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Forges d'Hennebont

Les forges d'Hennebont sont un ancien établissement sidérurgique, situé à Inzinzac-Lochrist (Morbihan). Située en bordure du Blavet, à une vingtaine de kilomètres de Lorient, la commune d'Inzinzac-Lochrist doit son extension aux forges de Kerglaw et de Lochrist connues sous le nom de Forges d'Hennebont. Pour répondre aux besoins croissants des conserveries de légumes et de poissons du sud de la Bretagne, les frères Trottier envisagèrent dès 1860 la création, sur la commune d'Inzinzac-Lochrist, d'une usine métallurgique. Elle appartint successivement aux frères Trottier (de 1861 à 1880), à la Compagnie des Cirages Français (de 1880 à 1937), à la Société des Forges d'Hennebont et des Dunes (Groupe Firminy) (de 1937 à 1949) et enfin à la Société « Forges d'Hennebont » (de 1949 à 1966). L'ancien laboratoire des forges abrite actuellement l'écomusée des Forges.

Forges d'Hennebont
Création 1860
Dates clés 1880 : groupe Compagnie des cirages français
1903 : 1re grève
1906 : grève pour la journĂ©e de 8 heures
1936 : grève pour deux semaines de congés payés
1963 : dépôt de bilan
Disparition
Fondateurs Émile et Henri Trottier
Personnages clés 1912 : Camille-Horace Herwegh
Siège social Inzinzac-Lochrist
Drapeau de la France France
Activité métallurgie
sidérurgie

Historique

En 1860, à l'époque de la révolution industrielle, du Traité de libre échange avec l'Angleterre, de l'essor de la conserverie sur le littoral breton, Émile et Henri Trottier, ingénieurs des Arts et Métiers d'Angers[1], fondèrent l’« Usine à fer » sur leur « propriété de Kerglaw » en Inzinzac-Lochrist, rive droite du canal du Blavet[2].

Le choix du site a été motivé par plusieurs critères[3] :

  • La prĂ©sence du Blavet, pour le transport fluvial et ses barrages (Ă©cluse 26 Grand Barrage et Ă©cluse 27 Les Gorets[4]) fournissant une Ă©nergie hydraulique peu onĂ©reuse.
  • La proximitĂ© avec le port fluvial d'Hennebont (chef-lieu de canton) qui relie leur flotte au port maritime de Lorient pour les trafics bois-houille avec l'Angleterre.
  • Les forĂŞts voisines pour la fourniture du bois et charbon de bois.
  • L'essor de la conserverie de poisson en Bretagne, consommatrice de fer-blanc.
  • La main-d'Ĺ“uvre rurale, abondante et bon marchĂ©.

L'accroissement de la production de tĂ´le, fer-blanc, fer-noir, fonte et tuyaux en bois de coaltar est rapide :

  • 1861 : dĂ©but de la production avec 250 ouvriers et 250 tonnes produites par an[5].
  • 1868 : installation de la première imprimerie sur mĂ©taux en France.
  • 1869 : les frères Trottier achètent l'Ă®le de Lochrist Locastel, Ă  500 mètres de Kerglaw ; les forges sont alors constituĂ©es de deux usines :
    • L'usine de Lochrist oĂą sont installĂ©s les laminoirs en 1872.
    • L'usine de Kerglaw qui produit le fer laminĂ©, des tĂ´les et du fer-blanc.

En 1880, les Trottier entrent dans le giron de la puissante Compagnie des Cirages Français, aux activités industrielles et commerciales multiples entre l'Europe et la Russie. Désormais les Forges d'Hennebont se voient dotées de Four Martin pour la production d'acier, (accélérant leur production), et de constructions d'ateliers entre la zone des barrages de Kerglaw-La Montagne et celle du bief de Lochrist.

Dès 1900, les ouvriers créent une caisse de secours, un centre d'éducation ouvrier, un syndicat et son foyer.

