Enheduana
Enheduana (on trouvera aussi Enheduanna, en sumĂ©rien En-hedu-ana, « La grande prĂȘtresse est l'ornement du Ciel[1] - [2] ») est une princesse de la dynastie d'Akkad qui a vĂ©cu au XXIIIe siĂšcle av. J.-C. Fille du roi Sargon d'Akkad, elle est installĂ©e par son pĂšre comme grande prĂȘtresse du dieu Nanna (ou SĂźn) dans la citĂ© d'Ur, oĂč se trouve un des principaux sanctuaires du dieu au pays de Sumer.
Grande prĂȘtresse |
---|
Princesse |
---|
Naissance | |
---|---|
Domicile | |
Activités | |
PĂšre | |
MĂšre |
Tashlultum (en) |
Fratrie |
Manishtusu Rimush Ilaba'is-takal (en) Shu-Enlil (en) |
L'Exaltation d'Inanna (d) |
Elle a Ă©tĂ© Ă©galement reconnue par la tradition mĂ©sopotamienne postĂ©rieure Ă son Ă©poque comme une poĂ©tesse renommĂ©e de langue sumĂ©rienne, Ă laquelle Ă©taient attribuĂ©s au moins trois hymnes, dont deux sont en l'honneur de la dĂ©esse Inanna (ou Ishtar). Elle est la premiĂšre personne Ă avoir produit une Ćuvre littĂ©raire dont le nom et une grande partie de son travail sont parvenus jusqu'Ă aujourd'hui, ce qui en fait peut-ĂȘtre la plus ancienne Ă©crivaine connue Ă ce jour.
Bien qu'ils aient probablement Ă©tĂ© modifiĂ©s aprĂšs sa mort, il est gĂ©nĂ©ralement admis que la prĂȘtresse est l'auteure des trois hymnes qui lui sont traditionnellement attribuĂ©s. Cependant, les universitaires dĂ©battent toujours Ă propos de l'attribution des Ćuvres, car il n'en existe aucun exemplaire datant de son Ă©poque. Certains contestent encore son rĂŽle d'auteure, tandis que d'autres suggĂšrent qu'elle pourrait avoir Ă©crit d'autres Ćuvres.
ĂlĂ©ments de biographie
Les sources les plus fiables sur Enheduana proviennent de l'Ă©poque oĂč elle a vĂ©cu : au dĂ©but de l'empire d'Akkad. Ce sont principalement des sceaux-cylindres de ses serviteurs et un disque en albĂątre sur lequel elle est reprĂ©sentĂ©e, avec une dĂ©dicace Ă son nom. D'autres informations peuvent ĂȘtre glanĂ©es dans les hymnes qui lui sont attribuĂ©s. Mais, comme ces derniers ne sont pas nĂ©cessairement de sa main ou de celle de ses contemporains, il est impossible de prouver leur fiabilitĂ© pour reconstituer sa biographie.
Une princesse d'Akkad
Enheduana est la fille de Sargon d'Akkad, souverain dont on situe le rĂšgne approximativement de (ou ) Ă / C'est un personnage aux origines obscures, roi de la ville d'Akkad⣠; ville jusqu'alors sans importance et dont la localisation prĂ©cise est encore inconnue : probablement sur le Tigre, en MĂ©sopotamie centrale, entre les actuelles Samarra et Bagdad. Sargon parvient aux alentours de Ă dominer toute la Basse MĂ©sopotamie, ce qu'aucun autre roi n'avait fait prĂ©cĂ©demment. Il unifie alors un ensemble de citĂ©s-Ătats indĂ©pendantes, converties en provinces. Il rĂ©alise ensuite des campagnes militaires qui le portent plus loin que ses prĂ©dĂ©cesseurs : jusqu'en Syrie centrale, dans le Zagros et le pays d'Elam. C'est donc un personnage hors norme, qui acquiert le statut de figure majeure dans la MĂ©sopotamie antique, un peu Ă l'image d'Alexandre le Grand pour le monde grĂ©co-romain[3]. Les inscriptions concernant Enheduana indiquent la filiation de celle-ci avec le souverain : elle y est prĂ©sentĂ©e comme la « fille de Sargon »[4]. Plusieurs hymnes qui lui sont attribuĂ©s semblent renvoyer au contexte politique et idĂ©ologique de l'Ă©poque : Enheduana les aurait potentiellement composĂ©s afin de soutenir la dynastie par la thĂ©ologie[5].
La famille de Sargon, et donc celle d'Enheduana, peut ĂȘtre reconstituĂ©e par les sources de l'Ă©poque. L'Ă©pouse de Sargon est une certaine Tashlultum, qui serait alors la mĂšre d'Enheduana. Deux des fils de Sargon, donc des frĂšres d'Enheduana, Rimush et Manishtusu, succĂšdent Ă leur pĂšre (dans un ordre incertain) pendant une vingtaine d'annĂ©es. Deux autres frĂšres d'Enheduana sont Ă©galement connus par des inscriptions : Su-Enlil et Ilaba'ish-takal[6]. Enheduana est sans doute encore vivante au dĂ©but du rĂšgne du quatriĂšme souverain de la dynastie : son neveu Naram-Sin (fils de Manishtusu). Elle est peut-ĂȘtre impliquĂ©e[7] - [8] dans les Ă©vĂ©nements de la grande rĂ©bellion qui embrase la Basse MĂ©sopotamie Ă un moment indĂ©terminĂ© du long rĂšgne de son neveu (au moins 37 ans)[9]. Les spĂ©cialistes de la pĂ©riode pensent que la grande prĂȘtresse nommĂ©e Ă Ur par Naram-Sin est la successeuse directe d'Enheduana[10] - [11].
Une grande prĂȘtresse du dieu Nanna
Ă un moment indĂ©terminĂ©[12], son pĂšre (ou un de ses frĂšres) la nomme grande prĂȘtresse de Nanna, Dieu-Lune (SĂźn en akkadien) tutĂ©laire de la ville d'Ur. C'est la charge la plus importante au sein de la hiĂ©rarchie du clergĂ© sumĂ©rien. Cette consĂ©cration a manifestement une visĂ©e politique : le but serait de consolider les liens du nouveau pouvoir akkadien avec un des principaux sanctuaires du pays de Sumer, nouvellement conquis[13] - [14] - [15].
