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Flûte de Divje Babe

La flûte de Divje Babe est un fémur d'Ours des cavernes présentant des perforations et découvert dans le parc archéologique de Divje Babe, à proximité d'Idrija, dans le Nord-Ouest de la Slovénie. Les découvreurs et certains chercheurs pensent que cet objet est une flûte paléolithique, qui serait ainsi le plus vieil instrument de musique connu au monde[1]. Cette interprétation est contestée par d'autres chercheurs qui considèrent que les perforations ne sont pas anthropiques et seraient dues à l'action de carnivores[2] - [3] - [4] - [5].

Flûte de Divje Babe

L'objet, datĂ© d'environ 43 000 ans AP, est prĂ©sentĂ© au MusĂ©e national de SlovĂ©nie (Narodni Muzej Slovenije), Ă  Ljubljana, comme une flĂ»te authentique[6].

Le site

Divje Babe est le site ayant livrĂ© les plus anciens vestiges archĂ©ologiques de SlovĂ©nie. Il s’agit d’une grotte de 45 m de long et de 15 m de large. La grotte, accessible au public, est localisĂ©e 230 m au-dessus de la rivière Idrijca, près de Cerkno. Les archĂ©ologues y ont dĂ©couvert plus de 600 vestiges sur au moins 10 niveaux, dont 20 foyers[7], et des squelettes d’ours des cavernes. Ils ont aussi Ă©tudiĂ© les changements climatiques durant le PlĂ©istocène supĂ©rieur[8]. Le musĂ©e associait la flĂ»te Ă  l’Homme de NĂ©andertal en raison de sa datation, mais la prĂ©sence d'Homo sapiens en Europe a depuis Ă©tĂ© prouvĂ©e il y a 45 000 ans dans la grotte de Bacho Kiro, en Bulgarie, et probablement un peu plus anciennement en TchĂ©quie.

Historique

En 1995, Ivan Turk dĂ©couvre un fĂ©mur percĂ© appartenant Ă  un jeune ours des cavernes, datĂ© de 43 100 Â± 700 ans AP[9]. Ă€ cause de sa ressemblance avec une flĂ»te, il lui donne le nom de « flĂ»te nĂ©andertalienne »[7]. Le fait que ce soit rĂ©ellement une flĂ»te fait l'objet de discussions entre chercheurs.

Description

La flûte de Divje Babe.

L'os comporte deux trous entiers au centre et ce qui ressemble Ă  deux trous incomplets au niveau de chacune des deux extrĂ©mitĂ©s brisĂ©es. Ceci laisse supposer que l'objet possĂ©dait au moins quatre trous avant d’être endommagĂ©. Il s'agit de la diaphyse du fĂ©mur gauche d'un ours des cavernes âgĂ© d'un Ă  deux ans, qui mesure 113,6 mm de long. Les deux trous complets ont un diamètre maximal de 9,0 et 9,7 mm. Les centres de ces trous sont Ă©cartĂ©s de 35 mm[10].

Peu après la publication de cette hypothèse, plusieurs spécialistes en taphonomie ont expliqué que ces trous avaient été percés par les dents de carnivores ayant mordu l’os et rongé ses deux extrémités[11].

Si l’objet est rĂ©ellement une flĂ»te, cela serait la preuve que la musique remonte au moins Ă  43 000 ans[12] - [13]. Le fait de savoir si ces trous sont d'origine anthropique (faits par l'Homme de NĂ©andertal ou par l'Homme moderne) ou non (faits par la morsure d'un animal) est donc une question cruciale[7].

Malgré le désaccord sur l'origine de ces trous, l’os est devenu l'une des attractions du musée slovène de Ljubljana[14] et est une source de fierté pour le pays. Des dessins de l’objet ont circulé, des modèles ont été réalisés et des musiciens ont joué en public avec une reproduction possible de cette flûte (ex. : le professeur de biologie et flûtiste Jelle Atema)[15].

