Histoire globale
Lâhistoire globale est un courant de lâhistoriographie, qui essaye dâaborder des phĂ©nomĂšnes historiques par une approche globale. Elle se caractĂ©rise par un changement de perspective, une remise en question des chronologies et des orientations affirmĂ©es[1] : « c'est l'historien qui se dĂ©place[2] ».
Ainsi, par un abandon d'une pĂ©riodisation europĂ©ocentrique et des jeux d'Ă©chelles, elle est capable de donner de nouvelles explications sur des phĂ©nomĂšnes historiques dĂ©jĂ bien Ă©tudiĂ©s. Lâinterconnexion du monde est toujours le point de dĂ©part : lâaccent est mis sur les processus transfrontaliers, les relations dâĂ©change, mais aussi sur les comparaisons dans le cadre dâun contexte mondial[3].
Lâhistoire globale sâest dĂ©veloppĂ©e Ă partir des annĂ©es 1980-1990 Ă la suite de l'Ă©mergence du spatial turn : elle se diffuse dans un premiers temps dans l'espace amĂ©ricain avant de se rĂ©pandre dans le reste du monde au tournant du xxie siĂšcle.
DĂ©buts de l'historiographie mondiale
LâĂ©criture de l'histoire mondiale n'est nullement un phĂ©nomĂšne contemporain. Elle est en effet aussi ancienne que lâĂ©criture de lâhistoire elle-mĂȘme[3]. Ă travers les cultures et les Ăąges, il existe de nombreuses tentatives dâhistoriographes dâĂ©crire le monde connu Ă eux, en mettant lâaccent sur des entrelacements et des connexions entre les Ă©vĂ©nements[3]. En effet, dĂ©jĂ le pater historiae HĂ©rodote (484-424 av. J.-C.) poursuivait lâintention dâĂ©crire de maniĂšre globale dans son ouvrage Histoires [4]. Par ailleurs, Polybe (ca. 200-120 av. J.-C.), Sima Qian (ca. 145-90 av. J.-C.) ou Ibn Khaldoun (1332-1406 ap. J.-C.) ont Ă©galement essayĂ© de dĂ©crire lâhistoire de leur ĆkoumĂšne[3]. Avec la vieille histoire mondiale ĆcumĂ©nique de lâAntiquitĂ© et du Moyen Ăge, leurs travaux communs consistent en la reprĂ©sentation de vastes espaces dâexpĂ©rience, ainsi que celle de partager lâidĂ©e de base en rassemblant une multitude dâhistoires individuelles, de toutes les parties de la terre habitĂ©e et parcourue[5].
Théorie de l'histoire globale
DĂ©finitions et objets
Les historiens qui effectuent leurs Ă©tudes par une approche globale sâintĂ©ressent notamment Ă la recherche des interconnexions et des enchevĂȘtrements. Ensuite, leur intĂ©rĂȘt porte sur le fait de voir les dĂ©veloppements europĂ©ens et non europĂ©ens, non pas comme indĂ©pendants les uns des autres, mais comme indissolublement liĂ©s. Ceux-ci sâinfluencent mutuellement et rayonnent dans toute la sociĂ©tĂ©[6].
Ce courant historiographique vise ainsi Ă Ă©tudier lâHistoire dans une perspective plus globalisante :
- en faisant usage de disciplines issues des sciences historiques et humaines (géographie, économie, anthropologie, etc.) ainsi que des sciences dites « dures » (climatologie, etc.)
- en tentant de dépasser les cadres imposés par les historiographies nationales ou les découpages chronologiques classiques.
- En effet, l'histoire globale souhaite Ă rĂ©voquer un certain « nationalisme mĂ©thodologique », une approche qui naturalise lâĂtat-nation et suit la conviction quâune nation particuliĂšre fournirait lâunitĂ© dâobservation constante Ă travers toutes les transformations historiques[7].
- L'un des effets les plus perceptibles de cette approche reste la remise en cause des dĂ©coupages historiques classiques (les notions de Moyen-Ăge et d'Ăpoque moderne ont-elles une grande signification pour l'Inde, la Chine ou l'OcĂ©anie ?) ainsi que des grandes aires culturelles.
- en dépassant un eurocentrisme, qui est profondément ancré dans les historiographies européennes.
- Dans la vision du monde eurocentrique, l'Europe est le seul acteur de lâhistoire du monde, et elle est donc considĂ©rĂ©e comme une « source universelle ». LâEurope agit pendant que le reste du monde obĂ©it. Ensuite, seuls les EuropĂ©ens sont capables dâamorcer un changement ou une modernisation; le reste du monde ne lâest pas[8].
- La plupart des nouvelles approches de l'histoire globale sont basées sur la promesse de rompre avec un tel récit européocentrique[8].
- Selon l'historien Alessandro Stanziani « Lâhistoire globale ne nie pas la suprĂ©matie de lâOccident, mais elle ne lâexplique plus comme une nĂ©cessitĂ© historique et comme un exploit fondĂ© sur ses seules connaissances et institutions. »[9].
Un terme omniprĂ©sent qui domine la littĂ©rature portant sur des approches de l'historiographie de traiter des phĂ©nomĂšnes historiques de maniĂšre globale, est celui de la globalisation voire la mondialisation (EN: Globalization; DE: Globalisierung). Ainsi, la globalisation des derniĂšres annĂ©es est selon Alessandro Stanziani lâorigine de lâĂ©mergence de lâhistoire globale, et quâinversement, « [...] cette derniĂšre prend souvent pour objet dâĂ©tude la globalisation.â»[10]. En gĂ©nĂ©ral on peut donc avancer que lâhistoire globale est une rĂ©ponse Ă la globalisation, qui sâest accĂ©lĂ©rĂ©e Ă la fin du XXe siĂšcle, surtout Ă partir de la chute du mur de Berlin en 1990, ascension de lâinternet et lâĂ©mergence des pays asiatiques, notamment de la Chine. Dâailleurs, le terme de la globalisation a Ă©tĂ© mis en parallĂšle avec le dĂ©clin de lâimportance de lâOccident sur le globe - ce que Dipesh Chakrabarty a appelĂ© de façon mĂ©morable: Provincializing Europe[11].