Il n'est pas certain que cette fonction existait dans les pĂ©riodes prĂ©cĂ©dentes. Elle est peut-ĂȘtre crĂ©Ă©e par Sargon. Il est cependant probable, en se fondant sur des indices non dĂ©cisifs, que ce poste Ă©tait dĂ©jĂ occupĂ© par des femmes de rang royal[16] - [17] - [18] - [19] - [20]. Il est en tout cas certain que d'autres filles de roi ont succĂ©dĂ© Ă Enheduana, Ă commencer par sa propre petite-niĂšce, la fille de Naram-Sin nommĂ©e Enmenana[21]. Sous la troisiĂšme dynastie d'Ur, plusieurs princesses succĂšdent Ă leur tout Ă cette fonction : Ennirgalana la fille d'Ur-Namma, Ennirziana et Enurburziana filles de Shulgi, Enmahgalana fille d'Amar-SĂźn, Ennirziana fille d'Ibbi-SĂźn[22] - [23]. Des princesses faites prĂȘtresses se retrouvent Ă©galement sous la dynastie amorrite de Larsa (vers ) quand Enanedu la fille de Kudur-Mabuk occupe Ă son tour cette fonction. Au VIe siĂšcle av. J.-C., Nabonide de Babylone rĂ©active cette tradition en faisant de sa fille Ennigaldi-Nanna la grande prĂȘtresse du Dieu-Lune[24] - [25].
Une inscription de ce dernier roi dit explicitement qu'il lui a alors donnĂ© ce nom pour l'occasion. De la mĂȘme maniĂšre, il est probable que les grandes prĂȘtresses des pĂ©riodes antĂ©rieures, qui portent des noms similaires (dĂ©butant par en « grande prĂȘtresse », et terminant souvent par an « Ciel », qui peut aussi dĂ©signer le dieu An), aient reçu un nouveau nom lors de leur prise de fonction. Enheduana ne serait donc pas son nom de naissance[26] - [27].
Quoi qu'il en soit, d'autres cas connus de l'Ă©poque d'Akkad (et d'Ur III) dĂ©montrent que les grandes prĂȘtresses Ă©taient choisies Ă l'issue d'une procĂ©dure oraculaire[28], comme c'est le cas pour les charges liturgiques supĂ©rieures[29].
La principale source Ă propos d'Enheduana comme grande prĂȘtresse du dieu Nanna est un disque en albĂątre de 25,6 cm de diamĂštre et 7 cm d'Ă©paisseur, mis au jour Ă Ur dans le Giparu (rĂ©sidence de la prĂȘtresse de Nanna). Il porte un bas-relief, ainsi qu'une inscription au revers, en grande partie effacĂ©e, mais qui peut ĂȘtre reconstituĂ©e par une copie qui en a Ă©tĂ© faite sur une tablette au XVIIIe siĂšcle av. J.-C. (si celle-ci correspond bien Ă cet objet)[30] - [31].
Le bas-relief est une frise centrale qui reprĂ©sente la prĂȘtresse en compagnie de trois autres personnages. Le personnage le plus Ă gauche est un prĂȘtre nu (peut-ĂȘtre celui que les textes dĂ©signent par le titre de lagar) qui verse une libation sur un support en grande partie effacĂ© sur le disque. Enheduana est situĂ©e derriĂšre lui, vĂȘtue d'une tunique Ă franges et coiffĂ©e d'un turban. Elle est suivie par deux autres figures mal prĂ©servĂ©es, sans doute des officiants assistants tenant des objets ressemblant Ă une sorte d'instrument de musique et Ă un rĂ©cipient. Parfois identifiĂ© comme une ziggurat, un Ă©difice Ă degrĂ©s figure Ă gauche de la scĂšne[32] - [33] - [34] - [27]. L'inscription (avec les restitutions de la tablette de copie) se traduit : « Enheduana, zirru de Nanna, Ă©pouse de Nanna, fille de Sargon, le roi de Kish, bĂątit un socle dans le temple d'Inanna-ZAZA, et l'a nommĂ© : âdais, table du dieu Anâ[31] - [35] ». L'image et le texte fournissent donc plusieurs informations essentielles sur le rĂŽle de la grande prĂȘtresse du dieu Nanna : elle est considĂ©rĂ©e comme son Ă©pouse (dam) terrestre, le titre (akkadien) zirru Ă©tant employĂ© comme Ă©pithĂšte de son Ă©pouse divine, la dĂ©esse Ningal[36] - [27]. La pratique de la consĂ©cration d'une grande prĂȘtresse Ă Nanna suit une logique qui a pu ĂȘtre rapprochĂ©e de celle des mariages diplomatiques avec d'autres rois[37].
En revanche, rien n'indique sur le disque qu'elle a un rĂŽle actif dans le rituel, puisque ce n'est pas elle qui accomplit la libation[38] - [39] - [27]. Les hymnes attribuables Ă Enheduana et d'autres sources concernant les grandes prĂȘtresses de Nanna des pĂ©riodes postĂ©rieures indiquent qu'elles participent Ă des rituels. Leur prise de fonction est marquĂ©e par un rituel d'ordination, qui fonctionne comme un rite de passage, marquant son entrĂ©e dans le sanctuaire. Les hymnes Ă Nanna qui Ă©voquent Enheduana pourraient correspondre Ă des textes rĂ©digĂ©s pour cette occasion. Ils mentionnent des rites de purification et une intronisation par laquelle elle devient l'Ă©pouse du dieu, incarnation terrestre de la dĂ©esse Ningal[40]. Lorsquâelle est en fonction, une grande prĂȘtresse participe Ă la gestion et Ă l'entretien du sanctuaire, Ă des rituels courants du culte, dont ceux consacrĂ©s Ă la protection du roi[41]. Les hymnes d'Enheduana indiquent qu'elle prend part Ă des rites de purification, qu'elle prĂ©pare et prĂ©sente des offrandes alimentaires. Elle doit Ă©galement participer aux principales fĂȘtes du dieu, notamment celles appelĂ©es akiti et peut-ĂȘtre Ă des rites du type du « mariage sacrĂ© »[42] - [43].
Les grandes prĂȘtresses du dieu Nanna des pĂ©riodes postĂ©rieures rĂ©sident dans un bĂątiment du sanctuaire du dieu Nanna, appelĂ© Giparu. Il est probable que ce soit dĂ©jĂ le cas pour Enheduana, un Ă©difice existant dĂ©jĂ au mĂȘme emplacement Ă son Ă©poque. Cependant, il n'a pas pu ĂȘtre explorĂ© lors des fouilles, car il a connu d'importants remaniements par la suite[44]. Il est gĂ©nĂ©ralement supposĂ© que la prĂȘtrise impose le cĂ©libat (puisqu'elle est une Ă©pouse du dieu), mais on sait qu'une des lointaines successeuses d'Enheduana, Enanedu, avait un fils[45].
