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Critias

Critias (en grec ancien ΚρÎčÏ„ÎŻÎ±Ï‚ / KritĂ­as) est un homme politique, un philosophe prĂ©socratique, un orateur et poĂšte athĂ©nien du Ve siĂšcle av. J.-C., nĂ© sans doute entre 460 et 450 et mort en 403 av. J.-C., oncle de Platon. Son identification avec le personnage du mĂȘme nom qui figure au dĂ©but de trois Ɠuvres de Platon, le TimĂ©e, le Charmide et le Critias, est gĂ©nĂ©ralement admise. Il est certain cependant qu’il ne faut pas le confondre avec Critias l’Ancien, son grand-pĂšre, fils de DropidĂšs, parent ou ami de Solon[1] - [2].

Critias
Biographie
Naissance
DĂ©cĂšs
Nom dans la langue maternelle
ΚρÎčÏ„ÎŻÎ±Ï‚
Activités
PĂšre
Callaeschrus (d)
Autres informations
Membre de
Mouvements
Sophistique (en), Présocratiques

Biographie

Issu d'une famille aristocratique, il est connu pour sa beautĂ©, son intelligence, son Ă©nergie et ses activitĂ©s dans plusieurs domaines Ă  la fois. FormĂ© par les sophistes, disciple de Socrate selon Eschine, simple proche dans son entourage selon XĂ©nophon[3], il semble que Critias ait commencĂ© sa carriĂšre politique parmi les partisans d'Alcibiade et qu'il ait agi pour son retour de bannissement. Sans doute fut-il lui aussi ostracisĂ© : d'aprĂšs XĂ©nophon, il a menĂ© alors une vie aventureuse en Thessalie[4]. Selon le tĂ©moignage de l’orateur et biographe romain de langue grecque Philostrate d'AthĂšnes, il rendit plus lourdes les tyrannies des citĂ©s thessaliennes par son influence politique.

RentrĂ© Ă  AthĂšnes comme les autres exilĂ©s politiques lors de la dĂ©faite de 404 av. J.-C., il prit la direction du parti oligarchique, et fut Ă©lu « Ă©phore » (le caractĂšre officiel et public de cette fonction est douteux : il semble qu'il s'agisse d'une fonction interne au groupe des oligarques)[5]. Il fit partie du groupe de Trente AthĂ©niens chargĂ©s par les Spartiates d'Ă©laborer une constitution oligarchique mettant fin au rĂ©gime dĂ©mocratique. Cette commission s’étant transformĂ©e en une tyrannie — dite tyrannie des Trente — Critias prit un fort ascendant sur ses collĂšgues et fit exĂ©cuter ThĂ©ramĂšne qui, jusque-lĂ , en Ă©tait le chef, et avec qui il avait nouĂ© une alliance quelque peu Ă©quivoque ; la modĂ©ration de ThĂ©ramĂšne l’irritait ; Critias, qui aspirait au pouvoir absolu, prit lui-mĂȘme la direction du procĂšs de ce collĂšgue en qui il avait fini par voir son plus dangereux adversaire. Il fut alors l’un des principaux responsables des massacres et des confiscations commis par la tyrannie, dans un climat de terreur[6], confirmant ainsi la formule que XĂ©nophon lui prĂȘte, que « toutes les rĂ©volutions sont porteuses de mort »[7]. Parmi les dĂ©crets qu'il prit figure l'interdiction d’enseigner la rhĂ©torique, ce qui peut paraĂźtre Ă©tonnant de la part d'un Ă©lĂšve des sophistes ; peut-ĂȘtre voulait-il rĂ©server cet art Ă  ceux qui dĂ©tenaient le pouvoir. Il tombe en 403 Ă  la bataille de Munychie, en combattant Thrasybule et les exilĂ©s[8].

Jugement de la postérité

L’homme est dĂ©crit comme un « intellectuel brillant et stĂ©rile Ă  la fois, plus pĂ©nĂ©trĂ© du relativisme des sophistes que de la pensĂ©e de Socrate, d’une amoralitĂ© qui le libĂ©rait de tout scrupule et d’une cruautĂ© qui le portait Ă  toutes les violences. Ce nihiliste tĂ©moigne du degrĂ© de dĂ©composition qu’avait atteint le civisme athĂ©nien dans certains milieux[9]. » Dans son Essai sur les rĂ©volutions, Chateaubriand esquisse le portrait du tyran dans un parallĂšle avec la France rĂ©volutionnaire du XVIIIe siĂšcle : « AthĂ©e par principe, sanguinaire par plaisir, tyran par inclination, Critias reniait, comme Marat, les dieux et les hommes. [...] Critias disait, comme Marat, qu’il fallait Ă  tout hasard faire tomber les principales tĂȘtes de la ville[10]. »

