finitivement abandonnĂ©e en .

Modus vivendi, caricature de Wilhelm Scholz dans le Kladderadatsch, no 14-15 du 18 mars 1878 : le pape et le chancelier veulent tous deux se faire lĂ©cher les bottes par l’autre, mais le souverain pontife demande Ă  ne pas ĂȘtre dĂ©rangĂ© et Bismarck en fait autant.

DĂšs 1871, Otto von Bismarck et son ministre des Cultes, Adalbert Falk, adoptent une sĂ©rie de textes dirigĂ©s contre les catholiques afin de leur faire accepter le primat du temporel sur le spirituel. Des moyens lĂ©gislatifs sans prĂ©cĂ©dent sont employĂ©s pour lutter contre l'Église catholique afin de la soumettre au contrĂŽle de l'État : interdiction aux prĂȘtres de parler politique lors des prĂȘches, interdiction des Ă©tablissements jĂ©suites, affectation administrative des ecclĂ©siastiques, expulsion de tous les ordres religieux catholiques, confiscation de leurs biens, Ă©coles et couvents, introduction du mariage civil. Des prĂȘtres rĂ©fractaires sont dĂ©chus de leur nationalitĂ©, emprisonnĂ©s ou condamnĂ©s Ă  des amendes. Ces mĂ©thodes brutales finissent par dĂ©plaire mĂȘme aux alliĂ©s de Bismarck que sont les libĂ©raux et les protestants.

Les mesures dirigĂ©es contre l’Église, les prĂȘtres et leur influence contribuent Ă©galement Ă  souder les catholiques entre eux. Les catholiques lorrains, alsaciens et polonais qui cherchent Ă  s'affranchir de la tutelle allemande et les catholiques bavarois et de la rĂ©gion de Cologne qui se mĂ©fient du monopole de la Prusse sur l’Empire allemand, font preuve d'unitĂ© et rĂ©sistent. RassemblĂ©s au sein d’un parti politique, le Zentrum, les catholiques acquiĂšrent un poids politique considĂ©rable qui rend leur soutien indispensable.

Le Kulturkampf a donc eu l’effet inverse de celui escomptĂ©.

Devant cet Ă©chec, et face Ă  la nĂ©cessitĂ© de changer de majoritĂ© pour voter les lois antisocialistes, Bismarck dĂ©cide d'abandonner cette politique. L'Ă©lection du pape LĂ©on XIII en 1878 marque le dĂ©but de la dĂ©tente. La plupart des lois sont retirĂ©es ou assouplies, les prĂȘtres peuvent retrouver leurs paroisses. La paix est dĂ©finitivement signĂ©e en 1886 et 1887 entre le Vatican et l'Empire allemand.

L'expression Kulturkampf est ensuite Ă©tendue aux tensions parfois trĂšs vives qui accompagnent l’affranchissement des États modernes du pouvoir de l’Église romaine au XIXe siĂšcle.

Otto von Bismarck, chancelier impérial et ministre-président de Prusse est le grand artisan du Kulturkampf.

Contexte

Naissance de l’Empire allemand

En 1871, Guillaume Ier, alors roi de Prusse, proclame la naissance de l’Empire allemand dans la galerie des Glaces du chĂąteau de Versailles. Il vient d'annexer l'Alsace et la Lorraine et de rĂ©aliser l’unitĂ© de l’Allemagne autour de son royaume, aprĂšs des siĂšcles de divisions entre petits États et principautĂ©s rivales.

Aprùs l’exclusion de l’Autriche catholique, les protestants dominent dans l’Empire, d’autant plus que la dynastie de Hohenzollern et la plupart des membres du gouvernement sont des protestants.

Le chancelier de l'empire, Otto von Bismarck, artisan de cette nouvelle unitĂ© allemande accomplie par les armes, se prĂ©occupe Ă  prĂ©sent d'assurer sa stabilitĂ©, ce qui implique un pouvoir indiscutĂ© sur le plan intĂ©rieur. Ses deux principaux adversaires, ceux qu’il appelle « les ennemis du Reich », sont les socialistes et les catholiques[1].