Il n'y a pas beaucoup d'autres sources sur Enheduana comme grande prĂȘtresse du dieu Nanna. Elle est absente de la documentation administrative de son Ă©poque[27]. Seuls deux sceaux-cylindres et l'impression d'un troisiĂšme sur un scellĂ© mis au jour Ă Ur donnent l'identitĂ© de certains de ses serviteurs : son coiffeur Ilum-palil, son intendant/majordome Adda, ainsi qu'un scribe dont le nom ne peut pas ĂȘtre reconstituĂ© en raison d'une cassure sur l'inscription[46]. La prĂ©sence d'un intendant/majordome semble indiquer qu'elle a reçu un domaine foncier qu'elle administre, comme cela est courant pour les personnes de rang royal et les dĂ©tenteurs de charges de culte[10] - [47]. Cela rapproche, lĂ encore, son rĂŽle de celui d'Ă©pouse d'un maĂźtre de domaine (comme le sont les reines)[48].
La copie de l'inscription du disque d'Enheduana indique que celui-ci commĂ©more une offrande de la prĂȘtresse non pas au dieu Nanna, mais Ă Inanna-ZAZA, un aspect de la dĂ©esse Inanna qui, en dehors de ce cas, n'est connu qu'Ă Mari en Syrie[49]. Cela trouve un Ă©cho dans les hymnes Ă Inanna attribuĂ©s Ă Enheduana : apparemment, sa dĂ©votion personnelle a Ă©tĂ© plus tournĂ©e vers cette dĂ©esse, considĂ©rĂ©e comme la protectrice de la dynastie d'Akkad, que vers son Ă©poux divin[50] - [14].
Il ressort de ces constats qu'Enheduana n'a pas forcĂ©ment Ă©tĂ© qu'un « pion » placĂ© Ă Ur au service des rois d'Akkad, mais qu'elle a potentiellement jouĂ© un rĂŽle important Ă son Ă©poque : elle dispose, non seulement d'une forme d'autoritĂ© politique comme membre de la dynastie rĂ©gnante, mais Ă©galement d'une autoritĂ© religieuse/spirituelle en tant que prĂȘtresse-Ă©pouse du dieu Nanna, si ce n'est d'un rĂŽle « thĂ©ologique » par les hymnes qu'elle aurait rĂ©digĂ©s, ainsi que d'une autoritĂ© symbolique sur la communautĂ© de la citĂ© d'Ur dont elle est une incarnation et d'un pouvoir Ă©conomique par la dĂ©tention d'un domaine foncier probablement consĂ©quent[51].
Une période de tourmente ?
La seconde partie de L'Exaltation d'Inanna contient potentiellement d'autres Ă©lĂ©ments sur la vie d'Enheduana. Cet hymne se prĂ©sente comme une autobiographie de la princesse prĂȘtresse, dont la seconde partie contient des allusions Ă des Ă©vĂ©nements dramatiques dans lesquels elle a Ă©tĂ© impliquĂ©e. Elle dit avoir fait face Ă une hostilitĂ© gĂ©nĂ©ralisĂ©e Ă Ur, dont le principal responsable est un dĂ©nommĂ© Lugal-Ane, qui perturbe les rites du sanctuaire de Nanna, causant son dĂ©clin, alors qu'Enheduana se retrouve destituĂ©e et exilĂ©e[52] - [53] - [54] :
Lugal-Ane ayant obtenu tout ce qu'il voulait, il est sorti du temple
Il m'a fait m'envoler de la fenĂȘtre telle une hirondelle, ma vie est consumĂ©e.
Me laisseras-tu aller dans les ronces des montagne?
Il m'a arraché la couronne légitime de la dignité d'en
et m'a tendu le poignard et le stylet en me disant: "Cela te convient!".
Maßtresse trÚs chÚre, bien aimée d'An,
sublime est ton cĆur pur, puisse-t-il me revenir !
â Exaltation d'Inanna (Nin-me-ĆĄara), traduction de P. Attinger[55].
Lugal-Ane est un personnage qui a dirigĂ© le soulĂšvement d'Ur lors de la grande insurrection qui a failli emporter l'empire d'Akkad sous le rĂšgne de Naram-Sin (qui n'est pas nommĂ© dans le texte), dont les deux autres foyers principaux de rĂ©volte Ă©taient Kish et Uruk. Il est dĂšs lors possible d'interprĂ©ter l'hymne comme un tĂ©moignage du fait qu'Enheduana, par fidĂ©litĂ© envers sa dynastie, aurait refusĂ© d'investir Lugal-Ane comme roi d'Ur, alors que c'Ă©tait son devoir de grande prĂȘtresse du dieu tutĂ©laire de la citĂ©. Elle aurait au contraire fait appel Ă Inanna/Ishtar, protectrice de cette derniĂšre et pourvoyeuse de la royautĂ©, plutĂŽt que de s'en remettre Ă Nanna (parce qu'il avait manifestĂ© sa prĂ©fĂ©rence envers Lugal-Ane en le laissant accĂ©der au pouvoir Ă Ur ?). Ce serait alors la cause de son expulsion de la citĂ©, avant qu'elle ne soit rĂ©intĂ©grĂ©e, selon l'hymne grĂące Ă l'appui d'Inanna (et non celle de Nanna)[56] - [7]. L'hymne procĂ©dant uniquement par allusion, et Ă©tant surtout orientĂ© vers la rĂ©habilitation de la prĂȘtresse devant les dieux, il est possible d'en interprĂ©ter le sens de diffĂ©rentes maniĂšres[57].
En tout état de cause, cette reconstitution repose sur l'acceptation qu'elle fait bien référence à la vie d'Enheduana, donc qu'elle, ou bien une personne de son entourage, ait composé cet hymne[58] - [59].
