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Charmide

Le Charmide (en grec ancien : Î§Î±ÏÎŒÎŻÎŽÎ·Ï‚) ou Sur la sagesse, est un dialogue de Platon. Il appartient Ă  la sĂ©rie des premiers dialogues, composĂ©s Ă  l’époque oĂč l’auteur Ă©tait encore jeune. La date exacte est cependant incertaine : le critique Johann Gottfried Stallbaum (de) la fait remonter Ă  la pĂ©riode prĂ©cĂ©dant la domination des Trente Tyrans sur AthĂšnes, vers 405 av. J.-C., alors que presque tous la ramĂšnent Ă  bien plus tard, vers 388, aprĂšs la mort de Socrate.

Début du Charmide dans le Codex Oxoniensis Clarkianus 39 de la bibliothÚque Bodléienne (vers 895).

Le dialogue est censé se dérouler au début de la guerre du PéloponnÚse, vers 430 av. J.-C.

Personnages

  • Critias : Aristocrate, neveu de Glaucon, grand-pĂšre maternel de Platon, opportuniste tuteur de Charmide[1]. Il est reprĂ©sentĂ© dans le dialogue sous les traits d’un homme fait, d’une trentaine d’annĂ©es. RĂ©putĂ© habile discoureur, auteur de plusieurs traitĂ©s de morale, il deviendra le plus cĂ©lĂšbre des Trente Tyrans, laissant le souvenir d’un dirigeant cruel, cupide et sanguinaire. L’une des accusations portĂ©es plus tard contre Socrate vient de ses relations avec ce personnage. Il mourra dans la guerre civile, lors d’une banale bataille de rue contre des dĂ©mocrates, prĂšs du PirĂ©e, Ă  Munychie en 403.
  • Charmide : Fils de Glaucon, Charmide est le frĂšre de PĂ©rictionĂš, la mĂšre de l’auteur. Platon dĂ©peint cet oncle comme le jeune homme le plus beau et le plus sage de sa gĂ©nĂ©ration, suscitant l’admiration amoureuse des jeunes et des vieux. AimĂ© et protĂ©gĂ© par son cousin Critias, qui se fait son tuteur puis lui confie la prĂ©fecture du PirĂ©e, il mourra avec lui lors de la mĂȘme bataille de rue.
  • ChĂ©rĂ©phon : Ami et admirateur de Socrate. RĂ©solument dĂ©mocrate, il s’exilera pendant les deux annĂ©es de rĂšgne des Trente Tyrans et rentrera Ă  AthĂšnes par la suite. D’un tempĂ©rament notoirement exaltĂ©, il ne vivra cependant pas assez vieux pour assister au procĂšs de son ami, et ne joue dans le prĂ©sent dialogue qu’un rĂŽle marginal.

Le dialogue : définir la sagesse

Le Charmide traite de la sagesse, en grec ancien : ÏƒÏ‰Ï†ÏÎżÏƒÏÎœÎ· / sophrosynĂš, et s’attache Ă  lui trouver une dĂ©finition prĂ©cise, sans succĂšs.

ScĂšne introductive

De retour de PotidĂ©e oĂč il devait remplir ses obligations militaires, Socrate revient Ă  AthĂšnes aprĂšs apparemment plusieurs annĂ©es d’absence, et s’arrĂȘte en face du temple de BasilĂš Ă  la palestre de TaurĂ©as, chorĂšge en mĂȘme temps qu'Alcibiade. Il y retrouve entre autres ChĂ©rĂ©phon, qui l’accueille avec beaucoup de chaleur et s’enquiert de l’issue de la bataille qui vient d’ĂȘtre livrĂ©e.

AprĂšs avoir satisfait Ă  la curiositĂ© de ses interlocuteurs, Socrate veut s’informer de ce que devient la philosophie dans la citĂ© athĂ©nienne, et savoir s’il existe des jeunes gens se faisant remarquer par leur beautĂ©, leur esprit ou les deux Ă  la fois. Critias prend Ă  ce moment la parole pour plaider la cause de son cousin Charmide. Ses qualitĂ©s physiques et intellectuelles sont si grandes, affirme-t-il, qu’il n’est aucun AthĂ©nien qui n’en soit amoureux.

IntĂ©ressĂ©, Socrate accepte de faire sa connaissance et feint de pouvoir guĂ©rir des maux de tĂȘte dont Charmide dit souffrir, Ă  l’aide d’une potion qu’il tient d’un mĂ©decin thrace. Toutefois, prĂ©cise Socrate, de mĂȘme qu’on ne saurait guĂ©rir un Ɠil malade sans se prĂ©occuper de l’ensemble de la tĂȘte, voire du corps, il serait illusoire de vouloir guĂ©rir le mal de tĂȘte de Charmide sans en mĂȘme temps s’occuper de la santĂ© de son Ăąme. De ce fait, au cas oĂč Charmide estimerait manquer de sagesse, Socrate aurait d’abord Ă  prononcer une formule d’invocation pour le bien de son Ăąme, avant de lui faire boire la potion.

