Accueil🇫🇷Chercher

John Salathé

John Salathé, né le à Niederschöntal près de Bâle en Suisse et mort le [1] ou 1993[2] en Californie, est un grimpeur américain. Forgeron de métier, il se mit tardivement à l'escalade, à la suite d'une crise mystique. Inventant et forgeant les pitons nécessaires, il fut, à la fin des années 1940, l'un des pionniers des Big walls américains, ces parois verticales de plusieurs centaines de mètres, nécessitant plusieurs jours d'ascension et l'usage intensif de l'escalade artificielle. Il participa notamment aux premières ascensions de Lost Arrow Spire (1947) et de la face nord de Sentinel Rock (1950), dans la vallée de Yosemite. « Il [devint], l'âge aidant, excentrique et paranoïaque, glissant petit à petit dans un monde où la religion domina totalement ses pensées »[3], et vagabonda pendant vingt ans dans l'Ouest américain.

John Salathé
Description de cette image, également commentée ci-après
John Salathé au Camp 4 dans la vallée de Yosemite en 1964 (photo de Tom Frost)
Biographie
Naissance ,
Niederschöntal
Décès ou 1993
Carrière
Disciplines Big Wall
PĂ©riode active 1945-1950
Profession Forgeron
Plus haute cotation
Première ascension Lost Arrow Spire, face Nord de Sentinel Rock

De la forge Ă  l'escalade

Il apprit le métier de forgeron en Suisse. Après avoir servi comme marin pendant 4 ans, il émigre au Canada à 25 ans. Il se marie et s'installe en 1929 à San Mateo dans la péninsule de San Francisco en Californie. Il y fonde en 1932 une entreprise de décorations en fer forgé, la Peninsula Wrought Iron Works, dont il est le patron et le seul employé[4].

En 1945, alors qu'il avait des problèmes de santĂ©, il commença Ă  avoir des conversations avec des « anges Â», qui se poursuivirent toute sa vie, et le convainquirent tout d'abord de devenir vĂ©gĂ©tarien[3]. Les mĂ©decins lui conseillèrent, eux, l'air de la Sierra Nevada. En sĂ©jour Ă  Tuolumne Meadows dans le parc national de Yosemite, il y rencontra des membres de la Rock Climbing Section du Sierra Club et, après avoir retrouvĂ© la santĂ©, commença l'escalade Ă  46 ans. Il manifesta tout de suite une dĂ©termination et une absence d'apprĂ©hension peu communes : lors d'une de ses premières escalades, ayant mal compris ce que signifiait « en libre Â», c'est-Ă -dire sans se tirer Ă  la corde ou aux pitons, il se dĂ©corda et rejoignit son premier de cordĂ©e sans assurance, par un passage dĂ©licat et exposĂ©. Manquant d'agilitĂ© pour l'escalade libre difficile, il s'intĂ©ressa particulièrement aux techniques de l'escalade artificielle. En Europe continentale, elle avait Ă©tĂ© utilisĂ©e de façon intensive dès les annĂ©es 1930, par exemple aux faces Nord de la Cima Grande (1935) et de la Cima Ovest (1937) des Tre Cime di Lavaredo, dans les Dolomites. Mais aux États-Unis, sous l'influence des grimpeurs anglais et allemands immigrĂ©s[5], l'escalade artificielle n'avait Ă©tĂ© utilisĂ©e que pour des passages courts : « une frontière entre le pitonnage excusable et le pitonnage inexcusable devait ĂŞtre tracĂ©e Â»[3]. FatiguĂ© d'une discussion sur l'Ă©thique de l'escalade lors d'une rĂ©union de l'American Alpine Club, il se leva et coupa court en affirmant avec son accent suisse prononcĂ© : « Assez de paroles. On ne pourrait pas juste grimper ? Â»[6] Il se rendit compte que les pitons utilisĂ©s jusqu'alors, souvent importĂ©s d'Europe et en acier doux, adaptĂ©s au calcaire tendre des Alpes orientales, Ă©taient trop mous pour ĂŞtre plantĂ©s et rĂ©utilisĂ©s de façon intensive dans les fissures granitiques et souvent bouchĂ©es du Yosemite. Il fabriqua alors lui-mĂŞme les premiers pitons en acier dur, un alliage au chrome-vanadium ; la lĂ©gende veut qu'il ait utilisĂ© pour cela l'essieu d'une vieille Ford A (1927)[7].