Les Ćuvres d'Enheduana
Enheduana est surtout connue parce qu'elle est la premiĂšre personne dans l'histoire humaine Ă signer une Ćuvre littĂ©raire et, donc, Ă en ĂȘtre l'auteure[60]. Plusieurs textes religieux, rangĂ©s dans la catĂ©gorie des « hymnes », lui sont attribuĂ©s dans les textes antiques. Les exemplaires grĂące auxquels ils nous sont connus sont des tablettes issues du milieu scolaire (rĂ©digĂ©es dans le cadre d'exercices de copies d'apprentis scribes), datĂ©es des alentours de (pĂ©riode palĂ©o-babylonienne) : une pĂ©riode largement postĂ©rieure Ă sa mort. La tradition mĂ©sopotamienne lui attribue explicitement la rĂ©alisation de trois hymnes : deux hymnes Ă Inanna dont elle est la narratrice, surnommĂ©s par les spĂ©cialistes modernes Exaltation d'Inanna et La dĂ©esse vaillante, et un recueil dâHymnes aux temples dont elle est mentionnĂ©e comme l'auteure. Puisqu'aucun exemplaire n'est contemporain Ă la prĂȘtresse, il est impossible de lui attribuer explicitement la crĂ©ation de ces Ćuvres. Ćuvres dans lesquelles son implication reste encore l'objet de discussions entre spĂ©cialistes. Il est par ailleurs possible qu'elle soit Ă©galement Ă l'origine d'autres hymnes dont le style est comparable aux prĂ©cĂ©dents : Inanna et Ebih par exemple. D'autres, plus sceptiques, considĂšrent que les hymnes qui lui sont attribuĂ©s sont des apocryphes qu'elle n'a pas rĂ©digĂ©s. Il est en tout cas incontestable qu'aprĂšs sa mort, le milieu lettrĂ© l'a considĂ©rĂ©e comme une auteure majeure de la littĂ©rature sumĂ©rienne ayant valeur de rĂ©fĂ©rence et dont le nom ait Ă©tĂ© prĂ©servĂ©. Ce qui est un fait rare[61].
Les hymnes Ă Inanna
Enheduana est crĂ©ditĂ©e par les scribes de l'Ă©poque palĂ©o-babylonienne de la rĂ©daction de deux hymnes Ă la premiĂšre personne dans lesquels la prĂȘtresse cĂ©lĂšbre la dĂ©esse Inanna/Ishtar[62].
L'hymne surnommĂ© « Exaltation d'Inanna » Ă l'Ă©poque moderne, dont le titre antique est : « MaĂźtresse aux innombrables pouvoirs » (nin-me-ĆĄara ; ses premiĂšres lignes, lâincipit), commence par une priĂšre adressĂ©e par Enheduana Ă la dĂ©esse Inanna. Celle-ci est dĂ©crite comme la dĂ©tentrice de tous les pouvoirs divins (me), une dĂ©esse toute-puissante. La seconde partie de l'hymne est un plaidoyer d'Enheduana, qui a subi des malheurs Ă cause de Lugal-Ane. Enheduana demande alors Ă ĂȘtre rĂ©habilitĂ©e et vengĂ©e : elle s'adresse d'abord au dieu Nanna, mais celui-ci ne lui est d'aucun secours, puis elle place ses espoirs en la dĂ©esse Inanna[63] - [55] - [64].
Ma maßtresse chérie d'An, je veux parler de ta colÚre.
J'ai entassé les braises et préparé les rites de purification,
la 'Splendide Auberge' est Ă ta disposition â ton cĆur ne s'apaisera-t-il pas vis-Ă -vis de moi ?
AprĂšs que c'est devenu beaucoup pour moi, trop pour moi, je te l'ai dit, maĂźtresse, reine.
Ce qui t'a été rapporté durant la nuit,
puisse un chantre te le répéter en plein midi !
A cause de ton époux capturé, à cause de ton enfant capturé,
ta colĂšre a grandi â ton cĆur ne se calmera-t-il pas ?
La puissante maßtresse, respectée dans l'assemblée,
accepta ses priĂšres.
Le cĆur de la splendide Inanna se tourna Ă nouveau vers elle.
Le jour redevint pour elle plaisant, elle respira la plénitude, dégagea charme et exubérance.
Tel un clair-de-lune, elle n'Ă©tait qu'Ă©panouissement.
Nanna exprima (son) admiration dans des termes justes,
(elle-mĂȘme) salua sa mĂšre Ningal,
pendant que les montants de porte lui souhaitaient la bienvenue.
Ce qu'elle a dit Ă la nuge (Ă©pithĂšte d'Inanna) est sublime.
Destructrice des pays ennemis, qui a reçu les me (pouvoirs divins) à l'instigation d'An,
ma maßtresse débordante de charmes, louée soit Inanna !
â Exaltation d'Inanna (Nin-me-ĆĄara), traduction de P. Attinger[55].
L'autre texte attribuĂ© Ă Enheduana est un Hymne Ă Inanna (in-nin-ĆĄa-gur-ra, quelque chose comme « La dĂ©esse vaillante » ou « Ă Inanna, passionnĂ©e »), qui cĂ©lĂšbre la grandeur de la dĂ©esse, prĂ©sentĂ©e comme Ă©tant supĂ©rieure Ă toutes les autres divinitĂ©s, y compris son pĂšre An et le roi des dieux Enlil. Une partie de l'hymne est plus spĂ©cifiquement consacrĂ©e Ă ses qualitĂ©s martiales, un autre passage relate comment elle octroie du pouvoir aux femmes. La derniĂšre partie est celle oĂč Enheduana parle Ă la premiĂšre personne, mais elle n'est prĂ©servĂ©e que par fragments. Il pourrait s'agir d'un ajout postĂ©rieur[65] - [66].
Inanna et Ebih (« MaĂźtresse aux pouvoirs redoutables », nin-me-huĆĄ-a) est un hymne relatant un mythe dont la protagoniste est la dĂ©esse Inanna comme dĂ©esse guerriĂšre, « Dame de la bataille ». Les Monts Ebih ont refusĂ© de se soumettre Ă elle, donc elle part en guerre contre eux afin de les subjuguer. Sa furie destructrice s'abat sur ses ennemis, le rĂ©cit se concluant par son triomphe[67] - [68] - [69] - [70]. Cet hymne n'est pas expressĂ©ment attribuĂ© Ă Enheduana, mais il est associĂ© aux deux prĂ©cĂ©dents dans des tablettes antiques de catalogues dâĆuvres. Certains chercheurs lui en attribuent la composition[71] dans la mesure oĂč il a un style et des thĂšmes comparables Ă ceux des prĂ©cĂ©dents, que le combat en question est mentionnĂ© dans lâHymne Ă Inanna, et qu'il pourrait faire rĂ©fĂ©rence aux guerres des rois d'Akkad avec les pays montagnards situĂ©s au nord-est de leur royaume, dans le Zagros occidental (plus prĂ©cisĂ©ment de Djebel Hamrin ?)[72]. Cependant, cette position est loin de faire l'unanimitĂ©[73] - [74] - [75].
Les Hymnes aux temples
La tradition lettrĂ©e palĂ©o-babylonienne attribue Ă©galement Ă Enheduana la rĂ©daction des Hymnes aux temples[76]. Il s'agit d'un recueil de quarante-deux hymnes qui cĂ©lĂšbrent des temples et leurs divinitĂ©s. Quatre manuscrits de cette Ćuvre ont conservĂ© leur fin : un colophon qui indique qu'« Enheduana est le compilateur/compositeur de cette tablette » et deux colophons ajoutant « Ă mon roi, ce qui a Ă©tĂ© crĂ©Ă© (ici) ne l'avait pas Ă©tĂ© (auparavant) ». Ce qui semble bien attribuer un rĂŽle crĂ©ateur Ă la prĂȘtresse (certes peut-ĂȘtre Ă partir dâĆuvres prĂ©existantes)[62] - [77].