Les éléments du débat

Forme des trous

Face avant de la flûte vue de 3/4

Des scientifiques ont comparé cet os avec d’autres rongés par des ours des cavernes découverts dans des lieux où aucune présence humaine n’a été détectée[2]. Ils ont publié les photos de plusieurs os présentant les mêmes types de trous que l'objet de Divje Babe. Ils concluent que ces trous peuvent très bien avoir été percés par des animaux et que c'est l'hypothèse la plus probable. En 2000, Francesco d'Errico a analysé l'objet lui-même et réaffirmé que les deux ou trois trous présents sur la prétendue flûte ne sont pas une preuve suffisante de sa fabrication par l'Homme étant donné que c'est une caractéristique commune aux os étudiés par ailleurs[16].

Ivan Turk réalisa de son côté plusieurs expériences en laboratoire avec des os d’ours récemment décédés afin de simuler la création de trous par des dents de carnivores, mais les os se brisaient à chaque fois. Pourtant, l'os de Divje Babe est resté entier sous l'action des animaux, contredisant les résultats de Turk. Dans une publication au Massachusetts Institute of Technology, Turk ajoute que le côté de l'os opposé aux trous ne possède pas de marques de dents alors que la pression des mâchoires nécessaire à la création des trous aurait dû y laisser des traces[17]. Il observe aussi que les trous ont des diamètres similaires adaptés pour le bout des doigts et que leur forme est circulaire alors qu'une morsure de carnivore produit plutôt des ovales. Il ne tient cependant pas compte de ce que des perforations par rotation avec un outil en silex sont coniques ou biconiques et laissent des traces caractéristiques[18].

Ivan Turk a publié en 2005 une étude utilisant une scanographie de l'objet où il conclut que les trous partiels des extrémités ont été réalisés avant que l’os ne soit endommagé ou plus précisément, attaqué par un carnivore.

Le Musée national slovène, où l’os est conservé, utilise ce dernier argument pour réfuter l'hypothèse de la création des trous par des morsures d'ours. Selon le musée, il s’agit bien d’une flûte fabriquée par l'Homme[6].

Moelle osseuse

La question de savoir combien de moelle osseuse reste dans l'os est importante, car la fabrication d'une flûte à partir d'un os implique généralement de la retirer.

Selon Ivan Turk, « L’intérieur de l’os a la même couleur que sa surface extérieure. Ceci permet de conclure que la cavité était ouverte, sinon la couleur à l'intérieur serait plus sombre comme on l'a observé sur des os conservés entiers. »[19].

En 1997, April Nowell et Philip Chase sont allés en Slovénie sur invitation de Ivan Turk : ils sont repartis encore plus sceptiques sur le fait que cet os ait pu un jour jouer de la musique. Principalement pour la raison que les deux bouts ont été clairement grignotés par un loup ou un autre carnassier voulant en extraire la moelle. Les trous peuvent avoir été faits par une canine pointue et leur forme ronde imputable à une dégradation naturelle survenue après l'abandon de l'os. La présence de moelle suggère que personne n'a essayé de le vider entièrement pour pouvoir souffler dedans et en faire une flûte. Nowell ajoute ne pas accorder à l'objet le bénéfice du doute, contrairement à Turk[20].

Espacement et alignement des trous

Aucune preuve ne permet de dire que les deux trous ont été faits à la même période. De nombreux spécialistes de la taphonomie ont été consultés pour trouver un animal pouvant percer deux trous avec ce même écart : aucun animal connu ne convient. Si c'était le cas, nous aurions une preuve évidente que ces trous sont d'origine animale. Cela a bien sûr été relevé par les deux points de vue opposés, Turk d'un côté et Nowell et Chase de l'autre. Ces derniers écrivent : « les trous de l'objet ont fort probablement été réalisés l'un après l'autre, l'écart entre eux ne correspondant à aucune dent dans la mâchoire d'un loup. »[21].

Turk explique que les points communs trouvĂ©s entre l'objet de Divje Babe et les os Ă©tudiĂ©s par d'Errico n'incluent pas l'alignement des trous. Aucun des os photographiĂ©s par d'Errico ne prĂ©sentaient un alignement parfait de 3 trous ou plus[22].