  • 1903 : Ă  la suite de la suppression de la prime pour le nettoyage dominical des fours, dĂ©clenchement de la première grève importante du site. Elle dure quarante jours. Les Ă©meutes et les affrontements entre grĂ©vistes et forces de l'ordre se multiplient. Plus de 2 000 personnes dĂ©filent dans les rues. AbandonnĂ©e par les pouvoirs publics, la sociĂ©tĂ© des Cirages Français capitule, c'est la victoire des grĂ©vistes.
  • 1906 : les ouvriers revendiquent la journĂ©e de 8 heures. La grève dure 115 jours pour aboutir Ă  un Ă©chec durement ressenti par les ouvriers et leur famille.

Après ces années difficiles des directions Egré-Giband, il reviendra, en 1912, à l'ingénieur des Mines, Camille-Horace Herwegh, dans le contexte favorable à l'industrie d'armement de la guerre 1914-18, de parachever les structures architecturales et sociales du centre sidérurgique de la Bretagne ; ce jusqu'à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Il modernise les Four Martin et créera une fonderie de bronze et d'acier.

En 1938, la main-d'Ĺ“uvre atteint le chiffre de 3 000, et Camille-Horace Herwegh, comme ses prĂ©dĂ©cesseurs de la direction des forges, siège comme maire Ă  l'hĂ´tel de ville d'Hennebont.

Malgré la poussée ouvrière de 1946, la menace de fermeture pèse sur cette unité régionale dès le plan Monnet, la nouvelle distribution des concentrations sidérurgiques entre nord et est, les nouvelles techniques de laminage, des Usinor et Sollac.

Le plan de modernisation des forges, mené de 1950 à 1958 par la direction Pairault-Gane avec un investissement de 45 millions d'anciens francs, ne suffit pas à redresser des chiffres de production et d'affaire dont le déclin s'accentue.

  • 1963 : la sociĂ©tĂ© dĂ©pose le bilan, mais continue de fonctionner grâce Ă  une aide de l'État. Cet Ă©chec rĂ©sulte de la situation gĂ©ographique des forges, Ă  la vĂ©tustĂ© du matĂ©riel et Ă  une gestion mĂ©diocre ; crĂ©ation du « serment d'Hennebont » engageant les ouvriers forgerons et les habitants Ă  lutter contre la fermeture programmĂ©e des forges et Ă  jurer de rester unis pour sauver les forges.

En dépit du moratoire accordé, des luttes de la population locale et des organismes de défense, le gouvernement décide de la fermeture des forges d'Hennebont par décret ministériel du 18 mai 1966.

Les forges d'Hennebont n'ont pas su résister à la concurrence des usines métallurgiques modernes d'Usinor et de Sollac du nord et l'est de la France.

Jusqu'en 1968, on assiste à la reconversion de la main-d'œuvre et à la destruction de l'ancien centre sidérurgique : 300 des 600 derniers ouvriers des Forges d'Hennebont sont dirigés vers la Société bretonne de fonderie et de mécanique (SBFM), filiale de Renault, créée sur le site de Kerpont dans la commune de Caudan près de Lorient.

L'outil industriel

Les différents bâtiments du site se répartissent sur une étroite bande de terrain d'environ 50 hectares (2,5 kilomètres de long sur 200/300 mètres de large), limitée d'un côté par le Blavet et de l'autre par une falaise de rochers.

Au cours des vingt premières années d'activité, les forges virent leur production augmenter régulièrement :

  • 1861 : 750 tonnes.
  • 1865 : 1 225 tonnes ; 310 ouvriers.
  • 1880 : 5 250 tonnes ; 800 ouvriers
  • 1888 : 10 860 tonnes.

En 1936, en pleine lutte sociale, la production fut de 33 000 tonnes de tĂ´les et 9 000 tonnes de fer-blanc. Les forges employaient Ă  cette Ă©poque 3 000 ouvriers.

La fin de la Seconde Guerre mondiale annonça le début du déclin des forges. De graves problèmes de modernisation se posaient déjà. À partir de 1957, ils se firent durement sentir et s'aggravèrent jusqu'à la fermeture des forges.

Les forges d'Hennebont étaient constituées d'une trentaine de bâtiments disséminés sur le terrain des forges, dont cinq bâtiments sur l'île de Locastel.

La vie des forgerons

Entre 1860 et 1966, cinq générations d'hommes et de femmes y travaillèrent.