Par exemple, le passage relatif au temple d'Ishtar d'Akkad, l'Ulmash ou Eulmash :
Ulmash est le pinacle le plus élevé de la terre,
Lion terrifiant qui peut mĂȘme attaquer un taureau sauvage.
Filet de bataille tendu sur les ennemis,
Forçant le silence de la mort sur une terre rebelle,
Crachant du venin sur lui jusqu'Ă ce qu'il s'incline !
Maison d'Inanna, d'argent et de lapis-lazuli, trésor construit d'or,
Ta princesse est un oiseau de mauvais augure (pour l'ennemi),
la femme consacrée de son espace sacré,
En uniforme de combat si beau qu'ils crient de joie
tandis qu'elle manie la masse Ă sept lobes,
Son équipement éclaboussé dans un bain de bataille,
Le portail de la guerre elle ouvre en grand, âŠ
Inanna, stratĂšge du ciel,
A placé (sa) demeure dans ton enceinte, à Eulmash,
A pris place sur ton dais (pour son trĂŽne).
â Hymnes aux temples, Ă partir de la traduction de B. Foster[78].
Des hymnes Ă Nanna ?
J. G. Westenholz estime que deux hymnes fragmentaires connus cĂ©lĂ©brant le dieu Nanna et son temple d'Ur, l'Ekishnugal, devraient Ă©galement ĂȘtre attribuĂ©s Ă Enheduana qui y est mentionnĂ©e. Il pourrait s'agir de textes en lien avec les rites accompagnant sa prise de fonction[79] - [80]. Le caractĂšre trĂšs lacunaire de ces hymnes rend cette attribution difficile Ă prouver[73] - [81].
La premiÚre poétesse de l'histoire ?
Les spĂ©cialistes de l'AntiquitĂ© mĂ©sopotamienne se demandent si Enheduana est rĂ©ellement l'auteure des textes qui lui sont attribuĂ©s par la tradition lettrĂ©e de ce pays. En rĂ©alitĂ©, il n'y a aucun argument dĂ©cisif pour prouver qu'elle a crĂ©Ă© ces Ćuvres, mais il n'y en a pas non plus pour les rĂ©futer[82].
Le fait qu'Enheduana soit expressément mentionnée dans trois textes comme étant leur auteure est une rareté dans la littérature mésopotamienne antique, littérature pour l'essentiel anonyme, ou du moins considérée comme le résultat d'une révélation divine, donc une création des dieux[83]. En outre, bien qu'elle ne soit pas la seule femme auteure connue dans la tradition littéraire mésopotamienne[84], le fait qu'il s'agisse d'une femme, dans un milieu lettré mésopotamien trÚs majoritairement masculin, rend son profil encore plus atypique[35].
Parmi les arguments avancĂ©s contre l'attribution de ces hymnes Ă Enheduana, il y a les anachronismes de certains d'entre eux, notamment les Hymnes aux temples qui mentionnent des temples dont la construction est postĂ©rieure Ă son Ă©poque[62]. M. Civil a Ă©galement relevĂ© que ces textes emploient des tournures linguistiques qui ne sont pas employĂ©es Ă l'Ă©poque de la prĂȘtresse[85] - [62]. Certains spĂ©cialistes, comme J. Black et al., estiment mĂȘme qu'aucune des Ćuvres qui lui sont attribuĂ©es n'est de sa main. Au mieux, il s'agirait dâĆuvres composĂ©es pour elle par un des scribes Ă son service. Dans ce cas, elles auraient quand mĂȘme Ă©tĂ© profondĂ©ment altĂ©rĂ©es par la suite, au point de perdre les caractĂ©ristiques de leur langue d'origine. Au pire, il s'agirait de crĂ©ations postĂ©rieures â donc apocryphes â qui lui ont Ă©tĂ© attribuĂ©es afin de leur donner un statut Ă©minent[86]. La premiĂšre solution suffirait Ă expliquer le fait que lâExaltation d'Inanna se prĂ©sente comme une autobiographie qui contient des Ă©lĂ©ments renvoyant effectivement au contexte de la pĂ©riode d'Akkad, sans avoir Ă considĂ©rer qu'elle ait Ă©tĂ© composĂ©e par Enheduana elle-mĂȘme[87].
Ă l'inverse, pour plusieurs autres spĂ©cialistes de la littĂ©rature sumĂ©rienne ayant traduit et Ă©tudiĂ© les Ćuvres d'Enheduana, notamment W. W. Hallo, J. G. Westenholz et A. Zgoll, la prĂȘtresse est bien l'auteure des Ćuvres en question. Cette position semble majoritaire[88] - [89]. Des spĂ©cialistes de la pĂ©riode d'Akkad, A. Westenholz et B. Foster, vont eux aussi dans ce sens. L'existence de la princesse-prĂȘtresse est avĂ©rĂ©e par des sources de l'Ă©poque d'Akkad, ces hymnes ont un style personnel et singulier, donc il n'y aurait aucune raison valable de refuser Ă Enheduana le statut d'auteure de ces textes alors que la tradition savante mĂ©sopotamienne le fait (ce qu'elle ne fait quasiment jamais). Certes les copies connues de ses Ćuvres ne sont pas leur version originelle, mais les anachronismes relevĂ©s indiqueraient des ajouts postĂ©rieurs ou des altĂ©rations dues aux copies rĂ©pĂ©tĂ©es des textes, ce qui n'est pas inhabituel car les Ćuvres littĂ©raires mĂ©sopotamiennes sont fluides et susceptibles d'Ă©voluer avec le temps[90] - [7].
Un passage des Hymnes aux temples, dans lequel la déesse du savoir Nisaba est présentée comme se livrant à des travaux astronomiques, a été invoqué pour conférer à Enheduana des talents supplémentaires de mathématicienne et d'astronome[91] - [92].
Les liens avec l'idéologie d'Akkad
Ces interrogations amÚnent à réfléchir aux rapports qui existent entre les écrits d'Enheduana et le contexte politique, culturel et idéologique de la période durant laquelle elle aurait été active : celle de l'empire d'Akkad, trÚs riche en changements. Alors que sa langue de naissance est probablement l'akkadien, la langue des pays septentrionaux du royaume et de la dynastie d'Akkad, elle écrit en sumérien, la langue des pays méridionaux du royaume (donc d'Ur) et surtout de l'élite cultivée de son temps[78]. Les rois ont probablement alors tenté d'élever le statut de l'akkadien. Néanmoins, ils ont laissé des inscriptions officielles en sumérien et l'élite de l'empire semble plutÎt pratiquer le bilinguisme sumérien-akkadien[93].