Les catholiques dans l'Empire allemand

Carte de la répartition des confessions dans l'Empire allemand au XVIIIe siÚcle. Les catholiques sont en bleu clair et foncé, les protestants en rose et rouge. Le jaune indique que les deux confessions sont présentes.

L'unité confessionnelle du Saint Empire romain germanique est officiellement rompue en 1555 et la paix d'Augsbourg consacre sa division religieuse née de la Réforme luthérienne. Selon le principe Cujus regio, ejus religio (tel prince, telle religion), la coexistence du catholicisme et du protestantisme au sein de l'empire se fait sur la base de l'unité confessionnelle de chaque territoire[2].

À la veille de la RĂ©volution française, la population catholique, largement minoritaire, vit dans le duchĂ© de BaviĂšre, dans les grandes principautĂ©s ecclĂ©siastiques : Cologne, TrĂšves, Mayence, MĂŒnster, Paderborn, Worms, WĂŒrzburg et dans les domaines des Habsbourg comme le Brisgau. La dĂ©faite de NapolĂ©on et le congrĂšs de Vienne conduisent Ă  la constitution d'une confĂ©dĂ©ration germanique, qui entraĂźne un nouveau redĂ©coupage territorial. DĂšs lors il n'y a plus que trente-six États allemands dont un seul est catholique, celui du roi de BaviĂšre. La RhĂ©nanie et la Westphalie catholiques sont rattachĂ©es au royaume de Prusse. DĂšs lors, 80 % des catholiques allemands sont placĂ©s sous autoritĂ© protestante, dans une position d'infĂ©rioritĂ© culturelle et politique[3].

Les sĂ©cularisations et les expropriations des biens de l'Église pratiquĂ©es durant l'occupation napolĂ©onienne changent les rapports de force et la relation entre État et Église. Au moment de la crĂ©ation de l'Empire allemand, les catholiques (dont les Lorrains, Alsaciens et Polonais) reprĂ©sentent un tiers de sa population, contre deux tiers pour les protestants. Il n'y a pas de religion d'État, cependant l'État paie les traitements des prĂȘtres, entretient les lieux de culte et les facultĂ©s de thĂ©ologie se trouvent dans les universitĂ©s sous son contrĂŽle. L'État a Ă©galement son mot Ă  dire lors de la nomination des Ă©vĂȘques[4].

La revendication d'universalitĂ© de l'État se trouve dans l'opposition naturelle Ă  l'Église catholique, qui souhaite prĂ©server son influence et les traditions chrĂ©tiennes comme ciment de la sociĂ©tĂ©[4]. L’emprise du pouvoir politique sur l’Église pousse de nombreux catholiques Ă  revendiquer, au nom de la libertĂ© de l’Église, une plus grande intervention du pape. C’est le dĂ©veloppement du courant ultramontain favorable au renforcement de l’autoritĂ© du SiĂšge apostolique, Ă  la juridiction universelle du pape, Ă  la validitĂ© de ses dĂ©finitions thĂ©ologiques et de ses condamnations.

Ce conflit d'intĂ©rĂȘts est amplifiĂ© par l'apparition du libĂ©ralisme. Ce type de changement dans les relations Église-État n'est pas particulier Ă  l'Allemagne[5]. La prĂ©sence de libĂ©raux dans les gouvernements joue un rĂŽle important dans le dĂ©clenchement des conflits[6]. Cependant, il n'y a pas qu'une simple opposition croyants / anticlĂ©ricaux.

Les libĂ©raux allemands, majoritairement protestants, sont ainsi plutĂŽt anticatholiques, alors que les catholiques sont plutĂŽt antilibĂ©raux. Les libĂ©raux ne sont pas anticlĂ©ricaux par idĂ©ologie, mais ils se considĂšrent comme les reprĂ©sentants de la modernitĂ©, du progrĂšs et de la culture en Allemagne. Ils voudraient que l'Ă©cole devienne neutre et aconfessionnelle, hors de l'influence de l'Église[7].