Marcel Otte, professeur de PrĂ©histoire Ă  l’UniversitĂ© de Liège, en Belgique, publie en 2000 un article affirmant qu'il a eu accès a cet objet en mĂŞme temps que d'autres chercheurs, que tous Ă©taient, dont Chase, Ă©galement prĂ©sents, que l'objet Ă©tait scellĂ© dans une couche du palĂ©olithique datant du dĂ©but du WĂĽrm. L'ensemble des os d'ours morts pendant l'hibernation dĂ©couverts Ă©galement. Pour lui, quelle que soit l'activitĂ© des Moussonniens sur le site, ils avaient ici pour eux un gisement de matĂ©riel important avec tous ces os. Pour Marcel Otte, le trou placĂ© sur la face opposĂ©, ainsi que les quatre trous visible sur la photographie publiĂ©e, forment donc ainsi cinq trous, et non deux, comme affirment Chase et Nowell, dont la disposition s'adapte parfaitement Ă  une main humaine. S'il s'agissait de traces d'animaux ayant mâchĂ© l'os comme on en trouve d'autres dans cette couche, elles se seraient concentrĂ©es ici sur l’extrĂ©mitĂ© de l'os. D'autre part elle est superposĂ©e Ă  d'autres traces d'activitĂ© humaine. Enfin, pour rĂ©pondre Ă  l'argument des dĂ©fenseurs de la thèse taphonomique, pour qui toutes les flĂ»tes Ă©tant en bois, les plus communes Ă©tant faites de branche, il suppose que si les flĂ»tes Ă©taient majoritairement en bois, elle n'auraient probablement pu ĂŞtre conservĂ©es. Il rappelle la dĂ©couverte, alors rĂ©cente, Ă  Schöningen de lances en bois exceptionnelles, dont l'âge est estimĂ© Ă  350 000 ans[23]. Les autres plus anciens instruments de musique connus sont des flĂ»tes d'os et d'ivoire avec deux ou cinq trous, dont on a trouvĂ© plus de 120 spĂ©cimens du PalĂ©olithique supĂ©rieur en Europe, attribuĂ©es Ă  l'Homme moderne[24].

Une étude aux rayons X et informatique en micro-tomographie (mCT) effectué en 2011 n'exclut pas l'intervention d'un humain, notamment en raison d'une attaque en biais d'un trou et perpendiculaire de celui d'à côté, ainsi que la suppression d'une couche autour des trous ayant pu servir à faciliter le perçage des trous, qui rendent possible la fabrication à l'aide de pierres taillées en pointe et d'outils en os[24]. Un article de 2015 évoque le manque de connaissance des auteurs de cette étude de la taphonomie et compare cette flûte à diverses autres « pseudo-flûtes » en os, provoquées par des morsures de carnivores[25].

Dans un article de , Iain Morley, partisan de l'origine animale des trous et adhérant à toutes les conclusions de d'Errico, ajoute l'observation suivante : « Bien que les os examinés par d'Errico et les autres étudiés par Turk présentent des trous de formes et de dégradations similaires, aucun n'était une diaphyse de fémur, comme la prétendue flûte »[26].

Échelle diatonique

Bob Fink a publié une étude selon laquelle les quatre trous sont très bien positionnés pour créer les notes do, ré, mi et fa[27]. D’autres scientifiques pensent que l’os d’un ours de deux ans ne pouvait pas être suffisamment grand avant sa destruction pour pouvoir faire tous les sons. De plus, contrairement à d’autres flûtes en os plus récentes, on ne trouve aucune marque sur l’os indiquant que celui-ci a été travaillé par des outils[18] - [20]. Une étude de 2000 indique pourtant que la probabilité d’avoir quatre trous alignés et espacés aussi correctement n’est que d’une chance sur plusieurs millions[28].

Tous ces éléments ne sont pas suffisants pour convaincre l'ensemble de la communauté scientifique que l’os de Divje Babe est une véritable flûte paléolithique.