Il a Ă©tĂ© proposĂ© qu'Enheduana ait participĂ© Ă une innovation thĂ©ologique visant Ă intĂ©grer les panthĂ©ons de tradition akkadienne Ă ceux de tradition sumĂ©rienne, pour renforcer l'unitĂ© des pays dominĂ©s par la dynastie d'Akkad. Cela concernerait au premier chef l'assimilation de la sumĂ©rienne Inanna Ă l'akkadienne Ishtar. Cependant, il n'y a pas suffisamment d'Ă©lĂ©ments favorables Ă l'existence d'un tel projet[94] - [95]. Les Hymnes aux temples, passant en revue les sanctuaires des principales citĂ©s conquises et unifiĂ©es dans un mĂȘme Ătat par Sargon, pourraient viser Ă promouvoir l'unitĂ© du royaume par la religion[96] - [5]. Cela n'implique pas forcĂ©ment qu'elle ait Ă©tĂ© une personnalitĂ© effacĂ©e, soumise Ă l'agenda politique et idĂ©ologique des rois de sa dynastie. Certains spĂ©cialistes voient dans le contenu de ses hymnes le reflet d'une personnalitĂ© forte et indĂ©pendante[97] - [98].
Le lien entre Enheduana et la dĂ©esse Inanna, exprimĂ© dans les hymnes qu'elle aurait Ă©crits pour la louer comme la plus grande divinitĂ©, est surprenant Ă premiĂšre vue, car Enheduana est la prĂȘtresse et Ă©pouse du dieu Nanna. Cela peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un changement d'allĂ©geance[74] - [99]. Mais, ce lien prend plus de sens s'il est replacĂ© dans le contexte idĂ©ologique de la pĂ©riode d'Akkad : la dynastie de Sargon s'est rĂ©guliĂšrement placĂ©e sous les auspices d'Inanna, en particulier Naram-Sin qui se prĂ©sente comme l'Ă©poux de la dĂ©esse[100] - [5] - [101]. A. Zgoll a notamment mis en rapport lâExaltation d'Inanna avec la grande insurrection contre Naram-Sin : Enheduana l'aurait composĂ© au moment de son exil alors que sa dynastie est en pĂ©ril, invoquant l'appui de la dĂ©esse afin qu'elle lui restitue son pouvoir et chĂątie les ennemis de Naram-Sin[102]. L'aspect politique de ces hymnes est nĂ©anmoins discutĂ©[103].
Une figure respectée par les lettrés mésopotamiens
S'exprimant Ă propos des Hymnes aux temples dont la compilation est attribuĂ©e Ă Enheduana par la tradition mĂ©sopotamienne, C. Halton et S. SvĂ€rd relĂšvent que « la plupart des chercheurs pensent qu'elle a jouĂ© un rĂŽle formateur dans la composition de ces hymnes, mais que, comme presque tous les textes littĂ©raires du monde antique, des ajouts ultĂ©rieurs ont Ă©tĂ© inclus au fur et Ă mesure que le texte Ă©tait recopiĂ©. IndĂ©pendamment du fait qu'Enheduana elle-mĂȘme ait Ă©crit ou non ces compositions, les auteurs ultĂ©rieurs ont cru qu'elle l'avait fait[104] ». Il est, en tout cas, remarquable que les Ă©rudits de l'ancienne MĂ©sopotamie aient honorĂ© cette femme en tant qu'Ă©crivaine respectĂ©e, faisant en sorte que son nom soit commĂ©morĂ© et ses Ćuvres recopiĂ©es (une centaine de copies de L'Exaltation d'Inanna sont connues)[105] - [106].
Enheduana a connu un prestige post-mortem semblable Ă celui des membres les plus importants de sa lignĂ©e : Sargon et Naram-Sin. Ceux-ci sont devenus des figures incontournables de l'histoire et de la littĂ©rature mĂ©sopotamiennes. Leurs inscriptions sont copiĂ©es au fil du temps et ils sont mĂȘme le sujet de rĂ©cits fictifs dont certains sont vaguement liĂ©s Ă des Ă©vĂ©nements rĂ©els de leur rĂšgne[107]. Sans avoir pris la mĂȘme importance qu'eux, Enheduana a fait l'objet d'un traitement similaire, puisqu'en plus d'avoir Ă©tĂ© reconnue comme l'auteure d'hymnes, au moins une de ses inscriptions est recopiĂ©e. Le fait que son souvenir ait Ă©tĂ© prĂ©servĂ© pourrait donc ĂȘtre en partie liĂ© Ă son appartenance Ă cette dynastie prestigieuse[86].
RĂ©ceptions et hommages modernes
La redécouverte des textes d'Enheduana par les spécialistes de la littérature sumérienne a attiré l'attention sur ce potentiel premier auteur de l'histoire. En , A. Falkenstein est le premier à lui consacrer un article. Ensuite, à partir de la fin des années , les traductions de ses hymnes par J. J. van Djik et W. W. Hallo (Exaltation d'Inanna) et A. Sjöberg et E. Bergmann (Hymnes aux temples et Hymne à Inanna) ont fourni une base à la redécouverte de cette figure oubliée[108].
En , l'anthropologue M. Weigle est la premiĂšre Ă en faire un symbole fĂ©ministe, une figure se dressant contre un ordre patriarcal, qui devrait ravir Ă Sappho le statut de plus ancienne auteure[109]. Par la suite, des traductions non-acadĂ©miques des Ćuvres d'Enheduana ont Ă©tĂ© publiĂ©es visant Ă prouver qu'elle en Ă©tait bien l'auteure. Ceci en impliquant l'idĂ©e qu'elle Ă©tait capable d'influencer les Ă©vĂ©nements et l'idĂ©ologie de son Ă©poque, soulevant ainsi des questions sur le pouvoir d'action (agentivitĂ©) des femmes dans les sociĂ©tĂ©s anciennes dominĂ©es par le patriarcat[110].
MĂȘme si elle reste une figure trĂšs peu connue par rapport aux autres auteurs anciens[111], Enheduana devient une rĂ©fĂ©rence invoquĂ©e dans ses terres d'origine, dans l'actuel Irak, en lien avec les Ă©vĂ©nements ayant affectĂ© ce pays dans les annĂ©es , par exemple, par la poĂ©tesse Amal al-Jubouri[112].
Depuis , un cratÚre de la planÚte Mercure est nommé Enheduanna en son honneur[113] - [92].