Ainsi Ă©quipĂ©, profitant Ă©galement de l'apparition des cordes en nylon, et des mousquetons en aluminium, deux fois plus lĂ©gers que ceux en acier, il put se lancer dans les trois ascensions majeures de la vallĂ©e du Yosemite que ses « anges Â» lui avaient inspirĂ©es : Lost Arrow Spire, le Half Dome et Sentinel Rock[8].

Grandes ascensions

Lost Arrow Tip

Lost Arrow Spire : on voit l'ombre du sommet et de la brèche le séparant de la falaise (Arrow notch). La voie Lost Arrow chimney est dans le renfoncement à gauche du pilier

Ă€ l'Ă©poque, le sommet de Lost Arrow Spire, une aiguille dĂ©tachĂ©e de la falaise des chutes de Yosemite, Ă©tait vierge, malgrĂ© quelques reconnaissances et tentatives dans les annĂ©es 1930. En 1946, SalathĂ©, seul du fait de la dĂ©fection de ses compagnons de cordĂ©e, descendit de 70 mètres en rappel depuis le haut de la falaise, jusqu'Ă  la brèche qui la sĂ©pare de Lost Arrow Spire, appelĂ©e Arrow notch, et contourna la pointe par une vire[9]. En s'auto-assurant il rĂ©ussit Ă  s'Ă©lever de 25 mètres, Ă  l'aide de ses pitons, puis en plantant un piton Ă  expansion, le premier utilisĂ© aux États-Unis pour la progression. Pris par le temps, il s'arrĂŞta, et remonta depuis la brèche au prusik[9]. Il revint quelques jours plus tard, fin aoĂ»t, avec un compagnon qu'il avait rĂ©ussi Ă  convaincre de l'assurer, John Thune : « J'ai trouvĂ© un sommet qui n'a jamais Ă©tĂ© fait dans le Yosemite, c'est un truc facile Â»[10]. MalgrĂ© une chute de SalathĂ© due Ă  l'arrachage d'un piton, ils parvinrent Ă  la tombĂ©e de la nuit Ă  dix mètres du sommet, mais butèrent sur une section parfaitement lisse, et renoncèrent[11]. Cette quasi-rĂ©ussite anima l'esprit de compĂ©tition, et Ax Nelson, Fritz Lippman, Jack Arnold et Robin Hansen, dĂ©cidèrent d'y arriver les premiers. Ils passèrent une journĂ©e Ă  faire des lancers de cordes depuis le haut de la falaise par-dessus le sommet de Lost Arrow, et finirent par en faire coincer une sur la vire oĂą s'Ă©tait arrĂŞtĂ© SalathĂ© lors de sa tentative en solitaire (SalathĂ© Ledge). Le lendemain, Nelson et Arnold descendirent Ă  Arrow notch mais, sans les pitons de SalathĂ©, ils n'arrivèrent Ă  s'Ă©lever que de douze mètres dans la journĂ©e[12]. Le jour suivant ils parvinrent Ă  SalathĂ© Ledge en lançant et coinçant une corde autour d'une lame de rocher dĂ©tachĂ©e. Finalement, Jack Arnold grâce Ă  la corde passĂ©e au-dessus du sommet, parvint Ă  se hisser sur le sommet de Lost Arrow Spire, le [13]. SalathĂ©, indignĂ©, jugea que cette rĂ©ussite n'Ă©tait qu'un « tour de corde Â», et dĂ©clara plus tard Ă  Steve Roper, que les vainqueurs avaient recouru Ă  « l'aide du Diable Â»[13].

