Invasion italienne de l'Albanie
L’invasion italienne de l'Albanie est une campagne militaire menée du 7 au par le royaume d'Italie contre le Royaume albanais. Le conflit a été une conséquence de la politique expansionniste de Mussolini. L'Albanie a été rapidement vaincue, le roi Zog Ier est contraint à l'exil, et le pays devient un protectorat italien, la couronne albanaise passant au roi d'Italie Victor-Emmanuel III.
Date | du 7 au |
---|---|
Lieu | Albanie |
Issue | Victoire italienne ; l'Albanie devient un protectorat italien |
Royaume d'Italie | Royaume albanais |
Benito Mussolini | Zog Ier |
100 000 hommes | 20 000 hommes |
plus de 700 morts 184 blessés (97 à la bataille de Durrës et 87 lors de la prise de Tirana) | plus de 1000 morts Nombre inconnu de blessés et disparus |
Batailles
Historiquement, l'Albanie est souvent considérée comme une colonie Italienne, entre 1939 et 1943, et même à partir de 1928, quand l'Albanie devint un quasi-protectorat Italien, officialisé en 1939.
Forces engagées dans l'opération
L'Armée albanaise en avril 1939
Au total, l'armée de terre (Ushtria Kombëtare en albanais) comprend 780 officiers et 13 000 sous-officiers et soldats armés de 240 mitrailleuses, 10 700 fusils et 1 104 revolvers et pistolets.
Elle se compose comme suit :
- Garde royale - Garda Mbretnou : depuis 1936, elle s'organise autour d'un état-major, d'une compagnie de « Cérémonie », d'un escadron de cavalerie, d'un bataillon d'infanterie, d'une fanfare et d'une batterie d'artillerie réunissant 152 canonniers ;
- 6 bataillons de garde-frontières royaux ;
- 12 bataillons d'infanterie et 2 escadrons d'infanterie motorisée.
À ces unités s'ajoutent quelques unités de gendarmerie, une force de police et une modeste marine de guerre.
Corps expéditionnaire italien
Le corps expéditionnaire italien est composée de trois corps d'armée regroupés pour l'invasion du pays. Ces corps d'armée doivent être déployés en trois jours.
Le 1er groupe d'invasion, engagé le dans les opérations de débarquement en vue d'établir une tête de pont, est divisé en trois colonnes :
- 1re colonne : colonel Scattini, avec pour objectif Scutari :
- 3e, 6e et 28e bataillons de bersaglieri,
- 2e compagnie du bataillon d'infanterie de marine San Marco ;
- 2e colonne : général Messe, avec pour objectifs Durazzo et Tirana :
- 2e, 10e, 14e, 17e et 27e bataillon de bersaglieri,
- 1er bataillon du 47e régiment d'infanterie,
- 8e et 10e escadrons de chars légers,
- 1er et 2e Bataillons de Grenadiers aérotransportés,
- 1 batterie d'Artillerie et 1 batterie de DCA ;
- 3e colonne : colonel Bernardi, avec pour objectifs Santi Quaranta et Argirocustro :
- 20e et 33e bataillons de bersaglieri,
- 3e groupe rapide de chars San Giorgio,
- 1re compagnie du bataillon d'infanterie de marine San Marco.
Le 2e groupe, débarqué le , regroupe essentiellement l'état-major et des régiments d'artillerie :
- État-major et IIe Bataillon du 47e Régiment d'Infanterie
- 9e Bataillon de mitrailleurs ;
- Escadrons du 6e RĂ©giment de Lanciers Aosta et du 4e RĂ©giment de Cavalerie Genova ;
- 15e et 17e Batteries d'artillerie lourde
Le 3e Groupe, débarqué le , est destiné à l'occupation du pays.
- État-major de la 23e Division d'Infanterie;
- 2e Bataillon du 47e Rgt d'infanterie;
- 97e Bataillon de Chemises noires
- 14e RĂ©giment d'Artillerie de campagne.
Le contexte
L'Albanie a longtemps eu une importance stratégique considérable pour l'Italie. Le port de Vlorë et l'île de Sazan (située à l'entrée de la baie de Vlorë), possèdent un intérêt considérable aux yeux des militaires italiens, permettant à l'Italie de verrouiller la mer Adriatique[1]. En outre, l'Albanie peut fournir à l'Italie une tête de pont dans les Balkans[1].