Enheduana est l'une des 1 038 femmes dont le nom figure sur le socle de l'Ćuvre contemporaine The Dinner Party de Judy Chicago. Elle y est associĂ©e Ă la dĂ©esse Ishtar, troisiĂšme convive de l'aile I de la table[114].
Notes et références
- Wagensonner 2020, p. 39.
- Konstantopoulos 2021, p. 57 n.2.
- Foster 2016, p. 3-6.
- Frayne 1993, p. 36 et 38-39.
- Westenholz 2012, p. 303.
- Frayne 1993, p. 36-37.
- Foster 2016, p. 207.
- Wagensonner 2020, p. 44.
- Foster 2016, p. 10-13.
- Glassner 2009, p. 222.
- Foster 2016, p. 14.
- WeiershÀuser 2008, p. 250-251.
- Winter 2010, p. 73-74.
- WeiershÀuser 2008, p. 252.
- Westenholz 2012, p. 300-301.
- Winter 2010, p. 71-72 et 73-74.
- WeiershÀuser 2008, p. 254.
- Westenholz 2012, p. 291-299.
- Westenholz 2013, p. 251.
- Waggensonner 2020, p. 39.
- WeiershÀuser 2008, p. 255-256.
- WeiershÀuser 2008, p. 242-244.
- Westenholz 2012, p. 304-305.
- Wagensonner 2020, p. 39-40.
- Westenholz 2012, p. 305-306.
- WeiershÀuser 2008, p. 251.
- Wagensonner 2020, p. 40.
- WeiershÀuser 2008, p. 241 et 255-256.
- Westenholz 2013, p. 267.
- Winter 2010, p. 67-68.
- Frayne 1993, p. 35-36.
- Winter 2010, p. 68-70.
- Suter 2007, p. 324.
- Foster 2016, p. 197-198.
- Glassner 2009, p. 221.
- Glassner 2009, p. 221-222.
- Suter 2007, p. 322.
- Winter 2010, p. 76.
- Suter 2007, p. 340.
- Westenholz 2013, p. 253-255.
- Suter 2007, p. 320.
- Westenholz 2013, p. 255-258.
- Suter 2007, p. 340-341.
- WeiershÀuser 2008, p. 251-252.
- Westenholz 2013, p. 268.
- Frayne 1993, p. 38-39.
- Westenholz 2012, p. 304.
- Suter 2007, p. 319-320.
- Foster 2016, p. 197.
- Foster 2016, p. 141.
- Westenholz 2012, p. 299-304.
- Black et al. 2004, p. 315-316.
- Glassner 2009, p. 225-226.
- Wagensonner 2020, p. 43-44.
- Traduction de P. Attinger.
- WeiershÀuser 2008, p. 253-254.
- Glassner 2009, p. 226-228.
- Black et al. 2004, p. 315.
- Glassner 2009, p. 228.
- Halton et SvÀrd 2018, p. 51.
- Konstantopoulos 2021, p. 59-63.
- Glassner 2009, p. 224.
- Black et al. 2004, p. 315-320.
- Foster 2016, p. 332-336.
- Black et al. 2004, p. 92-99.
- Foster 2016, p. 336-341.
- Jean Bottéro et Samuel N. Kramer, Lorsque les dieux faisaient l'Homme, Paris, Gallimard, coll. « NRF », , p. 219-228
- Black et al. 2004, p. 334-338.
- Traduction de P. Attinger.
- Foster 2016, p. 341-347.
- Westenholz 1989, p. 540.
- Foster 2016, p. 63, 64 et 207.
- Glassner 2009, p. 223.
- Wagensonner 2020, p. 42.
- Konstantopoulos 2021, p. 60.
- (en) « The temple hymns: translation », sur The Electronic Text Corpus of Sumerian Literature (ETSCL), 1998-2001 (consulté le ).
- Konstantopoulos 2021, p. 61.
- Foster 2016, p. 208.
- Westenholz 1989, p. 552-555.
- (en) « A balbale to Nanna (Nanna C) », sur The Electronic Text Corpus of Sumerian Literature (ETSCL), 1999-2003 (consulté le ).
- Konstantopoulos 2021, p. 59-60.
- Glassner 2009, p. 229.
- Glassner 2009, p. 219-220.
- Wagensonner 2020, p. 44-45.
- Miguel Civil, « Les limites de l'information textuelle », dans Marie-ThĂ©rĂšse Barrelet (dir.), LâarchĂ©ologie de l'Iraq du dĂ©but de l'Ă©poque nĂ©olithique Ă 333 avant notre Ăšre: Perspectives et limites de lâinterprĂ©tation anthropologique des documents, Paris, Ăditions du CNRS, , p. 229.
- Black et al. 2004, p. 316.
- Glassner 2009, p. 225 et 228-229.
- WeiershÀuser 2008, p. 249-250.
- Halton et SvÀrd 2018, p. 54.
- Westenholz 1999, p. 76-77.
- (en) Sarah Glaz, « Enheduanna: Princess, Priestess, Poet, and Mathematician », Math Intelligencer, vol. 42,â , p. 31â46 (DOI 10.1007/s00283-019-09914-7)
- Konstantopoulos 2021, p. 68.
- Foster 2016, p. 213-214.
- Foster 2016, p. 141-142.
- WeiershÀuser 2008, p. 252-253.
- Westenholz 1999, p. 38-39.
- Westenholz 1999, p. 38.
- Westenholz 2012, p. 306.
- Konstantopoulos 2021, p. 60-61.
- (en) Joan Goodnick-Westenholz, « King by Love of Inanna - an image of female empowerment? », NIN: Journal of Gender Studies in Antiquity, no 1,â , p. 91-94.
- Foster 2016, p. 140-141.
- (en) Annette Zgoll, « Innana and En-áž«edu-ana: Mutual Empowerment and the myth INNANA CONQUERS UR », dans Kerstin DroĂ-KrĂŒpe et Sebastian Fink (dir.), Powerful Women in the Ancient World. Perception and (Self)Presentation. Proceedings of the 8th Melammu Workshop, Kassel, 30 January â 1 February 2019, MĂŒnster, Zaphon, , p. 13-57.
- Westenholz 1999, p. 77-78.
- « Most scholars think that she did have a formative role in the composition of these hymns but that, similar to almost every literary text in the ancient world, later additions were included as the text was recopied. Regardless of whether or not Enheduana herself wrote these compositions, later authors believed she did. » : Halton et SvÀrd 2018, p. 54. Idée similaire dans Wagensonner 2020, p. 42-43.
- Wagensonner 2020, p. 45.