L'Ă©vĂȘque de Mayence Wilhelm von Ketteler, cofondateur du Zentrum.

Minoritaires en Allemagne, les catholiques s’organisent depuis longtemps pour dĂ©fendre leurs intĂ©rĂȘts, avec des associations, des publications, et des groupes parlementaires dans diffĂ©rentes assemblĂ©es. Quand Bismarck rĂ©alise l’unitĂ© allemande au profit de la Prusse luthĂ©rienne, ils dĂ©cident de fonder en un parti politique, le Zentrum (Le Centre).

Au cours des deux premiers tiers du XIXe siĂšcle, le courant catholique se montre hostile Ă  la modernitĂ©, ce qu'illustrent les encycliques du pape Pie IX de , Quanta Cura et Syllabus. Cette derniĂšre dresse une liste de 80 Ă©garements de la politique, de la culture et de la science modernes, dont la libertĂ© d'expression, la libertĂ© religieuse, ainsi que la sĂ©paration de l'Église et de l'État. Mais si entre 1815 et 1860 environ, les positions des catholiques allemands sont trĂšs traditionnelles, elles changent avec l'apparition de nouvelles formes de pauvretĂ© liĂ©e aux dĂ©buts de l’industrie et de l’urbanisation accĂ©lĂ©rĂ©e[8].

Leur principal leader est Wilhelm von Ketteler, Ă©vĂȘque de Mayence, qui s’intĂ©resse beaucoup aux questions sociales. Il publie, en 1865, Les Travailleurs et la chrĂ©tientĂ© (Die Arbeiter und das Christentum) et fait adopter, en 1869, par l'AssemblĂ©e des Ă©vĂȘques allemands, qui se tient tous les ans Ă  Fulda, le programme social du catholicisme allemand : hausse des salaires, limitation du temps de travail, introduction et respect des jours de repos, limitation du travail des enfants, des jeunes filles et des mĂšres. Ainsi, les catholiques allemands s'opposent au socialisme Ă©tatiste puisqu'ils dĂ©fendent la propriĂ©tĂ© privĂ©e mais refusent le libĂ©ralisme individualiste. Le parti penche pour le fĂ©dĂ©ralisme et pour un rapprochement avec l'Autriche-Hongrie catholique[9].

Le nouveau mode de scrutin électoral par suffrage universel avantage le parti Zentrum[10]. Les catholiques obtiennent 18,6% des suffrages et cinquante-sept siÚges aux premiÚres élections suivant l'unité allemande, en 1871[11].

Pie IX.

Le premier concile ƓcumĂ©nique du Vatican, qui se dĂ©roule de Ă  , tente de renforcer l'autoritĂ© papale avec notamment la proclamation le du dogme de l'infaillibilitĂ© pontificale en matiĂšre de thĂ©ologie. En Allemagne, les libĂ©raux sont particuliĂšrement virulents contre cette dĂ©cision, considĂ©rant qu'elle s'oppose Ă  la libertĂ© d'opinion et Ă  la libre conscience. D'ailleurs, le clergĂ© allemand est Ă©galement majoritairement opposĂ© Ă  cette dĂ©cision[12].

Cependant, Ă  peine deux mois aprĂšs, le , le pape Pie IX perd au profit du roi d’Italie Victor-Emmanuel II le contrĂŽle temporel qu’il avait sur Rome depuis plusieurs siĂšcles. Le choc culturel que reprĂ©sente la prise de Rome vient surtout de la crise spirituelle qu’elle va entraĂźner chez nombre de catholiques europĂ©ens, Ă  commencer par ceux d’Italie qui se voient intimer l’ordre de ne pas participer Ă  la vie politique italienne. Dans les autres nations, l’ultramontanisme progresse, mettant Ă  chaque fois en concurrence foi et appartenance nationale.

Les lois contre l'Église et les catholiques

Adelbert Falk en 1872.

Pour consolider la nation allemande, Bismarck cherche Ă  rĂ©duire des particularismes et vise en premier lieu l’Église catholique et sa prĂ©tention Ă  contester la sphĂšre d’intervention de l’État.