Les objets de lâhistoire globale sont multiples: migrations dâhommes, de biens, dâidĂ©es, de savoirs, de symboles, de nouvelles, de systĂšmes technologiques, et des marchandises, mais elle offre aussi par son approche « globale » une possibilitĂ© pour des Ă©tudes Ă caractĂšre transnationaux. Ainsi depuis quelques annĂ©es, on trouve de nombreuses Ă©tudes qui explorent lâhistoire du climat, de la famine, des pandĂ©mies, du colonialisme, ou des ocĂ©ans[2]. Selon l'historien Pierre-Yves Saunier, les notions de circulations, relations, et des rencontres sont les termes qui reviennent souvent pour qualifier les situations dâĂ©tudes favorites de lâhistoire globale. Ensuite, lâhistorien français souligne les notions frĂ©quemment utilisĂ©es dans lâhistoire globale: « champs », « espaces », « rĂ©seaux », « circuits », qui selon lui tirent « lâattention Ă la façon dont connexions et circulations aboutissent Ă la cristallisation de relations particuliĂšres entre les protagonistes et les entitĂ©s quâelles impliquent »[12].
Contrairement aux autres approches comme l'histoire universelle, la Big History, ou encore la World History, qui sâĂ©tendent dĂ©jĂ sur une longue pĂ©riode, et lâhistoire transnationale, qui se limite seulement aux 200 Ă 250 derniĂšres annĂ©es, lâhistoire globale nâa pas la vocation de proposer une façon dâĂ©tudier lâhistoire Ă long terme. Les temporalitĂ©s utilisĂ©es par les historiens du monde ne dĂ©coulent pas dâun programme Ă©pistĂ©mologique donnĂ©, mais sont librement choisies en fonction dâobjectifs dâinvestigation particuliers. Comme sa caractĂ©ristique principale est lâaccent mis sur les connexions, lâhistoire globale nâest jamais simplement additive ou mosaĂŻque. Elle ne se contente pas dâune simple collecte dâanecdotes, de donnĂ©es isolĂ©es et dâĂ©tudes de cas rĂ©gionales distinctes. En effet, lâhistoire globale a Ă©tĂ© plus convaincante lorsquâelle a rĂ©ussi Ă dĂ©couvrir des connexions cachĂ©es ou inattendues qui prĂ©sentaient des phĂ©nomĂšnes, ou des sujets dĂ©jĂ bien Ă©tudiĂ©s auparavant[13].
Divergences au sein du courant
L'histoire globale est en concurrence avec diffĂ©rentes approches qui promettent toutes de surmonter les modĂšles Ă©troits dâinterprĂ©tation de lâhistoire nationale[14]. Ainsi, on distingue entre World history, histoire transnationale, histoire de la globalisation, histoire universelle, Big History, et encore dâautres. Cependant, quelques historiens qui pratiquent de lâhistoire globale ont essayĂ© de montrer les diffĂ©rences de celle-ci par rapport aux autres approches. Ils ont ainsi pu distinguer des Ă©lĂ©ments particuliers Ă lâhistoire globale: le renoncement Ă une histoire totale du globe, le dĂ©passement de lâeurocentrisme et une plus grande ouverture vers des passĂ©s non europĂ©ens[15]. MalgrĂ© ces tentatives de dĂ©finition, lâhistoire globale nâest toujours pas clairement dĂ©limitĂ©e, il y a mĂȘme des historiens, qui trĂšs rĂ©cemment ont Ă©voquĂ© que lâhistoire globale inclut « toute approche (Histoire universelle, Histoire comparĂ©e), qui nâest pas Ă©troitement centrĂ©e sur une aire culturelle ou Ă un pays »[16].
Notamment dans le monde anglo-saxon les diffĂ©rences entre World History et Global History restent assez vagues, comme les historiens anglais utilisent souvent les deux termes indiffĂ©remment[17]. Par ailleurs, les deux fameux journaux The Journal of World History (apparu en 1990) et The Journal of Global History (apparu en 2006), se composent du mĂȘme genre d'articles, sans aucune visible tentative de se diffĂ©rencier mutuellement[18]. Toutefois, dâautres auteurs, comme Bruce Mazlish, souhaitent les distinguer. Selon William H. McNeill, souvent considĂ©rĂ©e comme une des premiĂšres grandes figures de lâhistoire mondiale, lâhistoire mondiale se dĂ©finit comme lâhistoire des interactions entre des personnes participant Ă un processus de grande ampleur[19] ou encore des interactions entre des personnes de diffĂ©rentes cultures ou civilisations[20].
La dĂ©finition de lâhistoire globale comporte deux volets selon B. Mazlish : cette histoire peut ĂȘtre celle de la globalisation; ce qui suppose un consensus sur son point de dĂ©part (ce qui nâest pas le cas), ou alors ce terme renvoie Ă des processus ou interactions (ex. : les flux commerciaux, le colonialisme/impĂ©rialisme, les migrations ou les dĂ©buts de la premiĂšre rĂ©volution industrielle[21]) dont lâĂ©tude est plus rĂ©vĂ©latrice Ă un niveau global que locale, nationale ou rĂ©gionale. D'aprĂšs lâhistorien Alessandro Stanziani: « La globalisation des derniĂšres dĂ©cennies est en grande partie Ă lâorigine de lâĂ©mergence de lâhistoire globale [...] »[22]. Cependant, ce qui est souvent confondu est que lâhistoire globale nâest pas un synonyme pour lâhistoire de la globalisation. NĂ©anmoins, de nombreux historiens ont essayĂ© de tirer une ligne droite entre ses deux formes diffĂ©rentes de penser lâhistoire. Toutefois, la globalisation peut ĂȘtre utilisĂ©e comme champ dâactivitĂ©, ou comme sujet pour lâhistoire globale[23]. Ainsi, lâhistorien allemand JĂŒrgen Osterhammel avait hiĂ©rarchisĂ© ces deux approches, en avançant que lâhistoire de la globalisation serait une sous-problĂ©matique de lâhistoire globale[24].