Avant la Première Guerre mondiale, l'Italie et l'Autriche-Hongrie jouèrent un rôle déterminant dans la création d'un État albanais indépendant. Puis, lors du déclenchement du conflit, les Italiens saisirent l'occasion d'occuper la moitié sud du territoire albanais[2], afin d'éviter qu'il ne soit envahi par les Austro-Hongrois, conformément aux accords entre les deux pays. Ce succès fut de courte durée : le prit fin un ultimatum qu'environ 3 000 paramilitaires albanais avaient fixé aux 20 000 soldats italiens présents aux alentours de Vlora, exigeant le retrait italien du sud de l'Albanie. En raison de l'opposition des puissances alliées (notamment le président américain Woodrow Wilson), de cette résistance albanaise et de problèmes intérieurs en Italie[2], le président du conseil italien Giovanni Giolitti retira ses troupes en 1920 après la fin des combats le [3].
Lorsque Mussolini prit le pouvoir en Italie en 1922, les Italiens se tournèrent de nouveau avec intérêt vers l'Albanie[2]. Rome commença alors à investir dans l'économie albanaise en 1925. Le gouvernement albanais concéda à des entreprises italiennes ses ressources minérales. Ainsi, dans la foulée des traités de paix de 1919 et 1920 puis de la prise du pouvoir par les fascistes en Italie, le royaume d'Italie prend le contrôle de l'île de Sazan, puis en 1923 occupe temporairement Corfou[4].
Puis, deux traités sont signés entre les deux pays, dans la capitale albanaise (en 1926, puis en 1927), consacrant une alliance défensive. De plus, le gouvernement albanais bénéficie de prêts des banques italiennes afin de moderniser son économie, l'armée albanaise est formée et instruite par des militaires italiens, et les implantations de colonies de peuplement italiennes sont encouragées.
Malgré une forte influence italienne, le roi Zog refuse de nouveau de céder à la pression de Rome[5] en refusant de renouveler en 1931 le traité signé en 1926. L'Albanie signe même des accords commerciaux avec le Royaume de Yougoslavie et la Grèce en 1934, au grand dam des Italiens, puisque Mussolini n'hésite pas à essayer d'intimider les Albanais en leur envoyant une flotte de navires de guerre.
En 1938 le Reich annexe l'Autriche, l'Italie elle aussi, cherche à rehausser son prestige de deuxième membre de l'Axe. Comme l'a noté Ciano, alors ministre italien des Affaires étrangères, l'alliance allemande ne jouait qu'en faveur du Reich ; l'Italie tente dès lors de mener aussi une expansion européenne que Mussolini et ses proches pensaient comparable à l'Anschluss[6] - [7]. Ciano justifie auprès du Duce le plan d'annexion de l'Albanie en prétendant que le pays, riche en matières premières et par son agriculture, aiderait à remplir l'objectif italien d'autarcie[8]. Il envisage aussi, pour faciliter la prise de contrôle du pays, de supprimer le roi et de fomenter des troubles dans différentes régions pour faire intervenir l'armée italienne[9]. Une tentative apparente d'empoisonnement du couple royal est attribuée à Giovanni Giro, un Italien qui tentait de développer une organisation de jeunesse albanaise à l'image de l'Opera Nazionale Balilla fasciste[10]. Le roi ordonne alors le démantèlement des groupements fascistes et pro-italiens[11].
La naissance prévue en d'un héritier au trône albanais menace les ambitions italiennes. Hitler ayant envahi la Tchécoslovaquie sans en aviser auparavant Mussolini en mars 1939, le dictateur italien décide de procéder à l'annexion de l'Albanie de la même manière[12]. Cependant, le roi Victor-Emmanuel III critiqua ouvertement le plan du Duce car constituant, selon lui, un risque inutile. Rome, cependant, envoie un ultimatum à Tirana le , exigeant entre autres que les Albanais acceptent la présence de troupes italiennes pour la défense extérieure aussi bien que pour le maintien de l'ordre[13]. Après une semaine de tergiversations, les Italiens considèrent l'absence de réponse albanaise comme un refus[14]. Cependant, des négociations s'engagent, laissant Zog espérer le maintien d'une forme de souveraineté[15], jusqu'à un dernier ultimatum envoyé par l'Italie le . Ce même jour, des bateaux italiens viennent chercher leurs ressortissants et des jeunes Albanais manifestent à Tirana pour obtenir des armes pour résister aux Italiens, ce que le roi refuse[16].
Les opérations
Préparation
Le pays réduit à un statut de protectorat de fait de l'Italie, Ciano fait étudier à partir du printemps 1938 les différentes modalités d'annexion de l'Albanie au royaume d'Italie, fixant leur exécution au plus tard au printemps de l'année suivante[6].
Opérations militaires
Le , sur ordre de Mussolini, l'armée italienne envahit le royaume d'Albanie. Un corps expéditionnaire dirigé par le général Alfredo Guzzoni et fort de 100 000 hommes et 94 chars, transporté par 18 cargos protégés par une flotte comprenant 2 cuirassés, 7 croiseurs, 13 destroyers et 14 torpilleurs, et divisé en 3 groupes d'assaut principaux, fut débarqué entre le 7 et le dans plusieurs ports albanais.