Half Dome et Lost Arrow Chimney

La face Sud-Ouest du Half Dome

En , avec Ax Nelson, il gravit en deux jours la face Sud-Ouest du Half Dome, enchaĂ®nant les longueurs en artificiel et les relais sur les Ă©triers, et inaugurant le premier bivouac en paroi du Yosemite ; ils plantèrent 150 pitons sur les 300 mètres de paroi[14]. En , ils firent la première ascension depuis le bas de Lost Arrow Spire, par la voie Lost Arrow Chimney, une profonde et Ă©troite gorge qui remonte le long du pilier. La voie avait Ă©tĂ© tentĂ©e en 1937 par Dave Brower et Dick Leonard. SalathĂ© et Nelson furent en concurrence avec une cordĂ©e de Californiens du sud : Chuck Wilts et Spencer Austin. Les deux cordĂ©es firent chacune deux tentatives d' Ă  . SalathĂ© et Nelson avaient emportĂ© des pitons Ă  expansion avec un tamponnoir muni de mèches en carbone (il fallait 45 minutes pour percer le trou nĂ©cessaire), six litres d'eau seulement et un minimum de nourriture[15]. Ils rĂ©ussirent Ă  passer et Ă  atteindre Arrow notch en quatre jours et demi, grâce aux expansions et aux pitons en acier dur de SalathĂ©. Ils plantèrent alors 9 pitons Ă  expansion dans la longueur terminale lisse pour atteindre enfin le sommet de Lost Arrow, le matin du cinquième jour. Pour Steve Roper cette ascension constitue le premier Big wall aux États-Unis, et le dĂ©but de l'âge d'or du Yosemite ; il note qu'Ă  l'Ă©poque la plus longue ascension en Europe n'avait pris que trois jours[16]. Dans les Alpes occidentales cristallines, les premières grandes parois granitiques nĂ©cessitant l'utilisation intensive de l'escalade artificielle ne furent gravies qu'au dĂ©but des annĂ©es 1950 : la face Est du Grand Capucin en 1951 et la face Ouest des Drus en 1952, en haute montagne, Ă  la diffĂ©rence du Yosemite.

Sentinel Rock

Après Lost Arrow Chimney, le problème le plus convoitĂ© du Yosemite devint les 500 mètres de la face Nord de Sentinel Rock, les grandes parois de la face Nord du Half Dome et de El Capitan semblant inenvisageables Ă  l'Ă©poque. Ă€ partir de 1948, quatre tentatives sĂ©rieuses furent repoussĂ©s. Elle devint une obsession pour Allen Steck, qui avait participĂ© Ă  la troisième, et qui en 1949 avait Ă©tĂ© le premier amĂ©ricain Ă  gravir l'une des six grandes faces Nord des Alpes, dĂ©crites par Gaston RĂ©buffat dans Étoiles et tempĂŞtes : la Cima Grande di Lavaredo. Fin , il proposa l'ascension Ă  SalathĂ© qui accepta immĂ©diatement. Ils rĂ©ussirent ensemble, en cinq jours Ă  nouveau, du au , une voie qui est caractĂ©ristique du Yosemite par ses fissures larges et ses cheminĂ©es profondes, dont un passage quasi-spĂ©lĂ©ologique The Narrows : Les Ă©troitures[17]. Alors que Lost Arrow Chimney ne fut refaite que 17 ans plus tard, par Warren Harding, Frank Tarver et Bob Swift, la Steck-SalathĂ© devint rapidement classique, un test pour les cordĂ©es du Yosemite, et le siège d'une course Ă  la vitesse. Lors de la seizième ascension en , Royal Robbins et Tom Frost, grimpant simultanĂ©ment Ă  corde tendue, ne mirent que trois heures et demie. SalathĂ©, qui repassait de temps Ă  autre au Yosemite, refusa absolument de le croire : « Oh maintenant que les pitons Ă  expansion sont en place… en trois jours peut-ĂŞtre »[18].