En , Bismarck abolit les dispositions constitutionnelles qui protĂ©gent l’Église et ferme le dĂ©partement catholique du ministĂšre de l'instruction et des cultes[13].

Le , est promulguĂ©e la loi dite de paragraphe de la chaire, (Kanzelparagraph), qui interdit aux religieux de prendre des positions politiques dans le cadre de leur fonction sous peine d'emprisonnement d’une durĂ©e allant jusqu'Ă  2 ans. Ironie de l'histoire, la loi est prĂ©sentĂ©e par les dĂ©putĂ©s bavarois[13].

Adalbert Falk, un protestant prussien, est nommĂ© ministre de l'instruction publique et des cultes[14]. Il remplace dans sa fonction von MĂŒlher que Bismarck estime trop rĂ©servĂ© dans l’application de sa politique. C’est sous son Ă©gide que, le , est votĂ©e la loi de surveillance de l’école (Schulaufsichtsgesetz) qui retire aux Églises le droit d’inspection des Ă©coles primaires, au profit d’inspecteurs laĂŻcs, et ferme l’enseignement public aux ordres religieux. C'est une vĂ©ritable laĂŻcisation qui fait passer de l’Église Ă  l’État le contrĂŽle sur l’école ainsi que le choix des maĂźtres. Le , en rĂ©agissant au refus par le pape Pie IX d'un ambassadeur allemand qu'il lui a proposĂ©, Bismarck dĂ©clare devant le Reichstag « Nous n'irons pas Ă  Canossa ni physiquement ni spirituellement » et « nous ne cĂ©derons rien » face Ă  l'Église catholique[14]. Les catholiques, les membres du Zentrum et les autres minoritĂ©s sont qualifiĂ©s d'ennemis de l'Empire[15]. Les relations diplomatiques entre l'Allemagne et le Vatican sont rompues en 1872.

La loi antijésuites (Jesuitengesetzl) du interdit les établissements jésuites sur tout le territoire[16].

« Zwischen Berlin und Rom » (Entre Berlin et Rome), Kladderadatsch, 1875.

Les lois de mai , (Maigesetze) font de l'État le responsable de la formation et de l'affectation des ecclĂ©siastiques, ceux-ci sont donc contraints de passer des examens de culture. Les propriĂ©tĂ©s de l'Église doivent ĂȘtre dirigĂ©es par un reprĂ©sentant des communes. Les petits sĂ©minaires sont supprimĂ©s. Les congrĂ©gations religieuses sont chassĂ©es du territoire allemand, Ă  l'exception des congrĂ©gations hospitaliĂšres. Leurs biens, Ă©coles et couvents, sont confisquĂ©s. Les prĂȘtres doivent dĂ©sormais ĂȘtre Ă©lus[14].

Face aux lois de mai, Ludwig Windthorst, qui prend la tĂȘte du parti catholique, Ă  partir de 1874, appelle Ă  la rĂ©sistance passive. Les archevĂȘques de Paderborn et de Munster prĂ©fĂšrent la prison Ă  la soumission. Les prĂȘtres ne se prĂ©sentent pas aux examens. Le , Eduard Kullmann (de), artisan catholique de 21 ans, commet un attentat contre le chancelier allemand, qui n'est que lĂ©gĂšrement blessĂ©[14].

En octobre 1873, l'Ă©vĂȘque de Mayence Wilhelm von Ketteler prĂȘche Ă  Kevelaer devant plus de 25 000 personnes et dĂ©nonce ces lois. Il est arrĂȘtĂ© juste aprĂšs son sermon et condamnĂ© Ă  la peine maximale prĂ©vue qui est de 2 ans de prison. Cela dĂ©clenche une vague de protestation chez les catholiques et aux Ă©lections de 1874, le parti du Centre double ses voix et obtient le nombre record de 99 siĂšges au Reichstag.