À la question de savoir s’il s’estime suffisamment sage ou pas, Charmide hĂ©site Ă  rĂ©pondre, de peur de paraĂźtre ou prĂ©tentieux ou pusillanime. Socrate contourne la difficultĂ© : si Charmide est sage, il doit ĂȘtre capable de donner une dĂ©finition prĂ©cise de cette vertu qui l’habite. S’il y rĂ©ussit, sa sagesse ne fera alors plus de doute et il pourra se passer de l’invocation.

PremiÚre définition : « faire toutes choses avec modération et avec calme »

D’abord hĂ©sitant, Charmide suggĂšre que la sagesse soit la facultĂ© de toujours agir avec calme et modĂ©ration.

Substituant Ă  dessein le concept de lenteur Ă  celui de modĂ©ration, Socrate rĂ©fute cette hypothĂšse par une sĂ©rie d’exemples oĂč la vitesse et la vivacitĂ© sont prĂ©fĂ©rables Ă  la lenteur : d’une part la lecture, l’écriture ou la mĂ©moire pour les choses de l’esprit, et d’autre part les disciplines sportives pour les choses du corps.

DeuxiÚme définition : « la pudeur »

DĂ©concertĂ© et renonçant Ă  dĂ©fendre sa premiĂšre idĂ©e, Charmide Ă©met alors l’hypothĂšse que, puisque la sagesse fait rougir de certaines choses, elle « n’est autre chose que la pudeur ».

LĂ  aussi Socrate n’est pas satisfait. Il fait valoir qu’alors que la sagesse est toujours bonne, la pudeur peut ne pas ĂȘtre souhaitable dans certaines circonstances, comme en tĂ©moigne un vers d’HomĂšre :

« La honte n’est pas bonne pour l’indigent. »

— OdyssĂ©e, XVII, 347

TroisiÚme définition : « faire ses propres affaires »

Pour se sortir d’embarras, Charmide a recours Ă  une nouvelle dĂ©finition, dont on devine qu’il la tient de son tuteur Critias, qui assiste Ă  l’entretien. La sagesse consisterait « pour chacun de nous Ă  faire ce qui nous regarde ».

Socrate, toujours peu convaincu, n’a aucun mal Ă  faire valoir qu’une citĂ© oĂč chacun confectionnerait ses propres chaussures ou laverait son propre linge ne serait Ă  l’évidence pas une citĂ© sage. IrritĂ© de voir ses idĂ©es si mal dĂ©fendues, Critias intervient alors dans le dialogue et, Ă  partir de lĂ , se substitue Ă  Charmide comme interlocuteur de Socrate. Il opĂšre tout d’abord une distinction entre l’idĂ©e de faire ses propres affaires et celle de fabriquer des choses pour autrui. De fait, soutient-il, on peut tout Ă  fait fabriquer des choses pour autrui tout en Ă©tant sage.

QuatriĂšme dĂ©finition : « la connaissance de soi-mĂȘme »

Face Ă  de nouvelles objections de Socrate, Critias bat en retraite et formule l’idĂ©e gĂ©nĂ©rale, rĂ©pandue chez les Grecs, que la sagesse consiste en la « connaissance de soi-mĂȘme », comme l’indique le fronton du temple de Delphes. La sagesse, ajoute Critias, n’est pas une science comme les autres, qui aurait un objet bien prĂ©cis, comme la santĂ© pour la mĂ©decine ou le pair et l’impair pour le calcul. La sagesse, affirme-t-il, est Ă  la fois la science d’elle-mĂȘme, des autres sciences et de l’ignorance, c’est-Ă -dire que la sagesse « consiste Ă  savoir ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas ».

Selon Socrate, il semble impossible qu’une telle science existe, et il utilise pour le dĂ©montrer des analogies complexes : on ne peut imaginer, par exemple, un sens de la vue qui ne serait pas la vue des choses qu’aperçoivent les autres vues, mais qui serait la vue d’elle-mĂȘme, des autres vues et de ce qui ne serait pas une vue. Socrate renouvelle la mĂ©thode avec l’ouĂŻe et bien d’autres concepts, bien que son interlocuteur ait visiblement du mal Ă  le suivre. Par la suite, et de façon toujours obscure, Socrate note que la science de la sagesse, telle que la conçoit Critias, serait non seulement inconcevable mais Ă©galement inutile, puisqu’elle ne pourrait pas faire connaĂźtre ce que nous savons et ce que nous ne savons pas, mais seulement que nous savons et ne savons pas. Seule l’étude des sciences particuliĂšres peut nous y faire parvenir, en partie.

La science du bien et du mal ?

Enfin, une telle science serait incapable d’assurer le bonheur de celui qui la dĂ©tient. La seule science Ă©tant susceptible de le faire est celle du bien et du mal. Contrairement Ă  l’attente du lecteur, et de façon peut-ĂȘtre trompeuse, Socrate prĂ©cise que la sagesse n’est pas non plus cette science du bien et du mal qu’il vient d’évoquer, puisque la sagesse selon Critias est la science de la science et d’elle-mĂȘme. Se rĂ©fĂ©rer ainsi Ă  une thĂšse qu’il vient de rĂ©futer est un indice permettant de penser que Socrate, comme il le fait dans d’autres dialogues, identifie bien en rĂ©alitĂ© sagesse et science du bien et du mal.

Conclusion

Incapable en apparence de parvenir Ă  une dĂ©finition satisfaisante, Socrate s’accuse d’avoir mal conduit l’entretien et d’ĂȘtre un mauvais chercheur de la vĂ©ritĂ©. Cet aveu d’humilitĂ© ne refroidit pas Charmide, qui demande Ă  devenir son disciple et Ă  recevoir l’incantation thrace censĂ©e le rendre plus sage.

Portée philosophique et historique

D’une trĂšs belle construction formelle, le fond du Charmide se rĂ©vĂšle cependant assez dĂ©cevant et superficiel. Le plus grand reproche adressĂ© par les commentateurs vient de ce que le texte semble contredire la doctrine socratique traditionnelle consistant, comme dans le Premier Alcibiade et comme le fait mĂȘme Critias dans le prĂ©sent dialogue, Ă  identifier la sagesse et la connaissance de soi-mĂȘme, c’est-Ă -dire la science du bien et du mal.

Par ailleurs, la mĂ©thode utilisĂ©e par Socrate pour rĂ©futer les arguments de Charmide, puis de Critias, relĂšve davantage du sophisme que de la philosophie, et davantage Ă©galement de la volontĂ© de vaincre son interlocuteur que de celle de dĂ©couvrir la vĂ©ritĂ©. Substituant sans l’expliquer la lenteur au calme dans la premiĂšre dĂ©finition, sans examiner ce que la dĂ©claration de Charmide avait pourtant de pertinent, il rejette ensuite la deuxiĂšme par le simple argument d’autoritĂ© qu’est HomĂšre.

Les critiques y voient le signe que Platon ne faisait que dĂ©buter dans sa quĂȘte philosophique, et qu’il Ă©tait encore trop occupĂ© Ă  rĂ©futer les diverses thĂšses existantes pour Ă©laborer de façon constructive son propre systĂšme.

Par ailleurs, les historiens ont pu s’étonner que Platon, habituellement sans concession avec la vĂ©ritĂ© des faits et des personnages, prĂ©sente ses parents Critias et Charmide sous des traits aussi Ă©logieux, malgrĂ© le rĂŽle trouble qui fut le leur dans l’histoire athĂ©nienne. Au-delĂ  de la volontĂ© comprĂ©hensible de rĂ©habiliter les membres de sa famille, Platon voulait peut-ĂȘtre Ă©galement disculper son maĂźtre Ă  propos des relations qu’il entretenait avec Critias, en montrant que Socrate avait toujours cherchĂ© Ă  rendre meilleur le futur tyran.

Notes et références

  1. Morana 2002, p. 6.

Bibliographie

  • (fr) Luc Brisson (dir.) et Louis-AndrĂ© Dorion (trad. du grec ancien), Charmide : Platon, ƒuvres complĂštes, Paris, Éditions Flammarion, (1re Ă©d. 2006), 2204 p. (ISBN 978-2-08-121810-9)
  • (fr) Emmanuel Chauvet et Cyril Morana (trad. Emmanuel Chauvet), Charmide, Éditions Mille et Une Nuits (1re Ă©d. 2002), 95 p. (ISBN 978-2-84205-670-4 et 2-84205-670-1)
  • Jacques Schamp, « L'homme sans visage. Pour une lecture politique du Charmide », L'antiquitĂ© classique, t. 69,‎ , p. 103-116 (lire en ligne).
  • Oded Balaban, « Le rejet de la connaissance de la connaissance, la thĂšse centrale du Charmide de Platon », Revue Philosophique de Louvain, t. 106, TroisiĂšme sĂ©rie, no 4,‎ , p. 663-693 (lire en ligne).
  • François ChĂątelet, Platon, Folio, Gallimard, 1989 (ISBN 2-07-032506-7).
  • Jean-François Pradeau, Les mythes de Platon, GF-Flammarion, 2004 (ISBN 2-08-071185-7).
  • Jean-François Pradeau, Le vocabulaire de Platon, Ellipses Marketing, 1998 (ISBN 2-7298-5809-1).

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