- Konstantopoulos 2021, p. 62-63.
- Foster 2016, p. 249-270.
- Konstantopoulos 2021, p. 63.
- Konstantopoulos 2021, p. 63-65.
- Konstantopoulos 2021, p. 66-68.
- (en) Charles Halton, « Why Has No One Ever Heard of the Worldâs First Poet? », sur Literary Hub, (consultĂ© le ).
- Konstantopoulos 2021, p. 69-71.
- « Planetary Names: Crater, craters: Enheduanna on Mercury », sur planetarynames.wr.usgs.gov (consulté le )
- (en) Musée de Brooklyn - Enheduanna.
Bibliographie
Empire d'Akkad
- (en) Douglas Frayne, The Royal inscriptions of Mesopotamia, Early periods : vol. 3/2, Sargonic and Gutian periods : 2334-2113 BC, Toronto, Toronto University Press,
- (en) Aage Westenholz, « The Old Akkadian Period: History and Culture », dans Walther Sallaberger et Aage Westenholz, Mesopotamien: Akkade-Zeit und Ur III-Zeit, Fribourg et Göttingen, UniversitÀtsverlag Freiburg Schweiz et Vandenhoeck & Ruprecht, coll. « Orbis Biblicus et Orientalis », , p. 17-118
- (en) Benjamin R. Foster, The Age of Agade : Inventing empire in ancient Mesopotamia, Londres et New York, Routledge / Taylor & Francis Group,
Ătudes sur les grandes prĂȘtresses
- (en) Irene J. Winter, « Women in Public: The Disk of Enheduanna, the Beginning of the Office of En-Priestess, and the Weight of Visual Evidence », dans On the art in the ancient Near East, Volume II: From the Third Millennium B.C.E., Leyde et Boston, Brill, , p. 65-83 (reprise d'un article de 1987)
- (en) Claudia E. Suter, « Between Human and Divine: High Priestesses in Images from the Akkad to the Isin-Larsa Period », dans Jack Cheng et Marian H. Feldman (dir.), Ancient Near Eastern Art in Context: Studies in Honor of Irene J. Winter by Her Students, Leyde et Boston, Brill, , p. 317-361
- (de) Frauke WeiershÀuser, Die königlichen Frauen der III. Dynastie von Ur, Göttingen, UniversitÀtsverlag Göttingen, (lire en ligne), p. 239-259
- (en) Joan Goodnick Westenholz, « EN-Priestess: Pawn or Power Mogul? », dans Gernot Wilhelm (dir.), Organization, Representation, and Symbols of Power in the Ancient Near East: Proceedings of the 54th Rencontre Assyriologique Internationale at WĂŒrzburg, 20â25 July 2008, Winona Lake, Penn State University Press, Eisenbrauns, , p. 291-312.
- (en) Joan Goodnick Westenholz, « In the Service of the Gods: The Ministering Clergy », dans Harriet Crawford (dir.), The Sumerian World, Londres et New York, Routledge, , p. 248-258
SynthĂšses sur Enheduanna
- (en) Joan Goodnick Westenholz, « Enheduanna, En-Priestess, Hen of Nanna, Spouse of Nanna », dans Hermann F. Behrens, Darlene Loding, et Martha T. Roth (dir.), DUMU-E2-DUB-BA-A: Studies in Honor of à ke W. Sjöberg, Philadelphie, Occasional Publications of the Samuel Noah Kramer Fund, University Museum, Philadelphia, , p. 539-556
- Jean-Jacques Glassner, « En-hedu-Ana, une femme auteure en pays de Sumer au IIIe millĂ©naire ? », dans F. Briquel-Chatonnet, S. FarĂšs, B. Lion et C. Michel (dir.), Femmes, cultures et sociĂ©tĂ©s dans les civilisations mĂ©diterranĂ©ennes et proche-orientales de lâAntiquitĂ©, coll. « Topoi supplĂ©ment » (no 10), (lire en ligne), p. 219â231
- Jean-Jacques Glassner, « La princesse Enheduana », Pour la Science, no 370 « Le femmes en MĂ©sopotamie »,â , p. 42-44 (lire en ligne [php], consultĂ© le ).
- (en) Klaus Wagensonner, « Between History and Fiction â Enheduana, the First Poet in World Literature », dans Agnete Wisti-Lassen et Klaus Wagensonner (dir.), Women at the dawn of history, New Haven, Yale Babylonian Collection, , p. 39â45
- (en) Gina Konstantopoulos, « The Many Lives of Enheduana: Identity, Authorship, and the âWorldâs First Poetâ », dans Kerstin DroĂ-KrĂŒpe et Sebastian Fink (dir.), Powerful Women in the Ancient World. Perception and (Self)Presentation. Proceedings of the 8th Melammu Workshop, Kassel, 30 January â 1 February 2019, MĂŒnster, Zaphon, , p. 57-76
Ăditions et traductions des textes
- Pascal Attinger, « Innana B (NinmeĆĄara) (4.7.2) », Zenodo,â (DOI https://doi.org/10.5281/zenodo.2667768)
- (en) J. J. A. van Dijk, The Exaltation of Inanna, New Haven, Yale University Press,
- (en) à ke W. Sjöberg et Eugen Bergmann, The Collection of the Sumerian Temple Hymns, Locust Valley, J.J. Augustin Publisher,
- (en) Ă ke W. Sjöberg, « In-nin ĆĄĂ -gur4-ra: a Hymn to the Goddess Inanna by the Priestess Enáž«eduanna », Zeitschrift fĂŒr Assyriologie, vol. 65,â , p. 161â253
- (de) Annette Zgoll, Der Rechtsfall der En-hedu-Ana in dem Lied nin-me-sar-ra, MĂŒnster, Ugarit Verlag,
- (en) Jeremy Black, Graham Cunningham, Eleanor Robson et GĂĄbor ZĂłlyomi, Literature of Ancient Sumer, Oxford, Oxford University Press, , 372 p. (ISBN 0-19-926311-6, BNF 40008443)
- (en) Charles Halton et Saana SvĂ€rd, Womenâs Writing of Ancient Mesopotamia : An Anthology of the Earliest Female Authors, Cambridge et New York, Cambridge University Press,
- (en) Sophus Helle, Enheduana : The Complete Poems of the World's First Author, New Haven, Yale University Press, (DOI 10.12987/9780300271478)
Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
- Les Odyssées du Louvre, épisode 12 : Enheduanna, premiÚre poétesse de l'Histoire, podcast pour la jeunesse coproduit par France Inter et le Musée du Louvre, 20 avril 2022 (18 minutes)
- (en) Textes d'Enheduana édités et traduits en anglais par l'assyriologue Sophus Helle