Le , le pape déclare que toute personne respectant les lois de mai est menacée d'excommunication. La condamnation du gouvernement par le Vatican et les mentions de Bismarck par le Pape comme un « Satan casqué » ou un « grand sorcier » encouragent les fidÚles à résister.

Le mariage civil devient le seul mariage de référence en Prusse. Le mariage religieux n'est autorisé qu'aprÚs conclusion d'un mariage civil[17]. Cette loi est imposée dans l'ensemble de l'Empire allemand le [14].

Le : la nouvelle loi dite de la corbeille de pain (Brotkorbgesetz) coupe les subventions publiques pour les institutions catholiques qui ne se soumettent pas Ă  la volontĂ© de l'État.

La discrimination Ă  l'Ă©gard des catholiques s'exerce aussi dans la fonction publique de l'État prussien. Les prĂȘtres rĂ©fractaires sont dĂ©chus de la nationalitĂ© allemande et exilĂ©s.

L'ampleur des répressions

Les États fĂ©dĂ©rĂ©s allemands ne sont pas touchĂ©s de la mĂȘme façon : alors qu'en Prusse et dans le Bade le conflit bat son plein, la BaviĂšre et le Wurtemberg sont relativement Ă©pargnĂ©s. Dans la premiĂšre, trĂšs catholique, le gouvernement royal du rĂ©gent Luitpold de BaviĂšre ne trouve pas de soutien auprĂšs de son parlement pour faire voter les lois. Seuls les dĂ©crets sont appliquĂ©s. Dans le second, Ă  large majoritĂ© protestante, le rĂŽle de l'Ă©vĂȘque de Rottenburg, Mgr Karl Joseph von Hefele, n'est pas Ă  nĂ©gliger[14].

La politique Kulturkampf touche Ă©galement les minoritĂ©s vivant aux marges de l’Empire dans des rĂ©gions annexĂ©es par une politique d’assimilation culturelle trĂšs agressive (Alsace-Lorraine, Grande-Pologne, SilĂ©sie). En 1876, l’allemand devient seule langue administrative dans les rĂ©gions orientales et il devient obligatoire Ă  l’école primaire dans le courant des annĂ©es 1870 et 1880. Les lois adoptĂ©es dans le cadre du Kulturkampf, en Ă©tablissant le contrĂŽle direct de l’État sur l’organisation de l’enseignement primaire et secondaire, facilitent l’application des mesures de germanisation forcĂ©e. Le Kulturkampf vise Ă  rĂ©duire les particularismes nationaux polonais et alsacien dont l’Église catholique est un Ă©lĂ©ment structurant[18]. À la fin du conflit, 1 800 prĂȘtres catholiques se trouvent en prison. L'État a rĂ©quisitionnĂ© Ă  l'Église des biens estimĂ©s Ă  16 millions de Mark-or[19]. L'archevĂȘque de PoznaƄ, Mgr MieczysƂaw LedĂłchowski, est emprisonnĂ© avec une peine de 2 ans pour haute trahison[20], puis exilĂ©. L'archevĂȘque de Paderborn, Mgr Martin, l'archevĂȘque de Cologne, Mgr Paul Melchers, et l'archevĂȘque de TrĂȘve, Mgr Matthias Eberhard sont jetĂ©s en prison. Ce dernier, condamnĂ© le , Ă  une amende de 130 000 Mark-or et 9 mois de prison, y meurt au bout de 6[19]. L'Ă©vĂȘque de Munster, Mgr Johannes Bernhard Brinkmann est dĂ©posĂ© et s'exile aux Pays-Bas.

En 1875, 241 clercs, 136 rédacteurs des publications religieuses, 210 autres catholiques sont condamnés à des amendes ou emprisonnés. 74 logements sont perquisitionnés, 55 organisations dissoutes, 20 journaux mis sous scellés et 103 personnes sont internées ou exilées.

En , sur 12 diocĂšses, 8 sont vacants, dont 6 par destitution et 2 pour cause de dĂ©cĂšs. En , environ 1 000 paroisses, soit environ un quart des communes, n'ont pas de prĂȘtre[14].

Malgré la rudesse du conflit, seule la voie légale a été employée[21].