D'ailleurs, un autre Ă©lĂ©ment qui floue la notion de lâhistoire globale est que ses mĂ©thodes dâapproche et dâanalyse sont trĂšs proches de lâhistoire connectĂ©e (Connected History, selon lâexpression de Sanjay Subrahmanyam). Celle-ci Ă©tudie les modes dâinteraction et dâinterdĂ©pendances entre les sociĂ©tĂ©s, au-delĂ des dĂ©coupages Ă©tatiques et Ă des Ă©chelles diverses. Ses mĂ©thodes dâapproche et dâanalyse sont aussi trĂšs proches de lâhistoire croisĂ©e (Shared History), qui Ă©tudie les transferts entre zones culturelles de maniĂšre « rĂ©flexive », croisant les objets dâĂ©tude mais aussi les points dâobservations, les rapports entre lâobservateur et lâobjet, et enfin, aussi trĂšs proches de lâhistoire comparĂ©e[25].
En fin de compte, les champs des courants historiques mondiaux qui revendiquent une approche globale, voir mondiale n'est pas uniforme et pas particuliĂšrement clair. Cependant, outre les divergences et ressemblances de ces courants au sein de lâhistoriographie, elles tĂ©moignent nĂ©anmoins dâune internationalisation de la recherche historique et dâune expansion de ses sujets au-delĂ des frontiĂšres de lâĂtat-nation[26].
MĂ©thodologie
Lâhistoire globale dĂ©crit une forme dâanalyse historique dans laquelle les phĂ©nomĂšnes, Ă©vĂ©nements ou processus sont classĂ©s dans des contextes globaux[27]. Il sâagit dâune perspective pour considĂ©rer toutes sortes de mobilitĂ©s transfrontaliĂšres et leurs consĂ©quences, en particulier dans des espaces vastes et multiculturels. Un atout de la mĂ©thodique de lâhistoire globale est quâelle ne se souscrit Ă aucun cadre gĂ©ographique. Ensuite, lâengagement envers lâĂtat-nation comme principal cadre dâobservation, ainsi quâun eurocentrisme profondĂ©ment enracinĂ©, sont des problĂšmes que lâhistoire globale cherche Ă contrer. En effet, lâespace clos, la civilisation fermĂ©e, la culture, la sociĂ©tĂ© ou la nation dâespaces immunisĂ©s dâimpulsions extĂ©rieures ou transfrontaliĂšres sont une idĂ©e artificielle[28].
Un autre point qui doit ĂȘtre pris en compte lorsquâun auteur Ă©crit de lâhistoire globale est celui de la « positionnalitĂ© » : dâoĂč Ă©crit-il ? Et pour quel public ? Lâhistoire globale peut que difficilement ĂȘtre Ă©crite sans une sensibilisation Ă la positionnalitĂ© des perspectives[29]. Les temporalitĂ©s utilisĂ©es par ceux qui Ă©crivent lâhistoire globale, ne dĂ©coulent pas dâun programme Ă©pistĂ©mologique donnĂ©, mais sont librement choisis en fonction de buts spĂ©cifiques dâinvestigation. Selon JĂŒrgen Osterhammel, la pĂ©riodisation classique de l'histoire, donc par des Ă©poques est une subdivision et le rĂ©sultat dâune rĂ©flexion historique. Selon l'historien allemand cependant, l'attention doit ĂȘtre payĂ©e toutefois sur la difficultĂ© dâappliquer cette pĂ©riodisation au monde entier[30].
L'histoire globale reste cependant dans la lignĂ©e de lâhistoire universelle, de lâhistoire connectĂ©e ou de lâhistoire comparative Ă lâĂ©chelon de la logique mĂ©thodologique. Cependant, la dĂ©marche de l'histoire globale ne se contente pas dâune approche purement comparative des histoires nationales, mais elle se dĂ©finit Ă©galement comme une histoire des connexions et des transferts entre les diffĂ©rentes communautĂ©s humaines[31]. Elle n'est pas ainsi une histoire totale visant Ă Ă©tudier lâensemble des phĂ©nomĂšnes humains autour du globe, mais elle tente plutĂŽt dâadopter un point de vue global sur un thĂšme Ă©tudiĂ©[32]. Lâhistoire globale se distingue Ă©galement par sa recherche de lâinterdisciplinaritĂ© faisant intervenir aux cĂŽtĂ©s des compĂ©tences de lâhistorien celles de lâarchĂ©ologue, du biologiste, du climatologue, de lâĂ©conomiste, du gĂ©ographe, et encore d'autres. Les partisans de lâhistoire globale soulignent le cĂŽtĂ© novateur de ce courant dans la pratique historique. Celui-ci doit cependant ĂȘtre nuancĂ© sur plusieurs points. Enfin, une grande innovation de lâhistoire globale est lâusage dâĂ©lĂ©ments issus de sciences dites « exactes » en plus de ceux issus des sciences humaines[33].
Comme un grand nombre dâĂ©tudes portent sur des thĂšmes comme le commerce triangulaire, le colonialisme ou lâimpĂ©rialisme europĂ©en, un lien vers lâhĂ©ritage du courant des « Area Studiesâ» dont lâhistoire globale sâest beaucoup inspirĂ©e Ă ces dĂ©buts, peut ĂȘtre fait[34]. Lâune des critiques rĂ©currentes Ă lâencontre de lâhistoire globale est quâelle encourage une forme « dâauto-flagellation » historique de lâOccident. Mais lâhistoire globale ne se limite pas seulement Ă ces champs de recherches et des Ă©tudes sur lâhistoire de lâenvironnement, des religions, des Ă©changes ou encore des routes commerciaux. Elle traite Ă©galement tous les phĂ©nomĂšnes historiques, qui sont liĂ©s Ă toute sorte de la mondialisation. Ainsi, lâhistoire globale comme direction de recherche peut porter le regard sur des rĂ©gions et pĂ©riodes nĂ©gligĂ©es.
Lâhistoire globale donne lieu Ă de grandes tentatives de synthĂšse historique englobant de grandes pĂ©riodes et regroupent souvent un grand nombre de chercheurs sur un mĂȘme projet.
Courants proches
Histoire universelle
Il est possible de faire remonter les racines de lâapproche de maniĂšre globale jusqu'Ă lâAntiquitĂ© par lâintermĂ©diaire dâun courant historique au sein duquel elle puise ses origines â lâhistoire universelle[35]. Ainsi, selon lâhistorienne GeneviĂšve Warland le siĂšcle des LumiĂšres, qui mĂȘle la philosophie et lâanthropologie Ă lâhistoire, est souvent considĂ©rĂ© comme point culminant dâune approche universelle dans lâhistoriographie[36]. Les historiens Beckert et Sachsenmaier ont Ă©galement soulignĂ© ceci : « Though, over many centuries and from different cultures, there have been numerous ventures into some sort of world or universal history [...] »[37].
Lâhistoire universelle a pour vocation de proposer des Ă©tudes totalisantes qui couvrent de vastes pĂ©riodes de lâhistoire humaine. Elle est souvent fondĂ©e sur l'hypothĂšse que lâhistoire est un processus unifiĂ©, bien quâintĂ©rieurement diffĂ©renciĂ©, avec une origine claire et un but discernable. Par ailleurs, elle est souvent mise en relation avec des thĂ©ories portant sur lâĂ©volution sociĂ©tale Ă long terme[38].
Au XIXe siĂšcle, elle atteint sa plus haute expression avec Hegel, un penseur dâune profonde comprĂ©hension historique, puis avec Marx et Comte, ensuite on peut encore trouver des traces dans lâĂcole historique allemande (Historicisme)[39]. On trouve des publications prestigieuses de cette approche universelle vers les annĂ©es 1890-1910, notamment la Cambridge History, de Lord Acton, ou encore la Weltgeschichte de Pflugk-Harttung[36], ensuite on peut encore ajouter lâouvrage de Jules Michelet: Introduction Ă lâhistoire universelle, qui date de 1831. Cette approche de maniĂšre universelle prend un dĂ©clin Ă partir de la seconde moitiĂ© du XXe siĂšcle[40].
Ce courant historique a des points communs avec lâhistoire globale : son approche se veut totalisante autant au niveau de lâespace que du temps. Il prĂŽne lâinterdisciplinaritĂ© et encourage Ă Ă©tudier des zones gĂ©ographiques alors peu explorĂ©es par la discipline historique. De la mĂȘme façon, une approche semblable peut se retrouver dans des travaux datant de peu de temps avant la « naissance » du courant. Un historien comme Fernand Braudel s'y est essayĂ© avec son ouvrage Civilisation matĂ©rielle, Ă©conomie et capitalisme (1979).
Toutefois, par rapport aux autres approches, elle est en comparaison la plus constructiviste, et ainsi elle est le courant le plus Ă©loignĂ© de la recherche historique empirique, c'est-Ă -dire du mĂ©tier dâhistorien[41]. Selon lâavis de JĂŒrgen Osterhammel ce type de discours est le domaine des philosophes, et des sociologues et que les historiens professionnels ont tendance Ă lâĂ©viter[38].
MalgrĂ© son intĂ©rĂȘt, cette approche reste donc trĂšs marginale faute dâune mĂ©thodologie bien Ă©tablie et de la difficultĂ© dâune telle pratique[42].
World History
World History, ou lâhistoire du monde est le terme le plus ancien, comme son utilisation remonte jusquâau XIXe siĂšcle. Par ailleurs, câest encore une matiĂšre scolaire dans de nombreux pays et reste donc dâactualitĂ©[43]. Le terme est souvent utilisĂ© pour dĂ©crire le monde entier ou pour comparer de grandes rĂ©gions. Alors que lâhistoire globale aborde les thĂ©matiques de la mobilitĂ© et de la connectivitĂ© transfrontaliĂšre comme Ă©tant des phĂ©nomĂšnes primordiaux, lâhistoire mondiale se concentre dâavance sur la dynamique interne des communautĂ©s et des sociĂ©tĂ©s[44].
L'histoire du monde fait suite Ă divers prĂ©dĂ©cesseurs, comme lâĂ©cole française des Annales, et se considĂšre comme une rĂ©action Ă la mondialisation ou comme une composante de celle-ci. La principale prĂ©occupation de ce courant est la transgression des limites spatiales et temporelles de lâhistoriographie, car les vĂ©ritables chaĂźnes causales nâadhĂšrent pas Ă des visions du monde ethnocentriques. Ce qui est demandĂ©, câest de se dĂ©tourner des perspectives eurocentriques ou occidentales dans la description et lâexplication de lâhistoire de lâhumanitĂ©.
En gĂ©nĂ©ral, la World history utilise le spectre entre un seul «âgrand rĂ©citâ», par exemple, celui du Rise of the West. A history of the human community au dĂ©but de la pĂ©riode du fameux ouvrage de lâauteur amĂ©ricaine William H. McNeill. L'ouvrage Ă©tait novateur, comme une partie Ă©tait consacrĂ©e Ă la maniĂšre dont lâOccident avait assurĂ© sa domination sur le reste du monde Ă partir de la seconde moitiĂ© du XVIIIe siĂšcle. Lâapproche qui rĂ©sultait de cet ouvrage, offre une critique Ă lâimpĂ©rialisme intellectuel[45].
Ce courant de l'historiographie diffĂšre de lâhistoire universelle, puisquâelle reconnaĂźt la pluralitĂ© des histoires et permet aux tendances universellement valables en matiĂšre de dĂ©veloppement de passer au second plan. Câest une façon de questionner de maniĂšre transversale et qui ne craint pas les perspectives Ă long terme ainsi que les espaces gĂ©ographiques plus larges que ceux de la recherche historique proche de la source. Une des mĂ©thodes, Ă laquelle de nombreux historiens de la World History font recours, est lâapproche par la comparaison. Celle-ci occupe une place beaucoup plus modeste dans lâhistoire universelle[39].
Le concept de globalitĂ©, apparu aux Ătats-Unis durant la Seconde Guerre mondiale, va ĂȘtre au fondement des conceptions de lâhistoire mondiale (mais aussi de lâhistoire globale). Il sâagit ni plus ni moins dâun changement dans la maniĂšre de voir le monde par les AmĂ©ricains causĂ© par lâentrĂ©e en guerre de leur pays et par l'expansion de lâaviation qui rĂ©trĂ©cit les distances et symboliquement le monde[46]. Ainsi, la World History connait aussi un vif dĂ©veloppement Ă partir des annĂ©es 1980, et sâĂ©largit au reste du monde anglo-saxon. Le fondement de la premiĂšre revue scientifique portant sur Journal of World History, qui fut publiĂ© par les presses de lâUniversitĂ© dâHawaĂŻ, marque un Ă©vĂ©nement clĂ© pour lâĂ©mergence de la World History, et la Global History. La revue se prend pour objectif de ne pas uniquement Ă©tudier la Chine ou lâInde, mais le monde dans sa globalitĂ©[47]. Par ailleurs, William H. McNeill, aprĂšs le succĂšs de son ouvrage Rise of the West, a aussi signĂ© le premier article de cette revue, publiĂ©e en 1990.
Elle va rapidement sâinstitutionnaliser par la fondation Ă HawaĂŻ de la World History Association en 1982 et par la crĂ©ation d'un cursus de World History dans plusieurs universitĂ©s amĂ©ricaines. Jusquâen 1990 le statut de la World history reste incertaine au sein de la science historique. Ceci nâest pas vraiment Ă©tonnant, car dans de grandes parties du monde, lâaprĂšs-guerre est une pĂ©riode de construction de la nation. Pour de nombreuses anciennes colonies qui viennent de recevoir leur indĂ©pendance, en particulier, lâĂ©laboration dâune histoire nationale Ă©st au premier rang des prĂ©occupations[48]. Compte tenu de lâĂ©quilibre des pouvoirs politiques, les historiens de ces nations ont utilisĂ© le passĂ© europĂ©en comme rĂ©fĂ©rence pour mesurer lâhistoire de leur propre pays, leur imposant un dĂ©veloppement calquĂ© sur celui de lâOccident. En consĂ©quence, la domination de lâhistoriographie anglophone, en particulier, sâest accrue[48].
Ensuite, le courant sâinstalle durablement dans les annĂ©es suivantes dans l'historiographie contemporaine, notamment avec le lancement par Robert I. Moore, au dĂ©but des annĂ©es 1990, de la Blackwell History of the World.
DĂšs lors, la World History va se dĂ©velopper en trois temps, trois gĂ©nĂ©rations qui vont faire Ă©voluer cette façon dâaborder lâhistoire.
- La premiĂšre gĂ©nĂ©ration, reprĂ©sentĂ©e par lâhistorien canadien William McNeill, va se constituer autour dâun dĂ©goĂ»t pour la guerre et pour la promotion d'une histoire qui se veut dĂ©tachĂ©e du chauvinisme des histoires nationales. Pour eux, il est temps de penser lâhistoire au plan international[49].
- La seconde gĂ©nĂ©ration, principalement reprĂ©sentĂ©e par Immanuel Wallerstein, est essentiellement composĂ©e de sociologues de tendances marxistes qui sont Ă la fois professeurs et militants. Lâapport principal de cette gĂ©nĂ©ration est le dĂ©coupage du monde opĂ©rĂ© par la thĂ©orie des « systĂšmes-monde » de Wallerstein[50].
- Par son influence du marxisme, Wallerstein a d'abord cherchĂ© Ă mettre lumiĂšre sur la maniĂšre dont le centre exploitait la pĂ©riphĂ©rie. Dâailleurs, il soulignait le fait que le systĂšme-monde occidental ne sâĂ©tait pas arrĂȘtĂ© Ă dominer sa propre pĂ©riphĂ©rie, mais avait imposĂ© sa domination aux autres systĂšmes-mondes, pour les transformer en de nouvelles pĂ©riphĂ©ries[45].
- La troisiĂšme gĂ©nĂ©ration se constitue dans les annĂ©es 1980 et est reprĂ©sentĂ©e par lâAmĂ©ricain Jerry H. Bentley et lâIndien Sanjay Subrahmanyam. Moins militante que la seconde, elle a suivi un cursus plus traditionnel et est revenue Ă une approche plus classique[51].
Durant les quelques dĂ©cennies suivantes, certains ouvrages sont devenus des classiques permettant le rayonnement du courant. Ainsi, en 2001, le livre de Kenneth Pomeranz, The Great Divergence, est une analyse comparative entre l'Europe du Nord de la fin du XVIIIe siĂšcle et la Chine de la mĂȘme Ă©poque, au sujet des raisons du dĂ©collage industriel de la premiĂšre et non de la seconde. Parmi ces ouvrages les plus importants se trouve encore la monographie exhaustive de Christopher Alan Bayly : The Birth of the Modern World 1780â1914, publiĂ© en 2004. Lâhistorien britannique fait un effort conscient pour conceptualiser les histoires locales, nationales, impĂ©riales et mondiales comme Ă©tant liĂ©es entre elles non seulement au niveau gĂ©opolitique, mais aussi au niveau transnational[52].
Ă noter, en France, le livre de Christian Grataloup, L'invention des continents : comment lâEurope a dĂ©coupĂ© le monde publiĂ© en 2009 qui dĂ©veloppe le concept proche de gĂ©ohistoire. En AmĂ©rique du Nord, Luc-Normand Tellier, dans son Urban World History propose en 2009 une vision « anoĂ©conomique » de lâhistoire mondiale vue Ă travers lâurbanisation, vision issue de lâĂ©conomie spatiale.
Le rĂŽle de l'internet, lâaccessibilitĂ© et la rapiditĂ© des informations nâest pas Ă nĂ©gliger, permettant aux chercheurs qui sây intĂ©ressent de communiquer de maniĂšre dynamique et au courant de sâorganiser en rĂ©seau grĂące Ă des sites comme H-World et des revues en lignes comme World History connected qui est crĂ©Ă© en 1994[53].
De la World Ă la Global History
Lâhistoire globale va sâaffirmer dans les annĂ©es 1980-1990 avec la New Global History Initiative. Conduit par lâhistorien Bruce Mazlish, ce groupe de chercheurs va ĂȘtre rejoint par le Center for Global History dirigĂ© lui par un autre historien : Wolf SchĂ€fer.
Ce nouveau groupe entend constituer une alternative Ă lâhistoire mondiale (World History) traditionnelle[54]. En effet, le terme « global » leur apparaĂźt plus porteur de sens que le terme « mondial ». Le premier met lâaccent sur lâaccroissement des phĂ©nomĂšnes dâinterdĂ©pendance et des processus dâintĂ©gration Ă lâĂ©chelle de la planĂšte alors que le second nâapparaĂźt que comme un synonyme dâinternational. Le terme « global » semble plus proche encore du concept de globalisation/mondialisation que le terme « mondial »[55].
Durant les annĂ©es 2000, lâhistoire globale va rapidement se dĂ©velopper et obtenir trois caractĂ©ristiques qui la diffĂ©rencient de lâhistoire mondiale.
- La premiĂšre, en lien avec le courant de la Big History (courant historique cherchant Ă rĂ©aliser une histoire de lâhomme dans lâunivers, du Big Bang au XXIe siĂšcle), se caractĂ©rise par une forte interdisciplinaritĂ©. Lâhistoire globale sâaide ainsi de sciences comme la gĂ©ographie Ă la biologie[56]
- La seconde est un jeu dâĂ©chelle effectuĂ© dans les recherches propres Ă ce courant. La Global History ne se limite pas uniquement Ă de vastes recherches englobant lâensemble de lâhumanitĂ©. Elle encourage les historiens Ă rĂ©aliser des recherches Ă plusieurs niveaux, Ă changer dâĂ©chelles de la plus grande Ă la plus petite tant dans une dimension temporelle que spatiale. Lâhistoire globale opĂšre ainsi un va-et-vient entre le local et le global qui permet une meilleure vue des analogies et des parallĂ©lismes et permet dâidentifier des connexions que lâhistoire traditionnelle nâaurait pas dĂ©celĂ©es[57].
- Comme troisiĂšme caractĂ©ristique, lâhistoire globale tend Ă se dĂ©tacher dâune vision trop occidentale. Elle rĂ©alise cette transition grĂące aux travaux dâhistoriens provenant dâAfrique ou dâAsie, ainsi que par lâintermĂ©diaire des « Cultural Studies », « Postcolonial Studies » et « Subaltern Studies »[58].
Enfin, lâhistoire globale a connu une derniĂšre Ă©volution, une fragmentation en plusieurs branches apportant chacune sa propre façon dâaborder lâhistoire globale. Parmi ces groupes on trouve lâhistoire connectĂ©e, lâhistoire transnationale et lâhistoire croisĂ©e.
Big History
Aussi appelĂ©e «âgrande histoireâ» ou plus couramment en anglais «âbig historyâ», la grande histoire tente de replacer l'histoire humaine au sein du contexte de l'histoire cosmique, c'est-Ă -dire depuis le commencement de l'univers (du big bang) jusqu'Ă la vie sur Terre aujourd'hui[59]. Le terme a Ă©tĂ© imaginĂ© par David Christian, universitaire de lâuniversitĂ© de Sydney, pour compenser un manque dans lâĂ©tude gĂ©nĂ©rale de lâHistoire en y intĂ©grant dâautres disciplines de science dure comme de sciences sociales[60]. La citation de William Hardy McNeill est bien reprĂ©sentative de lâintĂ©rĂȘt dâĂ©largir le champ de temporalitĂ© comme celui des disciplines:
«âWe remain submerged in a vast evolutionary process that began with the Big Bang (probably) and is heading to an unknown future â a system in which matter and energy evolve, stars form and break apart, the solar system took form and will eventually collapse (but not before life does), and human societies emerged on planet Earth, beginning an evolution whose end is not in sight.â»[61]
Alexander von Humboldt peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme le pionnier de cette discipline, Ă©tant connu comme le pĂšre de la gĂ©ographie dĂšs le XIXe siĂšcle et ayant entamĂ© dĂšs 1845 et jusqu'en 1862 la rĂ©daction dâune sĂ©rie de volumes dâune collection nommĂ©e "Kosmos"â» dont le but Ă©tait de rĂ©sumer lâensemble de la connaissance concernant lâHistoire de la nature, Histoire humaine comprise[62]. Plus ou moins au mĂȘme moment, Robert Chambers offre une dynamique de lâhistoire universelle Ă travers son livre de 1844 "«âestiges of the Natural History of Creation"â»qui apporte une sĂ©rie dâidĂ©es modernes par rapport Ă son temps en abordant tous les domaines de lâhistoire depuis la crĂ©ation du monde[63]. Si la grande histoire nâa plus eu de grande figure durant la seconde moitiĂ© du XIXe siĂšcle, en 1920 sort "«âthe outline of History"â»de Herbert George Wells qui cherche Ă crĂ©er une identitĂ© globale sur Terre pour Ă©viter une nouvelle guerre majeure similaire Ă la PremiĂšre Guerre mondiale[64].
La big history se popularisa rĂ©ellement Ă partir des annĂ©es 70 avec l'omniprĂ©sence de la globalisation et de lâindustrialisation. On peut alors retrouver comme ouvrages centraux : "The Columbia History of the World"âen 1972, un travail de plus de 1000 pages rĂ©alisĂ© par une Ă©quipe de scientifiques de lâUniversitĂ© de Columbia[65]. Une sĂ©rie de chercheurs interdisciplinaires sây font Ă©galement connaĂźtre : les historiens David Christian de lâuniversitĂ© Macquarie et John Mears de lâuniversitĂ© Southern Methodist, mais aussi le gĂ©ologue Preston Cloud de lâuniversitĂ© du Minnesota, lâastrophysicien G. Siegfried Kutter de lâuniversitĂ© dâEvergreen, les astronomes Geogre Field et Eric Chaisson de lâuniversitĂ© de Harvard, le philosophe Erich Jantsch, le psychologue Akop Nazaretyan et encore dâautres[59].
Histoire transnationale
Lâhistoire transnationale est un courant historiographique liĂ© Ă lâhistoire globale, lâhistoire connectĂ©e et lâhistoire comparĂ©e. Elle vise des phĂ©nomĂšnes qui sont clairement limitĂ©s dans lâespace. En gĂ©nĂ©ral, lâhistoire transnationale sâintĂ©resse Ă lâexamen des sociĂ©tĂ©s dans leurs interrelations transfrontaliĂšres. Ce terme implique quâune attention particuliĂšre est accordĂ©e au rĂŽle de la mobilitĂ©, de la circulation et des transferts[66]. Le concept Ă©tant encore relativement nouveau dans le domaine de lâhistoire, aucun consensus ne sâest dĂ©gagĂ© sur une dĂ©finition prĂ©cise et finale. De nombreux concepts concurrents sont apparus dans les Ćuvres de Sebastian Conrad, Kiran Patel, Thomas Adam, Thomas Bender, Daniel T. Rodgers et Ian Tyrrell. Akira Iriye et Pierre-Yves Saunier dĂ©finissent lâhistoire transnationale comme ayant trait aux «âconnexions et circulationsâ» entre les sociĂ©tĂ©s de lâĂšre moderne[67]. Une dĂ©finition qui peut ĂȘtre proposĂ©e est celle de lâhistorien japonais Akira Iriye, «âlâhistoire transnationale peut ĂȘtre dĂ©finie comme lâĂ©tude des mouvements et des forces qui ont traversĂ© les frontiĂšres nationalesâ» dans divers contextes[68].
Ce terme, qui trouve son origine dans les Ă©tudes amĂ©ricaines, a Ă©tĂ© appliquĂ© par les historiens qui cherchent Ă Ă©viter de prendre lâhistoire nationale comme cadre «ânaturelâ» de lâanalyse historique, mais Ă regarder le passĂ© sans le cadre de lâĂtat-nation. La conjoncture de lâhistoire transnationale se situe aux annĂ©es 1990 et dĂ©finit la nation comme point de rĂ©fĂ©rence, mais tente en mĂȘme temps de le briser et de le transcender[69]. Les outils dâanalyse dont elle se sert sont la comparaison, le transfert et/ou lâinterconnexion. Le premier implique lâĂ©tude de deux sociĂ©tĂ©s spatialement et temporellement sĂ©parĂ©es nâayant aucune relation de transfert entre elles. Le second se pose la question de lâinfluence rĂ©ciproque quâont les sociĂ©tĂ©s spatialement et temporellement proches. Aussi appelĂ© « les processus de transfert ».
Le terme dâhistoire transnationale nâest pas sans problĂšmes. Les nations constituent le point de dĂ©part de lâanalyse transnationale, bien que cette notion-ci peut exprimer plusieurs idĂ©es diffĂ©rentes : en tant que nation, en tant quâĂtat-nation ou de sentiment national. Le problĂšme qui se pose est que la « nation » nâest pas une entitĂ© naturelle, mais une construction. En fait la majoritĂ© des nations se sont Ă©tablies que pendant le 19e siĂšcle[70].
Critiques
Ă la suite du global turn de nombreuses critiques se sont accumulĂ©es pendant les derniĂšres annĂ©es. Les critiques ont Ă©tĂ© principalement exprimĂ©es par ceux qui doutaient que lâhistoire globale fĂ»t capable Ă rĂ©pondre aux critĂšres traditionnels de la profession de lâhistorien[71]. Surtout, la question liĂ©e Ă la profonde connaissance de sources, et ainsi la critique externe comme interne de ceux-ci, lors de lâanalyse, a Ă©tĂ© soulevĂ©e Ă maintes reprises.