ƒuvre

On ne possĂšde plus de son Ɠuvre littĂ©raire que quelques fragments. L'un d'eux, un discours prononcĂ© par Sisyphe dans une tragĂ©die (voir l'extrait ci-dessous), affiche un athĂ©isme rationaliste qui est bien dans l'esprit des sophistes de l'Ă©poque[11] : selon lui, quelque malin lĂ©gislateur aurait inventĂ© la crainte des dieux, donc les dieux eux-mĂȘmes, pour mieux asseoir l’autoritĂ© des lois[12]. Il faut songer cependant que les opinions professĂ©es par un personnage de thĂ©Ăątre ne sont pas forcĂ©ment celles de l'auteur. Il reste aussi des fragments d'Ă©tudes que Critias avait rĂ©digĂ©es sur la constitution de certains États grecs, des poĂšmes, mais plus rien des discours. On sait aussi qu'il avait composĂ© des ouvrages philosophiques sous forme de dialogue et l'on s'est demandĂ© s'il n'avait pas Ă©tĂ© en cela l'inspirateur de Platon.

Critias Ă©tait poĂšte : on a de lui quelques fragments, recueillis Ă  Leipzig et publiĂ©s en 1827, et dans les Poetae elegiaci de Johann Schneidewein (juriste), publiĂ©s Ă  GƓttingue en 1839. CicĂ©ron[13] dit que le style oratoire de Critias dans ses discours se distinguait de celui de PĂ©riclĂšs par une plus grande prolixitĂ©. Quelques fragments de ses Ă©lĂ©gies ont subsistĂ© et certains historiens supposent qu’il Ă©tait l’auteur de Pirithoos et de Sisyphe, deux drames satyriques rangĂ©s au nombre des piĂšces perdues d’Euripide. Une tragĂ©die du nom d’Atalante lui est Ă©galement attribuĂ©e par AthĂ©nĂ©e[14] - [15].

Extrait du Sisyphe de Critias

« Il fut un temps oĂč la vie des hommes Ă©tait sans rĂšgle, comme celle des bĂȘtes et au service de la force, oĂč les hommes honnĂȘtes n'avaient nulle rĂ©compense, ni les mĂ©chants, non plus, de punition. Je pense que c'est plus tard que les hommes Ă©tablirent des lois punitives pour que la justice fĂ»t reine sur le genre humain et qu'elle maintĂźnt les dĂ©bordements en esclavage : on Ă©tait chĂątiĂ© chaque fois qu'on commettait une faute. Plus tard, encore, comme les lois empĂȘchaient les hommes de mettre de la violence dans les actes commis ouvertement, mais qu'ils en commettaient en cachette, c'est alors, je pense, que, pour la premiĂšre fois, un homme avisĂ© et de sage intention inventa pour les mortels la crainte de dieux, en sorte qu'il y eĂ»t quelque chose Ă  redouter pour les mĂ©chants, mĂȘme s'ils cachent leurs actes, leurs paroles ou leurs pensĂ©es. VoilĂ  donc pourquoi il introduisit l'idĂ©e de divinitĂ©, au sens qu'il existe un ĂȘtre supĂ©rieur qui jouit d'une vie Ă©ternelle, qui entend et voit en esprit, qui comprend et surveille ces choses, qui est dotĂ© d'une nature divine : ainsi, il entendra tout ce qui se dit chez les mortels et sera capable de voir tout ce qui se fait. Si tu mĂ©dites en secret quelque forfait, celui-ci n'Ă©chappera pas aux dieux, car il y a en eux la capacitĂ© de le comprendre. »

Sextus Empiricus rapportant les propos de Critias

On retrouve aussi dans le texte Contre les mathématiciens[16] de Sextus Empiricus, une exposition, sous forme de poÚme, de la pensée de Critias :

« Et Critias, un de ceux qui furent tyrans à AthÚnes, semble appartenir au groupe des athées : il déclare que les anciens législateurs ont fabriqué la fiction de dieu, défini comme une puissance qui porterait son regard sur les actions justes et les fautes des hommes, afin que personne ne portùt tort en cachette à son prochain, ayant toujours à se garder du chùtiment des dieux. Voici comment il formule cette idée : »

En ce temps-là jadis, l’homme traünait sa vie
Sans ordre, bestiale et soumise Ă  la force,
Et jamais aucun prix ne revenait aux bons,
Ni jamais aux méchants aucune punition
Plus tard les hommes, je le crois, ont pour punir
Institué des lois, pour que régnùt le droit
Et que pareillement <Ă©galement Ă  tous>,
La démesure soit maintenue asservie
Alors on put chùtier ceux qui avaient fauté.
Mais, puisque par les lois ils Ă©taient empĂȘchĂ©s
Par la force, au grand jour, d’accomplir leurs forfaits
Mais qu’ils les commettaient à l’abri de la nuit,
Alors, je le crois, <pour la premiĂšre fois>,
Un homme à la pensée astucieuse et sage
Inventa la crainte <des dieux> pour les mortels
Afin que les méchants ne cessassent de craindre
« C’était, leur disait-il, comme un dĂ©mon vivant
d’une vie Ă©ternelle. Son intellect entend
Et voit tout en tout lieu. Il dirige les choses
De par sa volonté. Sa nature est divine,
Par elle il entendra toute parole d’homme,
Et par elle il verra tout ce qui se commet.
Et si dans le secret encore tu médites
Quelque mauvaise action, cela n’échappe point
Aux dieux, car c’est en eux qu’est logĂ©e la pensĂ©e. »