Échec et fin de la politique Kulturkampf

Otto von Bismarck n'a pas atteint tous les objectifs qu'il s'Ă©tait fixĂ©s avec le Kulturkampf. Le Zentrum en est sorti renforcĂ©, avec des scores aux Ă©lections supĂ©rieurs Ă  ceux d'avant la mise en place de cette politique. La crĂ©ation en rĂ©action du concile de l'Église vieille-catholique ne provoque pas de division dans le catholicisme. Sous la pression, l'Église, les laĂŻcs catholiques et son bras politique, le Zentrum, en sortent unis. Certains des soutiens du chancelier se montrent Ă©galement irritĂ©s par cette politique. Ainsi, les conservateurs protestants ne sont partisans, ni du mariage civil, ni de l'immixtion de l'État dans les Ă©coles. Les libĂ©raux craignent que les droits de l'Homme ne soient menacĂ©s. Une rĂ©pression toujours plus fĂ©roce ne semble pas ĂȘtre non plus la solution qui pourrait affaiblir les catholiques[22] - [23].

Bismarck se montre prĂȘt Ă  nĂ©gocier avec l'Église. Il a besoin d'une nouvelle majoritĂ© pour faire voter les lois antisocialistes, or il sait que les libĂ©raux ne peuvent consentir Ă  de telles lois. De son cĂŽtĂ©, Rome souhaite Ă©galement mettre fin au conflit[23].

LĂ©on XIII

Pie IX meurt en 1878, son successeur est LĂ©on XIII. Ce dernier envoie aussitĂŽt un message Ă  l'empereur Guillaume Ier faisant « appel Ă  la magnanimitĂ© de son cƓur pour que la paix et la tranquillitĂ© des consciences soient rendues aux catholiques ». Il veillera en contrepartie « comme la foi qu'ils professent le leur prescrit, [qu'ils se montrent], avec le plus consciencieux dĂ©vouement, des sujets respectueux et fidĂšles de Sa MajestĂ©[23]. » Le contact est rĂ©tabli et des nĂ©gociations ont lieu directement entre la Curie et le gouvernement allemand. Le pape contourne le Zentrum, ce qui marquera les catholiques allemands par la suite[24].

Pendant les dix-huit mois que durent les nĂ©gociations, les socialistes commettent deux attentats contre l'empereur. La situation politique Ă©voluant, le chancelier de fer dĂ©clare prĂȘt Ă  un « petit Canossa ». Il dĂ©savoue son ministre Adalbert Falk, qui se retire en juillet [24].

En , les 1 500 prĂȘtres expulsĂ©s de leurs paroisses peuvent revenir, et les congrĂ©gations religieuses peuvent rentrer d’exil, Ă  l’exception des jĂ©suites, qui devront attendre , et les archevĂȘques de Cologne et de Poznan, respectivement Mgr Paul Melchers et Mgr MieczysƂaw LedĂłchowski, qui sont rappelĂ©s par le pape Ă  Rome[24].

En , la Prusse recommence Ă  payer les traitements des ecclĂ©siastiques. À l'Ă©tĂ© 1882, les relations diplomatiques entre l'Empire allemand et le Saint-SiĂšge sont rĂ©tablies[24]. En , il est dĂ©cidĂ© que les Ă©vĂȘques n'auront plus Ă  soumettre la nomination des curĂ©s aux autoritĂ©s civiles. Les lois de mai sont rĂ©visĂ©es en .

Entretemps, le prince Frédéric demande et obtient une audience pontificale.

En échange, le pape oblige le Zentrum, pourtant réticent, à voter pour les lois antisocialistes et pour la loi du septennat, faisant passer la durée du budget militaire à 7 ans[24].

Les lois de paix de 1886 et 1887 abrogent l'essentiel des mesures prises contre l'Église catholique[24].

Le , LĂ©on XIII dĂ©clare officiellement que le « combat qui endommagea l'Église et ne servit en rien l'État » est fini. Les deux parties ont su garder la face dans les nĂ©gociations[25].

Plus tard, en , et , non sans commettre quelques impairs, Guillaume II rend visite au pape.

Conséquences

Le Kulturkampf marque une Ă©tape importante dans la sĂ©paration de l'État et de l'Église en Allemagne. Elle cesse d'Ă©voluer avec la RĂ©publique de Weimar. Il a Ă©galement pour consĂ©quence que les catholiques restent des citoyens de seconde zone jusqu'en . La loi antijĂ©suite n'est abrogĂ©e qu'en , celle de la chaire en . Ce n'est que depuis le qu'un mariage religieux peut ĂȘtre cĂ©lĂ©brĂ© sans avoir Ă©tĂ© prĂ©cĂ©dĂ© d'un mariage civil. Ce cas reste cependant rare, le cadre lĂ©gal du mariage civil Ă©tant recherchĂ©. La loi sur l’inspection des Ă©coles est toujours en vigueur.

Interpretations

Armin Heinen (de) doute de la thĂšse, souvent rencontrĂ©e, que les libĂ©raux se seraient laissĂ©s manipuler par Bismarck pour lutter contre les catholiques. La prise d'initiative des libĂ©raux du Sud de l'Allemagne rĂ©clamant une sĂ©paration de l'État et de l'Église, poussant Bismarck Ă  agir en ce sens, a selon lui plus d'importance[26].

Manfred Görtemaker considĂšre qu'on ne peut pas parler, comme Pie IX, d'une persĂ©cution des croyants. L'objectif est ici de briser ou de limiter l'indĂ©pendance de l'Église[22].

L'historien David Blackbourn considĂšre que le Kulturkampf est le conflit entre deux maniĂšres de vivre. Pour dĂ©velopper sa thĂšse, il renvoie Ă  l'exemple de l'apparition de la Vierge Ă  Marpingen en . Trois jeunes filles affirment avoir vu Ă  plusieurs reprises apparaĂźtre la Vierge Marie dans le bois de ce village. Ces apparitions ne sont pas reconnues par l'Église, les jeunes filles renient leurs dires, mais elles attirent tout de mĂȘme des milliers de pĂšlerins en quelques jours. Peu aprĂšs d'autres enfants disent avoir vu des apparitions, des guĂ©risons miraculeuses sont Ă©galement rapportĂ©es. Ces rassemblements attirent l'attention des autoritĂ©s prussiennes, qui bloquent rapidement l'accĂšs au site en envoyant des militaires et en mettant en place un tribunal. Ils comptent ainsi arrĂȘter le flux de pĂšlerins[27]. Les autoritĂ©s prussiennes avaient dĂ©jĂ  agi de maniĂšre tout Ă  fait comparable une gĂ©nĂ©ration auparavant aprĂšs la crĂ©ation d'un pĂšlerinage pour adorer la Sainte Tunique Ă  TrĂȘves en . Cette action avait provoquĂ© un vif dĂ©bat dans l'opinion publique. Comme rĂ©action en Otto von Corvin rĂ©dige un livre aux accents anticlĂ©ricaux, le Pfaffenspiegel (de) (le miroir du curĂ©), tandis que Rudolf Löwenstein (en) Ă©crit le poĂšme Freifrau von Droste-Vischering zum heil’gen Rock nach Trier ging dans le journal satirique, le Kladderadatsch.

D'aprÚs Manuel Borota, le Kulturkampf est l'expression d'une lutte des classes avec d'une part les commerçants et les industriels et de l'autre des nobles anti-libéraux, les ecclésiastiques et les fermiers. Les ouvriers, se tenant entre les deux camps, sont courtisés aussi bien par les ultramontains, que les libéraux ou les socialistes[10].

Le terme Kulturkampf

Rudolf Virchow, premier utilisateur du terme de Kulturkampf.

Le terme « Kulturkampf » a Ă©tĂ© employĂ© pour la premiĂšre fois dans le journal Zeitschrift fĂŒr Theologie de Fribourg-en-Brisgau. Il apparaĂźt dans une lettre anonyme Ă©crite par le radical Ludwig Snell (de) sur la « signification du combat des libĂ©raux catholiques suisses contre la curie romaine[citation 1] »[5]. En Allemagne c'est Rudolf Virchow qui utilise le terme, le , lors de son allocution dans la chambre des reprĂ©sentants de Prusse[28] - [29]. Il le rĂ©pĂšte ensuite sur les affiches Ă©lectorales du Parti progressiste allemand (Deutsche Fortschrittspartei, DFP) le [30]. L'expression est critiquĂ©e par la presse catholique mais dĂ©fendue par la presse libĂ©rale[30]

Kulturkampf en Suisse

Les Kulturkampfs bavarois et souabe ont commencé avant le prussien et sont ainsi souvent vus comme ses précurseurs. Ils démontrent également le caractÚre national du conflit[31].

En Suisse, cette politique aboutit Ă  la rĂ©vision de la Constitution de 1874 et Ă  l’adoption des articles d'exception, expulsant les jĂ©suites, puis toutes les congrĂ©gations contemplatives et les bĂ©nĂ©dictins, et rendant non-Ă©ligibles prĂȘtres et religieux, limitant le nombre d’évĂȘchĂ©s (interdisant la crĂ©ation de nouveaux Ă©vĂȘchĂ©s sans l'accord du gouvernement) et la crĂ©ation de nouveaux couvents, et interdisant les novices. Les cantons les plus touchĂ©s sont ceux de Berne et de GenĂšve. À GenĂšve, le Kulturkampf aboutit Ă  l'adoption des articles interdisant le culte extĂ©rieur. Ceux-ci sont encore valables aujourd'hui pour toute personne ayant un domicile ou une rĂ©sidence dans le canton.

Notes et références

Citations

  1. « Die Bedeutung des Kampfes der liberalen katholischen Schweiz mit der römischen Kurie ».

Références

  1. François Riether, « Bismarck, le chancelier de fer », UniversitĂ© Populaire d'Avignon,‎ 3 & 10 dĂ©cembre 2019 (lire en ligne).
  2. François-Georges Dreyfus, « Catholicisme et protestantisme en Allemagne », Clio, voyages culturelles,‎ (lire en ligne).
  3. Sandrine Kott, « ÉlĂ©ments pour une histoire sociale et culturelle de la religion en Allemagne au XIXe siĂšcle », Revue d’histoire moderne & contemporaine, vol. 5, nos 48-4bis,‎ , p. 92-111 (lire en ligne).
  4. Nipperdey 1992, p. 364.
  5. Borutta 2011, p. 11.
  6. Borutta 2011, p. 13.
  7. Nipperdey 1992, p. 366.
  8. Jean-François Vidal, Le ModĂšle allemand, Éditions des maisons des sciences de l’homme associĂ©es, (lire en ligne), « Le rĂŽle sous-estimĂ© du catholicisme social », p. 45-61.
  9. Nipperdey 1992, p. 370.
  10. Borutta 2011, p. 22.
  11. « Les premiers partis catholiques », sur universalis.fr.
  12. Nipperdey 1992, p. 368.
  13. Nipperdey 1992, p. 372.
  14. Nipperdey 1992, p. 374.
  15. (de) Manfred Görtemaker, Deutschland im 19. Jahrhundert. Entwicklungslinien., Opladen, , p. 277 et 278.
  16. sans la date exacte, Nipperdey 1992, p. 374.
  17. Görtemaker 1983, p. 279.
  18. Richard Blanke, « The Polish Role in the Origin of the Kulturkampf in Prussia », Revue Canadienne des Slavistes, vol. 25,‎ .
  19. (de) David Blackbourn, Marpingen : Das deutsche Lourdes in der Bismarckzeit, t. 6, Saarbruck, Historische BeitrĂ€ge des Landesarchivs SaarbrĂŒcken, , 648 p. (ISBN 978-3-9808556-8-6, OCLC 985562203), p. 128.
  20. (de) « ieczyslaw Graf Halka-Ledochowski » (consulté le ).
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