Postérité

Un piton de forme Lost Arrow, en acier doux
Salathé avec Yvon Chouinard en 1964 (Photo de Tom Frost)

Sentinel Rock fut la dernière grande voie de SalathĂ©. « En 1953, il franchit temporairement la frontière entre l'excentricitĂ© et la folie Â»[19]. Croyant que sa femme voulait l'empoisonner, il abandonna sa famille, et retourna en Suisse, oĂą il rejoignit la Geistige Loge ZĂĽrich (« Loge spirituelle de ZĂĽrich », secte « nĂ©orĂ©vĂ©lationniste » fondĂ©e en 1948 par la mĂ©dium Beatrice Brunner[20]). Il gravit le Cervin en 1958 avant de donner tout son matĂ©riel de montagne[19]. Il revint en 1963 aux États-Unis oĂą il vagabonda dans l'Ouest amĂ©ricain pendant vingt ans, dans sa fourgonnette Volkswagen, touchant une petite pension du gouvernement suisse, et se nourrissant essentiellement de plantes sauvages ; il mourut en maison de repos le [1].

Salathé avait donné ou vendu ses pitons. Dès la fin des années 1950, le modèle commença à être fabriqué en série et commercialisé sous le nom générique de Lost arrow, en particulier par le grimpeur Yvon Chouinard, lui aussi forgeron et fabricant de matériel. En 2009, ils sont encore fabriqués sous ce nom[21]. Chouinard baptisa en son honneur la paroi où allait être ouverte la deuxième voie d'El Capitan (après le Nose), gravie en neuf jours et demi en 1961 par Royal Robbins, Tom Frost et Chuck Pratt : Salathé Wall.

En 2015, un de ses pitons originaux a Ă©tĂ© proposĂ© au prix 12 000 US$ sur eBay, mais personne n'a voulu l'acquĂ©rir[22].

Notes et références

  1. Roper 1996, p. 67
  2. (en) Allen Steck et Robin Hansen, « In Memoriam : John Salathé », American Alpine Journal, vol. 36,‎ , p. 321-322 (lire en ligne)
  3. Roper 1996, p. 43
  4. Roper 1996, p. 42
  5. Olivier Aubel, « Histoire de l'escalade libre hors de nos frontières », sur nice-climb.com (consulté le )
  6. « All this talk! Vy can’t ve just climb Â» : « In Memoriam: John SalathĂ© » par Allen Steck et Robin Hansen, American Alpine Journal vol. 36, 1994, p. 321–322
  7. Roper 1996, p. 44
  8. Roper 1996, p. 60
  9. Roper 1996, p. 46
  10. Roper 1996, p. 47
  11. Roper 1996, p. 48-49
  12. Roper 1996, p. 49
  13. Roper 1996, p. 50
  14. Roper 1996, p. 56
  15. Roper 1996, p. 57-58
  16. Roper 1996, p. 57-59
  17. Roper 1996, p. 60-66
  18. Roper 1996, p. 188
  19. Roper 1996, p. 66
  20. Jean-François Mayer Les nouvelles voies spirituelles : enquête sur la religiosité parallèle en Suisse, Éditions l'Âge d'homme, 1993 p. 89-90
  21. notamment par les sociétés Black Diamond qui succède à Chouinard Equipment ((en) « Fiche du produit Lost arrows », sur blackdiamondequipment.com (consulté le )) et CAMP ((it) « Fiche du produit Lost arrows », sur camp.it (consulté le )).
  22. (en) « The Most Expensive Piton Ever? », Gripped Magazine,‎ (lire en ligne)

Annexes

La face Sud-Ouest de El Capitan. Salathé Wall passe sur l'éperon au milieu de la face.

Bibliographie

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Steve Roper, Camp 4, Éditions GuĂ©rin, Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • (en) Steve Roper, Ordeal by Piton: Writings from the Golden Age of Yosemite Climbing, Stanford University Libraries,
  • (en) John Harlin III American Alpine Journal, Mountaineers Books, 2002 « Ten climbs to remember » : 1947 : the Lost Arrow par Allen Steck, p. 24–25
  • (en) Allen Steck et Robin Hansen, « In Memoriam : John SalathĂ© », American Alpine Journal, vol. 36,‎ , p. 321-322 (lire en ligne)
  • (en) Steve Roper et Allen Steck, Fifty Classic Climbs of North America, San Francisco, Sierra Club Books,
    on y trouve Lost Arrow Chimney, la Steck-Salathé à Sentinel Rock, et la Salathé Wall à El Capitan.

Liens externes

Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplémentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimédias.