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Gnothi seauton

Gnothi seauton (en grec ancien Î“Îœáż¶ÎžÎč σΔαυτόΜ / Gnỗthi seautόn[1], API : /ˈgnɔ̂ːˌ.tÊ°i se.auÌŻ.tĂłn/ ; en latin : Nosce te ipsum ou temet nosce) est une locution philosophique grecque signifiant « connais-toi toi-mĂȘme ». Elle est cĂ©lĂšbre pour son usage philosophique par Socrate.

Un Memento mori en mosaïque (Ier siÚcle apr. J.-C.) accompagné de l'inscription Gnothi seauton. Provient des excavations de l'église San Gregorio al Celio (Rome) ; actuellement au Musée des Thermes de Dioclétien.

C’est, selon le Charmide de Platon, la plus ancienne des trois maximes qui Ă©taient gravĂ©es Ă  l'entrĂ©e du temple d'Apollon Ă  Delphes. La Description de Delphes par Pausanias le PĂ©riĂ©gĂšte en confirme l'existence.

Origines

L'idĂ©e selon laquelle la connaissance des choses passe par une connaissance prĂ©alable de soi est dĂ©fendue par plusieurs penseurs antiques. Avant Socrate et la construction du temple d'Apollon Ă  Delphes, HĂ©raclite d'ÉphĂšse, rapportĂ© par DiogĂšne LaĂ«rce et Jean StobĂ©e, exprimĂ© la mĂȘme idĂ©e, car il disait « qu'il s'Ă©tait pris pour objet d'Ă©tude et que c'Ă©tait de lui-mĂȘme qu'il avait tout appris »[2], et que « se connaĂźtre et ĂȘtre sain d'esprit est propre Ă  tous les hommes. »[3].

Peinture allégorique du XVIIe siÚcle avec l'inscription en latin Nosce te ipsum.
Humani corporis ossium caeteris quas sustinent partibus liberorum, suaque sede positorum ex latere delineatio.[4].

Porphyre de Tyr, dans son TraitĂ© sur le prĂ©cepte Connais-toi toi-mĂȘme[5], s'interroge sur la signification et sur l'origine de cette inscription. DiogĂšne LaĂ«rce Ă©crit[6] : « ThalĂšs est l’auteur du fameux « Connais-toi toi-mĂȘme » qu’AntisthĂšne dans son Livre des Filiations attribue Ă  la poĂ©tesse PhĂ©monoĂ©, en dĂ©clarant que Chilon se l’appropria mensongĂšrement. »

Cependant, des auteurs contemporains[7] considĂšrent que les trois maximes Ă©taient plus probablement des proverbes populaires, attribuĂ©s tardivement Ă  des sages particuliers. Aristote, dans un dialogue perdu intitulĂ© Sur la Philosophie (ΠΔρ᜶ φÎčÎ»ÎżÏƒÎżÏ†ÎŻÎ±Ï‚), serait parvenu Ă  la mĂȘme conclusion. À partir de l’histoire du temple de Delphes, il aurait affirmĂ© que cette maxime delphique n'appartient Ă  aucun des Sept Sages comme on le croyait, mais est plus ancienne que Chilon[8].

La maxime a toutefois connu une grande postĂ©ritĂ© par l'utilisation qui en est faite par Socrate dans les oeuvres de Platon. Elle donne Ă  Socrate la possibilitĂ© d'exprimer l'idĂ©e selon laquelle la recherche sur les exigences morales et la nature commence par une introspection. Comme l'Ă©crit Jean-Jacques Chevallier, « la tendance de l'enseignement des sophistes avait Ă©tĂ© d'inculquer la maxime : affirmez-vous, imposez-vous. La clef de la vie et de l'activitĂ© de Socrate se trouve dans la devise : connais-toi toi-mĂȘme »[9]. Il retrouve par lĂ  mĂȘme le principe Ă©thique de la religion apollinienne. De cette façon, une liaison Ă©tait Ă©tablie entre la religion grecque et la philosophie. Socrate n'ayant Ă©crit aucun ouvrage, nous n'avons connaissance de son usage du prĂ©cepte que par ce qu'en a rapportĂ© ses disciplines, Platon et XĂ©nophon, dans les dialogues oĂč ils l'ont mis en scĂšne.

Pensée socratique

Chez Platon

Ruines du temple d'Apollon Ă  Delphes, qui comportait cette inscription sur son fronton.

Platon, en tant que plus illustre disciple de Socrate, est celui qui contribua le plus à porter à la postérité le Gnothi seauton. On en trouve plusieurs mentions dans ses dialogues philosophiques :

Dans le Charmide, il fait dire Ă  Socrate[10]:

« [
] J’irais presque jusqu’à dire que cette mĂȘme chose, se connaĂźtre soi-mĂȘme, est tempĂ©rance, d’accord en cela avec l’auteur de l’inscription de Delphes. Je m’imagine que cette inscription a Ă©tĂ© placĂ©e au fronton comme un salut du dieu aux arrivants, au lieu du salut ordinaire « rĂ©jouis-toi », comme si cette derniĂšre formule n’était pas bonne et qu’on dĂ»t s’exhorter les uns les autres, non pas Ă  se rĂ©jouir, mais Ă  ĂȘtre sages. C’est ainsi que le dieu s’adresse Ă  ceux qui entrent dans son temple, en des termes diffĂ©rents de ceux des hommes, et c’est ce que pensait, je crois, l’auteur de l’inscription Ă  tout homme qui entre il dit en rĂ©alitĂ© : « Sois tempĂ©rĂ©. » Mais il le dit, comme un devin, d’une façon un peu Ă©nigmatique ; car « Connais-toi toi-mĂȘme » et « Sois tempĂ©rĂ© », c’est la mĂȘme chose, au dire de l’inscription et au mien. Mais on peut s’y tromper : c’est le cas, je crois, de ceux qui ont fait graver les inscriptions postĂ©rieures : « Rien de trop » et « Cautionner, c’est se ruiner. »

On la trouve aussi dans le PhilĂšbe[11] :

« Socrate — C’est en somme une espĂšce de vice qui tire son nom d’une habitude particuliĂšre, et cette partie du vice en gĂ©nĂ©ral est une disposition contraire Ă  celle que recommande l’inscription de Delphes.

Protarque — C’est du prĂ©cepte : Connais-toi toi-mĂȘme, que tu parles, Socrate ?

Socrate — Oui, et le contraire de ce prĂ©cepte, dans le langage de l’inscription, serait de ne pas se connaĂźtre du tout. »

Ainsi que dans le Premier Alcibiade[12] :

« Allons, mon bienheureux Alcibiade, suis mes conseils et crois-en l’inscription de Delphes : Connais-toi toi-mĂȘme, et sache que nos rivaux sont ceux-lĂ  et non ceux que tu penses et que, pour les surpasser, nous n’avons pas d’autre moyen que l’application et le savoir. »

Dans le Protagoras (343a-b) :

« Parmi eux il y a ThalĂšs de Milet, Pittacos de MytilĂšne, Bias de PriĂšne, notre Solon, ClĂ©obule de Lindos, Myson de KhĂšnĂš, et on leur ajoute un septiĂšme, le LacĂ©dĂ©monien Chilon. Tous Ă©taient des partisans fervents, des amoureux et des disciples de l’éducation lacĂ©dĂ©monienne ; et l’on se rend bien compte que leur savoir est de cet ordre, si l’on se rappelle les formules brĂšves, mĂ©morables, prononcĂ©es par chacun d’eux lorsqu’ils se rĂ©unirent ensemble pour offrir Ă  Apollon dans son temple de Delphes les prĂ©mices de leur savoir, et qu’ils Ă©crivirent ces mots que tous reprennent : “Connais-toi toi-mĂȘme” et “Rien de trop”. »

Dans les Lois (923a):

« Mes amis, dirons-nous, Ă  vous dont l’existence ne dure, Ă  la lettre, qu’un jour, il est difficile de connaĂźtre ce qui vous appartient en propre et qui plus est de vous connaĂźtre vous-mĂȘmes, comme le recommande l’inscription de Delphes, en ce moment prĂ©cis. »

Chez XĂ©nophon

XĂ©nophon, autre disciple de Socrate, mentionne Ă©galement le « Gnothi seauton » dans les MĂ©morables (livre IV, chapitre 2). Socrate y dialogue avec EuthydĂšme, jeune homme orgueilleux, imbu de lui-mĂȘme qui se croyait trĂšs sage:

« - Dis-moi, EuthydÚme, as-tu jamais été à Delphes?
- Deux fois, par Jupiter!
- Tu as donc aperçu l'inscription gravĂ©e sur le temple : Connais-toi toi-mĂȘme?
- Oui certes.
- N'as-tu pris aucun souci de cette inscription, ou bien l'as-tu remarquée, et as-tu cherché à examiner quel tu es?
- Non, par Jupiter ! vu que je croyais le savoir parfaitement : car il m'eĂ»t Ă©tĂ© difficile d'apprendre autre chose, si je me fusse ignorĂ© moi-mĂȘme[13]. »

À la fin du dialogue, Euthydùme finit par reconnaütre son ignorance.

Interprétation

Les explications sur l'origine de cette maxime ont variĂ© selon les Ă©poques. Mot‑clĂ© de l’humanisme, le « Connais-toi toi-mĂȘme » socratique assigne Ă  l’homme le devoir de prendre conscience de sa propre mesure sans tenter de rivaliser avec les dieux.

Hegel voit ce « connais-toi toi-mĂȘme » comme le signe d’un tournant majeur dans l’histoire de l’esprit, car Socrate en s’en rĂ©clamant fait de « l’esprit universel unique », un « esprit singulier Ă  l’individualitĂ© qui se dessine », autrement dit, il fait de la conscience intĂ©rieure l’instance de la vĂ©ritĂ© et donc de la dĂ©cision . Il y a un tournant car, dans la culture orientale, l’Esprit, tel que le conçoit Hegel, Ă©tait de l'ordre du mystique inaccessible (d’oĂč les Sphinges et les pyramides d'Égypte que nul ne peut pĂ©nĂ©trer) ; ce qu’au contraire augure Socrate (et de la mĂȘme maniĂšre ƒdipe), c’est « un tournant de l’Esprit dans son intĂ©rioritĂ© », c’est-Ă -dire qu’au lieu d’ĂȘtre inaccessible, l’Esprit est rĂ©clamĂ© comme se trouvant dans l'homme lui-mĂȘme.

Postérité

Variantes modernes

Une expression contemporaine du Î“Îœáż¶ÎžÎč σΔαυτόΜ.

Une variante souvent reprise de nos jours, mais d'origine incertaine, ajoute :

« Connais-toi toi-mĂȘme et tu connaĂźtras l'univers et les dieux. »

Cette variante moderne semble inviter à la recherche de connaissances supérieures par l'introspection alors que les auteurs anciens comme Platon et Porphyre de Tyr voyaient plutÎt dans la citation d'origine une invitation à l'humilité et à la tempérance :

« Quel est le sens, quel est l'auteur du prĂ©cepte sacrĂ© qui est inscrit sur le temple d'Apollon, et qui dit Ă  celui qui vient implorer le Dieu : Connais-toi toi-mĂȘme ? Il signifie, ce semble, que l'homme qui s'ignore lui-mĂȘme ne saurait rendre au Dieu des hommages convenables ni en obtenir ce qu'il implore. »

— Porphyre, TraitĂ© sur le prĂ©cepte connais-toi toi-mĂȘme

Utilisation juridique

En 1125, Pierre AbĂ©lard Ă©crit le traitĂ© d'Ă©thique Connais-toi toi-mĂȘme, qui inaugure le droit moderne en fondant la notion de culpabilitĂ© non plus sur l'acte commis mais sur l'intention.

Dans la culture populaire

Dans le film Matrix, une des versions latines (temet nosce) est utilisĂ©e comme inscription au-dessus de la porte de l’Oracle[14].

Notes et références

  1. Ou, par crase, Î“Îœáż¶ÎžÎč σαυτόΜ / Gnỗthi sautόn, comme c'est le cas dans la mosaĂŻque de l'Ă©glise San Gregorio al Celio, ci-contre.
  2. Cité in DiogÚne Laërce, IX, 1, 5, traduction Ch. Zevort, 1847 [lire en ligne (page consultée le 14 décembre 2021)]
  3. Stobée, Anthologie, III, 5, 6.
  4. André Vésale, De humani corporis fabrica libri septem, Bùle, Joannes Oporinus, 1543. Dessinateur : Vecellio Tiziano , dit Le Titien et/ou Jean-Stéphane de Calcar (son élÚve et al. ?), livre I, p. 164.
  5. Porphyre, TraitĂ© sur le prĂ©cepte connais-toi toi-mĂȘme texte intĂ©gral.
  6. DiogÚne Laërce, ThalÚs, texte intégral.
  7. (en) H. Parke et D. Wormell, The Delphic Oracle (Basil Blackwell, 1956), vol. 1, p. 389.
  8. Werner Jaeger, Aristote, Fondements pour une histoire de son Ă©volution, l’Éclat, 1997, p. 129-130.
  9. Jean-Jacques Chevallier, Histoire de la pensée politique, Payot, 1979-<1984> (ISBN 9782228135306, OCLC 6356697, lire en ligne)
  10. Platon, Charmide,164d.
  11. Platon, PhilÚbe, Texte intégral.
  12. Platon, Premier Alcibiade, texte intégral.
  13. Xénophon, Les Mémorables. Livre IV, chapitre 2. Consulté le .
  14. (en) « "Know Thyself" The most important art lesson of all », sur patrickmcgrath.blogspot.lu (consulté le ).

Voir aussi

Article connexe

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