D’avoir compte à rendre de ce qu’ils auraient fait,
Dit, ou encore pensĂ©, mĂȘme dans le secret :
Aussi introduit-il la pensée du divin.
Et c’est par ces discours qu’il donna son crĂ©dit
À cet enseignement parĂ© du plus grand charme.
Quant à la vérité, ainsi enveloppée,
Elle se réduisait à un discours menteur,
Il racontait ainsi que les dieux habitaient
Un céleste séjour qui par tous ses aspects
Ne pouvait qu’effrayer les malheureux mortels.
Car il savait fort bien d’oĂč vient pour les humains
La crainte, et ce qui peut secourir le malheur.
< Maux et biens > provenaient de la céleste sphÚre,
De cette voĂ»te immense oĂč brillent les Ă©clairs,
OĂč Ă©clatent les bruits effrayants du tonnerre ;
Mais oĂč se trouve aussi la figure Ă©toilĂ©e
De la voûte céleste, et la fresque sublime,
Le chef-d’Ɠuvre du temps, architecte savant,
OĂč l’astre de lumiĂšre, incandescent, s’avance.
Et d’oĂč tombent les pluies sur la terre assoiffĂ©e.
VoilĂ  les craintes dont il entoura les hommes,
Par lesquelles il sut, par l’art de la parole,
Fonder au mieux l’idĂ©e de la DivinitĂ©,
Dans le séjour voulu ; et ainsi abolir
Avec les lois le temps de l’illĂ©galitĂ©.

Puis, peu aprĂšs, il conclut :

C’est ainsi, je le crois, que quelqu’un, le premier,
Persuada les mortels de former la pensée
Qu’il existe des dieux.

Notes et références

  1. Albert Rivaud, note 1 p. 130 du Timée de Platon, édition Les Belles Lettres.
  2. Brisson 2008, p. 2141.
  3. XĂ©nophon, MĂ©morables, Livre I.
  4. MĂ©morables, Livre II, 24.
  5. Dictionary of Greek and Roman Biography and Mythology, annĂ©es 1840, citant Lysias, Contre Érat.
  6. Édouard Will 1972, p. 397.
  7. Xénophon, Helléniques, II, 3, 32.
  8. Xénophon, Helléniques, II, 3, §§ 2, 15-56, 4, §§ 1-19 et Mémorables, I, 2 §§ 12-38 ; Diod. XIV, 4 ; Platon, Apologie de Socrate [détail des éditions] [lire en ligne] p. 32 ; Cicéron, Tusculanes, I, 40.
  9. Édouard Will 1972, p. 395.
  10. Chateaubriand, Essai sur les révolutions, Gallimard, BibliothÚque de La Pléiade, 1978, p. 280 à 282.
  11. Lucien de Samosate 2015, p. 220, note 2.
  12. Édouard Will 1972, p. 610.
  13. De Oratore, II, 22.
  14. Athénée, Deipnosophistes [détail des éditions] (lire en ligne), I, 28 b ; X, 432 e ; XI, 496 b.
  15. Fabric. Bibl. GrĂŠc., II, p. 252, 254, 294.
  16. IX, 54.

Bibliographie

  • RenĂ© Cadiou, « Critias Ă©lĂ©giaque », Bulletin de l’Association Guillaume BudĂ©, no 1,‎ , p. 121-123 (lire en ligne)
  • Jean-Paul Dumont, Les PrĂ©socratiques, Paris : Gallimard, 1988, collection BibliothĂšque de la PlĂ©iade, pp. 1127-1159 ; dans le chapitre Les Sophistes.
  • Édouard Will, Le Monde grec et l’Orient : Tome I, Le Ve siĂšcle (510-403), Paris, P.U.F., coll. « Peuples et Civilisations », , 716 p., p. 395 sq. et 610 sq.
  • Sextus Empiricus, Contre les mathĂ©maticiens, IX, 54.
  • Luc Brisson (dir.), Critias : Platon, ƒuvres complĂštes, Éditions Flammarion, (1re Ă©d. 1984), 2204 p. (ISBN 978-2-08-121810-9)
  • XĂ©nophon (trad. Pierre Chambry), Les HellĂ©niques. L'Apologie de Socrate. Les MĂ©morables : XĂ©nophon, ƒuvres complĂštes, t. III, Flammarion,
  • Émile Chambry, Émeline Marquis, Alain Billault et Dominique Goust (trad. du grec ancien par Émile Chambry), Lucien de Samosate : ƒuvres complĂštes, Paris, Éditions Robert Laffont, coll. « Bouquins », , 1248 p. (ISBN 978-2-221-10902-1)

Articles connexes

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