Face à une tel déploiement de moyens humains et matériels, la petite armée albanaise, dont les effectifs, policiers et gendarmes compris, n'atteignaient pas les 20 000 hommes, ne peut résister sérieusement. Le seul cas connu d'opposition armée fut celui de plusieurs centaines de gendarmes et marins du port de Durrës, la zone principale de débarquement, qui non seulement tinrent plus de trente-six heures les soldats italiens en échec, mais repoussèrent leur première tentative de débarquement en force ; ces derniers ne durent leur succès final qu'à l'intervention d'automitrailleuses contre lesquels les Albanais ne pouvaient se défendre. Ainsi, après avoir mis hors de combat plusieurs centaines d'Italiens, les gendarmes et les marins cessèrent le combat.
Le , les parachutistes italiens sautent sur la capitale, Tirana, et prennent la ville après quelques combats sporadiques avec l'armée albanaise. Les pertes italiennes s'élèvent à 12 tués et 87 blessés[I 1].
Conséquences
Annexion
Le royaume rapidement conquis, un nouveau gouvernement, appuyé sur une assemblée constituante favorable aux Italiens, est constitué le sous la présidence de Shefqer Vërlaci. Mais le président du Conseil se trouve dépossédé des domaines régaliens de la guerre et de la diplomatie, placés dans les mains d'un résident général italien, véritable maître du pays[6].
Dans le même temps, un Parti fasciste s'installe dans le pays : le Parti fasciste albanais, et, rapidement, dispose des mêmes prérogatives qu'en Italie. Enfin le , la couronne d'Albanie est solennellement offerte à Victor-Emmanuel III[4].
Le royaume, réorganisé dans le cadre d'une union personnelle avec le royaume d'Italie, est utilisé pour justifier des prétentions sur les provinces yougoslaves peuplées d'Albanais[17], notamment la région d'Ohrid[N 1] - [18].
RĂ©actions internationales
Avant même la fin de l'invasion, les réactions internationales se manifestent pour exprimer assentiment ou mécontentement devant l'annexion italienne.
Dès le , Pie XII, lors de l'homélie de Pâques, ne condamne pas l'invasion, mais appelle au respect des biens et des personnes[19].
Cependant, aucun État ne condamne de manière absolue l'annexion, mais l'Italie attire sur elle les suspicions des futurs Alliés[6].
La Turquie est cependant le seul État à tenter des contre-mesures, dirigées contre les velléités balkaniques de l'Italie[N 2] - [20].
Notes et références
Notes
- Ces revendications causent des rivalités territoriales avec les Bulgares.
- Depuis la période médiévale, le contrôle de Durrazzo constitue la première opération en vue d'attaquer Constantinople.
Liens internet
- (it) « L'occupazione albania 1939 », sur libero.it (consulté le ).
Références
- Fischer 1999, p. 5.
- Fischer 1999, p. 6.
- Tasca 1938, p. 102.
- Aglan et Frank 2015, p. 454.
- Fischer 1999, p. 7.
- Aglan et Frank 2015, p. 104.
- Fischer 1999, p. 9.
- Fischer 1999, p. 10.
- Fischer 1999, p. 12.
- Fischer 1999, p. 13.
- Fischer 1999, p. 14.
- Fischer 1999, p. 16.
- Fischer 1999, p. 17.
- Fischer 1999, p. 18.
- Fischer 1999, p. 19-20.
- Fischer 1999, p. 21.
- Aglan et Frank 2015, p. 478.
- Aglan et Frank 2015, p. 474.
- Lacroix-Riz 1996, p. 378.
- Aglan et Frank 2015, p. 628.
Voir aussi
Bibliographie
- Alya Aglan et Robert Frank, 1937-1947 : La guerre-monde I, Paris, Gallimard, , 1412 p.
- Annie Lacroix-Riz, Le Vatican, l'Europe et le Reich. : De la Première Guerre mondiale à la guerre froide, Paris, Armand Colin, (ISBN 978-2-200-21641-2).
- (en) Bernd Jürgen Fischer, « Count Ciano's Invasion of Albania », dans Albania at War, 1939-1945, C. Hurst & Co. Publishers, , 338 p. (ISBN 1850655316 et 9781850655312, lire en ligne).
- Angelo Tasca, Naissance du Fascisme : L'Italie de l'armistice à la marche sur Rome, Paris, Gallimard, coll. « Tel », (1re éd. 1938), 503 p. (ISBN 978-2-07-076419-8).