La plupart des métallurgistes des forges d'Hennebont provenaient de la campagne environnante. Cependant, entre 1860 et 1880, les forges firent appel à des ouvriers du métier, d'où l'arrivée de métallurgistes accompagnés de leur famille, venus de la Nièvre, de la Saône-et-Loire, la Loire et des Côtes-d'Armor.

On assista, dans un premier temps, au choc entre les deux civilisations : celle de la terre et celle de l'industrie, celle de la langue française et de la langue bretonne.

Le quotidien

La première génération de ces paysans métallurgistes se présenta à l'usine vêtue de ses atours traditionnels de la vie quotidienne : chapeaux ronds, gilets avec parements de velours, sabots. Ils y renoncèrent rapidement, à cause de l'usure et de la salissure que provoquait ce type d'industrie. Seuls les sabots subsistèrent.

Il fallut attendre la troisième, et même la quatrième génération de ces ouvriers, pour transformer l'homme de la terre en homme d'usine.

Ouvriers issus pour la plupart du monde rural, ils furent souvent victimes d'accidents du travail, parfois mortels : brûlures, coupures, fractures, noyades. Au début des forges, les accidents étaient quotidiens, car les mesures de sécurité étaient quasi inexistantes. On dénombrait environ 500 accidents par an, mais entre 1912 et 1939, ce nombre pouvait atteindre presque le double. C'est dire que les ouvriers et leur famille vivaient perpétuellement dans la crainte de l'accident, car la mutilation et la mort faisaient partie de la vie quotidienne des forgerons.

Ces anciens paysans apportèrent leur façon de vivre sur les bords du Blavet : les enfants étaient éduqués sévèrement, les femmes - mères et épouses avant tout - étaient fermement attachées à la bonne marche de leur foyer. Courage, sens de l'effort, étaient des qualités innées chez ces métallurgistes en sabots qui maintenaient leurs pratiques religieuses.

La vie quotidienne était rude, sans fantaisie. La nourriture de base de la famille était simple, l'essentiel étant que « le ventre soit plein » : patates et cochonnailles, crêpes et bouillies de blé noir, poisson le vendredi. Voilà pour l'ordinaire. Le soir, on se contentait d'une soupe de légumes, de pain trempé ou d'un grand bol de café‚ avec des tartines.

Les forges d'Hennebont employaient non seulement des hommes, mais également des femmes et des enfants à partir de 12 ans. Ces derniers subissaient les mêmes conditions de travail que leurs pères qu'ils accompagnaient (journée de plus de 8 heures, travail de nuit…). Ces enfants ne fréquentaient donc pas l'école, assez éloignée de l'usine. Très peu savaient lire et écrire.

Les hommes travaillaient quotidiennement entre 12 et 16 heures d'affilée.

Le travail était pénible : on peut le comparer aux travaux dans les mines de charbon du nord de la France. Il est question de chaleur, de cadences infernales, de gaz ; beaucoup d'ouvriers mouraient de tuberculose. Ceux qui travaillaient aux laminoirs en gardaient des souvenirs de forçats.

La nécessité de boire, notamment du cidre, pour supporter la chaleur des fours favorisait l'alcoolisme.

Il fallut attendre 1925 pour que les ouvriers des forges bénéficient de la journée de huit heures (loi votée en 1919). Le travail était rythmé par le son de la sirène que l'on entendait à 5 kilomètres à la ronde, annonçant le changement d'équipe, le travail se faisant en 3x8.

Les logements

Les installations techniques des forges transformèrent complètement les bords du Blavet. Mais des constructions à caractère social vinrent s'y ajouter. Les maîtres des forges firent construire des logements pour le personnel.

Les cités de maisons ouvrières virent le jour autour de l'enclos de l'usine : La Montagne dont les premiers bâtiments datent de 1880 environ, puis Langroise, Malachappe, Kerglaw-Lochrist. Ces villages offraient de médiocres possibilités de logement : une ou deux pièces en moyenne où devaient vivre des familles de plus de 8 personnes.

À cette sorte de ghetto des cités ouvrières s'opposait l'habitat des maîtres : trois châteaux furent construits, dominant le Blavet. Une trentaine de pavillons et d'appartements spacieux et confortables furent également construits pour les cadres… Kerglaw, Le Bunz, Locqueltas, Hennebont, Saint Piaux.