Notes et références

(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Divje Babe flute » (voir la liste des auteurs).
  1. (sl) Turk, Ivan, Ă©d. (1997), Mousterienska Koscena Piscal in druge najdbe iz Divjih Bab I v Sloveniji (Mousterian Bone Flute and other finds from Divje babe I Cave site in Slovenia), Znanstvenoraziskovalni Center Sazu, Ljubljana, Slovenia. (ISBN 961-6182-29-3).
  2. (en) Francesco d'Errico, Paola Villa, Ana C. Pinto Llona et Rosa Ruiz Idarraga, « A Middle Palaeolithic origin of music? Using cave-bear bone accumulations to assess the Divje Babe I bone 'flute' », Antiquity, vol. 72 (March),‎ , p. 65–79 (lire en ligne).
  3. [d'Errico et al. 1998] Francesco d'Errico, Paola Villa, A.C. Pinto Llona et R. Ruiz Idarraga, « La "flûte" de Divje babe et les accumulations naturelles d'ossements d'ours des cavernes », dans J-P. Brugal,, Liliane Meignen et Marylène Patou-Mathis, Économie préhistorique : les comportements de subsistance au Paléolithique (XVIIIes Rencontres Internationales d'Archéologie et d'Histoire d'Antibes), Sophia-Antipolis, Ed. ADPCA, , p. 85-104.
  4. (de) Holdermann, Claus-Stephan, et Jordi Serangeli. 1999. "Die 'Neanderthalerflöte' von Divje-Babe: Eine Revolution in der Musikgeschichte?" Musica instrumentalis: Zeitschrift für Organologie 2:147–57.
  5. (en) Chase, Philip G., et April Nowell. 2002-2003. "Is a cave bear bone from Divje Babe, Slovenia, a Neanderthal flute? The Divje Babe specimen and the diatonic scale" in Studies in Music Archaeology III, Verlag Marie Leidorf GmbH., Rahden/Westf. Germany. (ISBN 3-89646-640-2).
  6. (en) « The Archaeological Department »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?), Musée national Slovène (consulté le ).
  7. Turk, 2003.
  8. Yu 2001.
  9. Nelson, D.E., Radiocarbon dating of bone and charcoal from Divje babe I cave, cité par Morley, p. 47.
  10. Kunej et Turk, cités par Morley, p. 47.
  11. d'Errico, et al., 2003
  12. Chase and Nowell, 2002-2003.
  13. "Neanderthal Man Moves Up the Evolutionary Scale" Times (London), 5 avril 1997.
  14. (en) Neanderthal flute.
  15. (en) http://sciencenetlinks.org/sci_update.cfm?DocID=37.
  16. Journal of World Prehistory, pp. 36-39, vol. 17, n° 1, mars 2003.
  17. Turk 2000 in Wallin, Merker et Brown, Ă©ds.
  18. [Soressi & D’Errico 2007] Marie Soressi et Francesco D’Errico, « Pigments, gravures, parures : les comportements symboliques controversés des Néandertaliens », dans Les Néandertaliens. Biologie et cultures, Paris, Éditions du CTHS, coll. « Documents préhistoriques » (no 23), , sur researchgate.net (lire en ligne), p. 297-309, p. 301. Photo et dessin de l'os percé de Divje Babe p. 301, fig. 6.e.
  19. Mousterian Bone Flute, p. 160.
  20. Edgar 1998.
  21. (en) Current Anthropology, p. 552, vol. 39, n° 4, août-octobre 1998.
  22. (en) Antiquity, d'Errico, et al. 1998.
  23. Otte 2000, p. 271.
  24. Tuniz & al 2011.
  25. Diedrich 2015.
  26. Morley 2006.
  27. Fink 1997 et « Early music », Science, vol. 276, no 5310,‎ , p. 203-205 (lire en ligne [sur sciencemag.org]) (subscription nécessaire).
  28. Fink 2000 ; « Correspondence III: Neanderthal flute », sur web.archive.org (consulté en )

Voir aussi

Bibliographie

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  • Chase, Philip G., and April Nowell. 2002–2003. « Is a cave bear bone from Divje Babe, Slovenia, a Neanderthal flute? The Divje Babe specimen and the diatonic scale », Studies in Music Archaeology III, Verlag Marie Leidorf GmbH., Rahden/Westf. Germany. (ISBN 3-89646-640-2)
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