NĂ©anmoins, d'aprĂšs lâhistorienne GeneviĂšve Warland, un travail intĂ©grant lâutilisation de sources primaires est trĂšs difficilement rĂ©alisable pour un historien qui choisit dâapprocher son questionnement par une maniĂšre globale[72]. Ainsi, on peut donner lâexemple du fameux ouvrage de lâhistorien allemand JĂŒrgen Osterhammel : The Transformation of the World, qui est principalement de nature une synthĂšse de synthĂšses. Cependant, lâobjet de cet ouvrage nâĂ©tait pas une recherche profonde aux archives, mais il se distingue plutĂŽt par une trĂšs bonne maitrise de la littĂ©rature secondaire, qui se compose de plus de 2500 titres[73]. Par ailleurs, dans cet ouvrage prĂ©cis, lâhistorien allemand souligne le fait que:
« The historian who temporarily slips into the role of global historian - she or he must remain an expert in one or more special areas - cannot do other than "encapsulate" in a few sentences the arduous, time-consuming work of others. »[74]
Ensuite, il est parfois reprochĂ© Ă l'histoire globale un aspect trop globalisant qui rend difficile la mise en place de repĂšres structurants. MĂȘme si l'histoire globale met lâaccent sur la spĂ©cificitĂ© des localitĂ©s, des lieux, des voix et des identitĂ©s individuelles, elle ne peut jamais entiĂšrement Ă©viter de faire des gĂ©nĂ©ralisations sur des phĂ©nomĂšnes historiques. Dâailleurs, ce point de la gĂ©nĂ©ralisation avait Ă©tĂ© fermement condamnĂ© par les thĂ©oriciens influents du postmodernisme[71].
En outre, l'un des intĂ©rĂȘts de l'histoire globale Ă©tant de dĂ©construire les prĂ©jugĂ©s globalisateurs infondĂ©s entre autres dans les mĂ©dias publics (surtout en opposition aux nationalismes), les historiens de cette disciplines ont une tentation constante de communiquer dans ces mĂ©dias pour Ă©viter l'appropriation du sujet par des organisations ou personnalitĂ©s politique. Ce faisant, ils ont tendance Ă leur tour s'exprimer sur des sujets encore peu Ă©tudiĂ©s, au risque d' Ă leur tour de dĂ©sinformer la population[75].
Un autre problĂšme qui reste Ă lâhistoire globale est liĂ© au fait que mĂȘme si lâhistoire globale revendique d'ĂȘtre universel, et non-eurocentrique, les langues qui dominent les ouvrages du courant sont clairement lâanglais, lâallemand, et sâajoutant depuis quelques annĂ©es le français[76].
DĂ©bats
Le dĂ©bat autour de lâouvrage Histoire mondiale de la France sous la direction de Patrick Boucheron, qui opposait un regard global au rĂ©cit traditionnel de lâhistoire de France, a notamment suscitĂ© des Ă©motions et des rĂ©actions controversĂ©es. Lâouvrage a obtenu un grand succĂšs auprĂšs du public et suscitĂ© une grande attention mĂ©diatique et publique en France. Il se distingue par son approche, comme il met en avant des dates et s'essaye Ă casser les chronologies nationales et nationalistes[77]. Dans la prĂ©face, Patrick Boucheron rĂ©sume ainsi lâobjectif de lâouvrage :
«âVoici pourquoi on lira ici une histoire mondiale de la France et non pas une histoire de la France mondiale : nous n'avons nulle intention de suivre lâexpansion au long cours dâune France mondialisĂ©e pour exalter lâessor glorieux dâune nation vouĂ©e Ă lâuniversel, pas plus que nous souhaitions chanter les louanges des mĂ©tissages heureux et des circulations fĂ©condantes. Faut-il dire Ă nouveau quâil ne sâagit ici ni de cĂ©lĂ©brer ni de dĂ©noncerâ?â»[78]
NĂ©anmoins, le volume a suscitĂ© des commentaires nĂ©gatifs par des chroniqueurs et des journalistes qui ont qualifiĂ© le livre comme Ă©tant une tentative de «âdissoudre la Franceâ», et les collaborateurs de lâouvrage comme des fossoyeurs pour le grand hĂ©ritage français[79].
Un grand critique de cet ouvrage collectif Ă©tait d'ailleurs le fondateur de lâhistoire connectĂ©e, Sanjay Subrahmanyam, qui dans un article du Figaro datant de 2018, Ă©tait dâavis que :
«âJe ne souscris pas Ă tout ce qui se passe autour de l'histoire globale, car ceux qui sâen rĂ©clament la pratiquent parfois de maniĂšre paresseuse. Ils ont oubliĂ© de travailler avec les sources. Ils font une histoire globale pour imbĂ©ciles, faite de compilations. [...] Patrick Boucheron a faussĂ© le dĂ©bat en crĂ©ant une confusion, en faisant comme si lâhistoire globale Ă©tait celle des gens bien-pensants de gauche.â»[80]
Cet article a provoqué notamment une réaction de la part de l'historienne Valérie Theis, une ancienne élÚve de Patrick Boucheron, qui cherchait à défendre son ancien mentor dans un article paru dans le monde :
«âCe qui tue, ce sont les querelles de chapelle des universitaires, les jalousies et le manque de gĂ©nĂ©rositĂ© intellectuelle. Nous nous dĂ©chirons entre nous, quand nous devrions ĂȘtre reconnaissants que certains se souviennent parfois que nous ne sommes pas seulement lĂ pour Ă©crire pour nous-mĂȘmes, mais aussi pour le public.»[81]
Ce dĂ©bat illustre le fait quâun ouvrage qui propose de rompre avec le rĂ©cit traditionnel national au profit d'une approche globale peut Ă©galement provoquer des rĂ©actions plutĂŽt nĂ©gatives.
Notes et références
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Voir aussi
Articles connexes
- Auteurs
- Courants historiques
Histoire globale
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Liens externes
- « Histoire du monde 4/4 », sur La Fabrique de l'Histoire, France Culture, â Ă©mission au cours de laquelle fut organisĂ©, avec les historiens Philippe Minard, Julien Loiseau, Caroline Douki, StĂ©phane Van Damme et Jean-FrĂ©dĂ©ric Schaub, un « [d]Ă©bat autour de la naissance d'une histoire globale : qu'est ce que la world history ? »
- « Histoire globale : Un autre regard sur le monde » â site crĂ©Ă© Ă l'initiative de Laurent Testot et disposant aussi d'un blog.
- Collectif, « Dossier : L'histoire globale », sur Sciences humaines.