Enfin, de hauts murs crêtés de tessons de bouteille achevèrent de délimiter l'espace social : le territoire des ouvriers et le territoire du maître.

En 1953, la société disposait pour son personnel de 287 logements.

Les installations publiques

Des équipements communs venaient renforcer l'identité de cette communauté de métallos.

  • En 1920, fut construite une clinique-dispensaire. Elle fut modernisĂ©e en 1951 et comprenait un centre chirurgical, 19 lits, un service mĂ©dico-social, avec un mĂ©decin du travail et une assistante sociale.
  • Une salle des fĂŞtes pouvant accueillir 500 personnes.
  • L'Ă©cole des apprentis fut rĂ©alisĂ©e en 1940 pour les jeunes qui y restaient trois ans en formation. Elle admettait des enfants de 12 Ă  16 ans ; on y enseignait le dessin industriel, les mathĂ©matiques, le français, la lĂ©gislation du travail et bien sĂ»r les diffĂ©rents mĂ©tiers du fer. Cette Ă©cole Ă©tait très prisĂ©e par les familles ouvrières, mais bien peu de leurs enfants y eurent accès.
  • Les enfants eurent Ă  leur disposition un parc de jeux d’un hectare dans la propriĂ©tĂ© de Locqueltas, acquise en 1949 par la sociĂ©tĂ©.

Aujourd'hui

  • Le musĂ©e des MĂ©tallurgistes des forges d'Hennebont est installĂ© dans l'ancien laboratoire des Essais physiques et chimiques sur mĂ©tal : 18 salles sur trois niveaux accueillent le public : histoire, technologie du mĂ©tal, ethnologie, animation audiovisuelle.
  • La maison de l'Eau : ancienne maison du garde des forges de Kerglaw, Ă  300 mètres du MusĂ©e des mĂ©tallurgistes, prĂ©sente une Ă©tude de l’environnement fluvial : une salle des aquariums, six salles d’exposition sur l’infrastructure, les donnĂ©es gĂ©ographiques et historiques du canal du Blavet, sa batellerie et la mĂ©moire des bateliers.

Notes et références

  1. Gisèle Le Rouzic, La Montagne des Forges d'Hennebont, Lorient, Diffusion Breizh, , 254 p. (ISBN 2-905261-00-5), p12
  2. Le Rouzic, Gisèle et Impr. E.I.P.), La Montagne des forges d'Hennebont, vol. 1, Écomusée Locrist-Inzizac, (ISBN 2-905261-00-5 et 978-2-905261-00-7, OCLC 461970648, lire en ligne), p. 13
  3. Gisèle Le Rouzic, Voyage aux Forges d'Hennebont, La Digitale, 341 p., p. 54
  4. « écluses Blavet »
  5. HĂ©lias, Jean-Pierre., Des forges Ă  la SBFM, Imprim'art, [ca 1995] (ISBN 2-9509460-0-3 et 978-2-9509460-0-3, OCLC 491577051, lire en ligne), p. 6

Voir aussi

Sources et bibliographie

  • Gisèle Le Rouzic, La Montagne des Forges d'Hennebont : mĂ©moires, ÉcomusĂ©e d'Inzinzac-Lochrist, (ISBN 978-2-905261-00-7)
  • Gisèle Le Rouzic et Madeleine RebĂ©rioux, Voyage aux forges d'Hennebont : 1860-1945 : mĂ©moires, Ed. La Digitale, (OCLC 408520318).
  • Gisèle Le Rouzic, La bataille des Forges d'Hennebont : mĂ©moires, Digitalle, (OCLC 22322091).
  • Jean-Pierre HĂ©lias et Yveline HĂ©lias, Des forges Ă  la SBFM, Pont-Scorff, Imprim'art, , 114 p. (ISBN 2-9509460-0-3)
  • Morvan Lebesque, Comment peut-on ĂŞtre breton ? Essai sur la dĂ©mocratie française, Éd. du Seuil, coll. « L'Histoire ImmĂ©diate », 1970, prĂ©face de Gwenc’hlan Le ScouĂ«zec.

Vidéographie

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